Catégories
Mon Journal

DOCTEUR, MON CUL !

Tout imbécile peut maintenant faire grandement étalage de son imbécilité et trouvera encore plus d’imbéciles pour épouser des imbécilités d’une ignominie déconcertante dont raffole une masse d’imbéciles devenue critique. Vous osez, depuis vos fauteuils dorés, salir la mémoire des tirailleurs en les traitant de traîtres. Vous, conseiller du chef de l’État, à qui l’on confie la mission de penser pour une nation, choisissez d’insulter non seulement ces hommes qui ont saigné pour des idéaux qu’ils n’avaient pas choisis, mais aussi leurs descendants, qui portent encore en eux les blessures d’une histoire complexe. Cette injure, lâchée avec l’arrogance de l’inculture, trahit une ignorance crasse de ce que fut la condition des tirailleurs sénégalais. Et, à travers eux, vous insultez l’histoire même du Sénégal, celle d’un peuple pris dans les filets de la colonisation, mais qui a su transformer ses chaînes en leçons pour l’avenir.

Les tirailleurs n’ont pas défendu la France. Ils ont été contraints, enrôlés, arrachés à leur terre, à leur famille, pour servir une puissance qui les considérait à peine comme humains. Leurs choix n’étaient pas des choix, leurs batailles pas les leurs. Mais dans cette absence de liberté, ils ont fait preuve d’un courage que vous ne pourriez même pas concevoir. Ils ont combattu, non pour la gloire, mais pour survivre, pour revenir un jour à leurs foyers, pour retrouver cette terre sénégalaise que vous prétendez aujourd’hui défendre en les vilipendant.

Vous parlez de trahison, mais connaissez-vous seulement le poids des mots que vous utilisez ? La trahison, ce n’est pas d’être arraché à sa terre et forcé à se battre pour une cause qui n’est pas la sienne. La vraie trahison, c’est de renier l’histoire, de la déformer, de la manipuler pour justifier une vision étriquée et haineuse. C’est trahir la mémoire de ces hommes que de ne pas comprendre que leur lutte, bien que contrainte, a aussi forgé une partie de notre identité commune. Car oui, c’est dans la douleur des champs de bataille, dans la fraternité imposée par les armes, que s’est esquissé, malgré tout, un début de conscience collective.

Mais vous, dans votre suffisance, ne comprenez pas cela. Vous pensez que glorifier l’histoire, c’est effacer ce qui dérange. Vous croyez que la souveraineté se gagne en changeant des noms de rues et en érigeant des discours de rejet. Non, la souveraineté se construit dans la lucidité. Elle se bâtit sur la reconnaissance de nos ombres, sur la compréhension de ce qui nous a façonnés, même dans l’adversité. Ce n’est pas en niant notre passé, ni en le simplifiant, que nous deviendrons grands, mais en l’embrassant tout entier, avec ses douleurs et ses contradictions.

Un de vos semblables est allé jusqu’à déclarer qu’il faudrait fusiller tous ceux qui ont participé à la gestion du pays depuis les indépendances. Une telle absurdité, prononcée avec le sérieux d’un ignorant, est la preuve flagrante de votre incapacité à penser avec profondeur. Fusiller qui, exactement ? Ceux qui, avec les moyens du bord, ont construit les fondations du Sénégal moderne ? Ceux qui ont posé les bases de l’éducation, de l’administration, de la santé publique, malgré un héritage colonial qui les avait déjà amputés de leurs propres ressources ? Ces mots révèlent une violence insensée, une incapacité totale à comprendre les dynamiques historiques et à proposer des solutions visionnaires. Demain, vous n’aurez aucun mal à désigner d’autres cibles. Si les tirailleurs sont aujourd’hui vos traîtres, ce seront bientôt les enseignants, les administrateurs, les artisans, les intellectuels, et tous ceux qui, par leur savoir ou leur travail, portent le fardeau de bâtir une nation. Vous les traiterez de traîtres à leur tour, parce qu’ils incarneront ce que vous ne comprendrez jamais : le sens du devoir, la dignité d’une mission, et l’amour d’une patrie qui dépasse les slogans et les anathèmes.

La recherche effrénée du buzz, du nombre de vues et de likes a poussé ceux qui tendent les micros à les tendre de plus en plus à des imbéciles. Ces microphones, tendus avec une complaisance insensée, deviennent des armes entre les mains de ceux qui n’ont rien à offrir si ce n’est le poison de la frustration et de la haine. Ces voix, hautement amplifiées, creusent des fossés dans notre conscience collective, transformant le peuple en une armée de frustrés, prêts à détruire tout ce qu’ils ne comprennent pas.

Les tirailleurs ne sont pas vos traîtres ; ils sont vos maîtres d’histoire. Ils vous enseignent que le courage, ce n’est pas de brandir des slogans ou de jeter des anathèmes, mais de regarder la vérité en face, aussi inconfortable soit-elle. Ces hommes, malgré tout ce qu’ils ont enduré, ont su survivre, et c’est grâce à eux que vous pouvez aujourd’hui vous asseoir dans vos salons climatisés pour les insulter. Leur sang a nourri les racines d’un arbre que vous essayez aujourd’hui d’étouffer sous les décombres de votre ignorance.

L’histoire, pourtant, vous aurait appris que ceux qui n’apprennent rien d’elle sont condamnés à la répéter. Elle vous aurait appris que l’insulte est l’arme des faibles, et que le silence des morts est plus éloquent que les discours des ignorants. Alors écoutez ce silence. Écoutez ces tirailleurs que vous avez insultés, et peut-être trouverez-vous dans leur mémoire la force de vous élever au-dessus de vos préjugés. Mais pour cela, il faudrait du courage. Et le courage, comme l’histoire, ne s’apprend pas dans les palais.

Pierre Hamet BA.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *