Catégories
Mon Journal

CES FOUS QUI NOUS GOUVERNENT FONT LA LOI

RÉGRESSION. En lieu et place de nous protéger, la loi nous effraie donc. Curieux paradoxe ! Mais encore plus curieux cette propension à parquer l’humanité comme l’on parquerait le bétail à la tombée de la nuit. Le politique se la joue encore pasteur (agelaiokomikè) d’un cheptel animal, nourrisseur (trophè) et soigneur (therapeuein), les mêmes notions platoniciennes dans le Gorgias et le Politique, aujourd’hui fortement remises en cause – depuis la réflexion épistémologique entreprise par Averroès sur l’analogie tout aussi aristotélicienne et socratique entre médecine et politique – opposant un art des cas (la médecine) et un art des codes (la politique) dans un corps à corps dont l’aboutissement dialectique maladroit avait fini de définir la politique comme la science gnostique auto-épitactique du pastorat des troupeaux humains (L. Gerbier 2003). La régression du politique au sens psychiatrique du terme est frappante et inquiétante. Machiavélique, il se réclame ; le prince, son Nord. Mais n’a-t-il pas lu le florentin de travers avec un esprit si naïf qu’incapable de faire la part des différences essentielles entre machiavélique et machiavélien ?

Sous le dehors de ses atours aux prétentions équitables, la loi, sous l’elfe politique, est violente. Elle prétend à l’universalité c’est-à-dire à sa capacité à s’appliquer de la même manière sur tous et partout où besoin est. Or, nous venons de le voir, telle prétention semble aberrante. L’idée d’une construction juridique absolue, immuable, rigide et valable pour tous, en tout temps et en toute circonstance, a toutes les chances d’être une religion. Parce qu’elle déifie la loi en même temps qu’elle fossilise la nature humaine et suggère que le citoyen ne peut, dans le déroulement du duo-pôle espace-temps, évoluer et transformer son environnement. Or, il est difficile de croire que le citoyen a un contenu statique.

Si alors la loi doit être considérée comme une vérité universelle, et donc immuable quelque soit le citoyen en prise, alors que l’idée de ce qui est conforme à la loi peut changer d’âge en âge, alors il faut s’attendre, un âge ou un autre, à ce que la loi ait tort. Il n’y a pour ainsi dire pas de raison que la loi instituée par le citoyen, ne puisse satisfaire aux exigences du citoyen. Ce serait figer le citoyen dans le temps. Or, puisqu’aucune époque passée n’a eu tout à fait l’idée de la loi qui prévaut aujourd’hui, il devrait s’ensuivre ou bien que nous ayons tort dans tous nos jugements, ou bien que toutes les époques passées se soient trompées. Evidemment, cette dernière hypothèse va dans le sens d’une croyance qui implique que toutes les époques passées s’efforçaient de devenir ce que nous sommes. Pourtant, il est vraiment difficile de prétendre que les gens du passé se trompaient quand ils vivaient leur vie comme nous vivons maintenant la nôtre (McEvilley 1998).

Si d’un autre côté, nous admettons que la loi est relative et qu’elle change avec le temps, alors, nous pouvons considérer que chaque époque a raison en son temps et à sa manière. Si donc la loi doit avoir une validité donnée ou universelle, elle ne le peut qu’en impliquant une conception totalitaire et artificialiste d’elle-même. La loi ne peut s’arrêter ainsi à une norme posée par la volonté humaine. Car, si l’on admet que la loi ne peut exister que s’il existe déjà une loi, alors la loi, si tant est que son objectif est d’être positive, ne saurait avoir de valeur juridique qu’à condition d’avoir été produite en vertu d’une norme qui lui est supérieure. Or, il n’existe pas au sein de l’histoire de norme supra ou méta légale qui ait été posée. Il doit donc exister une norme située au-dessus de la loi qui n’a pas de réalité empirique, c’est-à-dire linguistique, tout en étant juridique.

Selon la thèse kelsenienne de la norme fondamentale, une telle norme existe bel et bien. Mais elle ne peut être que supposée. Or, à moins que ce ne soit dans le cadre théorique dualiste pure relatif à la césure ontologique entre l’être et le devoir être que Kelsen à dessiner dont, par ailleurs, découlent des implications logiques et épistémologiques, on ne peut fonder la loi sur la base d’une simple hypothèse. Au dualisme kelsenien toutefois fondé en théorie pure, nous pouvons dès lors opposer la « thèse sociale » d’autant plus que d’un être, il est pratiquement impossible de déduire logiquement un devoir être. C’est la conclusion du philosophe écossais David Hume selon qui, la connaissance de la nature ne nous permet pas d’aboutir, par simple déduction, à des lois « scientifiques » de la conduite humaine.

Sous ce prisme, la loi perd donc tous ses fondements logiques « pour devenir le simple effet d’un ensemble de pratiques sociales en vertu desquelles certaines décisions sont acceptées, au sein d’un groupe, comme l’application légitime de normes juridiques, lorsqu’elles sont produites dans certaines conditions. La normativité provient alors de ce que, dans certaines circonstances et sous certaines justifications, certaines institutions disposent, de fait, d’une certaine autorité leur permettant de justifier certaines décisions en les mettant en relation avec des énoncés » (M. Lamballais, 2018). Ainsi, « le système juridique n’est alors pas autre chose qu’un système de justification » (M. Troper, 1994). Comment alors appréhender l’idée d’une loi suprême qui s’imposerait en tous temps et en tous lieux à tous les hommes nonobstant leurs différences multiples comme singulières, supérieure à toutes les autres formes de loi, sans que ce ne soit d’une divine émanation ? Prétendre à l’universalité de loi n’a pour ainsi dire aucun autre effet sinon que de permettre au politique de s’en saisir non pas comme un fait social inscrit dans l’histoire, mais comme la justification si ce n’est la légitimation à priori par le sceau divin de toutes ses exactions.

Pierre Hamet BA.

Extrait II des entretiens avec moi-même

1. De l’anthropologie de la loi.

Une réponse sur « CES FOUS QUI NOUS GOUVERNENT FONT LA LOI »

Fantastique gymnastique avec les mots pour nous permettre de constater, voire, realiser comment nous pouvons, avec notre tacite consentement, nous retrouver ligotés et à la merci de structures qui ne sauraient exister sans notre onction. Nous assistons à une prolifération quasi naturelle et éhontée d’entraves institutionnelles et prétendumment légales qui en réalité n’ont pour but ultime que de faire de nous des objets obéissants.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *