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SOPI ou SOPEKOU : l’aternance en question

Chers Messieurs,

 

Loin de vouloir juger de vos capacités intellectuelles et politiques, loin de vouloir poser sur votre gouvernement une quelconque considération, je tente ici de mener une réflexion cohérente et satisfaisante pour arriver à faire la part des différences essentielles entre ce qu’a été notre histoire avant le 19 mars 2000 et ce qui a commencé à être notre histoire après la parenthèse des années Diouf. 

Mes chers gouvernants, vous ignorez peut-être que les réalités quotidiennes de notre pays tel que nous les ressentons actuellement ne semblent pas inspirer une stabilité socio-politique durable. Vous trouverez sans doute pleins d’arguments à y opposer pour peu que vous soyez d’humeur politicienne. Seulement, si je décide de m’adresser à vous au moment même où je me demande s’il vaut encore la peine de s’adresser à des gouvernants qui n’ont que faire de ce que peuvent penser les citoyens qu’ils gouvernent, si je choisi de m’exprimer au moment où l’expression semble être en sursis dans cette patrie que je chéri, si je reprend aujourd’hui ma plume pour renouer avec cette presse que vous semblez ignorer et que vous ne lisez peut-être pas, c’est que je suis loin d’apprécier tout ce qui, ici ou ailleurs, se dit sur ce qui m’est de plus précieux au monde : le Sénégal. 

Je n’ai pas la prétention de vous évaluer chers Messieurs. Tout simplement parce que toute évaluation part des objectifs de départ pour les comparer aux résultats de l’arrivé. Etant donné qu’au même titre que le peuple sénégalais dans sa grande majorité j’ignore votre programme, étant aussi donné que ce n’est ni l’arrivée ni la fin, vous conviendrez avec moi qu’ici, il n’est point question d’évaluation. 

Tout ce qui importe, c’est ce que le peuple tout entier attendait de vous. De là il devient aisé de discourir sur ce qui a été fait et sur ce qui actuellement réveille les hostilités. Je n’ai nul besoin de connaître votre destination pour me rendre compte qu’il y a un grand écart entre les attentes de la population toute entière et les multiples réalisations dont vous ne cessez de nous parler. Si ces réalisations répondaient parfaitement aux besoins et aspirations de la population, les discours seraient-t-ils si lamentables à votre égard ? 

Chers Messieurs, faites enfin tomber les écailles de vos yeux aveugles et veuillez admettre qu’il y a problème. Et pour qu’ensemble nous arrivions à y apporter la solution adéquate, passons d’abord au crible certains faits représentatifs de l’épisode alternance.

Compatriotes, vous êtes arrivés au pouvoir dans des circonstances historiques très remarquables. 

Dans une Afrique meurtrie où ce qu’il est convenu d’appeler démocratie n’était pas et n’est malheureusement pas encore au rendez-vous des élections présidentielles, vous avez réussi à placer notre pays à l’abri de la guerre civile et de tout ce que cela peut entraîner de néfaste pour un pays et ses habitants. 

Dans un contexte de tensions sociales extrêmes où pratiquement toutes les prévisions laissaient supposer une éventuelle guerre civile dans notre pays, où nombres de représentations diplomatiques présentes sur notre territoire préparaient leur ressortissant à un rapatriement, vous avez, vous et vos adversaires de l’époque, fait montre d’une grandeur d’esprit incomparable. 

Mes chers, évitez le leurre qui pourrait vous être fatal en 2007. Vous n’en étiez pas les uniques acteurs. La victoire était partagée. D’une part Diouf qui a accepté sa défaite et d’autre part, l’image emblématique de l’opposition de l’époque qui affirmait jadis ne vouloir jamais enjamber des cadavres pour siéger au palais. Véritable leçon de démocratie, le Sénégal prouvait ainsi sa maturité au monde tout entier. Mais qu’en est-il de cette maturité aujourd’hui ?   

Chers Messieurs, si le peuple sénégalais tout entier n’en avait pas marre des 40 ans de règne socialiste, vous ne seriez sans doute pas à la place que vous occupez aujourd’hui. Sinon comment expliquer ces longues années d’opposition. 

Si le peuple sénégalais ne nourrissait pas un désespoir accru, une perte de confiance envers vos prédécesseurs, un désir de rupture avec les pratiques obsolètes et malhonnêtes qui avait fini par ébranler ses valeurs et sa dignité, il n’y aurait pas eu d’alternance. 

Si le peuple avait un seul grain de doute sur vos capacités à nous sortir de l’abîme, il n’y aurait pas eu de 19 mars. 

Si Maître Abdoulaye Wade n’avait pas trimé 25 années de sa vie pour ainsi incarner la figure emblématique capable de fédérer l’opposition autour d’une coalition, le pays serait entre d’autres mains aujourd’hui. 

Si au deuxième tour Monsieur Moustapha Niass ne vous avez pas rejoint, Diouf serait toujours à sa place. 

Si le peuple sénégalais n’était pas parvenu à faire la différence entre le spirituel et le politique, croyez moi, ces marabouts que vous adorez tant aujourd’hui,  vous aurez rangés aux calandres grecs. 

Enfin très Chers Messieurs, votre accession au pouvoir fut plus que tout autre chose l’accomplissement du désir de mettre les socialistes à la porte et de rompre avec les mauvaises habitudes tels que détournement de deniers publiques, abus de pouvoir, corruption, enrichissement illicite, mauvaise gestion, mauvaise politique, mauvais traitement…La liste est loin d’être épuisée. 

Gouvernants, nous vous avions fait confiance et avions cru que le démon qui nous confinait dans le malheur était socialiste. Vous aviez donc tout en votre faveur à votre arrivé au pouvoir. Mais qu’avez-vous fait de cette confiance ?

Messieurs, dès les premières heures de l’alternance, vous nous aviez promis de rompre avec les pratiques malhonnêtes. Ce fut le temps des audits. Nous nous voyions sur de nouvelles bases. Enfin, nous disions-nous, les fautifs allaient payer, les malhonnêtes déguerpis, nos désirs assouvis, le pays mis sur orbite. Voyez-vous Chers Messieurs, nous n’attendions pas grand-chose de vous. Nous voulions juste une preuve de votre bonne volonté. Mais qu’en fut-il ? 

Quatre années après, il semble que cette promesse ne soit pas encore tenue. Nombres de ceux qui furent du régime socialiste que nous pensions auteur d’actes condamnables sont devenus vos alliés. Ceux qui refusèrent de retourner leur veste et qui furent soit faibles politiquement, soit gênants eu égard à leur force politique sont devenus victimes de leur idéaux. S’ils n’ont pas été emprisonnés, ils n’existent pratiquement plus. 

Chers Messieurs, que sont devenus les résultats d’audit ? Qu’est-il advenu aux auteurs de détournements, et de ce Kaolackois qui affirmait publiquement avoir profité des deniers publics ? Nous ne savons toujours pas s’il y a réellement eu  pillages des ressources de l’Etat ou s’il n’en fut rien. 

Mes chers, ceci a été votre première erreur. Non pas que vous soyez cléments envers vos prédécesseurs mais que vous n’ayez pas dit au peuple ce qu’il en est vraiment. Pourtant il vous suffisait de punir les fautifs pour tonner le passé. Pour dire plus jamais cela, pour inviter les citoyens au travail sérieux et honnête. Ce ne sont pas les théories et les belles phrases telles que « …Travailler, toujours travailler, beaucoup travailler, encore travailler » qui nous sortiront de la prison du laxisme et de la corruption dans laquelle nous séjournions avant vous et dans laquelle fort malheureusement nous séjournons encore. 

Gouvernants, tant que vous ne vous prononcerez pas sur la question, le peuple continuera de perdre confiance en vous. Il pensera que vous récupérez les malfaiteurs, que vous les utilisez à des fins politiciennes, que rien ne vous intéresse si ce n’est votre réélection, qu’enfin vous n’êtes pas si différents de vos prédécesseurs. 

Vous êtes peut-être à mille lieux d’imaginer qu’un jour le peuple puisse vous considérer comme tel. Mais Chers vacanciers, usez de vos cervelles et dites-nous ce qui peut aujourd’hui nous permettre de faire la différence entre les pratiques anciennes et celles prétendues nouvelles. 

Excellence, ce n’est pas parce que vos déplacements sont couverts par des caméras qui nourrissent l’idée d’une nouvelle majorité que vous êtes indiscutablement l’élu de 2007. Veuillez s’il vous plait revoir les archives visuelles de ce même Diouf que vous avez décampé en 2000. Vous vous rendrez vite compte que ce ne sont pas les vagues humaines déferlantes qui gagnent des élections mais l’engagement prouvé de mener ce pays et ses citoyens vers de meilleurs horizons. 

Votre Excellence, vos ennemis ne sont pas vos opposants car ceux-ci ne peuvent que vous permettre de revoir vos positions, d’enfanter vos idées dans les meilleures conditions, d’établir des stratégies pour avancer à pas sûrs. Votre ennemi est votre meilleur ami qui se sent aujourd’hui trahi : le peuple sénégalais dans sa majorité électorale de 2000. 

Excellence, aujourd’hui que vous êtes au pouvoir avec tout ce que cela comporte comme sens, ce ne sont pas les querelles politiques qui vous empêcheront de fermer l’œil. Soyez en convaincu, ce qui vous empêchera de fermer l’œil, ce qui risque de troubler votre existence, ce qui ébranlera vos espoirs, c’est le fait que vous attendez le moins : le peuple qui vous tourne le dos, non pas qu’il préfère un seul de vos opposants actuels à vous mais plutôt parce qu’il ne veut plus de ce système, parce qu’il a envie d’en finir, parce qu’il se rend enfin compte que Sopi n’est pas Sopékou… Comme le dit Souleymane Faye dans une de ses chansons, c’est ce que nous détestions le plus qui existe toujours dans ce pays. Alors ou est le changement dont on parle tant ?

Excellence, les projets d’aéroport, d’autoroute, de monuments, de réhabilitation des valeurs nègres dans un festival mondial, de constructions de ville et tous les projets que vos différents gouvernements nous ont jusqu’ici présentés s’inscrivent dans une dynamique autre que les besoins des populations que votre accession au pouvoir a transformé en attente.

Voila ce que vous n’avez pas très tôt saisi. Le peuple exprimait son attente quand vous nous parliez de grands projets. De fait que sont les petits projets ? Sopi le cri de guerre contre la monotonie et l’inertie a montré ses limites car rien d’autres si ce n’est le changement effréné d’hommes et de gouvernements à un rythme de car-rapide n’a véritablement été fait. D’ailleurs le car-rapide nous fait bien souvenir du Bleu et du Maïs. 

Votre excellence, si vous tenez tant à ce que vos réalisations soient rendues visibles c’est que quelque part vous reconnaissez qu’elles sont invisibles aux yeux de la population. Ce fait est d’autant plus vrai que le quotidien du sénégalais du début du 21e siècle ne diffère vraiment pas de celui du sénégalais de la fin du 20e siècle. Les manquements et les errements les plus basiques persistent encore. Coupure d’électricité, coût très élevé de la vie, salaires misérables, emplois instables, coupures d’eau, mauvais plan de circulation, aménagement anarchique du territoire comme à Mboro où la communauté rurale de Darou encercle la commune, liberté d’expression en sursis, instabilité politique et sociale, mauvaise évacuation des eaux de ruissellement, denrées de première nécessité inabordables, occupation anarchique des espaces vitaux etc.… Tout ceci figurez-vous, nous renvoie à moins 20 ans. Vient s’ajouter à cela, le changement ininterrompu de ministres qui laisse croire soit que vous ne trouvez pas les hommes capables de mener à bien votre politique, soit que vous vous êtes entourés d’incapables, soit vous tâtonnez ou encore…. Et là je vais évoquer le vieux sage : Ku ñiëp toufli nga toye

Chers « congouvernés », la manière dont ce qu’il est convenu d’appeler alternance s’est jusqu’ici manifesté ne s’inscrit que dans la logique du Sopi. De fait nos gouvernants ne parviennent pas à comprendre les raisons de nos frustrations. Parce que Sopi en réalité s’applique à des personnes qui du jour au lendemain changent de caractère et de comportement vis-à-vis de ceux qui leur ont toujours tendu la perche du soutien. Le wolof dit de ceux là qu’ils ont tourné le dos. Quand il s’agit d’un changement positif dans la manière d’être, le wolof utilise un mot composé : Sopi dokhaline ou encore Sopi Djiko que les sages utilisent pour récupérer une personne qui pourrait-on dire erre dans la déviance. Le mot Sopi utilisé sans adjectif n’est donc pas entendu dans la plupart des cas comme un acte positif. Il existe un autre mot c’est « béẅ ». D’autres mots de la même famille sont Sopelikou et Sopékou. 

  • Le premier relève du domaine mystique. C’est la transmutation de l’humain en une autre espèce animale prédatrice et terrifiante. Ce mot s’applique dans notre société à des personnes souvent qualifiées de mangeurs d’âmes. 
  • Sopékou par contre s’applique à des personnes qui accomplissent un changement radical au sens positif du terme autant physique, moral, intellectuel que social. C’est le qualificatif qui s’applique à une personne qui évolue dans le bon sens et qui de fait était dans ce que la société qualifiait de mauvaise voie. On pourrait la traduire par révolution tandis que Sopi se traduirait par Changement.

Sénégalaises et Sénégalais, que vous soyez gouvernants ou gouvernés, le temps est venu de nous rendre compte que ce qu’il nous faut ce n’est pas un Sopi, un changement d’hommes dans le seul et même système que nous avons jusqu’ici connu. Ce qu’il nous faut c’est un Sopékou, une rupture totale et une métamorphose radicale. Un changement de fond et de forme pas seulement un changement d’hommes. Et pour ce faire il faut d’abord que nous même nous changions dans notre vécu. 

L’avènement d’une nouvelle conscience est nécessaire. Une nouvelle conscience qui nous permette de repenser nos systèmes d’habitus dans la seule voie du progrès dans tous les domaines de notre société. Quelque chose de précieux est ici en jeux : le devenir de notre Nation. Et, à ce titre nous devons tous nous engager à mener notre existence au sein d’une dynamique de Sopékou, laquelle conditionnera notre survie.   

Enfin chers Messiers, il vous a fallu quatre années pour dissuader une grande partie des sénégalais, puisse donc les trois années qui précèdent 2007 vous permettent de répondre parfaitement aux espérances de la population. Dans l’attente des dispositions qu’il vous plaira de prendre pour y parvenir, je vous prie, Chers Messiers, d’accepter mes encouragements.

 

PIERRE HAMET BA

afriqueculture@hotmail.com

article publié le Mercredi 21 Mai 2003 dans les colonne de l’Info 7

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