Dès 1910, le chef coutumier Firikoun entraine les Touareg du Mali contre les Français. Arrêté et condamné en 1913, il s’évade de Tombouctou le 17 mars 1916. En décembre de la même année, sous les ordres de Kaosen, 200 Touareg du Niger affiliés à la confrérie religieuse Sénoussiya, quittent l’actuel Lybie pour le Sud algérien. Le 1er décembre, Kaossen assassine Charles de Foucauld à Tamanrasset. Le 13 décembre, la troupe atteint Agadès et investit le poste militaire français. Le 3 mars 1917, 1222 hommes dont 750 tirailleurs sénégalais rejoignent Agadès et libèrent le poste français. Kaossen est exécuté par ses maîtres sénoussistes. Tégama, un autre chef est capturé le 7 mai 1919 par les tirailleurs. Il est emprisonné à Agadès pour être jugé mais le capitaine français Vitali, alors commandant de cercle, le fait assassiner le 30 avril 1920 et camoufle le meurtre en suicide.
En juin 1957, en vertu de la Loi Defferre dite Loi cadre du 23 juin 1956, la France manifeste sa volonté de créer l’Organisation Commune des Régions Sahariennes (OCRS). L’objectif inavoué est de mettre en coupe réglée des territoires de l’Algérie, du Mali, du Niger et du Tchad riches en ressources minières. Mais ces espaces correspondent à ceux des Touaregs. En dépit de l’hostilité des élus concernés, l’OCRS est créée par la loi française n° 57-7-27 du 10 janvier 1957. Dès lors, les velléités de sécession renaissent. Sous l’influence de Mohamed Aly Attaher, les Touareg rejettent la fusion avec les Noirs au sein d’un même État. Le projet OCRS échoue mais le germe de la division est semé.
En 1959, la rébellion Touareg se manifeste à nouveau sur le territoire malien et est jugulée militairement en 1964. Mohamed Attaher et son acolyte Ifogha sont respectivement arrêtés au Maroc et en Algérie et extradés au Mali. C’est la fin de la rébellion et les Touaregs sont placés sous surveillance militaire par les autorités maliennes. En 1970, la sécheresse pousse les jeunes Touaregs vers l’Algérie, le Nigeria, le Tchad, le Moyen-Orient et notamment la Libye où ils sont enrôlés au sein de la légion islamique de Kadhafi pour livrer combat en Ouganda, au Liban mais surtout au Tchad au début des années 1980.
En 1987, la fin de la guerre du Tchad et l’amenuisement des ressources financières de la Libye précipitent le retour des exilés. En janvier 1990, l’Algérie renvoie près de 25 000 réfugiés Touaregs. Le 7 mai 1990, l’attaque de la gendarmerie de Tchin-Tabaradèn ranime la rébellion Touareg qui, cette fois-là, allait durer 6 ans. Le Mouvement et Fronts Unifiés de l’Azawad (MFUA) dirige alors les Touaregs du Mali et l’Organisation de la Résistance Armée (ORA), ceux du Niger. En 2012, les Touareg du Niger, regroupés au sein du Front de Libération de l’Aïr (FLA), ont rejoint leurs homologues maliens du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) pour former le Front de libération de l’Aïr et de l’Azawad (FLAA). Il s’agit, conformément à la résolution du congrès de 1986 au cours duquel Touaregs maliens et nigériens décidèrent de conjuguer leurs efforts pour d’abord libérer leur territoire au Mali et ensuite au Niger, de se débarrasser des islamistes puis, de fonder un Etat touareg qui inclurait le nord du Mali et le massif de l’Aïr au Niger ; un ensemble vaste comme deux fois le Maroc avec seulement 3.100.000 habitants.
Mais là justement se situe les raisons qui fondent l’engagement de la France et de ce qu’il est convenu d’appeler communauté internationale dans une guerre au Mali. Car ce territoire Touareg est en effet le lieu de projets euro-américains extrêmement stratégiques parmi lesquels : l’ouverture au Sahara d’une base américaine de lancement de drones pour renforcer celles qui existent déjà à Djibouti, en Ouganda et en Éthiopie aux côtés des flottes aériennes de surveillance basées en Mauritanie, au Burkina Faso et au Sud Soudan ; la réalisation du projet d’installation de panneaux solaires géants appelé DESERTEC dont le budget est de 400 milliards d’euros qui doit fournir de l’électricité bon marché à l’Europe ; l’investissement par AREVA d’environ 1,5 milliards d’euros en vue de racler la deuxième plus grande mine d’uranium du monde récemment découverte à Imouraren etc.
Même si alors au Mali, les Touareg revendiquent une région très pauvre et sans grande utilité économique, au Niger par contre, se trouve au cœur de l’Aïr, à Arlit, la mine d’uranium souterraine la plus vaste du monde. 3.000 tonnes de minerai y sont produites chaque année et la capacité sera doublée en 2014. Donc, supposer que la France, premier exportateur d’énergie nucléaire au monde sans avoir d’uranium sur son sol ; croire que cette même France qui arme les terroristes Salafistes contre la Syrie de Bachar-el-Assad, mène une croisade contre le terrorisme, relève purement de la naïveté. Bien entendu « la sécurité de l’Europe est en jeu au Mali […] » (Yves Le Drian, ministre français de la défense). Mais en vérité elle est en jeu, pas parce que des criminels coupent des mains et des pieds, détruisent des mausolées, fouettent des nègres qui ne sont « pas assez entrés dans l’histoire » (Sarkozy), mais parce que toute la géopolitique Sahélo-Saharienne est en reconfiguration.
La France et ses chiens de garde vont alors en guerre comme si Berlin avait été un décret divin. Or, il convient de se rendre compte que le peuple Touareg, au Mali comme au Niger, repose sur le même socle culturel ; partage la même histoire, la même cosmogonie, le même imaginaire, les mêmes héros ; dispose d’une organisation politique ; parle la même langue, bref… tout ensemble caractéristique d’une Nation. Mais il ne dispose pas de sa destinée sur un territoire qu’il occupe de tout temps. C’est bien de cela qu’il s’agit. D’une question historique et géopolitique qui pose avec une certaine acuité la problématique de l’intangibilité des frontières africaines et de la pertinence de la souveraineté que la première conférence des États indépendants d’Afrique noire, tenue au Liberia quelques mois seulement après l’indépendance de la Guinée, a érigée comme principe inaliénable d’une morale internationale africaine.
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