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LA LOI NE VAUT RIEN. Entretien avec Moi-même. Extrait 1.

La loi ne vaut rien. Exempte de discussions impartiales préalables au sein d’une assemblée dont les membres, représentant la société toute entière, feraient fie de leur singulière appartenance respective, qu’elle soit politique, ethnique, communautaire ou régionale ; impudemment présentée à un petit royaume d’esprits, plus simples les uns les autres ; partialement adoptée par des godillots insidieusement préposés au plébiscite de toute propension absolutiste; hardiment promulguée par un hideux malotru insolent et sournois, plus soucieux de ses intérêts propres que des affreuses conditions d’existence sociale ; la loi, de fait porteuse d’une désespérance Kierkegaardienne, n’a aucune déterminité transcendante. Elle s’exprime avec force puisque force lui reste. Elle n’a donc de réalité qu’immanente et coercitive puisqu’elle ne prospère que par la peur des populations déjà angoissées qui se consacrent à survivre dans le désarroi d’un désespoir toujours grandissant plutôt qu’à précipiter une douloureuse mort, lente mais certaine au terme des conditions exécrables d’existence : les leurs. Qu’elles désobéissent, qu’elles défient l’autorité ou qu’elles protestent en couvrant de feu les rues de la cité ne semble être que l’expression salutaire d’une thérapie de groupe, une réponse en quelque sorte encore loin de se hisser à la hauteur de l’indifférence à leur condition d’existence sociale dont fait montre le politique. On voit pointer ici, dans une certaine mesure, quelque chose comme la troisième loi de Newton selon laquelle « l’action est toujours égale à la réaction ; c’est-à-dire que les actions de deux corps l’un sur l’autre sont toujours égales et de sens contraire ». Le corps à corps actif ou passif, violent ou calme, sensible ou indolore semble pour ainsi dire inévitable. Tout au moins, le débat, primordial en démocratie si tant est qu’il est contradictoire, pourra y joindre le politique au cœur et enfin sonner le clap de ce simulacre de démocratie au sein de laquelle le citoyen est un spectateur, non un acteur, qui n’a de droit que de jeter un bulletin dans l’urne à intervalle régulier, de choisir un politique parmi tant, puis de retourner chez lui, consommer, regarder la télé et surtout ne pas déranger. Un instrument docile de consommation, passif, obéissant, ignorant et programmé, c’est à quoi le politique a réduit le citoyen. Il l’a détourné vers des buts inoffensifs, usant de la loi pour écraser ses sentiments normaux, somme toute, incompatibles avec ses desseins tyranniques. Pour le moins, les balbutiantes sautes d’humeur citoyennes se comprennent comme les fumerolles d’un magma social en perpétuelle fusion.

La loi, déficiente donc en ce qu’elle procède unilatéralement et presque exclusivement par la contrainte, est pour ainsi dire mise au défi par un corps social déjà bien éprouvé. Que ces manifestations d’humeur soient spontanées et soutenues par ceux que le politique pâture comme des bêtes n’est pas fortuite. Dans la douleur, les bêtes du politique ont appris à faire corps comme une communauté politique de la même manière que, dans son approche épistémologique de la politique et de la médecine, Averroès, reprenant à son compte les thèses dialectiques platoniciennes sur le sujet, stipule que la disposition à la communication entre les parties et le tout de la communauté politique est semblable à la disposition à la communication entre les parties du corps animal et le tout de ce corps, pour la douleur comme pour le plaisir. Ainsi tout le corps se plaint alors qu’un seul doigt souffre de quelque manière, de sorte que l’affliction est dans tout le corps, et l’on dit qu’il est malade, et la disposition est la même pour la joie et le plaisir. […] Et tel est le plus grand bien de la communauté politique, à savoir que ses parties et son tout soient semblablement affectés par la joie ou par l’adversité, comme dans la disposition des membres du corps unis avec le corps (Averroès Exp., I, xxvii, 2-4, p. 52). Se perçoit alors d’un côté, la communauté de ceux qui ressentent le mal ; et de l’autre, celle de ceux qui, sous le couvert du manteau de la loi, le leur ont affligé pour ne point le ressentir. Les médecins-politiques peuvent alors « tuer ou exiler celui-ci ou celui-là pour purger et assainir la cité, exporter des colonies comme on essaime des abeilles ». De telles choses seraient justes au nom de la loi car conformes à celle-ci. Or, parce qu’« elle ne sera jamais capable de saisir ce qu’il y a de meilleur et de plus juste pour tous, de façon à édicter les prescriptions les plus utiles, [la loi ne vaut rien] car la diversité qu’il y a entre les hommes et les actes, et le fait qu’aucune chose humaine n’est, pour ainsi dire, jamais en repos, ne laissent place, dans aucun art et dans aucune matière, à un absolu qui vaille pour tous les cas et pour tous les temps (294b).

Pierre Hamet BA.

Extrait des entretiens avec moi-même

1. De l’anthropologie de la loi.

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