« L’égoïsme et la concurrence restent hélas plus puissants
que l’intérêt général ou que le sens du devoir (…) ».
Albert Einstein, in ̎Comment je vois le monde̎
Ils s’empoigneront le 28 mars prochain. L’un, dont les avoirs sont estimés à dix millions de dollars américains, inspire toute une jeunesse. Promoteur de la démocratie, il est Président du pays le plus riche du monde. L’autre est plutôt prêcheur de la bonne moralité sans pour autant être exemplaire, Président d’un tout petit pays sous-développé, pauvre et très endetté. S’il est possible de tracer sans grandes difficultés les biens de l’un, la tâche serait par contre fastidieuse, à la demande légitime de savoir l’origine des possessions de l’autre, de ne pas buter sur des questions qui n’ont point de réponses satisfaisantes.
Décidément ! Il est aussi riche que Barack Obama. Sa fortune équivaut sensiblement à celle du capitaine du navire américain. Il n’est pas ici question de revenir sur l’inventaire complet de son patrimoine ; ni sur l’omission probablement volontaire de la balance de ses différents comptes bancaires; encore moins sur la disproportion manifeste entre ses revenus connus et son patrimoine déclaré officiellement, toutes choses qui, par ailleurs, justifieraient, selon la stipulation même de la Loi, l’ouverture prochaine d’une enquête préliminaire de la Cour de Répression de l’Enrichissement Illicite (CREI); mais de discourir sur le système d’habitus politique à l’œuvre dans notre pays que l’on appelle sarcastiquement démocratie.
OBSÉDÉS DU PLUS. Nos dirigeants se saisissent de la richesse comme condition sine qua non du jeu démocratique qui se résume désormais en une alternance qui ne change pas le fond. La réforme si permanente dans leurs discours donne l’illusion du changement alors que rien ne bouge en réalité. Le phénomène d’enrichissement tous-azimuts métamorphose ainsi la démocratie en un champ de compétences de professionnels. La représentativité politique prend dès lors un sens particulier puisque s’inscrivant dans une logique au sein de laquelle se manifeste une spécialisation et une technicité singulières. Au même titre que le mot mécanicien désigne le professionnel de la mécanique, le mot politicien témoigne de cette professionnalisation des acteurs politiques. A peine arrivent-ils au pouvoir que l’obsession du plus prend le dessus sur le reste. Ils perdent de vue l’essence même du phénomène démocratique. Idéal, idéologie, programme, promesses et convictions sont vite jetés à la poubelle pour laisser place à un schmilblick caractéristique des plus inédits détournements de l’histoire. La démocratie s’en trouve réduite à une façade, un simulacre qui n’a d’autres fonctions que d’assouvir leur soif de richesse. L’accumulation, par le biais d’une redistribution à grande échelle se transformant en clientélisme de masse, est ainsi intégrée comme rouage d’une machine totale, et finalement totalitaire, dotée d’une force irrésistible d’auto-enrichissement qui accentue la pauvreté nationale.
COQUILLE VIDE. Le système d’habitus politique qui encourage cette ruée obsessionnelle vers la richesse met en exergue deux catégories de politiciens sénégalais : ceux qui utilisent l’argent pour avoir la masse ; et ceux qui utilisent la masse pour avoir l’argent. Les élections deviennent l’alpha et l’oméga de la démocratie alors qu’elles ne devraient être qu’un moyen de limiter l’enflure du pouvoir. En se concentrant donc sur la « coquille » au détriment du fond et de la substance, notre modèle démocratique s’éloigne largement des populations. Il ne s’agit plus de donner le pouvoir au peuple mais de donner au pouvoir une justification populaire. Ce modèle « creux » de démocratie dans lequel on met en avant les mécanismes d’organisation et de justification plutôt que les instruments de limitation du pouvoir explique le cumul des fonctions, l’instabilité au sein de Benno Bokk Yakaar et le tabou qui enveloppe la question de la durée du mandat présidentiel. Tout ensemble qui diffère donc du système américain. Erosion démocratique de la démocratie : il n’y a plus d’Etat qui cherche l’intérêt général, mais des hommes d’Etat, obsédés du plus, qui ne se préoccupent que de devenir riches, au détriment de Moi, le Sénégalais.
Pierre Hamet BA