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LA POSITION LIBANAISE: LES PRIVILÉGIÉS DE L’ADMINISTRATION COLONIALE

Le but de mon propos n’est pas de soulever l’ire des sénégalais contre les libanais ni d’inciter à la haine raciale, mais de nous donner un aperçu sur le rôle et le statut des libanais depuis leur installation au Sénégal et, de nous permettre ainsi de comprendre pourquoi, du point de vue socio-économique, ils réussissent en affaires mieux que les sénégalais et constituent encore aujourd’hui une classe moyenne peu nombreuse mais fort influente, riche, considérable et très considérée.

J’ai précédemment expliqué comment les colons, dans le cadre de la mise en valeur des territoires de l’AOF, ont permis aux libanais d’investir les niches socio-économiques d’intermédiaires entre paysans sénégalais, forcés de se spécialiser dans la culture de l’arachide et, les maisons européennes qui font le commerce de ces productions. Les libanais vont ainsi accompagner la consolidation du pouvoir impérial français et de la société coloniale qui se définit exclusivement en des termes racialisés (Stoler, 2002). Mais, à mesure qu’augmentent les flux d’entrée de migrants libanais en A.O.F et qu’évoluent les mentalités coloniales, la gestion de la présence des libanais, bénéficiant de statuts administratifs spéciaux du fait de l’engagement diplomatique de la France au Liban, se montre de plus en plus complexe. En effet, à un premier temps où leur présence est vue sous un regard positif, les Libanais participant de la prospérité globale de la colonie, succède à partir des années 1920 une période où les velléités de contrôle de l’administration coloniale se précisent.

Cependant, même poussée par la mobilisation de groupes sociaux métropolitains dénonçant la concurrence des libanais et par le repli protectionniste de la politique coloniale française au début des années 1930, l’administration coloniale ne pouvait qu’agir dans le cadre contraint des engagements diplomatiques de la France vis-à-vis des ressortissants libanais, désormais sujets des mandats qu’elle exerce depuis 1920. Mais aussi les conditions d’engagement des jeunes metropolitains dans les colonies étaient si contraigenantes (célibat forcé, aucune interaction avec les noirs, climat hostile etc) que seuls les libanais pouvaient constituer une barrière viable entre colons et colonisés. Les communautés libanaises allaient donc durablement s’établir dans l’ordre impérial français en A.O.F entre les années 1880, temps des pionniers, et 1939 où l’embrasement de la Seconde Guerre mondiale interrompt, une nouvelle fois après 1914, les circulations internationales. La présence libanaise dans les colonies etaient pour ainsi dire nécessaire à l’expansion coloniale. Elle lui permettait notamment de completer une stratification sociale au sein de laquelle l’indigène ne pouvait tout au plus qu’aspirer à l’assimilation pour espérer s’affranchir un tout petit peu de sa condition inférieure pour ne devenir qu’un vil commis de l’administration coloniale.

Il faut ici comprendre que, dans le cadre d’une politique de séparation totale entre blancs et noirs dans les colonies, le pouvoir central à user des libanais mais aussi, dans une certaine mesure, des capverdiens à partir des années 1930, pour maintenir les indigènes dans une classe inférieure sans aucune possibilité d’évolution dans l’ordre sociale coloniale préétabli. Ainsi partant, après les libanais qui occupent les commerces, les capverdiens seront utilisés pour les activités tertiaires et indépendantes comme la peinture en bâtiment, la coiffure et l’élevage de cochons. Les capverdiennes, quand elles, seront les couturières ou les femmes de ménage des colons.

Si donc, jusqu’à un passé récent les peintres en bâtiment, les éleveurs de cochons et les coiffeurs à Dakar étaient pratiquement tous capverdiens, et les libanais presque tous des commerçants, ce n’est pas parce qu’ils portent ces métiers dans leurs gènes, c’est tout simplement une subsistance de la catégorisation sociale coloniale, la même qui a fait des libanais les riches commerçants qui devait reprendre les rênes de l’essentiel de l’économie sénégalaise au lendemain des indépendances.

Pierre Hamet BA.

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