Les taux de croissance économique sur le continent peuvent sembler impressionnants. Ces taux doivent cependant être relativisés car on revient de tellement de loin, le niveau de production est tellement faible, que toute augmentation est considérée comme un grand pas en avant bien qu’il s’agisse concrètement de petites avancées. De plus, le passage de l’économie de subsistance à l’économie de marché permet d’intégrer statistiquement des régions éloignées qui n’étaient pas comptabilisées dans les comptes nationaux. Bien évidemment, les statistiques devraient donc être lues avec prudence, d’autant qu’il y a peu de pays africains, excepté l’île Maurice, capables de fournir des données nationales fiables.
Notons que dans ses prévisions pour l’économie mondiale, d’avril 2017, le Fonds monétaire international (FMI) ne prévoit qu’«une reprise modeste» en Afrique subsaharienne, puisque la croissance devrait atteindre 2,6% en 2017 après 1,4% l’année dernière. La prévision de croissance pour l’Afrique du Sud, le soi-disant géant économique en Afrique, est de 0,8%, un peu mieux que les 0,3% de 2016. Sans aucun doute, elle sera révisée à la baisse suite au remaniement du Cabinet de Jacob Zuma, qui a incité l’agence de notation Standard & Poor’s à dégrader la note souveraine du pays en catégorie spéculative (de « BBB – » à « BB + »). L’incertitude politique met en danger les perspectives de croissance et les équilibres financiers du pays.
Le défi qui nous attend est de transformer ces menaces en opportunités. Pays sans conflit, Maurice a été particulièrement attractive pour les Sud-Africains riches, qui sont parmi les plus grands acheteurs étrangers de propriété. AfrAsia Bank estime que 280 millionnaires sud-africains se sont installés dans l’île depuis 2006. La création de sociétés à Maurice, considérée comme la porte d’entrée vers l’Afrique, soutient encore le marché immobilier. Bien qu’il devienne un pilier économique, le secteur de l’immobilier ne peut cependant pas être au cœur d’une petite économie insulaire en développement parce qu’il ne crée pas beaucoup de valeur ajoutée. Contrairement à l’immobilier, le commerce est plutôt un meilleur créateur de richesses qui peut générer des avantages économiques tangibles pour la population en général. Bien sûr, nous devons échanger ce que nous produisons, et le commerce international porte aussi bien sur la production des services que sur celle des biens.
Le commerce de marchandises de Maurice avec les pays africains reste perturbé dans la mesure où il est entravé par des barrières non tarifaires, des goulets d’étranglement réglementaires et des contraintes d’infrastructures physiques. L’accès au marché est même difficile pour l’Afrique du Sud, ce qui amène le président de la Chambre de commerce sud-africaine, Richard Robinson, à déclarer dans une interview au Business Magazine du 26 avril 2017 que : « Ce qui est possible pour Maurice est qu’elle se concentre sur le développement de son industrie des services, par exemple les NTIC et les secteurs de l’éducation, tout en élargissant ses services financiers aux entreprises d’Afrique du Sud ».
Pourtant, il n’y a pas de barrières tarifaires dans la Communauté de développement de l’Afrique australe et le Marché commun pour l’Afrique orientale et australe, dont Maurice est membre. L’île est également devenue membre la zone de libre échange tripartite COMESA-EAC-SADC qui comprend la Communauté de l’Afrique de l’Est. Ces trois communautés économiques régionales s’étendent de Cape Town au Caire, créant un marché intégré avec une population de 625 millions de personnes (57% de la population du continent africain) et un produit intérieur brut total de 1 200 milliards de dollars(60% du PIB africain). Les exportateurs mauriciens ne doivent pas cibler une large clientèle, mais feraient mieux de se concentrer sur le segment de la classe moyenne. Ce dernier représente, sur l’ensemble du continent africain, près de 350 millions de consommateurs.
En effet, l’Afrique devrait plus être considérée comme un marché de la consommation que de la fabrication. Les Africains achètent des produits étrangers avec l’argent qu’ils reçoivent des Asiatiques en échange de leurs terres et de leurs matières premières. Ce qui fait l’attractivité du continent, c’est la richesse des ressources naturelles, des minéraux inexploités, et des terres agricoles cultivables qui peuvent être exploitées. Sa structure de production est orientée principalement vers l’extraction de ressources et l’offre de biens et services de consommation finale. Les secteurs prospères sont ceux des produits « en amont », éloignés du consommateur (mines et agriculture), et des biens « en aval », les plus proches du consommateur (distribution et services), mais la fabrication manufacturière diversifiée fait défaut. Même en Afrique du Sud, où les contestations ouvrières perturbent les nouveaux investissements, l’industrie manufacturière diminue alors que les détaillants étrangers sont venus en masse. L’histoire de l’Afrique est une économie pré-industrialisée plus axée sur le commerce de gros et de détail grâce à un marché de masse.
Ce n’est donc pas un hasard si peu de capitaines de l’industrie mauriciens se sont aventurés à fabriquer sur le continent. Quelques exemples rares sont fournis par Alteo impliqué dans la production de sucre en Tanzanie, et par Innodis engagé dans la production de volailles au Mozambique. Pendant ce temps, les banques mauriciennes ayant une base régionale font de bonnes affaires dans le financement du commerce extérieur. Ils continueront aussi à engranger des bénéfices sur le financement de la dette.
Les économies africaines sont alimentées par des dépenses publiques et privées, financées essentiellement par des emprunts, car l’épargne est médiocre, les taux d’intérêt étant maintenus artificiellement bas par les entrées de capitaux étrangers. Les rendements obligataires ont chuté, induisant des investissements dans l’infrastructure financés par des emprunts. La faiblesse des taux d’épargne, ayant entraîné un manque d’accumulation de capital, explique pourquoi les secteurs produisant des biens d’équipement (secteurs intermédiaires) sont si peu développés. Les efforts d’épargne ont été découragés par le déficit public irresponsable du gouvernement, la planche à billets, l’affaiblissement de la monnaie, l’inflation galopante, les taux d’intérêt réels négatifs et le crédit bancaire facile.
Ainsi, une bulle de la dette est en cours de formation. Les conséquences économiques seront terribles à moins que les Africains ne réduisent drastiquement leurs dépenses de consommation et commencent à économiser. Les Mauriciens devraient faire de même et investir dans les processus de production plutôt que dans les centres commerciaux.