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A L’ANGLE DU BOULEVARD ET DE L’AVENUE

Je vois une dictature inavouée s’ingénier dans les interstices du pouvoir. Je vois avec indignation que la censure dramatique va être rétablie et la liberté de la presse abolie (…). Les représentants du peuple ne sont autres qu’un tas immonde de vendus. Leur vue c’est l’intérêt, leur penchant la bassesse, leur honneur est un orgueil stupide, leur âme un tas de boue ; mais un jour, jour qui arrivera avant peu, le peuple recommencera la troisième révolution ; gare aux têtes, gare aux ruisseaux de sang (…). Oui, notre siècle est fécond en sanglantes péripéties (Flaubert). Je vois des milliers de gens s’amasser devant des grilles majestueuses à l’angle du boulevard et de l’avenue. Je vois les jeunes et les vieux chômeurs qui, depuis huit ans maintenant, se sont inscrits dans les livres de la fonction publique sans jamais avoir été appelés, ne serait-ce que pour un entretien. Je vois les retraités presque moribonds dont la pension ressemble plus à une aumône qu’à une digne indemnité pour service honorablement rendu à la nation. Je vois les anciens combattants abandonnés à leur sort et les blessés de guerre laissés pour compte alors qu’ils ont défendu le drapeau avec véhémence. Je vois les instituteurs et les enseignants dont les revendications n’ont pas été satisfaites alors qu’elles sont maintenant presque séculaires, certaines datant des états généraux de l’éducation et de la formation de 1981 sans que les multiples colloques de Kolda (1993), de Saint Louis (1995), les séminaires de Bambey et de Gorée et les récentes assises de l’éducation et de la formation (2014) ne puissent y apporter des solutions définitives. Je vois les élèves et étudiants dont l’avenir s’assombrit de plus en plus faute d’un cadre éducatif cohérent et en harmonie avec leurs aspirations. Je vois les rapatriés de « l’eldorado » européen qui ont bravé les océans sans même savoir nager. Je vois les femmes de ménage qui ne bénéficient d’aucune protection sociale. Je vois les commerçantes et les commerçants dont les marchés hebdomadaires sont fermés sans qu’aucune autre alternative ne leur soit proposée. Je vois les transporteurs dont les revenus ont été drastiquement réduits par des mesures inopérantes. Je vois les artistes qui ne parviennent plus à vivre de leur art faute de scènes de prestation. Je vois les restaurateurs, les hôteliers, leurs fournisseurs et leurs employés qui ne savent plus à quel saint se vouer. Je vois les agents de l’administration frustrés par le favoritisme ambiant et les multiples injustices qui minent l’évolution de leur plan de carrière. Je vois les politiciens désavoués pour crime de lèse-majesté. Je vois les magistrats et auxiliaires de justice outrés par la lourde pression constante qui ne leur permet plus de rendre une justice à la hauteur de l’équité sociale. Je vois les pêcheurs qui n’arrivent plus à trouver du poisson à cause des navires étrangers qui raclent les fonds marins. Je vois les agriculteurs jetés en pâture à la mondialisation sans qu’ils ne puissent écouler leur production, ni ici ni ailleurs. Je vois les militaires, policiers, gendarmes, douaniers et sapeurs dont les conditions de travail frôlent l’asservissement. Je vois les industriels qui croulent sous le poids des importations. Je vois les médecins, infirmiers et acteurs de la santé croupir sous le manque drastique de moyens. Je les vois tous présents à l’appel de la survie, dégoûtés autant qu’ils sont d’avoir été subornés. Je les vois scander ton nom à l’unisson tout comme le firent tes partisans ce fameux grand soir charriant ce qui s’apparentait à un cadavre. Je vois tes proches rallier ce suppositoire topographique sur une pirogue de fortune. Je vois tes partisans raser les murs, des responsables, élus et collaborateurs déserter les rangs pour se joindre à la masse. Je la vois, elle me semble de plus en plus en plus inévitable, elle se dessine, s’approche et maintenant presse le pas pour rendre leur vie à la population. Cessez donc de les prendre pour des lâches incapables de bouleversement et vous l’arrêterez peut-être, sinon gare à vous car ce que je vois, à l’angle du boulevard et de l’avenue, c’est une chute vertigineuse, violente et subite.

Pierre Hamet BA

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