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HAUTS MAGISTRATS, JE VOUS CONFIE CE QUI RESTE DU PEUPLE SÉNÉGALAIS

Monsieur l’Avocat Général,

Votre lecture du statut du maire, exposée dans vos observations à la Cour suprême du Sénégal lors de l’examen du référé-suspension introduit par Monsieur Barthélémy Dias, appelle une réponse ferme, rigoureuse, et publique. Car ce n’est pas une simple question de texte ou d’interprétation qui est en cause, mais une conception entière de l’État de droit, de la souveraineté populaire, et de la hiérarchie des normes dans une République. Que vous ayez estimé, en reprenant en partie les arguments du préfet de Dakar, que le maire tiendrait son mandat du fait qu’il est d’abord conseiller municipal, relève d’une inférence qui trahit l’architecture même du droit sénégalais. Ce n’est pas là une erreur technique ou une approximation rhétorique : c’est un déplacement conceptuel, lourd de conséquences politiques, juridiques et symboliques, puisqu’il autorise — par une simple concaténation logique — que l’on supprime un mandat exécutif issu du suffrage universel direct sur le fondement d’une disposition électorale relative à un autre mandat, de nature différente, régi par un autre régime juridique.

Il convient de s’extraire de l’évidence trop vite admise selon laquelle le maire ne serait que le prolongement du conseiller municipal, qu’une sorte de super-conseiller élu parmi ses pairs. Cette vision est peut-être héritée d’un système antérieur, où le conseil municipal élisait le maire en son sein, dans une logique de représentation indirecte. Mais elle est caduque depuis l’entrée en vigueur du suffrage universel direct pour l’élection du maire au Sénégal. Depuis lors, le maire ne tire plus sa légitimité du conseil, mais directement du peuple. Il est élu par le corps électoral, au suffrage direct, nominal, personnalisé. Il incarne la fonction exécutive de la commune, tandis que les conseillers exercent, collectivement, une fonction délibérative. Il ne s’agit pas là d’une différence de degré, mais d’une différence de nature. Et là où le droit distingue, il n’appartient à aucun interprète, fût-il l’État lui-même, d’unifier ce qui a été séparé, sous peine de reconfigurer arbitrairement l’économie normative de la loi.

Le Code général des collectivités territoriales est sans équivoque. Il consacre des chapitres distincts à la fonction de maire et à celle de conseiller municipal. Le maire dispose de pouvoirs propres (articles 132 à 154), engage sa responsabilité personnelle (notamment aux articles 140 et 153), prend des arrêtés, signe des contrats au nom de la commune, est l’exécutant des décisions du conseil, mais aussi l’autorité administrative de droit commun. Il est le seul habilité à représenter légalement la commune en justice. Il détient également une fonction de police municipale et des pouvoirs de coordination administrative. Sa révocation ou sa suspension relève d’une procédure exceptionnelle, encadrée, et parfois même du décret présidentiel.

En revanche, les conseillers municipaux sont régis par un autre régime : ils participent aux délibérations, votent les budgets, contrôlent l’action de l’exécutif. Leur nombre, leur mode d’élection, leur présence obligatoire aux séances sont encadrés par d’autres dispositions. Leur inéligibilité, incompatibilité ou suspension peuvent être prononcées dans des circonstances précises, souvent par l’autorité de tutelle, sur des critères strictement définis. Le Code ne prévoit à aucun endroit que la perte du statut de conseiller entraîne, par un automatisme, la perte du statut de maire. Mieux encore : des situations parfaitement prévues permettent de conserver l’un tout en perdant l’autre. Il existe des cas de suspension temporaire de l’exercice du mandat de maire sans radiation du conseil. De même, un maire peut démissionner de ses fonctions exécutives tout en conservant son siège au sein du conseil. Cela démontre, par l’absurde, que la réciproque est tout aussi juridiquement admissible : la perte du mandat de conseiller ne saurait mécaniquement emporter la déchéance du mandat exécutif, sauf disposition expresse, qui n’existe pas en l’espèce.

C’est dans ce contexte qu’intervient l’article L.277 du code électoral. Il énonce « qu’un conseiller municipal, qui pour une cause quelconque se trouve dans un cas d’inéligibilité ou d’incompatibilité prévu par la loi, peut être, à toute époque, déclaré démissionnaire par le représentant de l’État. » La formule « à toute époque » a été artificiellement étendue pour faire croire qu’elle autorisait l’annulation d’un mandat en plein exercice. Mais le chapitre auquel appartient cet article s’intitule « conditions d’éligibilité, d’inéligibilité et d’incompatibilité ». Il ne traite donc pas des conséquences d’une situation nouvelle ou survenue postérieurement à l’exercice régulier du mandat. Il traite du moment où l’on postule à un mandat : autrement dit, de la période électorale. L’expression « à toute époque » renvoie donc à tout moment du processus électoral, y compris immédiatement après l’élection, si une irrégularité est détectée. Elle ne peut en aucun cas servir de fondement à la révocation d’un maire élu depuis plus de deux ans, sans autre fondement qu’un raisonnement tautologique. C’est une lecture maximaliste, faite pour instrumentaliser le droit contre le suffrage, et non pour en garantir l’intégrité.

Mais le plus grave reste la manière dont cette interprétation a permis d’organiser une nouvelle élection au sein du conseil municipal, pour désigner un nouveau maire — sans retour aux urnes, sans consultation du corps électoral, sans même respecter la disposition de l’article 137 du Code des collectivités territoriales. Cet article est formel : en cas de vacance du poste de maire, le remplacement ne peut se faire qu’à la session ordinaire suivante. Or, deux sessions ordinaires ont eu lieu depuis la déclaration du préfet. Elles ont été sciemment ignorées. Au lieu de respecter ce calendrier démocratique, une session extraordinaire a été convoquée, sur demande du préfet, pour organiser dans l’urgence une élection indirecte au sein du conseil. Et c’est ainsi que l’on a substitué à un maire élu par le peuple, un maire désigné par ses pairs — sans se soucier du fait que ces pairs eux-mêmes n’ont pas reçu mandat pour désigner un autre maire.

Cette manœuvre n’est pas une simple irrégularité de procédure. Elle constitue une falsification du suffrage. Car le suffrage universel direct n’est pas une formalité : il est le cœur battant de la démocratie locale. Il implique que le peuple choisit, en toute connaissance de cause, la personne qu’il souhaite placer à la tête de la commune. Ce choix ne peut être remplacé par une majorité interne au conseil, sauf à revenir à un système antérieur, abrogé, et désormais caduc. Organiser cette élection, sans le peuple, pour désigner un maire que le peuple n’a pas choisi, et qu’il n’aurait peut-être jamais choisi, c’est détourner le vote. C’est retirer au citoyen ce qui fait de lui un sujet politique : le pouvoir de désigner, mais aussi celui de démettre, selon les règles fixées par la Constitution et les lois.

Ce que la présente affaire révèle, ce n’est donc pas seulement une mauvaise lecture du droit. C’est un déplacement structurel de la souveraineté. Ce n’est pas le maire que l’on a suspendu : c’est la démocratie. En autorisant qu’un préfet puisse, par une lecture unilatérale d’un article électoral, effacer un mandat exécutif, contourner la temporalité des sessions du conseil, organiser une élection hors des formes, et voir son interprétation soutenue dans une enceinte juridictionnelle, c’est la hiérarchie des normes qu’on renverse, c’est la volonté populaire qu’on court-circuite, c’est le contrat républicain qu’on dénature. Et l’on comprend alors pourquoi la philosophie du droit ne peut se taire. Car penser le droit, c’est penser le pouvoir. C’est veiller à ce que l’interprétation ne devienne pas un camouflage de l’arbitraire. C’est rappeler que l’État de droit n’est pas seulement un enchaînement de textes, mais une éthique de la limite, une architecture de la retenue, un système de protection contre la verticalité du pouvoir.

Aussi, Monsieur l’Avocat Général, je vous invite à considérer que dans cette affaire, ce qui est en jeu n’est pas le destin d’un homme, ni même d’un mandat, mais la capacité du droit à se protéger contre son propre usage stratégique. À continuer dans cette voie, il n’y aura plus de différence entre le droit et le pouvoir, entre la norme et l’ordre, entre la loi et la force. Il y aura seulement des électeurs à qui l’on demandera de voter, et des administrations qui décideront qui doit gouverner, à leur place. Mais dans une République, le peuple ne se délègue pas. Il ne se corrige pas. Il ne se contourne pas. Il s’exprime. Et lorsqu’il s’est exprimé par le suffrage universel, toute tentative d’invalider ce choix sans jugement, sans fondement, sans retour aux urnes, est un coup porté à l’essence même de la démocratie. Ce jour-là, ce n’est pas Barthélémy Dias qu’on aura renversé. C’est l’électeur lui-même, et avec lui, l’idée même que le droit protège ceux qui élisent, et non ceux qui éliminent. Ce qui rend la situation encore plus grave, c’est que ce glissement — à peine voilé — du suffrage universel direct au suffrage universel indirect n’est pas seulement une entorse aux formes, un accident procédural ou une mauvaise interprétation d’un texte. Il s’agit d’une véritable mutation illégale du régime électoral, opérée dans l’ombre, sans réforme de la loi, sans décret, sans débat parlementaire, sans consultation du peuple, et pourtant avec des effets concrets, irréversibles, potentiellement durables : un maire a été remplacé par un autre, non élu par les citoyens, mais désigné par ses pairs. Ce simple fait — en apparence technique — est en réalité un séisme constitutionnel silencieux. Car le suffrage universel direct n’est pas une simple modalité parmi d’autres. Il n’est pas un style de vote. Il n’est pas une option interchangeable dans le grand catalogue des procédures démocratiques. Il est la forme politique du peuple souverain. Il est le mode par lequel la volonté populaire s’exprime dans sa plus haute intensité : sans intermédiaire, sans filtre, sans délégation. Il est l’un des rares moments où le citoyen — dans l’égalité absolue de l’isoloir — devient le sujet de l’histoire. Le passage au suffrage indirect, quant à lui, signifie exactement l’inverse : il place la désignation du gouvernant entre les mains d’un collège restreint, exposé aux jeux d’alliances, aux rapports de force internes, aux logiques de clans, aux injonctions administratives voire à la corruption. Substituer donc le suffrage indirect au suffrage direct, sans passer par une réforme des textes électoraux, revient à abolir le droit en tant que forme, à le neutraliser de l’intérieur, à le vider de sa fonction instituante. C’est créer un pouvoir sans élection, un exécutif sans autorisation du peuple, une autorité sans légitimité d’origine. Or en droit constitutionnel, et en philosophie politique, il n’existe pas de pouvoir légitime qui ne procède d’une source valide. Ce principe, fondé à la fois sur la pensée de Rousseau, sur la théorie habermassienne de la légitimité procédurale, et sur les règles élémentaires de l’État de droit, est universel : un pouvoir issu d’une procédure viciée ne peut produire que des actes viciés.

C’est pourquoi l’élection du nouveau maire, intervenue ce 25 août 2025 au sein du conseil municipal, est illégale dans son principe. Non seulement elle n’a respecté ni la temporalité prévue par l’article 137 du Code général des collectivités territoriales, ni les conditions d’ouverture de la vacance du poste, ni les garanties du suffrage, mais elle a été organisée par des autorités qui n’en avaient pas la compétence — sous pression d’un préfet qui, rappelons-le, n’est ni juge du droit, ni interprète du mandat populaire. Elle viole donc à la fois la légalité formelle, la légitimité démocratique, et la finalité du droit électoral, qui n’est pas d’assurer un ordre administratif, mais de faire vivre la souveraineté populaire dans les institutions locales. Cette illégalité n’est pas abstraite. Elle produit des conséquences immédiates et graves. Car un maire installé par une procédure illégale ne détient aucune qualité juridique pour représenter la commune. Il ne peut ni signer des marchés publics, ni engager les finances locales, ni représenter la collectivité en justice, ni présider les conseils municipaux avec autorité. Chaque acte qu’il posera pourra être frappé de nullité. Et, plus encore, il pourra être poursuivi — lui, ainsi que toute personne ayant coopéré à cette entreprise — pour usurpation de fonction publique, en vertu de l’article 151 du Code pénal sénégalais, qui réprime expressément l’exercice sans titre d’un mandat public. Mais la question dépasse encore la technicité de la légalité. Elle touche à ce que Claude Lefort appelait la mise en forme du pouvoir dans la démocratie : dans un État de droit, le pouvoir n’existe qu’à la condition d’être visible, contestable, institué selon des règles partagées. En installant un maire sans élection, on referme l’espace du pouvoir sur lui-même. On transforme une fonction ouverte sur le peuple en une fonction close sur un appareil. Ce faisant, ce n’est pas seulement le vote qui est évacué : c’est la possibilité même de la démocratie locale, sa respiration, sa temporalité, sa dynamique conflictuelle, sa légitimité immanente. Aussi, la conclusion n’est pas juridique seulement : elle est ontologique. Un maire non élu n’est pas un maire, même s’il siège, même s’il signe, même s’il parle au nom de la commune. Il peut occuper le lieu, il peut porter l’écharpe, il peut bénéficier de la logistique administrative. Mais il n’aura pas ce qui fait d’un mandat un pouvoir légitime : l’autorisation du peuple. Et tout ce qu’il fera — précisément parce qu’il le fera sans mandat — ne sera que l’ombre d’un pouvoir, un simulacre, un interstice d’autorité. Il faudra bien qu’un jour, la justice restitue aux Dakarois ce qu’on leur a enlevé : le droit de choisir par qui ils veulent être gouvernés. Car, il est un point où le droit cesse d’être une simple grammaire de la gestion pour redevenir ce qu’il n’aurait jamais dû cesser d’être : une mise en forme de la légitimité, un cadre symbolique de l’autorité, un langage par lequel le pouvoir se fonde, ou s’effondre. Parce que lorsque le pouvoir se donne sans fondement légal, lorsque la fonction s’empare de l’apparence de la loi sans en avoir le titre, lorsque l’exercice précède la validité, c’est la structure même du droit qui se fissure — non comme outil, mais comme principe.

La jurisprudence sénégalaise, dans sa cohérence constitutionnelle comme dans ses inflexions administratives, a toujours reconnu que la régularité du processus d’investiture constitue la condition constitutive de la validité du mandat exercé. Le Conseil constitutionnel, dans sa décision n°3/C/94, a énoncé que « le respect des formes électorales prévues par la loi est constitutif de la représentation démocratique » : il ne s’agit pas d’une simple exigence procédurale, mais d’un acte fondateur de souveraineté. Dès lors, toute autorité issue d’une procédure irrégulière — ou, comme ici, d’un glissement de forme électorale non prescrit par la loi — ne peut prétendre exercer valablement une fonction publique, car elle ne procède d’aucun moment légitime du vouloir collectif. Cette rigueur s’étend au contentieux administratif. La jurisprudence sénégalaise, dans sa tradition inspirée du droit public continental, fonde l’annulation des actes sur la théorie de l’incompétence négative, l’un des vices les plus graves. Or, qu’est-ce qu’une autorité dont l’élection n’est pas prévue par les textes, et dont la légitimité ne procède ni du suffrage universel direct, ni d’un fondement délibératif conforme ? C’est une autorité sans qualité juridique pour agir. Elle est, au regard du droit, dans une position d’extériorité radicale à la norme. Et dès lors, tout acte qu’elle prend est frappé d’une nullité absolue, qui ne peut être purgée ni par le temps, ni par l’usage, ni par la fonction. Cette conception est consolidée par la jurisprudence du Conseil d’État français, dont les principes demeurent, par analogie, doctrinalement recevables dans l’espace sénégalais. Dans l’arrêt Commune de Saint-Quentin, le juge a établi que l’exercice d’un mandat public issu d’une élection irrégulière rendait tous les actes pris en cette qualité nuls de plein droit. Il n’existe donc aucune « théorie de l’apparence » qui permettrait de sauver, pour les besoins de l’ordre, ce qui a été constitué contre la loi.

Mais cette question excède même les jurisprudences locales et comparées. Elle engage la communauté démocratique des nations. Selon le Code de bonne conduite en matière électorale de la Commission de Venise, qui fait référence dans les jurisprudences constitutionnelles internationales, « toute modification du mode d’élection d’une autorité doit être prévue par une loi formelle, adoptée dans le respect des délais électoraux ». Il est donc interdit, en droit international public, de modifier de facto la nature d’un mandat en cours de cycle, encore moins par voie d’interprétation administrative. Le droit du peuple à désigner ses représentants ne souffre pas d’approximation. Il n’est pas négociable. Il est, dans l’ordre symbolique, le point de passage entre la force et la légitimité. Ainsi, l’élection d’un maire au sein du conseil municipal, organisée en dehors du cadre légal, en rupture avec le mode de suffrage prévu par les textes, constitue un acte nul ab initio. Il n’est pas simplement irrégulier : il est inexistant du point de vue de la légitimité démocratique. L’homme qui siège à la place du maire n’est pas maire : il est occupant sans titre d’un lieu symbolique, et sa signature engage moins la commune qu’elle n’engage le désordre du droit. C’est pourquoi, dans une jurisprudence cohérente avec ses principes, la justice ne peut que constater cette nullité. Elle ne peut sauver un pouvoir issu d’un non-lieu juridique. Elle ne peut protéger un mandat qui n’a pas été voulu, ni validé, ni reconnu. Elle ne peut se faire gardienne d’un ordre qui naît de la désobéissance à la loi. Et si elle le faisait, alors ce n’est pas seulement l’électeur qu’elle trahirait. Ce serait le droit lui-même, en tant qu’instance de légitimation et de limitation du pouvoir. Car en dernière instance, ce que garantit la jurisprudence, ce n’est pas la continuité administrative, c’est la fidélité à la norme qui rend cette continuité légitime. Et sans cela, il ne reste rien — qu’un pouvoir qui s’exerce sans autorisation, et une démocratie qui s’efface dans les interstices de ses propres trahisons.

C’est pourquoi je m’adresse, avec gravité mais sans polémique, à vous, magistrats de la Cour suprême du Sénégal, gardiens suprêmes de la légalité républicaine. Je m’adresse à vous, avocats généraux, dépositaires de la parole de l’État devant la justice, et je tends aussi la parole à tous les juges, tous les procureurs, tous les avocats, tous les auxiliaires, tous les artisans du droit qui œuvrent dans l’ombre des palais de justice, dans le silence des textes, dans la rigueur du verbe et la solitude de l’arbitrage.

Ce qui se joue ici n’est pas une querelle locale, un désaccord de procédure ou un différend entre deux hommes. Ce qui se joue, c’est la ligne de partage entre l’ordre et l’arbitraire, entre la souveraineté populaire et la captation administrative, entre le droit comme limite du pouvoir et le droit comme camouflage du pouvoir.

Ce qui se joue, c’est le droit de Dakar à être gouvernée par ceux que ses habitants ont choisis.

Ce qui se joue, c’est la capacité du droit sénégalais à rester fidèle à lui-même.

La fonction judiciaire n’est pas seulement de dire le droit ; elle est de le maintenir vivant là où il menace de se dissoudre, de le restituer là où il a été détourné, de le relever là où il a été suspendu. Ce que vous décidez dans cette affaire constituera un précédent : il dira, pour l’histoire, si la volonté du peuple peut être neutralisée sans débat, si un mandat peut être effacé sans retour aux urnes, si l’apparence d’un maire suffit à en faire un maire.

Je vous demande, non au nom d’un camp, mais au nom de la République, de mesurer l’enjeu : reconnaître la nullité d’un pouvoir né sans loi, ce n’est pas créer un vide, c’est empêcher le vide de devenir norme. C’est refuser qu’une République accepte qu’on parle au nom de son peuple sans qu’il ait parlé. Car si la démocratie est une fiction, qu’au moins, elle reste fidèle à son récit. Mais si elle est une vérité, alors elle mérite que vous la protégiez — même contre ses propres institutions.

Et cette protection, aujourd’hui, ne dépend que d’un mot: le vôtre.

Pierre Hamet BA

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TOUT EST DE MA FAUTE

Il est plus facile d’accuser le vent que de se demander pourquoi notre pirogue a chaviré. Dans la société sénégalaise, comme dans nombre de sociétés marquées par un imaginaire où l’individu est toujours inséré dans un réseau de forces invisibles, l’idée que l’on puisse être soi-même la cause de son propre malheur semble inconcevable. L’échec, au lieu d’être interrogé comme le produit d’une série de décisions, d’actions ou d’inactions personnelles, est presque systématiquement projeté à l’extérieur de soi. Il est attribué à autrui, à des forces occultes, à un entourage malveillant, à un sort maléfique, à des jaloux, à la fatalité ou au destin. Loin de constituer une simple attitude psychologique, cette fuite de la responsabilité est devenue une structure culturelle implicite, qui traverse la vie quotidienne, les rapports familiaux, l’espace conjugal, la sphère scolaire, et jusqu’aux relations professionnelles et politiques.

Lorsqu’un élève échoue au baccalauréat ou à un concours, la première réaction n’est que rarement une introspection. Il n’est pas courant d’entendre un jeune dire : « Je n’ai pas assez travaillé. Je n’ai pas su m’organiser. Je dois revoir ma méthode. » L’explication spontanée est souvent extérieure : « On m’a fait un maraboutage. », « Le correcteur était injuste. », « Un membre de ma famille ne veut pas que je réussisse. » Cette déresponsabilisation est renforcée par l’environnement familial et social, qui confirme et valide ces explications en les rationalisant dans un langage de la victimisation invisible. Au lieu d’éduquer à la responsabilité, la famille parfois cultive le soupçon contre l’autre, alimentant un climat de paranoïa sociale.

Dans les couples, la même dynamique est à l’œuvre. Quand une relation se détériore, chacun campe sur sa version, persuadé que l’autre est l’unique fautif. L’homme accuse les amies de sa femme, la femme soupçonne la belle-famille, les deux pointent des figures secondaires censées avoir manipulé, divisé, ou influencé. Ce qui fait souvent défaut, c’est le moment de lucidité où chacun se regarde dans le miroir de ses actes : « Ai-je manqué de tendresse ? Ai-je fui le dialogue ? Ai-je été juste ? » Ces questions, qui sont le seuil de toute éthique relationnelle, sont éclipsées au profit d’un schéma binaire dans lequel l’ennemi vient toujours d’ailleurs.

Dans le monde professionnel, nombreux sont ceux qui, après un licenciement ou une mise à l’écart, attribuent la cause de leur sort à une trahison, à un complot, à la jalousie d’un collègue. Mais peu acceptent de se demander si leur propre comportement, leur manque de rigueur, leur attitude au travail ou leurs absences répétées ont pu peser dans la décision de l’employeur. Ce refus de la responsabilité personnelle est d’autant plus préoccupant qu’il alimente une culture de la plainte et du ressentiment, plutôt qu’une culture de l’amélioration continue.

Même dans le champ politique, le citoyen sénégalais accuse volontiers ses dirigeants de tous les maux – ce qui peut être justifié sur certains points – mais oublie souvent de questionner son propre rapport à la loi, au civisme, à la solidarité. Il est facile de décrier la corruption des élites, tout en glissant un billet à un policier pour éviter une amende. La dénonciation devient alors une forme commode de dédouanement moral. L’on crie à l’injustice sans jamais se demander quelle part de cette injustice on tolère, on reproduit ou on cautionne à travers ses propres actes.

Cette fuite devant la responsabilité n’est pas propre au Sénégal, mais elle y prend des formes particulièrement structurantes. Elle est nourrie par un imaginaire mystique où tout événement trouve sa cause dans l’invisible : la sorcellerie, les djinns, les ancêtres offensés, le mauvais œil. Si ces références font partie intégrante de la culture et ne doivent pas être moquées, elles deviennent problématiques dès lors qu’elles annihilent la capacité d’analyse rationnelle, bloquent l’autocritique, et paralysent l’action corrective.

Être responsable, c’est pourtant accepter d’être la cause, en tout ou en partie, de ce qui nous arrive. Ce n’est pas se flageller, ni se culpabiliser excessivement, mais reconnaître que nous avons un pouvoir d’agir sur notre vie. C’est, comme l’écrit Jean-Paul Sartre, reconnaître que « l’homme est condamné à être libre », c’est-à-dire qu’il ne peut échapper à la responsabilité de ses choix, même lorsqu’il prétend n’en avoir aucun. Le refus de cette responsabilité est un refus de liberté.

Il est urgent de revaloriser la responsabilité individuelle comme fondement de toute existence éthique. Cette revalorisation commence dans l’éducation : enseigner aux enfants à reconnaître leurs erreurs, à en tirer les leçons, à ne pas chercher immédiatement un coupable ailleurs. Elle continue dans les familles, où l’on doit cesser d’encourager les récits paranoïaques pour favoriser la vérité intérieure. Elle se prolonge dans les institutions, qui doivent promouvoir l’exemplarité plutôt que la victimisation, et dans les discours publics, qui doivent cesser de flatter les réflexes de déni au lieu d’élever les consciences.

Accepter de dire « tout est de ma faute », ce n’est pas nier les injustices réelles, les violences symboliques ou les rapports de domination qui existent dans la société. C’est simplement refuser que ces éléments servent d’alibi à l’immobilisme. C’est choisir, chaque jour, de se tenir debout face à sa propre vie, de s’y engager pleinement, et de comprendre que ce que nous ne transformons pas en nous, nul ne le transformera pour nous.

Pierre Hamet BA.

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LA TRIBUNE DES BOUFFONS

Parmi les mots devenus rituels dans la grammaire du pouvoir sénégalais, le terme dialogue figure en tête. Il revient, à intervalles réguliers, comme une promesse de paix, une incantation de réconciliation nationale, un baume censé panser toutes les fractures d’une nation. Mais au fond, que reste-t-il de tous ces dialogues tenus depuis deux décennies ? Quelles avancées concrètes, quelles ruptures courageuses, quels changements structurants en ont émergé ? Rien, ou si peu.

Le Sénégal n’a pas besoin d’un autre dialogue politique. Il a besoin d’autre chose : de vérité, de volonté, de courage et de justice.

Car soyons clairs : ce dialogue n’est pas une innovation. Il est devenu une mécanique bien rodée du pouvoir pour gagner du temps, calmer les tensions de surface, et désamorcer la colère populaire. Ce dialogue est souvent convoqué non quand le pays est prêt à écouter, mais quand le pouvoir sent sa légitimité s’effriter. Il ne naît pas d’un souci démocratique, mais d’un calcul tactique.

Pendant ce temps, le peuple attend. Il attend du travail, des soins, une école digne, une justice équitable, une presse libre, une économie souveraine. Il n’attend pas qu’on réunisse les mêmes visages usés autour d’une même table pour discuter d’un même ordre du jour répété, vidé de toute sincérité.

Le dernier scrutin présidentiel a été sans appel. Le peuple sénégalais a tranché. Il a demandé une rupture profonde. Il a réclamé un État qui écoute, qui réforme, qui agit. Revenir aujourd’hui à un dialogue politique, c’est diluer ce mandat populaire dans un consensus artificiel, c’est trahir, en creux, le sens de cette alternance historique.

Et puis, n’y a-t-il pas déjà des institutions pour dialoguer ? Le Parlement, la presse, la société civile, les syndicats, les mairies : autant d’espaces où la parole peut circuler, se confronter, produire de la décision. Mais non. On préfère contourner, créer des cénacles fermés, où l’on discute entre initiés, loin du peuple, loin des urgences.

Ce que le Sénégal exige, ce n’est pas une table ronde, mais une mise à plat des pratiques, une refonte des institutions, une reddition des comptes. Ce que les jeunes attendent, ce ne sont pas des promesses emballées dans un communiqué final, mais des actes concrets, visibles, mesurables. Ce que l’histoire appelle, ce n’est pas un faux dialogue de réconciliation, mais un vrai moment de refondation.

Le Sénégal n’a pas besoin de dialogue politique. Il a besoin de décisions. Il a besoin de justice. Il a besoin de courage.

PHB

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ET DIEU CRÉA L’AMÉRIQUE!

La vieille Europe s’est à peine remise de ses éblouissements coloniaux qu’elle se réveille un matin avec, sur le trône de Pierre, un fils du Nouveau Monde. Le ciel de Rome a exhalé sa traditionnelle fumée blanche, mais ce n’est pas de l’encens. C’est un signal, presque un télégramme diplomatique enrobé d’arômes liturgiques : désormais, la foi catholique s’exprime avec l’accent de Chicago.

Et non, ce n’est pas une fable satirique écrite par un pamphlétaire européen en mal d’inspiration. C’est bien réel. Un Américain, Robert Francis Prevost, devenu Léon XIV, vient d’accéder à la plus haute charge spirituelle de la planète catholique. Ce qui, à première vue, pourrait passer pour une anecdote sympathique dans une chronique de Vatican Magazine, devient soudain le miroir d’un basculement : l’institution religieuse par excellence vient d’ouvrir un bureau principal en périphérie de l’Empire.

Pour un esprit détaché des dogmes, peu enclin aux génuflexions et plutôt favorable à la séparation des sacristies et des ministères, cette nouvelle aurait pu ne provoquer qu’un haussement d’épaule poli. Mais ce serait ignorer le sous-texte. Car ce n’est pas un homme seul qui accède à la papauté, c’est toute une atmosphère politique, une fragrance culturelle qui traverse l’Atlantique en soutane blanche.

Ceux qui tirent les ficelles idéologiques à Washington n’ont pas manqué d’y voir une divine opportunité. Dans les salons feutrés où l’on rêve de croisés en col blanc, la nouvelle a le goût d’une victoire douce. Il faut dire qu’en ces lieux, l’Évangile est souvent lu à la lumière des armes à feu et des déductions fiscales. Et quand la morale religieuse devient le cheval de Troie d’un projet de reconquête civilisationnelle, l’élection d’un pape yankee ne peut qu’être perçue comme un joyau stratégique : voilà l’Église alignée sur les fuseaux horaires de Wall Street.

Et pourtant, cet homme-là a marché ailleurs. Il a foulé la poussière des Andes, parlé quechua avec les oubliés du monde, partagé les silences rugueux des peuples sans voix. Il vient du terrain, pas des couloirs dorés de la Curie. Son passé, enraciné dans les marges, parle davantage aux cœurs sincères qu’aux manipulateurs de doctrines. Cela seul suffirait à désarmer les cyniques. Du moins, temporairement.

Sur les sujets brûlants de société, le nouveau pape ne joue ni la provocation ni l’anathème. Il avance sur le fil, tendu entre tradition et compassion. Il ne tend pas de pièges rhétoriques, il laisse ouvertes les portes, même entrouvertes. Ce n’est peut-être pas l’audace qu’attendaient les plus progressistes, mais à l’heure des radicalismes effrénés, l’équilibre lui-même devient résistance.

Mais pendant que Léon XIV prend la température des marges, d’autres réchauffent les braises de l’identité. Aux États-Unis, des catholiques influents investissent méthodiquement dans la reconquête d’une Église qu’ils rêvent masculine, hiérarchique, et virilement autoritaire. Ils bâtissent des écoles, financent des think tanks, plantent leurs drapeaux jusque dans les jardins du Vatican. Leur théologie n’est pas une spiritualité, c’est un agenda. Leur prière n’est pas une élévation, c’est une manœuvre. Ils parlent d’amour mais pensent en termes de pouvoir.

Ils n’ont que mépris pour les ouvertures de François, qu’ils taxent de naïveté. À leurs yeux, l’Église devrait redevenir une citadelle, bastion avancé d’un Occident en guerre contre le monde. Et dans ce jeu cynique, un pape américain – même modéré, même humaniste – peut servir de totem. Une façon habile de recoloniser le sacré sans le dire.

Il faut donc à Léon XIV, dès les premières heures, non seulement de la foi, mais une lucidité géopolitique. Car l’habit blanc ne protège pas des ambitions sombres. Et s’il ne veut pas être l’emblème d’une Eglise qui s’américanise à coups de slogans identitaires, il devra faire plus que bénir : il devra parler, résister, poser les bornes d’une catholicité qui ne rime ni avec nationalisme ni avec capitalisme compassionnel.

Du côté de Mar-a-Lago, l’ex-président au brushing providentiel n’a pas tardé à saluer l’élection pontificale avec l’emphase d’un homme d’affaires qui vient d’acheter une franchise. Il semble croire que la papauté américaine est une extension naturelle du Made in USA, et qu’il ne manquerait plus qu’une déclaration pontificale en faveur du Texas comme capitale spirituelle pour sceller le deal.

Et pourtant, l’Église n’est pas (encore) une multinationale. Elle n’a pas été rachetée, du moins pas officiellement. Elle demeure, au moins en principe, un lieu où la parole devrait résonner au-delà des drapeaux. Reste à savoir si Léon XIV saura faire entendre cette voix, sans se laisser instrumentaliser.

Il lui faudra incarner l’universel dans un monde qui segmente. Élever la spiritualité là où d’autres voudraient ériger des frontières. Résister aux chants séduisants des doctrinaires qui rêvent d’une foi de garnison.

Il n’est pas, pour l’instant, une révolution. Il est peut-être un pari. Un pari que, dans le silence d’un monde saturé de bruit, la foi puisse encore porter une exigence d’humanité. Un pari que l’Église, malgré ses renoncements, puisse à nouveau être ce lieu où l’on élève non les murs, mais les consciences.

Alors oui, le moment est venu non pas de croire aveuglément, mais d’espérer lucidement. Un homme venu du Nord pourrait, s’il en a le courage, faire battre à nouveau le cœur d’un Sud oublié. Non pas pour convertir, mais pour écouter. Non pas pour régner, mais pour servir.

Car la grandeur d’un pape ne réside pas dans sa nationalité, ni dans sa capacité à survivre aux factions. Elle se mesure à la profondeur avec laquelle il rappelle que la seule autorité qui vaille encore dans ce monde brisé, est celle de la bienveillance intransigeante. Celle qui tend la main non pour juger, mais pour relever. Celle qui ne craint ni le désordre du monde, ni la liberté de penser.

Et peut-être alors, Léon XIV ne sera pas l’homme d’un empire, mais celui d’une brèche. Un interstice dans l’histoire. Là où, entre deux dogmes, s’infiltre encore la possibilité du souffle.

Pierre Hamet BA.

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LE COMPLEXE DU PETIT BLANC

Perché comme un accent inutile sur la tête d’un mot sans verbe, le voilà qui trône. Minuscule point d’interrogation sur une République exsangue, il observe ses petits tirailleurs de la parole, eux qui hier criaient haro sur le colon et promettaient l’insoumission, l’autodétermination, la reconquête du sol et du sous-sol. Les voilà aujourd’hui prosternés sous l’ombre maigre d’un petit blanc, fiévreux d’ego et en mal de reconnaissance.

Ils avaient promis l’abrogation des traités iniques, la reprise des ressources arrachées, la souveraineté sans concession. Ils parlaient de pétrole, de gaz, de nationalisation, la bouche pleine de sel et de feu. Aujourd’hui, ils murmurent, la langue bridée par des promesses de tribune, l’âme suspendue aux hochements de tête d’un étranger qui rêve d’entrer dans l’Histoire par effraction… comme on pousse un roi noir dans une cellule pour orner son CV de conquérant judiciaire.

Mais ce roi noir, c’est notre peuple. Ce peuple qu’ils prétendaient défendre. Ce peuple qu’ils ont trahi à l’aube, entre deux tweets, dans le silence coupable d’une loi interprétative votée à la hâte, sous l’œil vigilant du petit blanc – ou devrais-je dire, du petit nègre européen. Car le drame n’est pas qu’il parle, non. Le drame, c’est qu’il soit écouté.

Ah ! Le nègre aime plaire. Il aime faire plaisir à son maître, même s’il est un nourrisson en géopolitique, un novice en droit, une coquille vide en matière de stratégie. Il aime s’incliner. Il aime que l’on le guide, surtout si la main qui le mène est blanche, même maladroite. Il aime qu’on lui dise quoi faire, surtout quand cela rime avec “international”, “tribunal”, “démocratie” — des mots-pièges qu’on lui lance comme on jette des cacahuètes à un singe savant.

Et pendant ce temps, le pays s’effondre. Littéralement. Il n’a même pas déplacé un tas de sable de l’océan à la route la plus proche. Pas une pierre n’a été posée. Mais on a voté. Ah, ça oui, on a voté. Des lois sans lendemain, des rêves sans budget, des slogans qui n’alimentent que les réseaux. L’économie, elle, recule à pas de géant. Quarante ans en arrière, et même le FMI s’inquiète — c’est dire à quel point on s’est plantés. Le tissu économique est un chiffon, et la souveraineté un mot qui ne rime plus à rien.

Et pendant qu’ils parlent d’avenir en tweetant leur impuissance, pendant qu’ils invoquent la jeunesse tout en sacrifiant son présent, le peuple, lui, mange la poussière. Pas celle des chantiers en construction, non — celle des illusions brisées.

Le complexe du petit blanc n’est pas une maladie de peau. C’est un cancer de l’âme. Il fait croire que l’émancipation passe par une validation extérieure, que la grandeur se mesure au regard d’un autre, que la vérité doit venir d’ailleurs. Mais l’histoire se souviendra. Elle écrira, à l’encre de notre colère, que ce n’est pas toujours l’ennemi qui trahit, mais bien parfois celui qui, à genoux, tend la main à l’oppresseur pour mieux s’élever.

Mais il tombera. Le complexe, pas l’homme. Car les hommes passent. Et les peuples qui souffrent, eux, se lèvent.

PIERRE HAMET BA

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SONKO ET LE MFDC: LE VRAI DU FAUX.

Selon Le Journal du Pays1, le 12 février 2025, une embuscade tendue par le Mouvement des Forces Démocratiques de la Casamance (MFDC) a coûté la vie à six soldats sénégalais dans la forêt d’Emaye, au sud-ouest de la Casamance. Cette attaque, d’une violence inouïe, s’est soldée par la capture d’un important arsenal militaire par les combattants indépendantistes. D’après les informations du journal, le MFDC a récupéré huit fusils d’assaut, une mitrailleuse ainsi que quatre caisses de munitions, renforçant ainsi son potentiel offensif face aux forces gouvernementales.

Cette attaque intervient près d’un an après l’accession au pouvoir du président Bassirou Diomaye Faye et de son Premier ministre Ousmane Sonko, qui avaient fait de la résolution du conflit en Casamance une priorité de leur programme politique. Pourtant, force est de constater que la situation sécuritaire n’a cessé de se détériorer. Loin de se résorber, la menace rebelle s’est intensifiée, rendant l’inaction des nouvelles autorités encore plus flagrante. Alors que de nombreuses voix appelaient à une initiative politique forte, articulant à la fois des négociations de paix et une reprise en main sécuritaire de la région, le gouvernement semble osciller entre immobilisme et indécision.

Les populations locales, qui nourrissaient l’espoir d’une résolution rapide du conflit sous l’administration actuelle, commencent à exprimer une profonde désillusion. À Ziguinchor, comme dans plusieurs villages touchés par l’instabilité, la peur d’un retour aux violences massives ressurgit. Ce climat d’insécurité alimente la méfiance envers l’État et favorise le discours des factions indépendantistes, qui continuent de rallier des sympathisants sous prétexte d’une autonomie nécessaire pour garantir la sécurité et le développement de la région.

Les commentaires publiés sous l’article du Journal du Pays révèlent une fracture inquiétante au sein de l’opinion publique sénégalaise. Certains internautes ne cachent pas leur sympathie pour le MFDC, qualifiant cette attaque de «victoire sur l’oppression», tandis que d’autres dénoncent avec véhémence cette violence, appelant à une répression sévère contre les rebelles. Cette polarisation de l’opinion est le signe que, malgré des décennies de conflit, l’idée d’une Casamance indépendante reste vivace chez une partie de la population, y compris chez des individus vivant loin du terrain des combats.

Le danger d’une telle division dépasse largement le cadre du conflit casamançais. Une partie des Sénégalais semble désormais accepter, voire encourager, une remise en cause de l’unité nationale. Cette évolution des mentalités, largement alimentée par l’absence d’une réponse ferme de l’État, pourrait avoir des conséquences désastreuses sur la cohésion du pays. Plus la situation s’éternise, plus le risque est grand de voir émerger d’autres poches de contestation, notamment dans des régions où l’État est peu présent et où la population se sent marginalisée.

L’attaque du 12 février et la capture d’armes par le MFDC montrent que le mouvement séparatiste est loin d’être affaibli. Son aptitude à tendre des embuscades meurtrières et à s’emparer d’équipements militaires prouve qu’il conserve une capacité de nuisance redoutable. Cette montée en puissance met en lumière l’échec de la stratégie sécuritaire actuelle, qui peine à contenir la menace et à garantir la protection des soldats engagés dans cette région instable.

Le gouvernement de Bassirou Diomaye Faye et d’Ousmane Sonko ne peut plus se contenter d’observer passivement l’évolution du conflit. Des décisions fermes doivent être prises immédiatement pour éviter une aggravation de la crise. Il ne s’agit pas seulement de relancer des négociations de paix, mais aussi de revoir entièrement la stratégie militaire en Casamance. La sécurisation des zones les plus exposées, le renforcement du renseignement et une réévaluation des forces en présence sont impératifs pour éviter de nouvelles pertes et empêcher le MFDC de continuer à s’armer.

L’inaction actuelle constitue une faille qui risque de coûter cher au pays. Chaque attaque réussie par le MFDC renforce son influence et alimente l’idée que l’État sénégalais est incapable d’assurer sa souveraineté sur l’ensemble de son territoire. Cette perception affaiblit non seulement l’autorité du gouvernement, mais encourage également d’autres mouvements contestataires à adopter des stratégies similaires.

Il est urgent que les autorités assument pleinement leurs responsabilités et mettent en œuvre une politique claire et efficace pour rétablir l’ordre en Casamance. La paix ne se décrète pas, elle se construit avec des actions concrètes. Sans une intervention décisive, le Sénégal court le risque de voir le conflit casamançais se transformer en une crise sécuritaire d’ampleur nationale, avec des conséquences désastreuses pour l’ensemble du pays.

Pierre Hamet BA.

Source : Le Journal du Pays consulté le 23 février 2025 à 1h 14mn du matin:

https://www.journaldupays.com/2025/casamance-le-mfdc-revendique-une-embuscade-meurtriere-contre-larmee-senegalaise-six-soldats-tues/).

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LA FRACTURE DE CONFIANCE

Au cœur du Sénégal, une fissure invisible grandit, séparant chaque jour un peu plus les dirigeants de ceux qu’ils sont censés représenter. Cette fracture, bien plus profonde qu’un simple désaccord, touche l’essence même du lien qui unit un peuple à ses institutions. C’est le contrat social, ce pacte tacite qui repose sur une confiance réciproque, qui se désagrège sous le poids des promesses non tenues, des injustices accumulées, et d’une indifférence devenue insoutenable.

Le contrat social est un fil fragile, tissé de devoirs et de droits, d’espérances et de responsabilités. Pourtant, au Sénégal, ce fil semble rompu. Les dirigeants, en quête de pouvoir et d’influence, semblent avoir oublié la raison d’être de leur mandat : servir le peuple. Chaque promesse brisée, chaque scandale de corruption, chaque décision prise dans l’opacité érode un peu plus cette confiance. À mesure que les élites s’éloignent de la réalité du peuple, une colère sourde monte des rues, des champs et des foyers.

Cette colère n’est pas sans raison. Elle est nourrie par des inégalités qui se creusent, par une gouvernance qui semble sourde aux urgences du quotidien. Les citoyens regardent les institutions censées les protéger se transformer en outils de domination et de privilège. La justice, au lieu d’être un rempart contre l’arbitraire, devient une arme aux mains des puissants. Les voix qui osent dénoncer ces dérives sont réduites au silence, non par le dialogue, mais par la répression.

Face à cette fracture, le ressentiment populaire grandit. Dans les marchés, dans les bus, dans les places publiques, les conversations tournent souvent autour de cette trahison ressentie. Ce n’est plus seulement une désillusion politique, mais une crise existentielle : comment croire en un avenir meilleur lorsque ceux qui détiennent les clés du changement semblent travailler contre le peuple? Cette méfiance généralisée engendre un désintérêt pour la politique, mais aussi une montée des tensions sociales, prêtes à exploser à tout moment.

Pourtant, cette fracture n’est pas irréversible. Elle peut devenir une opportunité de reconstruction, si seulement les dirigeants acceptent de changer de cap. Restaurer la confiance ne peut se faire sans une transparence totale. Chaque décision, chaque dépense, chaque loi doit être soumise au regard du peuple. Il ne s’agit pas de simples gestes symboliques, mais d’un engagement sincère à rendre des comptes.

Il faut aussi responsabiliser les dirigeants, en renforçant les mécanismes de contrôle démocratique. Les institutions doivent être au service du peuple, non des ambitions personnelles. Les citoyens doivent retrouver leur place au centre des priorités nationales, non comme des spectateurs impuissants, mais comme des acteurs du changement.

La réconciliation entre le peuple et ses dirigeants passe par un retour aux fondamentaux : une gouvernance éthique, une justice indépendante, et une écoute réelle des besoins et des aspirations des Sénégalais. Sans cela, la fracture de confiance continuera de s’élargir, menaçant non seulement la stabilité politique, mais aussi l’avenir même du pays.

Le contrat social n’est pas un luxe. Il est le fondement de toute société. Si le Sénégal veut se relever, il doit cesser de construire des murs entre les dirigeants et les citoyens, et commencer à bâtir des ponts. Car au-delà des divisions, il y a une nation qui aspire à une chose simple mais essentielle : être entendue, respectée, et servie.

Pierre Hamet BA.

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LE SOURD-MUET, LE BONIMENTEUR ET LA PÉNITENCE

Dans ce pays où l’histoire semble se noyer dans les eaux troubles du désespoir, deux figures règnent en maîtres paradoxaux. L’un, le Sourd-Muet, demeure impassible devant les cris du peuple. Il est sourd aux revendications légitimes, aux alertes désespérées, aux exigences d’une nation qui souffre. Il est muet face aux urgences, aux dérives, et aux désastres qu’il laisse proliférer. L’autre, le Bonimenteur, hurle à tout vent, emplissant l’air de mots creux et de vacarme stérile. Ensemble, ils incarnent la désillusion d’une nation qui ploie sous le poids d’une pénitence imposée.

Le Sourd-Muet est figé sur son trône de pouvoir comme un sphinx de marbre. Son mutisme n’est pas absence de parole, mais absence d’âme. Chaque silence qu’il impose résonne comme une absence de cœur, une indifférence calculée face à l’effondrement d’une nation. Il regarde les murs de la prison s’élever plus haut sans un mot, sans un geste. Pour lui, la souffrance du peuple n’est qu’un murmure lointain, un bruit de fond qu’il choisit d’ignorer. Tels les gardiens impassibles d’une prison, il observe, immobile, l’enfermement d’un peuple pris au piège de promesses non tenues et d’un avenir sans horizon.

Face à lui, le Bonimenteur occupe l’espace sonore, non pour éclairer, mais pour asservir. Sa voix tonne, ses mots résonnent, mais ils ne portent rien d’autre que l’écho de sa propre vacuité. Il hurle pour dominer, parle pour couvrir, crie pour imposer. Ses phrases, bien qu’abondantes, sont dépourvues de sens. Comme le garde autoritaire d’une geôle, il utilise sa volubilité pour maintenir l’ordre dans un chaos qu’il a contribué à créer. Là où le Sourd-Muet règne par l’absence, le Bonimenteur règne par l’excès.

Et entre ces deux pôles, le pays vacille. Le silence du Muet est une trahison : il refuse de nommer les maux, de désigner les coupables, de tendre une main secourable. Le vacarme du Bonimenteur est une mascarade : il promet l’abondance là où il n’y a que sécheresse, il crie victoire là où il n’y a que défaites. Ensemble, ils ne construisent rien, mais démolissent tout. Cette dualité illustre une vérité tragique : un pouvoir sans direction est plus destructeur qu’une tempête.

Mais au-delà des figures, il y a un peuple. Un peuple qui ne peut se permettre de sombrer dans le silence de la résignation ou le vacarme stérile des promesses vides. Car si le Muet se tait et si le Bavard hurle, qui donc portera la voix des sans-voix ? Qui articulera l’avenir d’une nation qui mérite mieux que d’être l’otage de ces paradoxes?

Dans cette métaphore carcérale, la pénitence dépasse la simple douleur collective : elle est devenue une habitude. Chaque Sénégalais, en silence ou en colère, porte les chaînes invisibles de cette grande prison. Le Sourd-Muet et le Bonimenteur, loin de chercher à briser ces chaînes, s’assurent qu’elles restent solidement attachées. Ils ne gouvernent pas, ils gardent. Ils ne libèrent pas, ils enferment.

Ainsi , le peuple ploie sous le poids de la pénitence. Cette prison qu’est devenu le Sénégal n’a pas de murs physiques, mais ses chaînes sont bien réelles : le chômage rampant, l’éducation moribonde, les injustices quotidiennes. Chaque Sénégalais est contraint de porter le fardeau de cette captivité silencieuse. Le Sourd-Muet, insensible à cette souffrance, ne fait rien pour desserrer l’étau. Le Bonimenteur, de son côté, hurle ses ordres, pliant les populations à une volonté qui n’a pour but que de masquer son propre vide.

Philosophiquement, cette dualité est fascinante dans sa tragédie. L’un agit par inaction, l’autre par agitation. L’un incarne le mépris glacial, l’autre l’autoritarisme bruyant. Ensemble, ils symbolisent un pouvoir sans direction, un leadership qui n’en est pas un. Le silence du Sourd-Muet est une trahison, un abandon des responsabilités. Le vacarme du Bonimenteur est une mascarade, une diversion destinée à étouffer les vérités que personne n’ose affronter.

La pénitence n’est pas seulement un état imposé, mais une condition acceptée. Le peuple endure, non par faiblesse, mais par habitude, résignation ou peur. Pourtant, chaque prison a ses failles, et chaque peuple a ses limites. La solution ne viendra ni du mutisme calculé du Sourd-Muet, ni du vacarme stérile du Perroquet. Elle résidera dans une révolte des consciences, une insurrection des âmes, une action collective pour briser les chaînes invisibles de cette captivité.

Alors, peut-être, le silence cessera d’être une arme et le bruit, une farce. Peut-être, le Sénégal pourra enfin se libérer de ses geôliers et retrouver sa dignité perdue. Et dans cette renaissance, la parole juste, celle qui éclaire sans aveugler, qui mobilise sans manipuler, pourra enfin faire entendre la voix d’un peuple qui ne veut plus ployer sous le poids de sa propre pénitence.

Pierre Hamet BA.

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VISION 2050: SERAIT-CE UN FEU DE PAILLE?

"Vision 2050" devait être le cadre stratégique qui propulserait le Sénégal vers une prospérité inclusive, où croissance économique et développement social se conjugueraient harmonieusement. Pourtant, à peine ce plan amorcé, il s’effondre déjà sous le poids des réalités imposées par la sortie récente du Sénégal de la catégorie des Pays les Moins Avancés (PMA). Ce changement de statut, annoncé le 19 décembre 2024, n’est pas un détail administratif : il bouleverse les fondations mêmes de l’économie sénégalaise et expose de manière flagrante le manque de prospective et de rigueur des dirigeants actuels.

Le Sénégal sort des PMA sans filet de sécurité. Jusque-là, le pays bénéficiait de conditions financières avantageuses : crédits concessionnels à faibles taux d’intérêt, subventions directes et accès prioritaire à certaines aides internationales. Désormais, ces privilèges s’éteignent, et le pays est propulsé sur les marchés financiers internationaux, où il devra rivaliser avec des économies émergentes plus robustes. Les coûts d’emprunt y sont bien plus élevés, et les exigences de performance, de transparence et de rentabilité sont nettement accrues.

Cette transition aurait pu être une opportunité pour revoir le modèle économique, affiner les priorités et préparer une stratégie réaliste. Mais rien de tel n’a été fait. Le gouvernement a continué à élaborer "Vision 2050" comme si le Sénégal demeurait un PMA, ignorant ainsi les implications structurelles et financières de ce changement de statut. L’un des aspects les plus préoccupants est la gestion de la dette publique. En 2024, le Sénégal a contracté 4 491,4 milliards de francs CFA de dettes, dont 1 113 milliards destinés à des projets spécifiques, 81,8 milliards pour des programmes ciblés, et **3 296,7 milliards regroupés sous une catégorie floue intitulée "autres emprunts."

Ces chiffres posent des questions fondamentales : quels projets spécifiques justifient ces 1 113 milliards ? Quels programmes sont financés par les 81,8 milliards, et surtout, quels sont leurs impacts mesurables ? Mais le point le plus opaque reste cette enveloppe de 3 296,7 milliards de francs CFA, regroupée sous la catégorie "autres emprunts." À quoi servent ces fonds ? Quels secteurs en bénéficient ? Pourquoi aucune ventilation détaillée n’est-elle disponible dans la Loi de Finances Rectificative (LFR2024) ? Ce manque de transparence alimente la méfiance et expose une gouvernance financière qui semble naviguer à vue.

L’opacité dans la gestion des finances publiques n’est pas un simple défaut administratif : elle reflète une incapacité à établir des priorités claires et mesurables. Sans transparence, il est impossible d’évaluer l’efficacité des dépenses ou de s’assurer que les emprunts massifs profitent réellement à la population. Pendant ce temps, les marges de manœuvre budgétaires se réduisent, et le poids croissant de la dette compromet la capacité du Sénégal à investir dans des secteurs essentiels comme l’éducation, la santé ou l’agriculture.

Les priorités affichées par "Vision 2050" semblent largement déconnectées des réalités locales. Les fonds publics continuent d’être orientés vers des projets de prestige – autoroutes, ponts monumentaux, bâtiments administratifs ultramodernes – qui brillent sur la scène internationale mais laissent les populations rurales et les quartiers défavorisés dans un état de dénuement. Les écoles manquent de matériel de base, les hôpitaux peinent à fournir des soins adéquats, et les routes secondaires restent impraticables.

Pendant ce temps, les jeunes diplômés peinent à trouver un emploi, les agriculteurs reçoivent des rémunérations dérisoires pour leurs récoltes, et les pêcheurs voient leurs eaux pillées par des flottes étrangères. Ces inégalités flagrantes ne font que s’aggraver, et le plan "Vision 2050" tel qu’il est conçu ne semble pas avoir les moyens d’y remédier.

D’autres pays sortis des PMA, comme le Botswana ou le Cap-Vert, ont montré qu’il était possible de transformer cette transition en tremplin de développement. Cependant, ces réussites reposaient sur une planification rigoureuse, une gestion financière transparente et des investissements stratégiques dans les secteurs essentiels. À l’inverse, le Sénégal semble avoir abordé cette étape cruciale avec une impréparation alarmante. La demande tardive de moratoire jusqu’en décembre 2024 pour retarder la sortie des PMA illustre cette prise de conscience tardive et une gestion réactive plutôt qu’anticipative.

Ce manque de prospective des dirigeants actuels est d’autant plus inquiétant que cette transition était prévisible depuis plusieurs années. L’incapacité à ajuster le plan "Vision 2050" à cette nouvelle réalité reflète une déconnexion entre les ambitions affichées et les défis concrets auxquels le pays doit faire face.

Si rien n’est fait pour corriger le tir, les conséquences pourraient être désastreuses. L’augmentation de la dette publique, combinée à une diminution des marges de manœuvre budgétaires, risque de freiner la croissance et de compromettre la stabilité économique et sociale du pays. Pour éviter un naufrage, "Vision 2050" doit être repensée de fond en comble. Ce plan ne peut plus se permettre d’être une vitrine internationale déconnectée des besoins réels des Sénégalais.

La transparence totale dans la gestion des finances publiques, la priorisation des investissements dans les secteurs à fort impact social, et une stratégie rigoureuse pour attirer des capitaux étrangers tout en limitant la dépendance à l’endettement sont indispensables. Le Sénégal est à un tournant décisif. Si les ajustements nécessaires ne sont pas faits, "Vision 2050" deviendra le symbole d’un échec collectif, où ambitions mal placées et promesses non tenues auront détruit les rêves d’un peuple. Mais avec une gouvernance éclairée et des choix stratégiques audacieux, il est encore possible de transformer cette vision en une opportunité réelle pour tous.

Le temps n’est plus aux slogans vides. Le temps est à l’action. Faute de quoi, le Sénégal risque de devenir la parfaite illustration de ce que signifie bâtir sur des illusions.

Pierre Hamet BA.

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LE TORCHON BRÛLE

L’analyste, par essence, se positionne là où les regards ordinaires ne se posent pas. Son rôle est de voir ce qui n’apparaît pas, d’entendre ce qui ne se dit pas et de lire ce qui ne s’écrit pas. C’est dans cet exercice, dans cet entrelacement de lumière et d’ombre, qu’il devient possible de démêler le vrai du faux, de percer les voiles des intentions dissimulées, et de décrypter les sens cachés des déclarations officielles. Cette posture n’est pas un luxe, mais une nécessité pour saisir la trame complexe d’une compétition qui, bien qu’invisible à l’œil nu, brûle avec une intensité menaçante entre le président de la République et son Premier ministre. Leurs discours, leurs projets, leurs gestes – tout, absolument tout – porte l’empreinte de cette confrontation larvée, un duel où chaque mot, chaque silence même, résonne comme un écho de défiance et d’ambition inavouée. Loin des apparences de collaboration affichée, le torchon brûle dans le silence feutré des salons républicains, et ce feu, si on n’y prend garde, pourrait consumer les fondements mêmes de l’unité nationale.

Dans ce jeu d’apparences et de dissimulations, où les mots sont porteurs de bien plus que ce qu’ils expriment, se dessine une réalité politique complexe. Sous ce regard analytique, l’année 2024, comme une étoffe tissée de promesses et de contradictions, s’est refermée sur une note dissonante pour le Sénégal. Deux discours majeurs, celui du Premier ministre lors de sa Déclaration de politique générale le 27 décembre et celui du président de la République dans son allocution du 31 décembre, exposent les contours d’une rivalité implicite qui dépasse les mots pour s’enraciner dans les actes. Ces paroles, portées par des voix censées incarner l’unité et la cohésion, transpirent une vérité inquiétante : une compétition sous-jacente qui fragmente les ressources et les projets, érigeant chacun en figure solitaire de pouvoir. Loin de témoigner d’un destin partagé, ces discours tracent des lignes de fracture où s’entrelacent ambition personnelle et quête de suprématie.

Le Premier ministre, dans une démarche orchestrée avec précision, a dévoilé un arsenal de projets visant à redessiner les rapports de pouvoir au sein de l’exécutif. La création de la Haute Autorité des Domaines et de l’Agence des Territoires, deux structures essentielles au contrôle et à la gestion des ressources nationales et des espaces territoriaux, placées sous son contrôle direct, illustre une volonté manifeste de centraliser les leviers stratégiques au niveau de la Primature. Ces initiatives, habilement drapées dans le langage technocratique, trahissent une ambition de s’ériger en architecte principal du développement territorial. Chaque détail témoigne d’un calcul méticuleux, une tentative de gravir l’échelle institutionnelle en revendiquant le contrôle d’enjeux cruciaux pour l’avenir du pays. En inscrivant ces entités sous sa supervision directe, il s’arroge un contrôle inédit sur des secteurs stratégiques, érodant implicitement les prérogatives traditionnelles de la présidence.

Mais à cette symphonie solitaire du Premier ministre répond une autre mélodie, celle du président de la République, tout aussi soigneusement composée. Le Plan Diomaye pour la Casamance, révélé dans son discours, se présente comme une œuvre personnelle, une initiative qui porte son empreinte jusque dans son nom. Ce projet, conçu pour accompagner le retour des populations déplacées et consolider le processus de paix, résonne comme une déclaration d’autorité dans une région historiquement sensible. En choisissant de l’associer à son propre héritage, le président s’assure une place au cœur des mémoires nationales, inscrivant son nom dans l’histoire de cette région charnière, berceau de son premier ministre.

Ces rivalités s’accentuent encore lorsqu’il s’agit des ressources naturelles. Le président, dans un geste perçu comme une ouverture vers la transparence, a annoncé la refonte du Comité d’Orientation Stratégique du Pétrole et du Gaz (COS-PETROGAZ), intégrant davantage de voix issues de l’opposition, de la société civile et des syndicats. Cette décision, si elle semble inclusive, révèle une volonté de recentrer la gouvernance de ces ressources sous l’égide présidentielle. Pendant ce temps, le Premier ministre, dans sa Déclaration, a aussi présenté des initiatives pour encadrer l’utilisation des richesses nationales, notamment à travers des mécanismes locaux de développement. Ces visions parallèles, plutôt que de converger, dessinent une scission où chaque camp cherche à capter l’aura de la gestion vertueuse.

À cette danse des initiatives s’ajoute la plateforme Ligeeyal sa reew, conçue par le président pour ouvrir les portes de la participation citoyenne. Présentée comme une innovation démocratique, cette plateforme incarne un autre jalon de sa stratégie d’expansion de l’influence. Pourtant, en créant un canal qui semble contourner les structures institutionnelles supervisées par la Primature, le président exacerbe davantage la compétition. En miroir, la Haute Autorité des Domaines et l’Agence des Territoires du Premier ministre paraissent presque répondre à cette tentative, marquant une volonté de garder le contrôle de domaines similaires. Ces projets s’inscrivent dans un jeu subtil où les égos s’affrontent sous des masques de collaboration.

À la veille des élections législatives, j’avais affirmé que le Premier ministre aspirait à devenir président de l’Assemblée nationale, position qui lui aurait permis d’échapper à la dépendance de la signature présidentielle. Après les élections, il a suspendu son mandat de député pour conserver son poste de Premier ministre, une décision qui a suscité critiques et insultes à mon endroit. Mais cette stratégie, loin d’être anodine, est une clé pour comprendre ses ambitions. Pourquoi suspendre son mandat plutôt que démissionner ? Qui peut croire qu’un homme de sa stature retournerait à l’Assemblée pour y siéger comme simple député ? Non, si jamais il y retourne, ce sera pour présider l’hémicycle, non pour y jouer les seconds rôles. Cette suspension révèle une double intention : se prémunir d’un limogeage en s’assurant une immunité parlementaire et, en filigrane, exprimer un manque de confiance envers le président, malgré les éloges publiques de ce dernier.

Ce tableau, où se croisent méfiance et ambition, s’apparente à une partie d’échecs dont l’issue pourrait fragiliser l’État. Le Premier ministre, en embrassant le président avec ferveur, semble calculer chaque mouvement, tandis que le président, conscient de l’étreinte, élabore des contre-mesures pour garder l’ascendant. Cette dynamique alimente une confrontation larvée où les initiatives, plutôt que de converger, s’annulent et se divisent.

Dans cette compétition, le Sénégal se trouve réduit au rôle de spectateur et d’otage. La gouvernance, au lieu de s’élever au-dessus des rivalités, s’enfonce dans une guerre d’égo où chaque discours, chaque projet, chaque geste, semble répondre à l’autre dans une logique de surenchère. Le peuple, qui a confié son avenir à ces deux figures, pourrait bien payer le prix de cette désunion.

Pourtant, il est encore temps de transformer cette rivalité en complémentarité, de cesser de superposer des ambitions individuelles pour enfin harmoniser une vision commune. Le Sénégal, riche de son histoire et de ses ressources, mérite une gouvernance unifiée, libérée des affrontements stériles. Car si le président et son premier ministre continuent de jouer à ce jeu dangereux, c’est l’unité même de la République qui risque de vaciller, laissant place à un chaos dont personne ne sortirait vainqueur.

Pierre Hamet BA.