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REALPOLITIK

«Lorsqu’une longue suite d’abus et d’usurpations

(…) marque le dessein de soumettre (les hommes)

au despotisme absolu, il est de leur droit, il est de

leur devoir de rejeter un tel gouvernement et de

pourvoir, par de nouvelles sauvegardes, à leur

sécurité future ».

Extrait de la Déclaration d’Indépendance

des Etats-Unis d’Amérique. 04 Juillet 1776

Traduction de Thomas Jefferson,

3e Président des Etats-Unis

Nous sommes en crise ! Pas une édition de journal télévisé ne passe sans que le citoyen en appelle à l’Etat. Pas un article rédigé dans la presse sans que l’Etat ne se pose au secours d’une région ou d’une catégorie de personnes en difficulté. Sous prétexte d’assurer, du haut de leur expérience mi-centenaire, une mainmise sur un ensemble de rouages vague mais complet ; sous prétexte de s’infiltrer lors des assises nationales dans tous les domaines du quotidien pour mieux les gérer ; sous prétexte de servir cette notion creuse d’Intérêt général, l’arche de l’Etat dérive dangereusement. A force de s’ingénier à imprimer aux institutions une antithèse avérée de ce que préconise la realpolitik, le système du navire ne se grippe désormais plus ; il échoue tout simplement sur la plage de l’inconséquence. Les pires présages trouvent ainsi un écho percutant. Echo impatiemment attendu par une troupe, encore peu nombreuse, de personnes sensées. Echo amèrement constaté par des dirigeants trop prompts à dénoncer les dérives abstraites d’un système dont ils ont tous été, à un moment ou un autre, acteurs. Echo tristement subi par une masse noyée dans une propagande institutionnalisée jetant abondamment le discrédit sur le PDS par cette traque à l’œuvre alors qu’elle n’a jamais été aussi statique.

Les méandres des détresses sociales, économiques et politiques actuelles ont le mérite de révéler la vérité à une majorité électorale dépassée par l’ampleur du désastre cancérigène. La cellule s’est dégradée et commence maintenant à communiquer à la Nation son programme de dégénérescence. Les hommes et les femmes dont l’ignorance sans but vient de se briser, telle une écume insensée, sur la digue des incohérences d’un système rouillé, cherchent, affolés, à remédier à la pathologie. Mais, les cancéreux sont ceux qui se complaisent à apporter des remèdes primitifs dont la posologie frôle le degré zéro du soulagement. Aujourd’hui l’Etat-bâteau est allé encore plus loin et les cellules cancérigènes grouillent en lui. Qu’il suffise pour s’en convaincre de songer à ce chapelet de promesses défiant l’entendement : Cinq cents mille emplois sur sept ans ; trente mille projets à financer annuellement, l’attribution farfelue d’une bourse familiale ou d’une allocation quelconque. Pour autant, le pire demeure moins dans les impacts directs sur l’économie que dans les conséquences intellectuelles et morales ! De telles méthodes condescendantes ne font que favoriser, d’une part, l’infantilisation d’une population qui s’en remet au Saint-Etat-de-rupture ; et d’autre part, le conditionnement des esprits qui, par réflexe, se raccroche à l’Etat au moindre bobo ressenti par le corps social. Qu’à cela ne tienne ! L’Etat est là. L’Etat est toujours là pour nous aider. L’Etat nous donne de l’argent pour combler l’irresponsabilité ambiante. L’Etat nous dicte notre conduite. L’Etat nous fait marcher au pas. L’Etat nous fond dans ce moule de citoyen moyen pour pallier ses manquements. L’Etat s’est affiché comme le seul pilier incontournable. Ce n’est pas rien !

J’ACCUSE. Quel journal publierait donc un retentissant « J’accuse » d’un Émile Zola contemporain comme le fit l’Aurore durant l’affaire Dreyfus ? Les sujets d’indignation ne manquent tout de même pas ! Depuis les libertés d’un procureur spécial sur la protection des droits de la défense jusqu’à la démission fracassante du ministre du commerce, de l’industrie et du secteur informel ; sans parler des conditions moyenâgeuses des paysans, pêcheurs et éleveurs sénégalais, des comportements haineux envers les hommes d’affaires, des pressions exercées pour étouffer toute voix dissidente envers le nouvel ordre établi, de l’absence, jusqu’à présent, de réelles preuves contre les prévenus politiques, de l’acharnement, devenu scandaleusement ignominieux, du pouvoir à vouloir démanteler le Parti démocratique sénégalais. Jamais le discours médiatique et politique n’a semblé aussi embarrassé et peu crédible. Où sont donc nos intellectuels ? Pas ceux qui, abonnés aux émissions de grande écoute, avalisent et dissèquent le message officiel, comptent les points, de part et d’autre, tout en se réfugiant derrière une confortable «neutralité» proportionnelle à l’assiduité des médias à leur égard. Mais plutôt ceux qui souffrent de cette espèce d’indifférence politique dont on a rendu la démocratie responsable prétextant que la masse n’est pas faite pour comprendre.

Il y a trop à faire pour qu’il ne soit pas indispensable de tenir perpétuellement mobilisées nos énergies sociales. La période critique ouverte par la chute de l’ancien régime n’est pas close. L’heure du repos n’a pas sonné. L’essentiel est de ne pas nous laisser retomber dans l’état de stagnation morale où nous nous sommes trop longtemps attardés. Il vaut mieux en prendre conscience que de s’abandonner à une sécurité trompeuse. Socrate a payé de sa vie l’influence de ses idées sur la scène sociale et politique d’Athènes. Platon a placé les sages et les philosophes au sommet de sa pyramide républicaine. Aristote était le conseiller et le mentor d’Alexandre le Grand. Cicéron était au cœur de l’arène politique de Rome. Camus et Sartre mobilisaient les rues. Nos intellectuels doivent donc crier ce qui ne va pas et cesser de glorifier ce qui va. Leur rôle est d’utiliser les savoirs auxquels ils ont accès et les synthèses auxquelles ils arrivent pour interpeller, questionner, critiquer ; ce qui n’est ni dénigrer, ni diffamer ; et quand le moment vient, abjurer. Mais il y en a peu ou prou qui en sont manifestement capables. L’alternative est donc posée : ou bien l’opposition prend la mesure du sacerdoce tel le déroutant Maître Abdoulaye Wade, alors opposant redoutable. Ou alors – et c’est le cas le plus probable -, à jet de pierres et de senteur de pneus enflammés, le peuple prend son destin en main et s’oppose violemment à ce qui semble de plus en plus s’éloigner d’une politique réaliste soucieuse, avant tout, de l’intérêt national au sens où Bismark entendait la realpolitik.

Pierre Hamet BA

14 Février 2013

 

 

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