Le Sénégal, en cette fin d’année 2024, porte les stigmates d’une gouvernance qui semble avoir échappé à toute cohérence, où les promesses électorales ont laissé place à une réalité marquée par l’inertie et la désillusion. Neuf mois après l’arrivée au pouvoir du président Bassirou Diomaye Faye et de son Premier ministre Ousmane Sonko, le pays traverse une crise qui, loin de s’atténuer, s’aggrave à mesure que le temps passe, exposant les carences et contradictions d’un régime qui peine à répondre aux aspirations de son peuple.
Tout a commencé avec une loi d’amnistie controversée, permettant aux actuels dirigeants de sortir de prison pour participer aux élections, malgré des accusations graves, incluant des manœuvres de déstabilisation de l’État, de diffamation et de vol. Cette décision a marqué un premier coup porté à la crédibilité des institutions judiciaires, ouvrant une brèche dans l’intégrité de l’État de droit. Ces personnages, autrefois décriés, ont non seulement été réhabilités, mais élevés aux plus hautes fonctions de l’État, jetant ainsi un voile d’opacité sur la justice sénégalaise.
La gestion des élections présidentielles et législatives n’a fait que confirmer la défiance générale. Des accusations de manipulation et de corruption visant les juges constitutionnels ont ébranlé la confiance des citoyens dans le processus électoral. L’ancien Premier ministre Amadou Ba, accusé de corruption pour l’approbation de candidatures controversées, a symbolisé une politisation rampante des institutions. Ces élections, loin d’être un moment de renouveau démocratique, ont laissé un goût amer, renforçant la perception d’une gouvernance basée sur les privilèges et non sur la volonté populaire.
Au lendemain de leur victoire, l’intégration au sein du gouvernement de figures controversées, bien que certaines ne fassent pas partie de l’équipe dirigeante actuelle, a confirmé l’incapacité du nouveau pouvoir à incarner la rupture qu’il prétendait incarner. Aminata Touré, autrefois ministre de la Justice et Premier ministre sous Macky Sall, demeure une alliée politique influente. Bien qu’en dehors du gouvernement, sa proximité avec le régime nourrit les soupçons d’une continuité tacite avec les pratiques passées.
Le scandale de l’Aser-gate, symbole éclatant de la mauvaise gestion et de l’opacité, a révélé des détournements massifs dans la gestion des fonds publics destinés à l’Agence sénégalaise d’électrification rurale. Ce scandale, qui éclabousse des figures proches du pouvoir, a mis en lumière un système gangrené par la corruption, où les ressources publiques sont utilisées à des fins personnelles au détriment des populations les plus vulnérables.
L’instabilité institutionnelle s’est également manifestée par la dissolution brutale de l’Assemblée nationale et l’organisation précipitée d’élections législatives. Ce passage en force a permis au parti au pouvoir de s’assurer une majorité parlementaire dans des conditions qui ont soulevé des interrogations sur la transparence et l’équité du processus.
Sur le plan économique, le tableau est tout aussi sombre. Le Premier ministre a accusé l’ancien régime d’avoir maquillé les chiffres économiques, sans apporter la moindre preuve tangible. Ces accusations, en plus de ternir l’image du pays, ont entraîné une double dégradation de la note souveraine du Sénégal, rendant les emprunts quasi impossibles et érodant la confiance des investisseurs et bailleurs de fonds. Les conséquences sont palpables : des tensions budgétaires croissantes, l’arrêt de nombreux chantiers publics et privés, et une crise profonde dans le secteur du BTP, générant un chômage massif et une désillusion collective.
Dans ce contexte, le projet initialement connu sous le nom de PASTEF s’est transformé en un ambitieux plan intitulé Vision Sénégal 2050. Présenté comme une feuille de route pour le développement à long terme, ce document n’est en réalité qu’un chapelet de promesses intenables. Les projections financières irréalistes, les engagements grandiloquents et l’absence de mécanismes concrets de mise en œuvre témoignent d’un exercice de communication davantage orienté vers l’illusion que vers des résultats tangibles. Ce plan, censé répondre aux aspirations des citoyens, se heurte déjà à des contraintes budgétaires, des défaillances structurelles et une confiance érodée des partenaires internationaux.
Les engagements du régime en matière de lutte contre l’émigration clandestine se sont révélés tout aussi vides. Malgré les discours, les vagues de départs vers l’Europe n’ont pas cessé, témoignant de l’absence de perspectives pour une jeunesse désabusée. Le gouvernement, incapable de contenir ce phénomène, reflète l’échec de ses politiques économiques et sociales.
Sur le plan agricole, les résultats sont tout aussi catastrophiques. La campagne de cette année a été marquée par l’utilisation de semences de mauvaise qualité, aggravant l’insécurité alimentaire et exposant des millions de Sénégalais à des conditions de vie précaires. La mauvaise gestion des inondations, avec l’absence de déclenchement du plan ORSEC, a laissé des populations entières dans le dénuement, révélant l’inaptitude totale du régime à gérer les crises climatiques.
Les scandales financiers, quant à eux, continuent de hanter ce gouvernement. L’affaire des 100 millions, partagés entre les partisans du pouvoir, a non seulement révélé des pratiques douteuses, mais posé des questions sur l’origine de ces fonds. Cette opacité financière a été exacerbée par la session budgétaire chaotique à l’Assemblée nationale, où des lois de finances rectificatives ont été votées pour régulariser des dépenses effectuées sans cadre légal, confirmant une gestion irresponsable des deniers publics.
Dans un contexte de répression politique, l’exclusion de Barthélémy Dias de l’Assemblée nationale a constitué un nouvel épisode inquiétant. Figure de l’opposition, sa radiation et les tentatives persistantes de le démettre de son poste de maire illustrent la volonté manifeste du régime d’affaiblir toute voix critique. Cette décision, perçue comme une instrumentalisation des institutions à des fins partisanes, renforce le sentiment d’une dérive autoritaire.
Neuf mois après leur arrivée au pouvoir, les annonces de changement se heurtent à une réalité stagnante. Aucun des grands engagements n’a été mis en œuvre, laissant le pays dans un immobilisme inquiétant. Le désespoir gagne les populations, tandis que le régime semble s’enfermer dans une logique d’auto-préservation, ignorant les souffrances croissantes de ses citoyens.
Si 2024 s’achève sur un constat accablant, l’année 2025 s’annonce comme une période de tous les dangers pour le Sénégal. Avec un tissu social déjà fragilisé par les tensions économiques, les scandales politiques et la désillusion généralisée, l’avenir du pays pourrait être marqué par une amplification des crises existantes. L’incapacité du gouvernement à honorer ses engagements, combinée à une perte de confiance des investisseurs et partenaires internationaux, laisse présager une année de tensions budgétaires croissantes, où la précarité économique pourrait s’intensifier. La spirale de l’endettement, exacerbée par la dégradation de la note souveraine, risque de réduire encore davantage les marges de manœuvre de l’État, compromettant des secteurs clés comme la santé, l’éducation et l’agriculture.
Sur le plan politique, les fractures observées en 2024 pourraient s’aggraver. La mainmise du parti au pouvoir sur les institutions, couplée à une opposition galvanisée par l’échec manifeste du gouvernement, annonce une année de confrontation politique exacerbée. Si le régime continue de privilégier l’autoritarisme et la répression au dialogue et à la transparence, des mouvements sociaux plus intenses pourraient émerger. Les jeunes, en particulier, lassés par l’absence de perspectives et les promesses vaines, pourraient être le fer de lance de revendications plus radicales, exacerbant les tensions sociales.
Enfin, 2025 pourrait marquer une année de rupture ou de stagnation prolongée. Le régime aura l’obligation de présenter des résultats tangibles pour inverser la perception d’immobilisme qui l’entoure. Cependant, sans réformes structurelles profondes et une volonté politique réelle de s’attaquer aux racines des problèmes, le risque est grand que les promesses de Vision Sénégal 2050 ne demeurent qu’un mirage, condamnant le pays à naviguer dans une mer d’incertitudes, entre désillusion et désespoir.
Face à ce tableau sombre, il est légitime de se demander si le Sénégal pourra trouver dans sa société civile, ses élites intellectuelles ou même sa diaspora les ressources nécessaires pour inciter à un sursaut national. 2025 ne sera pas seulement une année de défis : elle sera une année décisive où se jouera la capacité du pays à sortir d’un cycle de crise prolongée et à renouer avec les aspirations profondes de son peuple pour une gouvernance juste, équitable et réellement orientée vers le bien commun.
Pierre Hamet BA.