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Et si c’était Gadio ?

« Il prise plus le détail sur le vif

que l’explication générale,

un aperçu qu’une théorie,

les gens que les mythes. »

Régis Debray

 

Le cas Gadio reste une énigme. Il est le seul, depuis 9 ans, à continuellement occuper le poste de Ministre des Affaires Etrangères du Sénégal. Tous les hommes qui semblaient avoir de l’influence sur le Président Wade sont, soit en disgrâce, en semi disgrâce ou tout simplement perdus en cours de chemin. Qu’est-ce qui explique donc cette longévité ?

 

Au lendemain de la victoire du 19 Mars 2000, les Sénégalais, rivés à leurs postes de télévision, écoutent le président nouvellement élu, Me Abdoulaye Wade, égrener un chapelet de noms d’hommes et de femmes, presque tous inconnus du grand public, et qui allaient constituer le premier gouvernement de l’alternance, avec à la tête, un vieux routier de la politique sénégalaise : Moustapha Niasse. Parmi tous ces nouveaux ministres dont une bonne partie vient de la diaspora, un certain Cheikh Tidiane Gadio. Le Président n’est pas avare d’éloges à son endroit. Mais, bon nombre d’observateurs sont sceptiques quand au choix du nouveau chef de la diplomatie sénégalaise, journaliste de formation, que rien apparemment ne prédisposait à occuper ce poste qui fut le fleuron de la politique sénégalaise. On l’aurait vu à la rigueur occuper le ministère de la communication, poste tout aussi stratégique pour les débuts d’un gouvernement estampillé, au delà du volontarisme affiché, du sceau de l’inexpérience. Les bourdes ne manqueront pas du reste.

 

Les Sénégalais se souviennent encore des grands noms de leur diplomatie d’antan : Doudou Thiam, Médoune Fall, Seydina Oumar Sy, Karim Guèye, André Guillabert, Gabriel d’Arboussier, Ibra Déguène Kâ, etc… A la tribune des assemblées générales annuelles des Nations unies, aux sommets annuels de l’OUA, s’affrontaient les camps des révolutionnaires anti-impérialistes et des modérés considérés comme les suppôts de l’Occident capitaliste. Le conflit idéologique entre l’Est et l’Ouest faisait rage au sein de la famille africaine qui s’était divisée d’abord avant 1963, date de création de l’OUA, en deux groupes rivaux : le groupe de Casablanca et celui de Monrovia.

 

Quel Africain n’a pas en mémoire le ballet incessant des chefs d’Etat africains francophones venus quémander en France des subsides pour boucler des fins de mois difficiles, la traditionnelle photo avec le Grand Mentor sur le perron de l’Elysée, flanqué du Maitre Jacques de la politique de coopération d’alors, le controversé Foccart, l’exécution de l’hymne et le drapeau national flottant comme un emblème d’éternelle capitulation ? Quel Africain ne se rappelle pas les récriminations, les longues diatribes anti-impérialistes des chefs du camp « révolutionnaire » qui ont tenu leurs peuples en haleine dans l’attente « d’un grand soir » qui n’est jamais venu ?

 

Le Sénégal, bien qu’appartenant au camp de Monrovia, faisait entendre une petite musique, une note bien singulière qui, loin de réaliser une symphonie, évitait bien des grincements entre les durs et les modérés. Petit pays sans grandes ressources, le Sénégal sut faire de sa diplomatie la poule aux oeufs d’or. «Diplomatie de mendiants», ricaneront certains ; ou diplomatie au service de la lyre d’un poète nommé Léopold Sédar Senghor qui parcourait le monde, recevant partout des titres de Docteur honoris causa. Le Président se servait-il de son aura intellectuelle pour faire connaître le pays, ou était-ce l’inverse ? Les deux à la fois, diront les observateurs.

 

Abdoulaye Wade ne sera pas en reste. Issu lui aussi de l’université, il va à son tour collectionner les titres « Docteur honoris causa » au risque de s’attirer les quolibets des persifleurs qui songent au vieux nègre et la médaille de l’inoubliable Ferdinand Oyono.

Il va donc sans dire que le Sénégal a toujours sut placer des hommes dans les grandes instances internationales dont Amadou Moctar Mbow à l’Unesco et Jacques Diouf à la FAO.

 

Une génération d’ambassadeurs et de diplomates sénégalais s’est relayée aux Nations Unies pour faire entendre une autre voix qui faisait autorité sur bien des sujets importants : la détérioration des termes de l’échange, la lutte contre l’Apartheid, l’aide aux mouvements de libération, les droits inaliénables du peuple palestinien, la prolifération des armes nucléaires dont la commission aux Nations Unies était dirigée par l’ambassadeur Alioune Sène. On se souvient encore, en Novembre 1971, de la mission des sages dirigée par Léopold Sédar Senghor flanqué de Gowon, Mobutu, Ahidjo, dépêchée par l’OUA auprès de Golda Meir en Israël pour trouver une solution au conflit entre l’Egypte et l’Etat hébreu.

 

Quelles sont donc les raisons qui ont poussé le Président Wade à confier ce poste hautement stratégique à ce jeune homme, inconnu des grandes chancelleries, qui ne fut jamais militant du PDS, pas plus qu’il n’ait appartenu au bataillon des sabras qui ont accompagné Wade dans la solitude de l’opposition depuis 1974, des années de braise à la conquête du pouvoir ?

 

Wade, éternel étudiant, apparut comme un voltigeur dans la politique sénégalaise alors que certains de ses condisciples étaient déjà blanchis sous les harnais ministériels. On ne prit pas au sérieux l’« histrion ». « Encore une ruse de Senghor que ce parti de contribution », pensaient les intellectuels de gauche plus enclins à palabrer sur l’imminence du Grand Soir et des Internationales à venir que sur les contradictions de leur propre société. « Opposant de paille taillé à la mesure de sa majesté », ricanaient les autres. L’« histrion » se révéla pourtant un fin politique, un redoutable tribun qui sut galvaniser les foules et manier les symboliques populaires.

 

Durant toutes ces années, Gadio n’apparaît nulle part dans la galaxie Wade qui pourtant aimait fréquenter les insoumis, les semeurs d’idées, les intellectuels en rupture de ban. Qui est alors ce ministre qui ne s’exprime guère sur les sujets de la politique locale ? Quels sont les liens qu’il a tissés avec l’ombrageux et imprévisible président ?

 

Dans « Un Destion pour l’Afrique » Wade raconte sa rencontre avec le panafricanisme. Le congrès panafricain de Manchester, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, fut son chemin de Damas dans la quête du graal panafricain. C’est le congrès du relais où les militants de la diaspora comme Du Bois et Padmore passèrent le témoin aux futurs leaders africains que furent Kenyatta, Nkrumah, etc. Dans le deuxième numéro du Démocrate, journal du PDS paru en 1975, Wade affiche son credo panafricaniste à la Une avec photos à l’appui, en compagnie d’illustres devanciers comme le Président Tanzanien Julius Nyerere. Etudiant à Paris dans les années 80, le jeune Gadio fonde avec quelques amis dont Hamidou Dia, Samba Bouri Mboup, Djibril Gningue, Bouba Diop, la revue Jonction à l’orientation panafricaniste voire cheikh-Antaïste dont il devient le rédacteur en chef.

 

Cette rencontre sur le terrain du panafricanisme a-t-elle suffi pour justifier l’osmose qui semble se dessiner entre Wade et Gadio ?

 

Pendant longtemps l’opposant Wade n’a guère fréquenté le personnel politique français qui, encore sous le charme de Léopold Sédar Senghor et plus tard de son successeur Abdou Diouf, l’a longtemps ignoré. Les rares hommes politiques français que l’actuel président sénégalais fréquentait étaient des condisciples qu’il a connus sur les bancs de la faculté, à l’exception notable de Alain Madelin venu sur le tard et qui lui a été présenté par l’intellectuel malien Modibo Diagouraga. Aimant la France comme tout intellectuel sénégalais de sa génération, Wade ne comprenait pas pourquoi les autorités françaises l’avaient longtemps ignoré, lui, le chef d’une opposition légaliste dans un pays aux traditions démocratiques bien ancrées dans les moeurs.

 

Après le 19 mars 2000, Jacques Chirac résumera la situation à sa manière : « Que faut-il faire avec Wade pour rattraper le temps perdu ? »

 

Cheikh Tidiane Gadio, après avoir fréquenté la Sorbonne et le Centre de Formation des journalistes (CFJ), est allé poursuivre ses études aux Etats Unis où, plus tard, il animera un comité de soutien pour l’élection de Wade. A tort ou a raison, Gadio est estampillé proaméricain, du moins dans le jeu de la realpolitik.

 

Par cette nomination, Wade a t’il voulu remercier son jeune soutien ou tout simplement, a t-il voulu soustraire la diplomatie sénégalaise des moeurs de la FrançAfrique en la confiant a quelqu’un très au fait de la politique anglo-saxonne ? Ou plus prosaïquement, a-t-il, comme Napoléon, vu son Talleyrand en la personne de ce jeune homme lisse et peu englué dans les broutilles de la politique politicienne et des moeurs politiques locales ?

 

Ce que l’on peut dire, c’est que dès sa prise de fonction, Cheikh Tidiane Gadio a mené un intense activisme diplomatique. Le Sénégal rompt ses relations diplomatiques avec Taïwan et renoue avec la Chine continentale.

 

Cette décision, porte-t-elle la marque du ministre des affaires étrangères, ancien visiteur de la chapelle maoïste ? Ou ont-ils tous les deux eu conscience du poids de ce pays continent au milliard et demi d’habitants et peu regardant, en matière de coopération, sur les droits de l’homme, sujet qui empoisonne désormais les relations entre les pays africains et les anciennes puissances impériales, devenues subitement plus exigeantes avec leurs anciennes colonies ?

 

Les résultats ne se font pas attendre. Les chantiers chers au Président poussent comme des champignons avec le concours des Chinois. Avec plus ou moins de bonheur, Gadio s’implique dans les interminables conflits africains, dans des palabres et des négociations qui semblent ne jamais s’achever : Madagascar, Côte d’Ivoire, Burundi, Mauritanie, Bissau, Conakry. La boulimie de la diplomatie sénégalaise ne semble plus connaître de limite planétaire. Le Président Wade déclare être invité à s’impliquer dans l’interminable conflit du Moyen Orient, entre Israéliens et Palestiniens puis entre le Pakistan et l’Inde.

 

Aux lendemains des attentats du 11 Septembre, le Président et son ministre des affaires étrangères réunissent à Dakar un aréopage de chefs d’Etats africains pour condamner le terrorisme et apporter leur soutien à l’Amérique de Bush dont Wade se flatte d’être un interlocuteur privilégié.

 

Au début de son magistère, les relations du Président Wade avec certains de ses pairs africains sont houleuses et quelques fois au bord du conflit : Mauritanie, Togo, Côte d’Ivoire, Gambie, Gabon.

 

Le sapeur Gadio est il passé par là pour éteindre les incendies allumés par son bouillant Président ?

 

Pourtant, à la surprise générale, le Président Wade reçoit le prix Houphouet Boigny de la paix.

Est-ce le fruit d’un intense lobbying mené par l’infatigable ministre des affaires étrangères ? Y-a-t-il une diplomatie souterraine plus discrète, loin des déclarations porte flammes ? Ou, les deux hommes se sont-ils tout simplement répartis les rôles : l’un disant tout haut ce que l’autre pense tout bas en secouant le cocotier africain et en asticotant de temps à autre les dinosaures africains dont certains comptabilisaient une quarantaine d’années au pouvoir ?

 

Quoi qu’il en soit, le tandem Wade-Gadio arrêtera vite les frais de cette politique hasardeuse faite d’improvisations et qui, soit, porte l’humeur du Président ; soit, relève tout simplement de l’amateurisme.

 

Cependant, le Président qui s’est souvent retrouvé seul, à des années lumière du pouvoir au point que certains d’entre ses compagnons et alliés se demandaient si le but à atteindre n’était pas devenu un mirage, serait-il aujourd’hui en mesure de nouer un nouveau pacte ? Ayant cependant lu Clausewitz, ne savait-il tout aussi pas que le combat serait rude et qu’il se gagnerait casemate par casemate, tranchée par tranchée ? Des soldats tombent, d’autres prennent la ligne. Alors qu’il était au creux de la vague, des garçons qui lui doivent tout : leur formation, leur carrière politique etc. ne l’ont-ils pas abandonnés, fascinés par les lambris des palais et les sirènes du pouvoir ; ou tout simplement en opposition avec lui sur les moyens parfois peu orthodoxes pour la conquête du pouvoir ? En a-t-il tiré quelque chose comme une paranoïa envers tous ceux qui s’approchent du soleil ? Quand on pense qu’il a pu tirer des leçons des fréquentes désertions dans ses rangs, des trahisons et des ruptures avec ses « fils spirituels » et ses compagnons des temps héroïques, sommes-nous en droit de penser qu’il se serait subitement pris d’amitié et de confiance pour ce nouveau venu?

Pierre Hamet BA

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