Dans ce pays où l’histoire semble se noyer dans les eaux troubles du désespoir, deux figures règnent en maîtres paradoxaux. L’un, le Sourd-Muet, demeure impassible devant les cris du peuple. Il est sourd aux revendications légitimes, aux alertes désespérées, aux exigences d’une nation qui souffre. Il est muet face aux urgences, aux dérives, et aux désastres qu’il laisse proliférer. L’autre, le Bonimenteur, hurle à tout vent, emplissant l’air de mots creux et de vacarme stérile. Ensemble, ils incarnent la désillusion d’une nation qui ploie sous le poids d’une pénitence imposée.
Le Sourd-Muet est figé sur son trône de pouvoir comme un sphinx de marbre. Son mutisme n’est pas absence de parole, mais absence d’âme. Chaque silence qu’il impose résonne comme une absence de cœur, une indifférence calculée face à l’effondrement d’une nation. Il regarde les murs de la prison s’élever plus haut sans un mot, sans un geste. Pour lui, la souffrance du peuple n’est qu’un murmure lointain, un bruit de fond qu’il choisit d’ignorer. Tels les gardiens impassibles d’une prison, il observe, immobile, l’enfermement d’un peuple pris au piège de promesses non tenues et d’un avenir sans horizon.
Face à lui, le Bonimenteur occupe l’espace sonore, non pour éclairer, mais pour asservir. Sa voix tonne, ses mots résonnent, mais ils ne portent rien d’autre que l’écho de sa propre vacuité. Il hurle pour dominer, parle pour couvrir, crie pour imposer. Ses phrases, bien qu’abondantes, sont dépourvues de sens. Comme le garde autoritaire d’une geôle, il utilise sa volubilité pour maintenir l’ordre dans un chaos qu’il a contribué à créer. Là où le Sourd-Muet règne par l’absence, le Bonimenteur règne par l’excès.
Et entre ces deux pôles, le pays vacille. Le silence du Muet est une trahison : il refuse de nommer les maux, de désigner les coupables, de tendre une main secourable. Le vacarme du Bonimenteur est une mascarade : il promet l’abondance là où il n’y a que sécheresse, il crie victoire là où il n’y a que défaites. Ensemble, ils ne construisent rien, mais démolissent tout. Cette dualité illustre une vérité tragique : un pouvoir sans direction est plus destructeur qu’une tempête.
Mais au-delà des figures, il y a un peuple. Un peuple qui ne peut se permettre de sombrer dans le silence de la résignation ou le vacarme stérile des promesses vides. Car si le Muet se tait et si le Bavard hurle, qui donc portera la voix des sans-voix ? Qui articulera l’avenir d’une nation qui mérite mieux que d’être l’otage de ces paradoxes?
Dans cette métaphore carcérale, la pénitence dépasse la simple douleur collective : elle est devenue une habitude. Chaque Sénégalais, en silence ou en colère, porte les chaînes invisibles de cette grande prison. Le Sourd-Muet et le Bonimenteur, loin de chercher à briser ces chaînes, s’assurent qu’elles restent solidement attachées. Ils ne gouvernent pas, ils gardent. Ils ne libèrent pas, ils enferment.
Ainsi , le peuple ploie sous le poids de la pénitence. Cette prison qu’est devenu le Sénégal n’a pas de murs physiques, mais ses chaînes sont bien réelles : le chômage rampant, l’éducation moribonde, les injustices quotidiennes. Chaque Sénégalais est contraint de porter le fardeau de cette captivité silencieuse. Le Sourd-Muet, insensible à cette souffrance, ne fait rien pour desserrer l’étau. Le Bonimenteur, de son côté, hurle ses ordres, pliant les populations à une volonté qui n’a pour but que de masquer son propre vide.
Philosophiquement, cette dualité est fascinante dans sa tragédie. L’un agit par inaction, l’autre par agitation. L’un incarne le mépris glacial, l’autre l’autoritarisme bruyant. Ensemble, ils symbolisent un pouvoir sans direction, un leadership qui n’en est pas un. Le silence du Sourd-Muet est une trahison, un abandon des responsabilités. Le vacarme du Bonimenteur est une mascarade, une diversion destinée à étouffer les vérités que personne n’ose affronter.
La pénitence n’est pas seulement un état imposé, mais une condition acceptée. Le peuple endure, non par faiblesse, mais par habitude, résignation ou peur. Pourtant, chaque prison a ses failles, et chaque peuple a ses limites. La solution ne viendra ni du mutisme calculé du Sourd-Muet, ni du vacarme stérile du Perroquet. Elle résidera dans une révolte des consciences, une insurrection des âmes, une action collective pour briser les chaînes invisibles de cette captivité.
Alors, peut-être, le silence cessera d’être une arme et le bruit, une farce. Peut-être, le Sénégal pourra enfin se libérer de ses geôliers et retrouver sa dignité perdue. Et dans cette renaissance, la parole juste, celle qui éclaire sans aveugler, qui mobilise sans manipuler, pourra enfin faire entendre la voix d’un peuple qui ne veut plus ployer sous le poids de sa propre pénitence.
Pierre Hamet BA.