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NON PROFESSEUR IBRAHIMA FALL! L’INTERPRÉTATION ET L’APPLICATION DU CODE ÉLECTORAL NE SONT PAS CRISOGÈNES.

Il sied de rappeler à notre cher doyen d’âge, le Pr. Ibrahima Fall que le drame du droit, c’est qu’il n’y a pas de dénominateur commun quant au sens des textes de loi. Sans nul doute, il le sait mieux que moi. Paul Ricœur traduit bien ce principe quand il soutient que "l’unité du parler humain fait aujourd’hui problème". On en vient à se demander d’un point de vue purement philosophique : qu’est-ce que l’interprétation ? Et, la question en soulève d’autres avant même de procéder comme qui remonte à Aristote : qu’interprète-t-on ? D’où interprète-t-on ? Comment, pourquoi et en quoi une telle interprétation devient-elle ou est-elle valide ? Qu’est-ce que la validité dans le domaine précis qui nous intéresse ici ?

Le juriste tente le plus efficacement possible, avec les moyens qui sont les siens, de comprendre un problème donné, ou ce qui fait problème afin de rendre intelligible un ensemble de données brutes, un réseau touffu, emmêlé, de relations ou un conflit d’ordre duel, interindividuel ou pluriel. Cela pose bien entendu des questions de principe relatives au sens : d’où parle-t-on ? De quelle manière et en fonction de quelle grille de lecture devons-nous, aux yeux de la loi, interpréter un fait humain, une conduite, un signe, un symbole ? Quel signifiant pour quel signifié? Dès lors se pose la question de l’interprétation qui, au plan épistémologique et heuristique, impose au juriste d’avoir comme souci majeur la fidèle reconstitution des canevas et schèmes de pensées ou d’actes à partir desquels les faits humains et conduites tirent la cohérence de leurs significations. Dans l’exercice du droit, la question fondamentale semble se ramener à celle de l’interprétation du sens et de la finalité de la conduite qui pose problème. Il y a donc un postulat théorique de fond incontournable : on n’interprète pas de nulle part.

Le savoir et la connaissance utilisés pour interpréter un texte de loi sont bâtis dans un cadre intellectuel déterminé, un langage prédéterminé et en fonction d’une orientation précise de départ, un ensemble symbolique originaire d’une option anthropologique explicite ou non ; pour tout dire : dans la tête de l’interprète lui-même. L’interprète raisonne non seulement en fonction de la notion qu’il s’est forgée de la loi, mais aussi de la notion, plus ou moins claire, qu’il se fait de l’organisation globale de celle-ci au regard d’un «modèle» tacite ou explicite. Et cela, dès le départ.

L’interprétation, c’est donc le travail de pensée qui consiste à déchiffrer le sens apparent, à déployer les niveaux de signification impliqués dans la signification littérale. On en vient ainsi à l’exégèse, c’est-à-dire à l’interprétation des sens cachés, des sens multiples dans leur contexte originel et culturel. Dès lors, symbole et interprétation deviennent des concepts corrélatifs. D’où devient nécessaire une propédeutique à tout travail d’interprétation, c’est-à-dire la connaissance et l’étude du monde symbolique et de l’univers de référence et de sens des textes de loi à interpréter.

En d’autres termes, la qualité de l’interprétation dépend ici des fonds de mémoire politique. Ce qui présuppose, si l’on suppose, une certaine connaissance des structures politiques symboliques, de leur histoire spécifique dans ses différentes dimensions intellectuelles, socio-historiques et politiques. On se donne somme toute, de cette manière, une meilleure intelligibilité, à défaut d’une explication proprement dite de telle ou telle interprétation de la loi. La question revient à se demander théoriquement et pratiquement comment rattacher ce que l’on pourrait nommer la structure archéologique individuelle du juriste à l’archéologie symbolique manifeste ou latente de l’univers de sens et de mémoire politique qui, seul, permet de l’éclairer.

Il ne serait pas absurde de se demander ce que l’on interprète en fait. Une interprétation ne sera valide ou valable qu’en ayant une référence solide aux éléments de culture politique du symbole ou du discours. En ce sens, elle doit partir de l’intérieur même du substrat des structures que l’on veut interpréter. Je ne saurais me lasser de dire que l’interprétation du juriste devient d’autant plus cohérente qu’il se réfère lui-même, judicieusement et sans précipitation au même système de pensées que le justiciable : que leurs productions respectives renvoient à la fin, à la même totalité métathéorique. Si tel n’est pas le cas, l’interprétation devient fallacieuse, fantaisiste ou fantasmée. Le justiciable n’y reconnaît plus son propre discours. Et nous voici au cœur du « conflit des interprétations » (P. Ricœur).

Ce ne sont donc pas "L’interprétation et l’application du code électoral par le gouvernement et par le Conseil Constitutionnel" qui sont "tronquées et crisogènes" ainsi que vous le dites. Ce qui est crisogène, c’est la volonté manifeste qu’ont certains de vouloir imposer leur interprétation des textes de loi alors qu’ils n’en ont pas la qualité. Car en matière d’interprétation du droit, aucune interprétation ne peut faire autorité sur une autre si ce n’est celle qu’incarne une décision définitive de justice.

Pierre Hamet BA.

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