Quand bien même le CIO s’en défend, les Jeux Olympiques ne sont pas neutres. Les olympiades de 1968 tenues à Mexico demeurent sans nul doute la meilleure illustration, pas seulement des enjeux géopolitiques et du caractère très politique des jeux olympiques mais aussi et surtout de leur influence dans les changements sociopolitiques de notre époque.
Il y eut beaucoup de première fois à Mexico 68. D’abord parce que la sprinteuse mexicaine Enriqueta Basilio devient la première femme à allumer la vasque olympique, signe de l’aube d’une évolution de la condition de la femme dans le monde. Ensuite parce qu’allaient y participer l’Allemagne de l’Ouest et l’Allemagne de l’Est qui repart avec 25 médailles et termine cinquième, trois rangs devant sa grande rivale de l’ouest. Mais aussi c’est la première fois que tous les finalistes du 100m sont des Noirs. Et, contre toute attente, il y eut cette finale du 200m du 16 octobre alors que les JO de Mexico, diffusés en direct à la télévision et pour la première fois en couleurs, prennent une dimension mondiale en reflétant les agitations et les transformations de l’époque. Ce qui s’y produisit ce jour là est considéré comme l’une des manifestations politiques les plus importantes de l’histoire des Jeux olympiques modernes.
En effet, le noir américain Tommie Smith venait de battre le record du monde en 19,83 pour devancer l’Australien Peter Norman et son compatriote tout aussi noir, John Carlos. "Sur le podium, les deux Noirs américains ont déposé leurs chaussures à leur côté, en signe de pauvreté. Chaussettes noires aux pieds, ils baissent la tête et lèvent un poing ganté de noir quand retentit leur hymne national et que la bannière étoilée monte aux mâts, alors que Norman, en signe de solidarité, porte lui aussi le badge «Olympic Project for Human Rights» («Projet olympique pour les droits de l’homme»). Sifflés et hués par une partie du stade, ils deviendront des parias.
L’atmosphère est d’ailleurs chargée d’électricité lorsque Smith et Carlos se présentent dans une salle où sont entassés près de 400 journalistes. "Nous sommes noirs et nous sommes fiers d’être noirs. l’Amérique blanche ne nous reconnaît qu’en tant que champions olympiques, mais l’Amérique noire a compris pourquoi mon poing ganté de noir était levé vers le ciel. L’Amérique noire toute entière était derrière nous. Ils ont dit qu’un Américain avait gagné la course. Si j’avais fait quelque chose de mal, ils auraient dit qu’un nègre avait couru.", affirme Smith. «Le poing fermé symbolisait l’unité du peuple noir», détaille ensuite Carlos, avant de faire une déclaration «à la presse du monde entier» : «Quand nous sommes montés sur le podium, on nous a applaudis comme si nous étions des animaux ou des chevaux de course qui avaient bien fait leur travail. Mais nous ne sommes pas des animaux qui ne savent pas réfléchir après une course. Nous voulions vous prouver que nous n’étions pas des animaux noirs. Quand nous avons levé le poing, nous avons entendu des tas de Blancs nous huer. Ils nous traitaient jusqu’à présent de “braves garçons”. Mais nous ne sommes pas de braves garçons ou de braves animaux que l’on récompense par des cacahuètes. S’ils ne s’occupent pas de ce que les Noirs pensent en temps normal, qu’ils ne viennent pas voir les Noirs courir en public.»
Plus tard dans la soirée, les responsables de l’équipe américaine s’emportent et leur réplique à l’attitude des athlètes, qui seront exclus à vie des Jeux, est glaciale. «Il faut simplement passer la main, oublier», assure Carl Roby, président du Comité olympique américain. «Ils se sont conduits en gamins et se sont plus ridiculisés eux-mêmes qu’ils ne nous ont ridiculisés. Ils veulent lever le poing, qu’ils le lèvent donc. Ils veulent se déchausser, qu’ils marchent pieds nus. Ces agissements enfantins ne nous touchent en aucun cas. […] Nous n’en discuterons même pas lors de notre prochaine réunion. Nous ne nous en souvenons déjà plus.» L’histoire, elle, s’en souviendra. «Il se passait tant de choses dans le monde qu’on devait tous y porter attention», se rappelle la sprinteuse américaine Wyomia Tyus, médaillée d’or sur 100 mètres et 4 X 100 m, qui dédiera cette dernière victoire à Smith et Carlos".
Apres cet événement hautement politique de Mexico 1968 qui reflétait les bouleversements sociaux qu’experimentait déjà le monde (mai 68), il y eut lors des jeux de 1972, la tuerie de Munich qui révèlait l’engrenage du conflit israélo-palestinien. Un commando de l’organisation terroriste palestinienne « Septembre noir » s’introduit dans le village olympique avant de prendre en otage des membres de la délégation israélienne. Cette prise d’otage, suivie en direct à la TV, a conduit à la mort de 17 personnes.
A Montréal en 1976, les cinq médailles dont trois d’or et le score parfait (10) de Nadia Comaneci, gymnaste roumaine, contribuent fortement à dédiaboliser le régime communiste roumain. Le journaliste Jean-Jacques Bozonnet déclare ainsi : « De Mussolini à Ceausescu en passant par tous les pays du bloc soviétique, tous les dirigeants ont cherché à jouer sur la fibre nationale sportive.». (A Suivre…)
Pierre Hamet BA.