Qu’est-ce que l’oppression ? Que peut-on considérer comme oppression ? Qu’est-ce que la résistance ? Qu’est-ce qui en établit la légitimité ? Vous l’avez deviné. Nous abordons aujourd’hui un vestige du passé colonial : le droit de résistance à l’oppression. Ousmane Sonko et ses partisans s’en prévalent en le brandissant comme un trophée, alors qu’il jure d’avec leur instinct grégaire de souveraineté à fleur de peau, adossé à une prétention patriote.
Parler de droit de résistance à l’oppression, c’est se faire directement l’écho du Discours de la servitude volontaire (1548) qui a servi de manifeste aux mouvements insurrectionnels du XVIe siècle. En effet, son auteur, Étienne de La Boétie, s’émeut de la facilité, qu’il juge déconcertante, avec laquelle le peuple de son époque accorde au pouvoir une légitimité. Car, selon lui, le pouvoir politique ne peut avoir de légitimité autre que celle que le peuple veut bien lui donner. L’historiographie des idées politiques en a fait l’origine du droit de résistance à l’oppression. Sauf qu’on n’y trouve pas une théorie explicite d’un tel droit. A vrai dire, l’expression, droit de résistance à l’oppression, y est même absente. Il y est plutôt question d’affranchissement, de délivrance, de libération ; non comme un droit, mais comme une injonction politique, dont le but consiste à conjurer la peur des gouvernants. C’est d’ailleurs la même trajectoire que Montaigne empruntera plus tard dans l’histoire, en voulant réconcilier la foi et la raison, dans son Apologie de Raymond Sebond (1580).
Par ailleurs, ce n’est qu’en 1573, dans son œuvre majeure Franco-Gallia, que le jurisconsulte François Hotman va faire du discours sur la servitude volontaire le support d’un droit de résistance. Hotman présente dans son ouvrage un idéal d’habileté politique protestante qui propose un gouvernement représentatif et une monarchie élective. Toutefois, bien que sa publication ait eu une grande répercussion qui allait influencer les générations futures, parce qu’ayant fondé les bases théoriques de la démocratie représentative, l’expression droit de résistance ne deviendra courante qu’après la révocation de l’édit de Nantes en 1685.
En effet, à la suite du massacre de la Saint-Barthélemy (1572) au cours duquel des milliers de protestants furent assassinés par des catholiques, les thèses protestantes vont trouver au sein du « Du droit des magistrats sur leurs sujets » (1574), traité de Théodore Bèze, une expression juridique. Bèze y considère que les magistrats des villes, aidés par « les nobles de bon sang » : châtelains héréditaires, barons, comtes, ducs, ont le devoir de défendre l’Eglise contre ceux qui l’assaillent pour protéger les croyants persécutés. Il justifie de la sorte l’appel à une résistance armée et le droit à une insurrection qui serait orchestrée par les magistrats.
Dans la même veine, sous le pseudonyme de Stephanus Junius Brutus, François Duplessis Mornay, dans Vindiciae Contra Tyrannos (1579) ; en français, De la puissance légitime du prince sur le peuple et du peuple sur le prince (1581), tente de répondre aux questions qui font l’actualité de son époque, à savoir : « si les sujets sont tenus d’obéir à un prince qui leur commande d’enfreindre la loi de Dieu ; s’ils peuvent lui résister et de quelle manière ; s’ils peuvent résister à un prince qui viole la loi civile ; si les princes voisins ont, en ces deux cas, le droit ou le devoir d’intervenir ? ». Trois grands thèmes ressortiront de ces interrogations : la souveraineté et la représentation du peuple ; la garantie contre la tyrannie ; la notion d’Etat. Et, c’est sur ce dernier thème, à travers l’illustration des notions de bien commun et d’utilité publique, que les Vindiciae vont enrichir l’histoire et la philosophie politique.
Ainsi partant, dans ses Lettres pastorales, dont la publication a commencé en 1686, au lendemain la révocation de l’édit de Nantes, « adressées aux fidèles de France qui gémissent sous la captivité de Babylone », le pasteur protestant Pierre Jurieu, théologien et controversiste calviniste, pour remettre en question l’absolutisme et l’origine divine de la souveraineté, va théoriser le droit de résistance en le fondant sur la souveraineté du peuple. Les avertissements aux protestants de l’évêque Jacques Bénigne Bossuet n’y feront rien. Bien au contraire, la polémique entre le pasteur et l’évêque donnera plus d’ampleur au droit de résistance à l’oppression à telle enseigne qu’il sera inscrit, un siècle plus tard, au titre des droits naturels dans la déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen (1789).
Dès lors, encouragés par la Saint-Barthélemy, Le Droit des magistrats de Théodore de Bèze, la Franco-Gallia de François Hotman et les Vindicine contra tyrannos attribuées à François Duplessis Mornay vont formaliser la radicalisation des théories politiques protestantes et constituer par là même les principaux traités qui prennent part au débat sur la nature et l’étendue du pouvoir. Dans le contexte polémique des guerres de religion, ces théories deviennent l’instrument politique dont se saisissent les théologiens aux fins d’infléchir la politique royale. C’est donc la naissance du droit de résistance légitime au tyran.
On voit bien ainsi la place prépondérante du protestantisme dans la naissance d’un tel droit que la Révolution française de 1789 appellera « garantie des droits naturels et civils » ; plus précisément, la liberté qu’« a tout homme de parler, d’écrire, d’imprimer et de publier ses pensées sans que les écrits puissent être soumis à aucune censure ni inspection avant leur publication, et d’exercer le culte religieux auquel il est attaché » (Constitution française de 1791, Titre 1er). Toutefois, au-delà des antagonismes religieux, l’inscription du droit de résistance dans les constitutions françaises de 1789 et de 1793 est la terminaison hétérogène d’une confrontation d’idées politiques, juridiques et philosophiques qui ne participent que de l’histoire européenne en général, et française en particulier.
En conséquence, jeter vigoureusement l’anathème sur la France et se prévaloir d’un principe qui ne procède que de son historicité est le comble de l’inconséquence dont Ousmane Sonko et ses partisans ont jusque-là fait montre. Mais nous n’allons pas seulement leur opposer leur propre contradiction qui relève d’une inculture politique et historique. Ce serait sans intérêt scientifique. La véritable problématique se trouve en la question que nous n’avons pas posée, à savoir : Qu’est-ce qui fonde le droit du droit de résistance à l’oppression ? Ainsi posée, l’interrogation soulève une problématique juridique fondamentale, mais tout aussi philosophique, tant dans son historicité que dans son appréhension… (A suivre).
Pierre Hamet BA.