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L’HOMME NE SE LAISSE PAS FAIRE.

(Suite de l’article : Résistance ? Mais qu’est-ce donc ? https://pierrehametba.com/resistance-mais-quest-ce-donc/).

Qu’est-ce qui fonde le droit du droit de résistance à l’oppression ? Ainsi posée, l’interrogation soulève une problématique juridique fondamentale, mais tout aussi philosophique, tant dans son historicité que dans son appréhension.

Si nous considérons qu’une chose n’existe que par notre capacité à la comparer à ce qu’elle n’est pas, alors il ne peut y avoir de définition sans le dehors même de celle-ci. En ce sens, l’on ne peut appréhender la résistance que sous son dehors, c’est-à-dire, ce qui en conditionne l’existence. Il nous faut donc nous saisir de l’oppression comme condition sine qua non de la résistance. Ainsi partant, nous pouvons dire sans risque de nous tromper que l’oppression suppose nécessairement un joug matériel ou moral en tant qu’il en est le préalable. Mais alors, au nom de quel principe une telle contrainte existerait-elle ? Serait-elle donnée, c’est-à-dire immanente à l’existence ou en serait-elle plutôt une conséquence terrifiante ?

Darwin, dans sa Théorie de l’évolution, considère que pour survivre, parce que les ressources sont limitées, l’homme doit se battre au moins de deux façons : soit par la compétition ; soit, par la solidarité et la coopération. L’on peut en conclure alors que la contrainte est ici inhérente à l’existence. Ce qui, par ailleurs, justifie la nécessité pour l’homme de lutter pour la sauvegarde de son intégrité propre et partant, pour la survie de son espèce. C’est ce que Darwin appelle la sélection naturelle qui ne laisse exister que les plus forts et les plus aptes, au détriment des plus faibles.

En nous basant donc sur l’évolutionnisme de Darwin, nous pouvons ainsi affirmer que : vivre c’est lutter. Ce qui place la lutte au centre de l’existence humaine, à la fois comme immanence et comme conséquence. En d’autres termes : on vit pour lutter ; on vit parce qu’on lutte. Dès lors, l’on peut ici appréhender l’existence humaine à la fois sous le prisme de la métaphysique humienne, du substantialisme cartésien et sous l’angle du dispositionnalisme. Mais il faut toutefois préciser que des critiques politiques, sociales, philosophiques et religieuses ont été apportées à l’évolutionnisme de Darwin.

Sur le plan politique, social et philosophique, Karl Marx et Friedrich Engels notent l’analogie entre le principe de la sélection naturelle et le fonctionnement du marché capitaliste. Marx cite l’Origine des Espèces dans Le Capital et y note l’analogie et la distinction entre « l’histoire de la technologie naturelle » et « l’histoire de la formation des organes productifs de l’homme social ».

Du point de vue scientifique, Le néo-lamarckien Étienne Rabaud critique de manière assez radicale la notion d’adaptation, en montrant que la sélection naturelle ne retient pas le plus apte, mais élimine seulement les organismes dont l’équilibre des échanges est déficitaire. Pour Rémy Chauvin dans « Le Darwinisme ou la fin d’un mythe. L’esprit et la matière », le darwinisme s’apparente à une secte prônant un athéisme obtus aux postulats scientifiques contestables.

C’est d’ailleurs la critique que vont apporter les religieux à l’évolutionnisme par fidélité aux textes sacrés auxquels ils croient à savoir : la Torah, la Bible et le Coran. C’est ce qu’il est convenu d’appeler Créationnisme, une doctrine qui prône l’idée d’un Dieu créateur de l’univers et de tout ce qui s’y trouve. Et, par conséquent, tout ce qui s’y passe. Est-ce alors à dire que les rapports de force relèveraient d’une loi divine supérieure à toutes les autres formes de loi, quelque chose comme un dessein, en ce sens que les uns auraient naturellement le droit d’opprimer les autres qui, à leur tour, auraient tout aussi naturellement le droit d’y résister ? Ceci n’est pas sans rappeler Thomas D’Aquin qui appelle de tous ses vœux l’existence d’une source universelle de justice, immanente et transcendante. Mais au nom de quelle nature, de quel principe, de quel Dieu, de quel destin ? N’est-ce d’ailleurs pas là précisément que la question de savoir si l’oppression est une donne prend tout son sens ?

Car, si effectivement l’oppression est une donne de l’existence dont la résistance est une conséquence directe, cela ne reviendrait-il pas à dire que l’évolutionnisme et le créationnisme tout en se contredisant, auraient tout de même ceci en commun qu’il partagerait une même constante, c’est-à-dire l’idée fondamentale d’une lutte, au sens d’un rapport de force, qui serait immanente à l’existence ? Ainsi partant, nous pouvons envisager le rapport de force comme élément incontournable dans toute appréhension ontologique. N’est-ce pas alors le lieu de rappeler Machiavel qui considérait dans Le prince que les rapports de force sont inéluctables ?

Il n’est donc pas du tout surprenant que l’histoire humaine, du moins, depuis la domination de l’homme par son prochain, soit parsemée d’excès que l’on a pu considérer comme des formes d’oppression sociale et donc, politique, économique, religieuse, voire même militaire : c’est la raison du plus fort. Tout autant, les multiples résistances à ces sortes d’abus participent tout aussi de l’historicité humaine en ce sens qu’elles constituent pour ainsi dire le versant de l’histoire : C’est, entre autres, la raison morale. Articulé autrement, c’est dire que l’homme ne se laisse pas faire. Est-ce alors à supposer que l’histoire humaine est, en tant que tel, le récit d’un rapport de force perpétuel entre la raison du plus fort et la raison morale ? (À suivre)…

Pierre Hamet BA.

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RÉSISTANCE? MAIS QU’EST-CE DONC?

Qu’est-ce que l’oppression ? Que peut-on considérer comme oppression ? Qu’est-ce que la résistance ? Qu’est-ce qui en établit la légitimité ? Vous l’avez deviné. Nous abordons aujourd’hui un vestige du passé colonial : le droit de résistance à l’oppression. Ousmane Sonko et ses partisans s’en prévalent en le brandissant comme un trophée, alors qu’il jure d’avec leur instinct grégaire de souveraineté à fleur de peau, adossé à une prétention patriote.

Parler de droit de résistance à l’oppression, c’est se faire directement l’écho du Discours de la servitude volontaire (1548) qui a servi de manifeste aux mouvements insurrectionnels du XVIe siècle. En effet, son auteur, Étienne de La Boétie, s’émeut de la facilité, qu’il juge déconcertante, avec laquelle le peuple de son époque accorde au pouvoir une légitimité. Car, selon lui, le pouvoir politique ne peut avoir de légitimité autre que celle que le peuple veut bien lui donner. L’historiographie des idées politiques en a fait l’origine du droit de résistance à l’oppression. Sauf qu’on n’y trouve pas une théorie explicite d’un tel droit. A vrai dire, l’expression, droit de résistance à l’oppression, y est même absente. Il y est plutôt question d’affranchissement, de délivrance, de libération ; non comme un droit, mais comme une injonction politique, dont le but consiste à conjurer la peur des gouvernants. C’est d’ailleurs la même trajectoire que Montaigne empruntera plus tard dans l’histoire, en voulant réconcilier la foi et la raison, dans son Apologie de Raymond Sebond (1580).

Par ailleurs, ce n’est qu’en 1573, dans son œuvre majeure Franco-Gallia, que le jurisconsulte François Hotman va faire du discours sur la servitude volontaire le support d’un droit de résistance. Hotman présente dans son ouvrage un idéal d’habileté politique protestante qui propose un gouvernement représentatif et une monarchie élective. Toutefois, bien que sa publication ait eu une grande répercussion qui allait influencer les générations futures, parce qu’ayant fondé les bases théoriques de la démocratie représentative, l’expression droit de résistance ne deviendra courante qu’après la révocation de l’édit de Nantes en 1685.

En effet, à la suite du massacre de la Saint-Barthélemy (1572) au cours duquel des milliers de protestants furent assassinés par des catholiques, les thèses protestantes vont trouver au sein du « Du droit des magistrats sur leurs sujets » (1574), traité de Théodore Bèze, une expression juridique. Bèze y considère que les magistrats des villes, aidés par « les nobles de bon sang » : châtelains héréditaires, barons, comtes, ducs, ont le devoir de défendre l’Eglise contre ceux qui l’assaillent pour protéger les croyants persécutés. Il justifie de la sorte l’appel à une résistance armée et le droit à une insurrection qui serait orchestrée par les magistrats.

Dans la même veine, sous le pseudonyme de Stephanus Junius Brutus, François Duplessis Mornay, dans Vindiciae Contra Tyrannos (1579) ; en français, De la puissance légitime du prince sur le peuple et du peuple sur le prince (1581), tente de répondre aux questions qui font l’actualité de son époque, à savoir : « si les sujets sont tenus d’obéir à un prince qui leur commande d’enfreindre la loi de Dieu ; s’ils peuvent lui résister et de quelle manière ; s’ils peuvent résister à un prince qui viole la loi civile ; si les princes voisins ont, en ces deux cas, le droit ou le devoir d’intervenir ? ». Trois grands thèmes ressortiront de ces interrogations : la souveraineté et la représentation du peuple ; la garantie contre la tyrannie ; la notion d’Etat. Et, c’est sur ce dernier thème, à travers l’illustration des notions de bien commun et d’utilité publique, que les Vindiciae vont enrichir l’histoire et la philosophie politique.

Ainsi partant, dans ses Lettres pastorales, dont la publication a commencé en 1686, au lendemain la révocation de l’édit de Nantes, « adressées aux fidèles de France qui gémissent sous la captivité de Babylone », le pasteur protestant Pierre Jurieu, théologien et controversiste calviniste, pour remettre en question l’absolutisme et l’origine divine de la souveraineté, va théoriser le droit de résistance en le fondant sur la souveraineté du peuple. Les avertissements aux protestants de l’évêque Jacques Bénigne Bossuet n’y feront rien. Bien au contraire, la polémique entre le pasteur et l’évêque donnera plus d’ampleur au droit de résistance à l’oppression à telle enseigne qu’il sera inscrit, un siècle plus tard, au titre des droits naturels dans la déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen (1789).

Dès lors, encouragés par la Saint-Barthélemy, Le Droit des magistrats de Théodore de Bèze, la Franco-Gallia de François Hotman et les Vindicine contra tyrannos attribuées à François Duplessis Mornay vont formaliser la radicalisation des théories politiques protestantes et constituer par là même les principaux traités qui prennent part au débat sur la nature et l’étendue du pouvoir. Dans le contexte polémique des guerres de religion, ces théories deviennent l’instrument politique dont se saisissent les théologiens aux fins d’infléchir la politique royale. C’est donc la naissance du droit de résistance légitime au tyran.

On voit bien ainsi la place prépondérante du protestantisme dans la naissance d’un tel droit que la Révolution française de 1789 appellera « garantie des droits naturels et civils » ; plus précisément, la liberté qu’« a tout homme de parler, d’écrire, d’imprimer et de publier ses pensées sans que les écrits puissent être soumis à aucune censure ni inspection avant leur publication, et d’exercer le culte religieux auquel il est attaché » (Constitution française de 1791, Titre 1er). Toutefois, au-delà des antagonismes religieux, l’inscription du droit de résistance dans les constitutions françaises de 1789 et de 1793 est la terminaison hétérogène d’une confrontation d’idées politiques, juridiques et philosophiques qui ne participent que de l’histoire européenne en général, et française en particulier.

En conséquence, jeter vigoureusement l’anathème sur la France et se prévaloir d’un principe qui ne procède que de son historicité est le comble de l’inconséquence dont Ousmane Sonko et ses partisans ont jusque-là fait montre. Mais nous n’allons pas seulement leur opposer leur propre contradiction qui relève d’une inculture politique et historique. Ce serait sans intérêt scientifique. La véritable problématique se trouve en la question que nous n’avons pas posée, à savoir : Qu’est-ce qui fonde le droit du droit de résistance à l’oppression ? Ainsi posée, l’interrogation soulève une problématique juridique fondamentale, mais tout aussi philosophique, tant dans son historicité que dans son appréhension… (A suivre).

Pierre Hamet BA.

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LE TRIBUNAL DE L’OPINION ET LA DICTATURE DE L’ÉMOTION.

QUI EST FOU ? Il ne s’agit pas d’une maison close, mais d’un centre thérapeutique dument agréé par les autorités compétentes ; j’ai moi-même procédé à la vérification de l’agrément ; j’y suis allé pour raison médicale ; je me suis fait masser parce qu’atteint de douleurs lombaires insupportables ; j’ai été accusé de viol ; c’est un complot ; j’invoque mon droit à la résistance ; je vais résister ; j’ai hâte que le procès se tienne ; je veux que tous les mécontents se joignent à moi quel que soit l’objet de leur mécontentement pour troubler l’ordre public avec violence et anarchie afin de déloger le président du palais de la république avant même le terme de son mandat ; car, je ne veux pas être jugé pour les faits qui me sont reprochés. Voilà le discours on ne peut plus éthéré que nous sert Ousmane Sonko. Mais à bien suivre les débats qui ont cours sur cette litanie, on est tenté de se poser la question de savoir si la minorité est folle de ne pas penser comme la majorité ; ou si, bien au contraire, c’est la majorité elle-même qui compte un nombre supérieur d’écervelés ?

TYRANNIE. C’est bien la signature des tyrans les plus détestables que d’accuser sans preuve, de condamner sans entendre raison, de fouler au pied les lois et règlements, prétextant une déliquescence institutionnelle qui n’existe, par ailleurs, que dans leur simplicité d’esprit. Faut-il alors rappeler à Ousmane Sonko que le Sénégal est un Etat de droit au sein duquel tout individu a droit à un procès équitable quelle que soit la nature et la gravité du crime dont il est accusé. C’est en cela que se trouve d’ailleurs la prérogative du « pouvoir de juger » de l’Etat qui constitue, par ailleurs, sa légitimité fondamentale.

Parce que celui qu’on juge peut être étranger au crime ; parce qu’on ne sait pas s’il l’a commis ou pas ; la moindre des choses pour la démocratie sénégalaise est de tenter d’expliquer les faits, ne serait-ce que pour s’en servir comme exemple et éviter, sinon tenter d’éviter qu’ils se reproduisent à l’avenir. C’est en cela que le premier devoir de la justice est d’établir la réalité des accusations portées contre le justiciable. Quel que soit le crime et sa nature, qu’il s’agisse même d’une monstruosité, la peur et l’horreur ne peuvent et ne doivent en aucun cas prendre le pas sur l’établissement de la vérité. Toutefois, la vérité dont on parle ici, pour être socialement valide, ne peut être autre qu’une vérité judiciaire.

STRATÉGIE. En choisissant donc de porter l’affaire devant les groupes médiatiques avides de frasques plutôt que de constituer une vraie défense sur les faits qui lui sont reprochés, Ousmane Sonko choisit de ne pas participer à la manifestation de la vérité judiciaire. Ce faisant, il choisit volontairement de se condamner lui-même. Sinon comment comprendre toute cette provocation hors tribunaux dont l’unique but est de décrédibiliser pêle-mêle Adji Sarr et le système judiciaire tout en se réservant la part belle, alors même qu’il a constitué une pléthore d’avocats et, pas des moindres ? Soit alors il veut se faire passer pour martyr et choisit ainsi délibérément de se faire arrêter pour toute autre chose qui coïnciderait plus à l’idée qu’il se fait de la résistance ; du genre : appel à l’insurrection, trouble à l’ordre public, offense au chef de l’Etat, etc. Bref ! Toute accusation qui passerait sous silence les faits, à lui, reprochés. Soit alors, et c’est le cas le plus probable, il n’a pas assez ou pas du tout d’éléments de preuve qui pourraient lui assurer une défense qui le blanchirait de toute accusation.

Dans les deux cas, il se sait fait comme un rat. Voilà pourquoi il tente de cristalliser les mécontentements citoyens pour les amener à la révolte, exploitant pour ce faire la lenteur du système judiciaire qui ne résultent par ailleurs que du respect des formes et des principes de droit, somme toute, élémentaires dans toute affaire criminelle. Ousmane Sonko est pour ainsi dire devenu ce que les médias appellent un bon client, le filon en or, quelque chose comme l’os que les chiens de garde vont dévorer jusqu’à la moelle. Les tribunes médiatiques sénégalaises s’en sont pour ainsi dire donner à cœur joie : c’est la justice cathodique.

JUSTICE CATHODIQUE. Réalisation à moindre coût, audience garantie, il s’agit juste de procéder à un racolage adroit qui suscite l’indiscrétion de l’opinion, ses relents voyeurs, son impatience nourrie et captivée par les allures dramatiques d’un scandale si l’alibi du pseudo-redresseur de torts venait à participer à la manifestation d’une vérité ; la leur.

En quelque minutes, des présentateurs péremptoires, des invités sortis de l’ombre, souvent sans aucune formation, ont prétendu avoir rétabli une justice que le système judiciaire aurait été incapable de faire valoir. Cette lamentable comédie de justice a atteint son paroxysme quand de graves questions portant sur la pratique médicale, la sécurité nationale, le droit et la procédure pénale, soulevées par l’affaire, ont été accaparées par des gens de médias dont le souci unique est leur propre moment de gloire.

Les simulacres d’interviews, les pseudos débats n’ont été là que pour instruire à charge au profit d’une cause gagnée avant même d’être jugée. Les partisans de la thèse du complot y ont été reçus avec toutes les marques d’une infinie commisération : ils n’y ont jamais été contredits ni confrontés à une quelconque critique. Leur thèse a prospéré en l’absence de toute antithèse. Qu’importe si le tribunal n’a pas fait droit à leur demande, le juge cathodique a rétabli la « justice ». Et ses arrêts ont déjà une toute autre publicité que dans l’enceinte réduite d’un tribunal, comparé à l’audimat.

L’intrusion des médias dans cette affaire ne s’est pas tout juste limitée aux émissions de variétés animées par des pitres. Il est même arrivé que des journalistes de bonne renommée fassent preuve d’un consternant parti pris. Ainsi partant, l’indice délétère à l’égard de la justice officielle a fini par atteindre son paroxysme. Ces journalistes de bonne renommée ne peuvent pas, pensera le téléspectateur, porter d’aussi graves accusations à la légère ! Cela est pourtant arrivé car, ces derniers ont malheureusement quitté le champ journalistique depuis fort longtemps pour verser dans l’activisme, la médisance et la basse besogne politicienne.

Ils ont désespérément tenté de nous faire inoculer l’idée d’une justice corrompue. Mais à l’évidence, elle ne semble être corrompue que lorsqu’il s’agit d’une affaire embarrassante pour Sonko. Pour toute autre affaire, Ousmane Sonko est lui-même très enclin à instruire à ses avocats de servir une citation directe, de porter plainte devant cette même justice que lui-même et ses partisans qualifient de corrompue. Ainsi donc, il apparait que quand l’action est dirigée contre un tiers pour défendre ses droits, il a toute confiance en la justice. Mais, quand elle est dirigée contre lui, la justice devient subitement corrompue. Ce n’est pas cohérent.

Qu’importe ! Leur but est tout autre. De la même manière que les extrémistes islamistes utilisent les viles pulsions libidinales de puceaux à la fleur de l’âge pour les amener à se faire exploser afin retrouver cinq cents vierges au paradis ; il s’agit vraisemblablement ici, de préparer une masse démentielle qui croit encore au père noël, à servir de bouclier humain sinon de chair à canon, pour tenter sous nos cieux les scenarii de la révolution orange ukrainienne, du printemps arabe maghrébin, du balai citoyen burkinabé et de la crise ivoirienne.

POINT D’ORGUE. L’ordonnance de renvoi de Sonko Ousmane devant un tribunal criminel pour viol présumé et menace de mort met pour ainsi dire le point d’orgue longtemps attendu pour déclencher une guerre politique sanglante. On le voit très bien ; le mis en cause n’a porté que très peu d’attention à la question judiciaire. Dès le départ, il a délibérément choisi d’en faire une affaire politique arguant être victime de complot. Ses partisans s’en sont violemment pris à tous ceux qui ne partagent pas ce point de vue servi à l’opinion sans une once de preuve vérifiable et acceptable.

A voir donc ses agissements, ses déclarations, la volonté manifeste de ses partisans de l’exempter d’un procès public, la campagne de dénigrement de toute personne ne pensant pas comme lui et ses affidés et, la propagande savamment orchestrée envers et contre les institutions, l’on peut aisément se rendre compte que Sonko Ousmane a tout ensemble le comportement de quelqu’un qui est coupable d’une chose dont il ne voudrait pas qu’elle soit mise au grand jour. Je ne dis pas qu’il est coupable de viol, mais qu’il est apparemment sous le joug d’un secret dont la divulgation battrait en brèche tout ce dont il s’est jusque-là prévalu.

LA POUBELLE ET LES ORDURES. De quoi s’agit-il ou de quoi pourrait-il s’agir, sont là des questions pas du tout importantes dans la mesure où fouiller les poubelles d’autrui est le lot des indiscrets qui ne se nourrissent que de calomnies et de faits divers. Mais quand la poubelle se déverse elle-même sur la voie publique, alors là, les ordures se révèlent à tous. Et, en l’occurrence, c’est bien ce qui se passe ici.

Tout le monde a pris connaissance des ordures et chacun y va librement de ses commentaires, prises de position et croyances. Mais de là à vouloir classer sans suite une affaire judiciaire sous le prétexte qu’il s’agit d’un complot ourdi avec la complicité d’une justice corrompue, mais à laquelle on accorde tout de même assez de crédit pour s’y plaindre et obtenir justice, il y a tout de même un grand saut à faire.

CROIRE OU NE PAS CROIRE. Nous sommes donc libres de croire ou de ne pas croire. Mais ne pas croire est synonyme de connivence avec les démons déclarés dont on dit qu’ils ont élaboré ledit complot. Et pourtant, ce n’est pas du tout blanc ou du tout noir. Il y a même beaucoup de gris entre deux. Et, à y voir de plus près sans parti-pris, tout ce qu’on a servi à l’opinion, c’est une instrumentalisation d’une affaire purement privée. Les uns tentent de l’instrumentaliser politiquement et, les autres tentent d’instrumentaliser la plaignante elle-même afin de se débarrasser d’un adversaire politique mis en cause. Est-ce suffisant pour jeter l’anathème sur le système judiciaire ? Je ne le pense pas.

Toutefois, il faut admettre qu’un fossé de plus en plus profond s’est installé entre la « justice rendue » et le soupçon d’un système judiciaire « complaisant et corrompu » exprimé par Sonko lui-même et certains médias. L’absence de poursuite sur les scandales politico-économiques révélés par les médias a grandement contribué à attiser le sentiment de défiance envers l’autorité de l’Etat ; et, spécifiquement, envers un système judiciaire soupçonné, à tort ou à raison, d’une cécité coupable et suspecte à l’égard des acteurs et des proches du pouvoir politique.

LA GUERRE EST PROCHE. In fine, tout porte à croire que Sonko Ousmane a d’autres projets que de faire face à Adji Sarr lors d’un procès public. Pour ce faire, il ne serait pas surprenant qu’à partir de ce 22 janvier, une suite de manifestations tente de paralyser le pays. Le but étant de semer la pagaille en cristallisant le mécontentement des populations, syndicats et groupements professionnels qui se plaignent déjà d’une conjoncture défavorable et d’un coût de vie en perpétuelle hausse. De la sorte et grâce à l’ignorance manifeste et accrue de la masse, l’on pourra continuer à faire croire que l’on se bat pour les populations, alors qu’au fond, les motivations ne sont autres que d’éviter un procès public lors duquel chaque déchet constitutif des ordures de la poubelle déversée sur la voie publique sera disséqué, étudié, analysé et débattu tant et si bien qu’à la fin, le vice risque vraisemblablement de prendre le pas sur la vertu qui ne s’embarrasse pas, du moins pour le moment, de la manifestation de la vérité judiciaire.

A VOS INSULTES ALORS. C’est de coutume maintenant de vous voir opposer la vulgarité et l’argument de la force à la force des arguments, mais la pensée critique autonome ne peut se soumettre à la dictature de l’émotion ; d’autant plus qu’il est devenu nécessaire, voire urgent, de rappeler au Sénégalais que la fin ne peut pas justifier les moyens et que la meilleure des causes ne doit jamais s’affranchir des principes élémentaires de droit qui régissent notre société et en garantissent le commun vouloir de vie commune dans la paix et la stabilité.

Pierre Hamet BA.

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SEXE, ARGENT ET PASSION: LE POPULISME JUDICIAIRE.

Sans qu’on ne s’y intéresse de plus près, il y une volonté populaire de plus en plus manifeste d’infléchir la justice d’un côté ou de l’autre, selon les cas. Nous l’avons vu dans les affaires Idrissa Seck et Salif BA contre Etat du Sénégal (2005) ; Cheikh Yérim Seck contre Aissatou Tall (2012), Karim Wade contre Etat du Sénégal (2013) ; et, Adji Sarr contre Ousmane Sonko (2021). N’est-ce pas socialement significatif ? Tout se passe comme si une affaire judiciaire ne défraie la chronique que quand il s’agit d’argent et/ou de sexe. Et, quand on y ajoute la politique, on obtient alors un cocktail explosif qui déchaîne les passions.

Politique, argent, sexe et passion sont pour ainsi dire devenus les principaux contenus médiatiques sénégalais au détriment de tout ce qui aurait pu contribuer à l’avènement d’une conscience citoyenne responsable. Est-ce à dire que le Sénégalais n’est passionné que par l’argent, le sexe et la politique ? Qu’en sais-je ? Mais à coup sûr, l’on peut aisément se rendre compte que les réactions que suscitent l’affaire Ousmane Sonko contre Adji sarr ont, jusque-là, battu tous les records à tous les niveaux. Est-ce alors parce que cette affaire centralise tous les ingrédients passionnels du Sénégalais ? On y parle pêle-mêle de complot politique, de déloyauté envers les institutions, de sommes d’argent proposées pour taire ou orienter des témoignages, de tentative de chantage, de magistrats corrompus, de justice à la solde de l’exécutif… Bref, on y parle de tout, sauf de l’essentiel.

Ainsi, des individus pas du tout liés à l’affaire semblent se porter volontairement protagonistes. Du jamais vu ! Ils y cherchent sans nul doute une occasion inédite de se faire voir, entendre, connaitre et reconnaitre. Qui les connaissait auparavant ? Personne ! Et chacun semble y avoir trouvé son heure de gloire. D’aucuns au nom de la cause féministe, d’autres au nom de la religion et de leur vérité, et bien d’autres encore au nom du militantisme politique. Il faut bien alors savoir que les informations véhiculées çà et là sont mues par des motivations subjectives dont les auteurs se contentent d’une toute petite heure de gloire pour satisfaire leur égo. La question se pose dès lors de savoir d’où nous viennent toutes ces informations et à quelle fin tente-t-on de soumettre aux sénégalais des faits dont les origines et les circonstances sont tues pour tenter d’infléchir sinon de réclamer une décision de justice avant même son heure.

Pour peu que l’on soit donc serein et averti, l’on peut aisément se rendre compte que dans cette affaire, le bureau du juge instructeur semble être grandement ouvert au public au moment des auditions tant et si bien que tout Sénégalais semble être au fait du moindre détail du dossier. Dès qu’il y a une audition, les médias semblent y avoir été physiquement présents. Ils ne prennent ainsi aucune distance déontologique par rapport à l’affaire. Les avocats des parties concernées, devenus fer de lance de la bataille médiatique, s’adonnent tout aussi laborieusement à l’exercice difficile de la communication publique sans en maîtriser les techniques. Ainsi donc, ils se livrent à ce qui pourrait être assimilé à du populisme judiciaire, perdant ainsi de vue la retenue éthique que leur impose leur profession. Et, c’est bien en cela que se trouve toute l’obsolescence du système judiciaire qui ne permet ni au magistrat instructeur, ni au parquet de communiquer ainsi que le font les parties et leurs avocats.

Or, en observant un silence assourdissant face aux déclarations publiques de l’une ou l’autre partie, les sénégalais finissent par consommer sans précaution toute information supposée émaner du dossier et relayée ainsi par une masse médiatique en roue libre. C’est vieux comme le monde: à force de n’entendre qu’un seul son de cloche, on finit bien entendu par penser que c’est le bon son. Si alors un son de cloche tout à fait différent venait à retentir sur le tard, il ne trouvera aucun écho favorable et sera ainsi considéré comme une agression sonore.

L’accusation de viol contre Ousmane Sonko ne doit donc pas du tout être traitée comme un vulgaire fait divers où l’on jette en pâture l’une ou l’autre partie selon que l’on est pour ou contre ? Tout au moins cette affaire met dos à dos l’opinion et le respect du formalisme juridique qui doit maintenant s’adapter à la médiatisation à outrance des affaires judiciaires.

Pierre Hamet BA.

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LE SEIGNEUR DE L’ÉPHÉMÈRE ET « LA CULTURE DU VIOL »

Que s’est-il passé dans notre société au point que notre existence, en plus d’être éphémère devant l’immensité du temps cosmique, semble aujourd’hui n’être elle-même rythmée que par des faits divers, les uns plus éphémères que les autres ? Serait-ce l’écho terrible du "OFF", approche journalistique du fait divers apparue au début des années 2000 que les quotidiens Le Populaire, puis Taxi le journal, Mœurs, Frasques quotidiennes, Tract, et maintenant L’obs ont fini de placer au centre du journalisme en lieu et place de l’approche professionnel purement informative ? En publiant le « OFF » à la deuxième de couverture et en lui attribuant de plus en plus d’espace au fil des années, le journaliste sénégalais n’a-t-il pas concomitamment consacré le fait divers comme genre journalistique dominant de l’espace médiatique de notre pays ?

Quoi qu’il en soit l’on peut aisément se rendre compte qu’aujourd’hui ce sont en majorité les activistes, les hommes politiques et toutes personnes en mal de popularité qui s’engouffrent dans la brèche du fait divers, non sans bousculade, devenant ainsi conjointement producteurs, acteurs et spectateurs de l’éphémère. Ils ont leur mot à dire sur tout. Et, pour tout, ils semblent avoir des solutions tous azimuts qui défient toute intelligence tant elles sont éphémères. Ils essayent ainsi de tout régler dans la légèreté, en allant même vers ce qu’il y a de plus léger dans la légèreté, c’est-à-dire le mensonge, la laudation et la délation. La nouvelle stratégie des hommes publics consiste dès lors à mentir perpétuellement quel qu’en soit le prix, l’essentiel étant d’alimenter continuellement le chaudron de l’éphémère afin de demeurer à la « Une ». Ils en sont obligés, car une fois qu’on est lancé dans cette course, on ne peut s’arrêter sous peine d’être démodé. C’est parce que bien entendu tout ce qui est éphémère ne laisse aucun souvenir. Qui se rappelle encore de ce qui défrayait la chronique le mois dernier, il y a six mois, un an, voire même deux ans ?

Et pourtant tout y est passé: Kocc et ses vidéos à caractère pornographique, Assane Diouf et ses insultes; kalifone et ses insanités; Tounkara et ses affronts ; Molah Morgan et ses élucubrations ; Ndiaye et son dragon ; Kukandé et l’ouverture de l’atlantique ; Adamo et ses frasques, sans oublier ceux, sous le couvert du manteau de la religion, qui nous jurent continuellement des faits qui ne se réalisent jamais. C’est léger bien entendu. On en rigole, on s’en émeut quelquefois, et puis nous le rangeons au tiroir des oubliettes. Vous le comprenez maintenant : tout ce qui est léger finit par être effacé de notre mémoire. Mais de là à faire d’une accusation de viol un fait divers, il y a tout de même un saut à faire. Et, tout porte à croire que notre société a franchi le pas en rangeant ce crime dans la catégorie des faits divers, incitant ainsi certains théoriciens de la cause féministe à parler de plus en plus de "culture du viol". Or, cette expression, devenue la nouvelle tarte à la crème des militants en mal d’idéologie, mérite tout de même attention.

Parler de "culture du viol" suppose qu’il existerait au sein des us et coutumes des communautés qui peuplent le Sénégal un usage codifié, consacré et accepté en tant que tel comme un rituel partagé par toutes nos cultures ethniques ou alors une norme au nom de laquelle l’on peut impunément violer une personne sans risque de représailles morales et judiciaires. Ce serait dire en d’autres termes que dans nos sociétés, le viol y serait sacralisé, ce qui donnerait le droit à tout homme de violer une femme quelle qu’elle soit. Or, à l’évidence, une telle culture n’existe pas dans notre pays. On ne peut donc parler de « culture du viol » au Sénégal qu’au prix d’une énorme ignorance qui jure d’avec les fondements culturels de la société sénégalaise, leurs sens profonds, leurs significations et leurs valeurs qui ne permettent pas de considérer la femme, socle de nos communautés respectives, comme une triviale créature.

Toutefois, traiter les cas de viol comme des faits divers destinés à amuser la galerie avant de tomber dans l’oubli est léger et très irresponsable. C’est plutôt d’une affaire très sérieuse qu’il s’agit. En 2019, 1229 cas de viol ont été recensés au Sénégal. En 2020, 414 dossiers portants accusation de viol ont été enrôlés dans 12 des 14 tribunaux du Sénégal. En 2021, ce sont 263 cas appelés à la barre. L’heure est donc grave. En raison de cette gravité nous devons nous méfier de tout ce qui est léger et donc éphémère pour nous en tenir à ce qui est lourd et difficile, c’est-à-dire à la vérité qui, elle, n’est pas du tout éphémère. Tout ce qui est mémorable s’y tient, car le léger ne laisse aucun souvenir. Qu’une chose soit difficile doit donc être une raison supplémentaire de l’accomplir.

Pierre Hamet BA

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LE BUZZ DES GRANDES GUEULES

Je suis bête, peut-être ; assurément et même très bête certainement me direz-vous, mais je vous invite aujourd’hui à une fastidieuse entreprise philosophique consistant à demander aux grandes gueules ce qu’elles savent (scit), dont on leur demandera pourquoi elles le savent (causa scientie) ; ce qu’elles ont entendu dire (audivit dici), dont on leur demandera de préciser auprès de qui elles l’ont entendu (a quibus audivit ?) ; ce qu’elles croient (quid crédit ?), dont on leur demandera pourquoi elles le croient (la causa credulitate).

Nous entendrions sans doute des réponses très variées mais, toutes, autour du thème de la multitude comme par exemple : « à travers ce que les gens disent communément », ce que « tous », ce que « les hommes », ce que « beaucoup de gens », ce que « les uns et les autres » disent ; ou encore, ce que « le peuple » ou ce que la majeure partie du peuple, etc. Personne ne dirait qu’il sait ce qu’il sait ; dit ce qu’il dit, parce qu’il en a été témoin (la sciencia).

Les grandes gueules s’approprient donc assez bien les thèmes de la multitude pour organiser en fonction d’elles, plus ou moins astucieusement, des stratégies d’attestation dont l’objectif est de compromettre le plus efficacement possible, à partir d’éléments peu substantiels, la manifestation du réel, sans trop encourir les soupçons de mauvaises intentions. C’est comme cela que naît ce qu’on appelle opinion publique et qui n’est rien d’autre sinon rumor, clamor, clamosa insinuatio, vox communis ou encore communis opinio.

En d’autres termes, l’opinion publique est une construction mensongère qui tente de se substituer au réel et donc à la vérité elle-même. En d’autre temps, ces opinions ne sortiraient pas des salons, des bars et des milieux au sein desquels les ragots et les frasques se propageaient loin de la bienséance de ce qu’il est convenu d’appeler espace public ainsi que l’entendait Habermas. Mais au siècle qui est nôtre, tout imbécile disposant d’un smartphone peut grandement faire étalage de son imbécilité et trouvera autant d’imbéciles pour relayer des propos d’une ignominie déconcertante dont raffole une masse d’imbéciles devenue critique.

C’est alors à qui aura la plus grande gueule. Et, à ce jeu, les grandes gueules rivalisent en imagination, créativité et ingéniosité. Mais tous, procèdent pour ainsi dire à des combinaisons au sein desquelles l’«audire dici» joue le plus grand rôle, associé à quelques éléments, souvent parcellaires et presque toujours invérifiables, allégués sous le régime de la « sciencia » ; l’objectif étant de cacher leurs véritables motivations. Les plus audacieux parmi eux livrent de petits récits habilement contés, parfois hauts en couleurs et forts convaincants qu’ils disséminent dans l’espace public, via internet, dans le but d’en faire parler le plus possible.

C’est ce que l’on appelle faire le buzz. Il s’agit d’une construction sociopolitique dont les modalités sont fort diverses selon les cas, mais dont le propre est, tout comme l’opinion publique, de dénier implicitement ses conditions de production en se présentant comme une donne immanente du monde social. Son efficacité est d’autant plus grande que, en raison de la nature vague de son référent réel, le buzz, devenu le soubassement de l’opinion publique et reconnu par ceux qui sont en position de le faire, ne peut guère être vérifié ou contredit par d’autres.

C’est ainsi qu’il faut comprendre la fameuse assertion de Bourdieu selon laquelle « L’opinion publique n’existe pas ». Elle n’existe pas « sous la forme en tout cas que lui prêtent ceux qui ont intérêt à affirmer son existence ». Puisque l’opinion publique, par essence, ne préexiste pas à l’opération qui consiste à la recueillir et à la dire ; puisque, par ailleurs, le résultat de cette opération peut difficilement valoir comme opinion publique sans prétendre saisir une réalité indépendante de cette même opération constitutive, on doit considérer que l’opinion publique ne peut exister qu’en tant qu’elle n’existe pas.

En cela, le plus significatif en matière d’opinion publique n’est donc pas sa teneur mais les conditions qui président à son expression. Les acteurs et les institutions qui font savoir ce que dit l’opinion, lui donnent vie. En parlant pour elle et en son nom, ils font beaucoup plus que relayer un discours qui, de fait, n’existerait pas sans leur médiation.

Je suis peut-être simple d’esprit, mais voilà exposées les raisons pour lesquelles l’espace public sénégalais semble à mon sens être infesté de motivations subjectives inavouées et malsaines qui engendrent, en fin de compte, des prises de position péremptoires et asymétriques qu’on appelle allégrement opinion publique alors qu’elles ne sont en réalité que des opinions personnelles rendues publiques dans une sorte de téléréalité quotidienne de mauvais goût qui jure d’avec le réel. Il devient donc nécessaire, voire urgent, de revisiter la notion même d’espace public au sens habermassien du terme et de procéder à la systématisation d’une dialectique entre espace public et opinion publique.

Pierre Hamet BA.

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NON PROFESSEUR IBRAHIMA FALL! L’INTERPRÉTATION ET L’APPLICATION DU CODE ÉLECTORAL NE SONT PAS CRISOGÈNES.

Il sied de rappeler à notre cher doyen d’âge, le Pr. Ibrahima Fall que le drame du droit, c’est qu’il n’y a pas de dénominateur commun quant au sens des textes de loi. Sans nul doute, il le sait mieux que moi. Paul Ricœur traduit bien ce principe quand il soutient que "l’unité du parler humain fait aujourd’hui problème". On en vient à se demander d’un point de vue purement philosophique : qu’est-ce que l’interprétation ? Et, la question en soulève d’autres avant même de procéder comme qui remonte à Aristote : qu’interprète-t-on ? D’où interprète-t-on ? Comment, pourquoi et en quoi une telle interprétation devient-elle ou est-elle valide ? Qu’est-ce que la validité dans le domaine précis qui nous intéresse ici ?

Le juriste tente le plus efficacement possible, avec les moyens qui sont les siens, de comprendre un problème donné, ou ce qui fait problème afin de rendre intelligible un ensemble de données brutes, un réseau touffu, emmêlé, de relations ou un conflit d’ordre duel, interindividuel ou pluriel. Cela pose bien entendu des questions de principe relatives au sens : d’où parle-t-on ? De quelle manière et en fonction de quelle grille de lecture devons-nous, aux yeux de la loi, interpréter un fait humain, une conduite, un signe, un symbole ? Quel signifiant pour quel signifié? Dès lors se pose la question de l’interprétation qui, au plan épistémologique et heuristique, impose au juriste d’avoir comme souci majeur la fidèle reconstitution des canevas et schèmes de pensées ou d’actes à partir desquels les faits humains et conduites tirent la cohérence de leurs significations. Dans l’exercice du droit, la question fondamentale semble se ramener à celle de l’interprétation du sens et de la finalité de la conduite qui pose problème. Il y a donc un postulat théorique de fond incontournable : on n’interprète pas de nulle part.

Le savoir et la connaissance utilisés pour interpréter un texte de loi sont bâtis dans un cadre intellectuel déterminé, un langage prédéterminé et en fonction d’une orientation précise de départ, un ensemble symbolique originaire d’une option anthropologique explicite ou non ; pour tout dire : dans la tête de l’interprète lui-même. L’interprète raisonne non seulement en fonction de la notion qu’il s’est forgée de la loi, mais aussi de la notion, plus ou moins claire, qu’il se fait de l’organisation globale de celle-ci au regard d’un «modèle» tacite ou explicite. Et cela, dès le départ.

L’interprétation, c’est donc le travail de pensée qui consiste à déchiffrer le sens apparent, à déployer les niveaux de signification impliqués dans la signification littérale. On en vient ainsi à l’exégèse, c’est-à-dire à l’interprétation des sens cachés, des sens multiples dans leur contexte originel et culturel. Dès lors, symbole et interprétation deviennent des concepts corrélatifs. D’où devient nécessaire une propédeutique à tout travail d’interprétation, c’est-à-dire la connaissance et l’étude du monde symbolique et de l’univers de référence et de sens des textes de loi à interpréter.

En d’autres termes, la qualité de l’interprétation dépend ici des fonds de mémoire politique. Ce qui présuppose, si l’on suppose, une certaine connaissance des structures politiques symboliques, de leur histoire spécifique dans ses différentes dimensions intellectuelles, socio-historiques et politiques. On se donne somme toute, de cette manière, une meilleure intelligibilité, à défaut d’une explication proprement dite de telle ou telle interprétation de la loi. La question revient à se demander théoriquement et pratiquement comment rattacher ce que l’on pourrait nommer la structure archéologique individuelle du juriste à l’archéologie symbolique manifeste ou latente de l’univers de sens et de mémoire politique qui, seul, permet de l’éclairer.

Il ne serait pas absurde de se demander ce que l’on interprète en fait. Une interprétation ne sera valide ou valable qu’en ayant une référence solide aux éléments de culture politique du symbole ou du discours. En ce sens, elle doit partir de l’intérieur même du substrat des structures que l’on veut interpréter. Je ne saurais me lasser de dire que l’interprétation du juriste devient d’autant plus cohérente qu’il se réfère lui-même, judicieusement et sans précipitation au même système de pensées que le justiciable : que leurs productions respectives renvoient à la fin, à la même totalité métathéorique. Si tel n’est pas le cas, l’interprétation devient fallacieuse, fantaisiste ou fantasmée. Le justiciable n’y reconnaît plus son propre discours. Et nous voici au cœur du « conflit des interprétations » (P. Ricœur).

Ce ne sont donc pas "L’interprétation et l’application du code électoral par le gouvernement et par le Conseil Constitutionnel" qui sont "tronquées et crisogènes" ainsi que vous le dites. Ce qui est crisogène, c’est la volonté manifeste qu’ont certains de vouloir imposer leur interprétation des textes de loi alors qu’ils n’en ont pas la qualité. Car en matière d’interprétation du droit, aucune interprétation ne peut faire autorité sur une autre si ce n’est celle qu’incarne une décision définitive de justice.

Pierre Hamet BA.

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L’OCCIDENT, LA RUSSIE ET L’AFRIQUE: AU DELÀ DE LA CRISE UKRAINIENNE

La guerre en Ukraine a soudainement alimenté une abondante réflexion sur la position que l’Afrique devrait adopter et, notamment, eu égard à leur forte dépendance aux importations et aux fluctuations des taux de change, sur la manière dont les pays africains pourraient s’en sortir si l’inflation mondiale, annoncée depuis le début des affrontements, venait à se concrétiser. Ces problématiques qui nous paraissent nouvelles auraient cependant dû s’inviter bien plus tôt à la réflexion stratégique portant sur la place de l’Afrique dans la géopolitique internationale contemporaine qui, de plus en plus, peine à s’ajuster entre le monde bipolaire de la guerre froide devenu unipolaire à la suite de la chute du mur de Berlin et le monde multipolaire, conséquence possible mais encore incertaine qui émerge des manœuvres et tensions économiques, géopolitiques et militaires entre Washington, l’Union Européenne et les BRICS ?

I. LE MONDE BIPOLAIRE

L’Afrique est on ne peut plus soustraite des mémoires de la guerre froide. Pourtant, du fait de ses ressources naturelles et de son importance dans les économies occidentales d’alors, l’Afrique était une donne essentielle de la politique soviétique et, par conséquent, un enjeu majeur de la guerre froide. En effet, au sortir de la deuxième guerre mondiale, l’union soviétique va déployer une diplomatie agressive pour tirer un avantage stratégique des luttes d’indépendance. Elle soutient ainsi le FLN algérien, le Parti communiste sud-africain (SACP) et l’ANC dans sa lutte contre l’apartheid, le Mouvement populaire pour la libération de l’Angola (MPLA), le Front de libération du Mozambique (FRELIMO), l’Union du peuple africain du Zimbabwe (ZAPU), la Guinée de Sékou Touré etc. L’URSS s’implique même dans les conflits armés en envoyant des combattants cubains en Angola, en Somalie, en Éthiopie et en Namibie.

Durant cette période de lutte pour les indépendances et jusqu’à la fin des années 80, la présence soviétique était prépondérante en Afrique avec près de 40 mille conseillers dans plus de 40 pays, sans compter la formation, en Russie, d’un peu plus de 60 mille jeunes ingénieurs et techniciens africains. Sans nul doute et à mettre à son actif, le point d’orgue de l’implication de l’union soviétique dans les affaires africaines est l’adoption par l’assemblée générale des Nations unies de la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et peuples colonisés. Le bloc de l’Ouest devait donc batailler pour rester influent dans ses anciennes colonies. Toutefois, les Etats africains nouvellement indépendants vont dans leur grande majorité choisir de ne pas ouvertement s’impliquer dans le conflit Est-Ouest bien que, de ce qui précède, la plupart penchaient déjà pour la Russie. Officiellement, ils seront non-alignés.

Est-ce alors un fait nouveau si l’Algérie, l’Angola, le Burundi, le Congo- Brazzaville, la Guinée équatoriale, Madagascar, le Mali, le Mozambique, la Namibie, le Soudan, le Soudan du Sud, l’Afrique du Sud, le Sénégal, la Tanzanie, l’Ouganda et le Zimbabwe se sont abstenus, le 02 mars 2022, lors du vote de la résolution des nations unis sur l’Ukraine ? Est-ce tout aussi surprenant qu’onze autres pays africains n’aient pas pris part audit vote ? Est-il pour ainsi dire étonnant que, le 07 avril 2022, le Cameroun, l’Égypte, l’Angola, le Kenya, le Niger, le Sénégal, le Nigeria, l’Afrique du Sud, le Soudan, Madagascar, le Ghana, la Guinée-Bissau, le Soudan du Sud, le Togo, la Tunisie, l’Ouganda, la Tanzanie, le Botswana, le Cap-Vert, l’Eswatini, la Gambie, le Lesotho, le Mozambique et la Namibie s’abstiennent de prendre part au vote portant sur l’exclusion de la Russie du Conseil des droits de l’homme de l’ONU ?

Visiblement, cette position africaine procède d’une continuité historique : celle du non-alignement. Mais l’esprit de Bandung qui remettait en question la structure du système économique international peut-il encore prospérer en l’état ou, bien au contraire, nécessite-t-il une mise à jour à la vue des nouvelles tendances géopolitiques contemporaines?

II. LE MONDE UNIPOLAIRE

Dans « Le vrai choix », le géostratège américain Zbignew Brezezinski soutient, qu’après avoir piégé l’union soviétique en Afghanistan, s’être proposé de désagréger la Fédération de Russie en la séparant de ses républiques du Caucase dont la Tchétchénie, pour assurer la suprématie mondiale des Etats Unis et leur mainmise sur le pétrole de la Mer Caspienne. Ainsi, suite à l’effondrement du mur de Berlin, l’équilibre de la terreur de la guerre froide a naturellement laissé place à un monde unipolaire au sein duquel les Etats-Unis régnaient en maître incontesté de la géopolitique internationale. De fait, les pays africains ne pouvaient plus se permettre de jouer l’Est contre l’Ouest pour s’attirer les faveurs internationales : c’est le début de ce qu’on pourrait appeler la perestroïka africaine.

En 1988, suite aux négociations entamées dès 1986 entre Gorbatchev et Ronald Reagan sur la nécessité de mettre un terme aux conflits régionaux, l’accord prévoyant le retrait progressif du corps expéditionnaire cubain d’Angola est signé au siège de l’ONU entre l’Angola, l’Afrique du Sud et Cuba. L’indépendance de la Namibie est négociée. En Éthiopie, le général Mengistu est chassé du pouvoir. Le président sud-africain Frederik de Klerk prend langue avec le Congrès national africain (ANC) de Nelson Mandela qui sera lui-même libéré et élu premier président de l’ère postapartheid. Le Bénin, le Congo, la Guinée-Bissau, Madagascar, le Burundi, le Gabon, la Mauritanie, le Togo et le Zaïre ouvrent la voie au multipartisme. Et en 2002, l’OUA devient l’UA.

Parallèlement, entre 1989 et 2000, l’Afrique a connu en moyenne quatorze conflits armés par année (P. Wallensteen & M. Sollenberg, 2001). Les conflits en Afrique n’étaient désormais plus le fait de divergences idéologiques alimentées par l’un ou l’autre bloc, mais le résultat d’antagonismes pour le contrôle des ressources du continent que tentent de s’approprier des multinationales, principalement occidentales, et des Etats débarrassés de l’équilibre de la terreur de la guerre froide. Le départ de la Russie a ainsi favorisé une pensée unipolaire qui a consacré le triomphe de l’économie ultralibérale. Si l’on ajoute à ce tableau le renforcement du fédéralisme de l’Union Européenne et la réintégration complète de la France au sein des instances militaires de l’OTAN, on pourrait croire que le mondialisme atlantiste unipolaire s’est définitivement imposé au monde.
Cependant, dès la première décennie du troisième millénaire, on a assisté à une résistance, certes informelle, mais croissante face à la suprématie américaine. En conséquence, le retour progressif de la Russie dans les affaires africaines ne paraît-elle pas salvateur pour des Etats africains qui accusent, à tort ou à raison, l’occident de néocolonialisme ? La présence militaire de la Russie en Afrique centrale et, maintenant, en Afrique de l’ouest ne consacre-t-elle pas la fin du monde unipolaire qui avait fini de mettre le continent africain en coupe réglée ? Les actions militaires de la Russie en Ukraine ressuscitent-elles le monde bipolaire de la guerre froide ou est-ce plutôt une conséquence de la manifestation d’un monde multipolaire au sein duquel l’Afrique pourrait se mouvoir en rééquilibrant ses relations avec l’occident grâce à l’apport militaire et peut-être économique de la première puissance nucléaire planétaire ?

III. LE MONDE MULTIPOLAIRE

Dans une approche transgéographique inédite qui jure d’avec les schémas classiques qui dessinaient les coopérations inter-Etats au sein de cercles régionaux frontaliers, est né un jeu d’alliances qui transcende les frontières dans une nouvelle réalité dont la cohérence tient plus aux intérêts et à la volonté de s’affranchir du joug traditionnel d’une poignée, infime mais pas insignifiante, de pays dits majeurs, qu’à une intégration régionale ou sous-régionale.

En effet, le rapprochement économique de divers blocs géopolitiques assez éloignés les uns des autres (Amérique Latine, Chine, Proche et Moyen-Orient) a donné naissance à plusieurs actes d’une portée géostratégique non négligeable tels les déclarations de Brasilia (mai 2005), de Doha (mars 2009) et le sommet Afrique-Amérique Latine (2009).

En réalité, le point commun des protagonistes de cette dynamique transgéographique (Venezuela, Brésil, Libye, Syrie, Liban, Chine, Japon, Equateur, Bolivie, Russie) réside dans leur hostilité sans faille face à l’Ordre Mondial ultralibéral né au lendemain de la dislocation de l’union soviétique. Tous, sont favorables à l’établissement d’un monde multipolaire équilibré au sein duquel la Palestine aurait une existence viable sur les plans politique et économique. Malgré leur éloignement géographique et leur disparité historico-culturelle, ces blocs soudés ont donc ceci en commun qu’ils partagent une autre vision du monde opposé à l’établissement du Nouvel Ordre Mondial américanisé.

A. Les enjeux économiques

Dans Le Monde Diplomatique de janvier 2011, Mme Hillary Clinton, alors secrétaire d’Etat des Etats Unis, s’inquiétait de la dette détenue par Pékin en posant la question de savoir « Comment négocier en position de force avec son banquier ? ».
En effet, le système monétaire international basé sur le dollar a reposé, de 1990 à 2014 sur le financement par la chine du déficit extérieur des Etats-Unis. C’est-à-dire que les Etats-Unis ont financé leur train de vie par leur dette extérieure, avec des taux d’intérêt bas, tandis que, dans le même temps, les autres pays – et en particulier la Chine – stimulaient leur production en leur vendant des biens. Tant et si bien que, de juillet 2005 à décembre 2007, le gouvernement chinois a abandonné son lien au dollar. L’appréciation du yuan de plus de 20% qui s’en est suivie a été un encouragement inédit pour les étrangers à acheter des actifs chinois. Ce qui d’une part, représentait une menace directe non seulement sur les accords de Jamaïque et donc sur le système monétaire international adopté en 1976 ; et d’autre part, un risque ultime de rupture radicale du système monétaire international avec un abandon du dollar en tant que monnaie de réserve internationale et donc, une crise sévère sur la dette publique des Etats-Unis et un effondrement historique du dollar contre bon nombre de devises. La chine ne s’en cache pas, en tant que premier importateur mondial de pétrole brut, elle veut clairement mettre définitivement un terme à l’hégémonie du dollar américain.

B. La politisation du Dollar américain

Pour se prémunir d’une telle éventualité et conserver leurs avantages stratégiques hégémoniques (politique, militaire, financier, économique et technologique), les Etats-Unis ont adopté en 2008, dans le prolongement de la politique mise en œuvre au lendemain du 11 septembre 2001, une stratégie agressive dans le recours aux sanctions, utilisant ainsi le droit américain comme une arme de guerre tous azimuts et notamment économique et financière. Ce faisant, le dollar détenu aux deux tiers par des investisseurs ne résidant pas aux Etats-Unis et représentant aujourd’hui plus de 60% des échanges mondiaux (85% sur les matières premières) s’en est trouvé politisé. Ainsi, des lois à portées extraterritoriales comme le Foreign Corrupt Practices Act (FCPA) de 1977 ou la Countering America’s Adversaries Through Sanctions Act (CAATSA), permettent aux Etats-Unis de sanctionner efficacement et de manière dissuasive leurs ennemis et adversaires économiques.

En effet, depuis les attentats du 11 septembre 2001 et au nom de la lutte contre le terrorisme, les Etats-Unis ont acquis auprès de l’institution bruxelloise SWIFT un droit de regard sur l’ensemble des transactions passant par ce système. Du coup, rien que l’utilisation du dollar donne lieu à des enquêtes et à des sanctions. En 2014 par exemple, dans le cadre de corruption d’agents publics étrangers avec paiements associés en dollars, les 772 millions de dollars d’amende pour la société Alstom ont eu pour conséquence économique directe son rachat par son concurrent américain General Electric.

C. La dédollarisation

L’utilisation du système SWIFT ne pouvant leur être favorable car augmentant significativement leur exposition face aux sanctions et rétorsions économiques, les BRICS ont mis en place le BRICS Pay qui leur permettra de procéder à des échanges économiques et financiers à partir de leurs propres devises via des portefeuilles électroniques dans un Cloud dédié.
Plus spécifiquement, la Russie s’insurge face à la politisation du dollar américain et a entamé depuis 2014 une politique de dédollarisation de son économie avec pour terme décembre 2021. L’objectif annoncé par le ministre russe des Finances Anton Silouanov est clair : « Nous avons décidé de renoncer complètement aux actifs en dollars au profit de l’euro et de l’or ». Selon le ministre, l’objectif est d’arriver à la répartition suivante : dollar 0%, euro 40%, yuan 30%, or 20%, livre sterling 5% et yen 5%.

Grâce au SPFS (Financial Messaging System of the Bank of Russia) avec 400 partenaires qui pourrait être interconnecté au CIPS chinois (China International Payment System) avec plus de 1189 partenaires, et à d’autres pays comme l’Iran, l’Inde et la Turquie, le dollar pourrait perdre sa suprématie sur le commerce international. N’est-ce pas alors l’une des raisons pour lesquelles les sanctions économiques européennes visant la désintégration de l’économie russe en la déconnectant du système SWIFT et en procédant à un embargo de ses ressources sur les marchés européens tardent à donner les effets escomptés ?

Tout semble alors indiquer que les actions militaires russes en Ukraine constituent la terminaison d’une évolution géopolitique qui conduira inévitablement vers une nouvelle configuration géostratégique du monde. Mais quelle serait la place de l’Afrique si un tel monde multipolaire venait à être effectif ?

IV. L’AFRIQUE ET LE MULTIPOLARISME

A la vue de ce qui précède, l’abstention africaine sur la question ukrainienne ne semble ni cohérente, ni satisfaisante en ce qu’elle ne semble pas assumer une ambition géopolitique forte. Elle fait tout simplement écho au principe de non-alignement de la guerre froide. Or, à voir le monde tel qu’il évolue géopolitiquement, il est important et même nécessaire pour les pays anciennement non-alignés de se retrouver au sein d’une toute nouvelle organisation afin d’harmoniser leur position et d’adopter une politique commune tant sur les plans politique et économique que militaire. Une telle organisation qui compterait 120 Etats membres et deux tiers de la population mondiale, parallèle à toutes les formes d’organisations internationales, qui ratifierait en son sein des traités de commerce comme celles de l’OMC, des accord militaires de défense commune comme celles de l’OTAN, des conventions financières comme celles de la Jamaïque et de Bretton Woods (1944) constituerait à coup sûr le graal du développement et de l’indépendance économique définitive de l’Afrique et du Tiers monde.

N’est-ce donc pas en définitive, ce à quoi la crise ukrainienne nous convie ?

PIERRE HAMET BA

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LE SOUCI DE SOI: l’obsession du trou

III. LA CHAMBRE NOIRE. C’est dans cet espace clos, à l’abri de toute lumière, où seul un tout petit trou s’ouvre au monde extérieur, que l’image éclairée de ce qui se passe au dehors vient se peindre sur la paroi intérieure. Cette approche métaphorique portant sur l’appareil photo permet de mieux rendre compte de la conception de l’opinion. Puisque, dans notre rapport au saint nous opérons une projection, nous manquons inéluctablement de vision holistique à l’image du photographe qui ne pointe son regard que sur son objectif. Voilà comment l’opinion s’assoit sur ceci, et sur ceci seulement pour en faire la vérité. Alors qu’en fait, en elle-même, cette opinion est une censure parce que le regard posé sur le sujet est, en quelque sorte, aveugle car ne voyant que ce qui, au fond, lui correspond, tout en manquant de porter attention au sujet en lui-même. On peut ainsi articuler métaphoriquement la pensée qui nait d’une telle projection comme faisant tache dans le discours logique. Peut-on d’ailleurs parler de discours logique quand ledit discours est fondé sur l’imaginaire d’une certaine configuration affective dont on devine le sujet ?

« Il n’y a que vous qui sachiez si vous êtes lâche, cruel ou dévotieux. Les autres ne vous voient point, ils vous devinent par conjecture incertaine » (Montaigne). Du Politique, n’est dès lors vrai que la fabrication de notre esprit. Cette image de saint devenue publique n’est en définitive qu’une représentation, une manifestation de la façon dont nous le devinons sans toutefois être au-dedans. Or, le dedans, à l’origine de la définition du Moi freudien, est capital pour éviter la confusion entre ce que nous pensons être et ce qui est. D’ailleurs Freud lui-même articule le dedans comme l’autre pendant du dehors. Quelque chose est alors soustraite de l’image qui se donne du politique. Et, il ne peut s’agir de rien d’autre si ce n’est cette tache qui, en dehors de toute sainteté, fait du politique un humain.

La tache ici, c’est ce qui se manifeste comme un trou. C’est-à-dire, une absence mais aussi en tant que le trou est par excellence la manifestation suprême de la vie. C’est une chose certaine, tout commence par un trou. Le considérer alors comme un élément essentiel et structurant dans l’appréhension de l’être du politique, de la même manière que le trou de la chambre noire permet de capturer une image, est fondamental. L’on ne peut nier qu’à plusieurs égards, l’image de saint dans notre société a beaucoup à avoir avec le rapport entretenu avec ce tout petit trou sans lequel rien n’est. Suivant l’attitude qu’on adopte à l’égard du trou, on produira toujours dans la chambre noire une image à l’opposé du trou si tant est qu’on est sous les feux de la rampe. Il semble alors que dans notre rapport au saint on n’appréhende le monde que du côté où est tourné le trou, ce qui est au-dehors se traduisant que comme image au-dedans. Ce qui implique que, devant l’infinité de l’univers des possibles, tout ce qui est au dehors puisse en principe prendre place à l’intérieur de la chambre. Il est pourtant manifeste que, si les petits trous se multipliaient, il n’y aurait plus nulle part aucune image.

Voilà comment le champ de la vision s’insère dans le désir et se manifeste non plus comme un prisme mais comme un manque plus radical, plus essentiel dans notre opinion du politique en tant qu’être sexué. Ce truchement par le champ de la vision, est le principe même de la tache car tout désir naît d’une contemplation qui, elle-même, a pour objet le trou grâce auquel le politique définit son appartenance sexuelle.

Quoiqu’on puisse alors dire de la sainteté du politique, il est tout simplement à retenir qu’un tel discours ne peut avoir aucune valeur tangible. Il est seulement regrettable et tout à fait ahurissant en définitive que l’image éclairée du dehors, par ce tout petit trou de la chambre noire de notre conscience, vienne à être le soubassement, à ce moment précis notre histoire contemporaine, d’un discours jouissant d’une telle prévalence au sein de l’opinion. En ne se prononçant pas sur cette histoire par peur d’invectives, nous ne pourrons donc réfuter cette projection faite pour soutenir cette idée de la représentation. Or, c’est bien de cette projection par le petit trou qui donne un tel avantage à la représentation que consiste, en fin de compte, le nœud secret de toute cette histoire.

Pierre Hamet BA, Le Souci de Soi, In Pensées inachevées. Ed. Premier, 2022.

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LE SOUCI DE SOI: Le Saint et le Politique

II. PROJECTION. Fabriquons un Saint. Nous aimons les saints. Ils incarnent l’idée du pur, de la droiture. Cette pureté et cette droiture ancrées dans notre imaginaire que nous avons été amenés à reconnaître comme la forme aboutie de notre être. Or, les religions desquelles nous participons s’accordent toutes en ce qu’au commencement était le péché. Le mal, associé donc à l’impureté et à la déviance a, pour ainsi dire, précédé le bien. Ce qui, par ailleurs, est totalement cohérent car l’alternative du mal et du bien, de l’impur et du pur, de la droiture et de la déviance, est la quintessence même de notre existence. On ne peut donc penser le bien qu’en vertu d’une inéluctable nécessité du mal.

Cependant, le joug du système d’habitus social fortement empreint de religiosité au sein duquel nous menons notre existence oppresse tellement cette quintessence humaine que nous refoulons continuellement cette part d’impureté qui, pourtant, au commencement, était. Presque tout ce qui est charnel est interdit et donc rangé dans la catégorie d’indignité. Ce qui a pour effet une sorte de nihilisme ontologique qui suggère que, dans nos sociétés, l’être ne peut être qu’à condition de faire abstraction de soi, c’est-à-dire de son essence humaine. En d’autres termes, il faut être un être au sein duquel n’existe aucune place pour l’impureté. Mais un tel être serait inachevé, voire un non-être, car c’est précisément la dialectique réelle entre le bien et le mal dans les tréfonds de notre être qui offre à notre conscience cette responsabilité supérieure qui fonde notre humanité. Toute personne qui prétend alors être un saint ne le peut qu’à condition d’avoir été préalablement couverte du manteau de la religion.

Alors, quand bien même l’adage voudrait que l’habit ne fasse pas le moine, il n’y a tout de même pas de moine sans habit. Les habits dont je parle sont ici constitués de notre propre conception de ce que serait un saint, c’est-à-dire, sans toutefois s’y limiter : le respect apparent des préceptes de la spiritualité de laquelle nous participons ; la pratique rigoureuse des prédicats et des préceptes spirituels ; le degré d’assiduité dans les lieux de culte ; le discours à tenir ; le comportement à adopter ; ce qui peut être fait, qui est à faire, qu’il faut absolument faire ou tout simplement ce qui n’est pas à faire, qu’il ne faut pas du tout faire ; et, jusqu’à l’accoutrement, l’archétype du saint indélébilement imprimé dans notre fort intérieur.

Ainsi partant, toute personne qui se rapproche de la notion, somme toute subjective, que nous nous faisons de la sainteté sera un saint. Mais uniquement à nos yeux. Aux yeux d’autres personnes, les mêmes habits peuvent tout-à-fait valoir le contraire et, ce jugement sera tout aussi valable et valable de la même manière. Mais que ce soit pour nous comme pour les autres, nous ne faisons précisément que projeter notre notion de sainteté. Freud aurait parlé de transfert. Ce faisant, nous exemptons l’objet de notre projection de l’ambivalence de l’existence qui chancelle du bien au mal.

Fabriquer un saint consiste dès lors à projeter, voire transférer au sens freudien du terme, notre propre notion de sainteté sur l’objet de notre admiration. Et voilà, nous avons fabriqué un saint. Mais un saint qui n’a aucune pureté intrinsèque, seulement la réalité, notre propre réalité subjective, projetée sur lui. La pureté constitue en cela un but poursuivi mais jamais atteint. Ainsi partant, il devient évident, et nous le savons tous, qu’il y a peu ou prou de saints parmi nous. Est-ce donc un sacrilège que de reconnaître et d’admettre l’essence même de notre âme humaine ? Nous ne sommes pas des saints !

En ce sens, le parfum de sainteté qui embaume l’espace politique est nauséabond. Puisque, de ce qui précède, il est impossible d’imaginer un être au sein duquel ne règne que le bien et d’où le mal est proscrit, pour un être qui n’a pas l’expérience du mal, rien en lui ne mérite l’attribut de bien. Dans une parfaite égalité de valeur entre toutes les formes de l’être, toute valeur disparaîtrait tant et si bien qu’il n’y a pas d’appréhension d’un phénomène sans le dehors même du phénomène soumis à la réflexion. Comme l’ombre nous permet de percevoir la lumière et lui donne son prix, une chose n’existe que par notre capacité à la comparer à ce qu’elle n’est pas, son dehors, son opposé, bref, tout son contraire.

Le politique qui putréfie l’espace publique de son parfum pestilentiel de sainteté serait un non être s’il n’y avait pas en lui un brin de mal. Et c’est là justement que se pose avec une certaine acuité la nature du mal qu’on tente de dissimuler sous le caban de la sainteté.

Pierre Hamet BA, Le Souci de Soi, In Pensées inachevées. Ed. Premier, 2022.

Crédit photo : Ousmane Ndiaye Dago, collection Femme-Terre, 2002.