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CRITIQUE DE LA DPG.

La Déclaration de Politique Générale (DPG) présentée par le Premier ministre à l’Assemblée nationale, ce vendredi 27 décembre 2024, affiche un projet ambitieux visant à transformer le Sénégal en un pays « souverain, juste et prospère ». Cependant, une analyse approfondie révèle de nombreuses contradictions et incohérences qui mettent en lumière un décalage entre les intentions proclamées et la faisabilité concrète de ces réformes.

1. Un projet monétaire hasardeux et insuffisamment adossé aux réalités légales et économiques

L’annonce de la création d’une nouvelle monnaie nationale pour asseoir la souveraineté économique du Sénégal est un pari risqué. Le pays est actuellement membre de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) et utilise le franc CFA, une monnaie adossée à l’euro via la Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO). Se soustraire unilatéralement à ce bloc monétaire sans renégociation préalable pose des défis politiques et légaux majeurs. De plus, l’absence de mécanismes clairs d’arrimage monétaire et de garanties solides (comme des réserves de change conséquentes ou une base industrielle robuste) rend cette initiative vulnérable.

Des exemples concrets illustrent les difficultés rencontrées par d’autres pays africains ayant adopté leur propre monnaie. La Gambie, la Guinée Conakry, la Mauritanie, l’Éthiopie et le Nigeria possèdent toutes une monnaie nationale, mais peinent à assurer sa stabilité et sa convertibilité sur le marché international. En Éthiopie, il est pratiquement impossible d’opérer un transfert bancaire en monnaie locale vers l’étranger, obligeant les transactions internationales à se faire en devises fortes telles que le dollar ou l’euro. Au Nigeria, le naira souffre de contrôles de change sévères qui limitent son usage dans les transactions internationales, poussant les entreprises et les particuliers à privilégier les devises étrangères. Si le Sénégal adopte une nouvelle monnaie sans assurer sa convertibilité et sa stabilité, il risque de se retrouver dans une situation où le paiement de sa dette en devises deviendrait insoutenable, menant potentiellement à un défaut de paiement ou à une spirale d’endettement.

2. Une énumération de politiques économiques ambitieuses, mais sans chiffrage ni ancrage dans les lois de finances

La DPG embrasse un vaste éventail de secteurs : agriculture, élevage, éducation, santé, infrastructures, sécurité, énergie, etc. Toutefois, les lois de finances en cours de discussion à l’Assemblée nationale ne reflètent pas cet élan. Il manque une priorisation claire des projets et un chiffrage précis des coûts associés. Cette absence de planification rigoureuse risque de mener à un saupoudrage inefficace des ressources, sans impact réel sur la vie des Sénégalais.

Par ailleurs, la volonté de rationaliser les dépenses publiques et de réduire la masse salariale contraste fortement avec les annonces de recrutements massifs dans des secteurs prioritaires tels que la santé, l’éducation et la sécurité. Sans une gestion budgétaire cohérente, ces contradictions internes compromettent la soutenabilité financière des réformes proposées. De plus, augmenter la pression fiscale pour combler le déficit public pourrait décourager le secteur privé, limitant ainsi la création d’emplois et de richesse, au détriment de l’initiative privée.

3. Gouvernance et justice : de nobles principes menacés par une instrumentalisation potentielle

Le discours met en avant la nécessité de renforcer la transparence, d’effectuer des audits et de promouvoir une justice indépendante. Cependant, la création de nouvelles agences centralisées, telles que l’Agence des Domaines et du Foncier ou la Haute Autorité de la Diaspora, rattachées directement à la Primature, risque de recentraliser le pouvoir plutôt que de réellement décentraliser les décisions.

De plus, sans un cadre légal précis garantissant l’autonomie financière et fonctionnelle de la justice, les promesses de transparence et de lutte contre la corruption peuvent facilement être instrumentalisées à des fins politiques. L’histoire sénégalaise, comme celle de nombreux pays africains, montre que sans garanties solides, les réformes judiciaires peuvent devenir des outils de contrôle partisan, sapant ainsi la confiance publique.

4. Environnement géopolitique et régional : une rupture difficilement soutenable

Le Sénégal, en tant que membre de la CEDEAO et de l’UEMOA, bénéficie d’une intégration économique et monétaire régionale qui facilite les échanges commerciaux et stabilise la monnaie. Rompre avec le franc CFA sans une concertation préalable avec les partenaires régionaux risque de nuire aux échanges intra-africains et de déstabiliser l’économie nationale. De plus, cela pourrait compliquer les relations commerciales avec des partenaires historiques comme l’Union Européenne, compromettant ainsi l’accès aux prêts et aux soutiens financiers.

5. Position des acteurs nationaux : scepticisme du patronat et incertitudes pour la société civile

Le secteur privé sénégalais, représenté par des associations comme la CNP et la CNES, exprime déjà des réserves face aux propositions de hausse de la pression fiscale et aux réformes monétaires. Ces mesures risquent de décourager les investisseurs étrangers et nationaux, freinant ainsi la croissance économique et la création d’emplois. Par ailleurs, la société civile et les syndicats demeurent méfiants quant à la capacité du gouvernement à mettre en œuvre ces réformes de manière transparente et inclusive, sans tomber dans le piège du clientélisme ou de l’instrumentalisation politique.

6. Des scénarii alternatifs et pistes plus réalistes

Plutôt que d’opter pour un divorce unilatéral avec la zone franc et une multiplication de grands chantiers non financés, le gouvernement gagnerait à envisager des réformes progressives et concertées :

Réforme du franc CFA en collaboration avec les partenaires régionaux pour renforcer les mécanismes de garantie et la gouvernance de la BCEAO.

Plan budgétaire pluriannuel avec des priorités clairement définies et chiffrées, alignées sur les lois de finances et les critères de convergence de l’UEMOA.

Renforcement de l’indépendance judiciaire avec des lois organiques garantissant l’autonomie financière et fonctionnelle des institutions judiciaires.

Mobilisation prudente des ressources pétrolières et gazières, avec la création d’un fonds souverain transparent supervisé par un organe indépendant, afin de stabiliser l’économie et d’éviter la dépendance excessive aux hydrocarbures.

Promotion d’une gouvernance participative et inclusive, impliquant davantage la société civile, les syndicats et les acteurs privés dans la planification et le suivi des réformes.

Conclusion

L’ambition et les « ruptures » annoncées dans la Déclaration de Politique Générale du Premier ministre séduisent sur le papier, mais paraissent difficilement conciliables avec la réalité du droit sénégalais, les contraintes budgétaires et les dynamiques régionales et internationales. La création d’une nouvelle monnaie sans assises solides, la multiplication des grands chantiers sans priorisation ni financement clair, et les promesses de gouvernance transparente sans mécanismes concrets, posent des risques majeurs pour la stabilité économique, sociale et politique du Sénégal.

En définitive, cette DPG, malgré sa rhétorique convaincante, manque de cohérence et de réalisme. Elle ne s’arrime pas clairement aux lois de finances et aux obligations régionales, et ne propose pas de mécanismes de gouvernance suffisamment robustes pour assurer la transparence et l’inclusion. Le Sénégal a besoin d’un plan d’action clair, pragmatique et chiffré, aligné sur les réalités économiques et les capacités institutionnelles, plutôt que d’un catalogue de promesses utopiques qui pourraient compromettre la stabilité et la prospérité du pays.

Le Sénégal a besoin d’un chemin clair et pragmatique, pas d’un catalogue de promesses utopiques.

Pierre Hamet BA.

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