« Les grands hommes sont ceux dont les fautes
ne comptent pas. Leur perte même les exhausse. »
Paul Valéry. « Mélange », juin 1941
Le 09 juillet 2004, Mahmoud Saleh portait un coup de poing à un garde pénitentiaire, en tenue, en faction et en service. En pulvérisant un agent des services publics dans l’exercice de ses fonctions, il frappait concomitamment l’Etat de son poing. Arrêté et mis en garde à vue, les opposants d’alors avaient crié à la détention arbitraire. Organisations non gouvernementales, partis politiques et autres associations se réclamant de la lutte pour les droits de l’homme avaient pris d’assaut la place publique, dénonçant une déliquescence de la démocratie au Sénégal. Mais dans les faits, Mahmoud Saleh était indéfendable. Si alors on a pu prendre partie pour lui dans un cas de flagrant délit, pourquoi ne pourrait-on pas s’opposer fermement au pouvoir en place qui semble de plus en plus mépriser nos préoccupations ?
Le Parti démocratique sénégalais (Pds) est devenu inaudible, indolore et incolore. Ses principaux leaders ne s’expriment qu’en tournant sept fois la langue avant de se taire. Ils tentent vainement de nous convaincre d’être victimes d’une injustice. Envoûtés par les poursuites engagées à leur encontre, ils en arrivent à perdre de vue leur mission principale de régulateur du jeu démocratique. Ils se laissent emprisonner dans un mutisme sans précédent alors que les mêmes inquiétudes que leurs adversaires prétendaient pouvoir solutionner une fois au pouvoir, ont demeuré jusqu’à devenir chronique.
En vérité, il ne se passe pas un jour sans que le gouvernement ne pose un acte révoltant allant de multiples exactions tendant à nous enlever le pain de la bouche à une forme de ghettoïsation du pouvoir : destruction de biens privés puis déguerpissements des ateliers de fabrication sans aucune espèce d’indemnisation ou de plan de recasement ; nomination d’un étudiant au poste de Consul général du Sénégal à Marseille, des enfants de l’homonyme du Président de la République à des postes stratégiques comme Agent judiciaire de l’Etat, Ministre-conseiller ou encore Président de conseil d’administration ; interdiction d’exportation de ferraille pour satisfaire une entreprise chinoise ; baisse de la piteuse pension de retraite ; implication du Premier ministre dans l’affaire Habré sans que sa démission ne soit de rigueur ; deux permis d’exploration pétrolière octroyés au frère du Président de la République, un journaliste de son état… la liste est longue sans être exhaustive.
Tant de faits qui justifient, entre autres, la récente baisse de popularité du Président de la République (Isop) et qui auraient pu fortement motiver une opposition engourdie. Mais au lieu de se concentrer sur les intérêts de la population et de contrôler pour ainsi dire l’Action publique, d’aucuns se consacrent à des stratagèmes pour une place au soleil de l’avenue Roume, d’autres se préoccupent d’éviter une place à l’hôtel zéro étoile de Rebeuss. Et pendant ce temps la condition sociale du Sénégalais s’empire, au jour le jour, sans qu’aucun opposant n’en fasse véritablement sa raison d’existence ou de résidence médiatique. Or, il y a seulement un an, une pénurie de gaz, une augmentation du prix à la pompe, une inflation des denrées de première nécessité auraient vite défrayé la chronique. Tous les chefaillons de l’opposition se seraient engouffrés sur la brèche, prétendant lutter pour de meilleures conditions de vie de la population. Bravant les interdictions de marche du préfet de Dakar, ils auraient, au prix de leur vie s’il le fallait, arpenté les rues et artères de Dakar, semant désordre et troubles à l’ordre public. Ces mêmes leaders sont pourtant aujourd’hui au pouvoir. Cependant, les mêmes phénomènes conjoncturels, les mêmes entraves au bien-être, à la justice, à la liberté d’expression, au droit de l’homme subsistent. Mais ils n’en ont cure.
Il ne s’est donc jamais agi pour les opposants d’hier, gouvernants d’aujourd’hui, du Sénégalais. En ne parlant plus de nos préoccupations, ils démontrent que leur objectif ne consistait qu’à prendre le pouvoir pour des fins qui se dessinent au fur et à mesure et dont les traits deviennent de plus en plus appréhensibles à nos yeux. De même, en plaçant l’ancien régime à l’épicentre de leurs discours et actions politiques, ils jettent l’anathème sur le choix porté sur eux et brisent ainsi le principe de continuité du service public. En essayant de passer sous silence les dysfonctionnements manifestes de Benno Bokk Yakaar qui plombent tous les secteurs du pays, ils dissimulent confortablement leurs tares sous une belle parure. En ne présentant en définitive que leurs belles facettes, dépourvues cependant de contenus apparents, ils laissent entendre que la coalition qui a produit un tel pouvoir est, elle aussi, belle, et qu’elle aussi, manque de contenus cachés. Mais si après tout, la situation politique qui a produit une telle coalition n’était, en réalité, pas aussi reluisante, alors ladite coalition devait porter en elle un mensonge de la même manière dont Blake (The Sick Rose) dit que la rose porte en elle un ver. Donc, la critique autrefois enchantée par la beauté de la rose, doit maintenant aussi s’intéresser au ver. Les libéraux le savent-ils ? Qui parmi eux pour fouetter les énergies citoyennes et raviver la flamme du refus, et au nom et pour le compte de tous…
Pierre Hamet BA