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Mon Journal

TASS YAKAAR

« La résignation est un suicide quotidien. »

Honoré de Balzac – « Illusions perdues ».

 

Mais pourquoi ai-je donc décidé de me suicider ?

J’avais rendez-vous avec l’espoir. Je croyais ne plus assister à cet affligeant spectacle au lendemain de la miraculeuse pluie du 25 mars 2012. Hélas, Cheikh Anta Mbaye, le dernier à s’être immolé devant les grilles du palais de la République, m’aura fermement démenti. Les remplaçants irrités par une tactique qui les a trop longtemps tenus à l’écart, mais tout de même déterminés, opiniâtres et affamés d’initiative, ont quitté le banc de touche pour revigorer et perpétuer, d’une soif, d’une fureur et d’une hargne déconcertantes, le système que nous avons tant combattu. 

Maintenant j’ai rendez-vous avec la mort. Tintin chavire son radeau au comité sénégalais des droits de l’homme ; Lat-le-faux ancien « opposant de conscience » transforme son stylo en tube digestif pour ne devenir qu’un furibond chien de garde ; Braqué-Lo suce les bonbons du cabinet du Chef de l’Etat-Bateau ; le Facteur-de-l’Elysée dépièce le parti socialiste et s’y fossilise ; le Buddha-de-Thiès tente, à coup de révélations et de larmes, de passer pour le chef de l’opposition interne et externe ; la Gouvernante-de-l’Etat-Bateau s’attèle plus à étancher la soif de revanche de son maître qu’à rendre justice au peuple sénégalais ; le Blanchisseur-des-beaux-quartiers cherche à s’éterniser à la primature ; Tabanka-Jazz liche les bottes pour sauver des assises la Brute-des-sicaps ; et le Shérif-de-Soweto troque son parti contre cinq ans à l’Assemblée nationale.

S’accaparer donc de nos deniers publics entre voitures rutilantes, maisons de fonction, fonds politiques, budget de campagne, corruption de fonctionnaires indélicats d’une certaine presse, fondation circonstancielle de servitude des Sénégalais et que sais-je encore, semble, plus que tout, obséder nos dirigeants. Sinon comment comprendre qu’ils aient voulu nous faire prendre le contenant pour le contenu, la bouteille pour le jus ? Quelle galéjade ! Les caisses de l’Etat n’étaient donc pas si vides. A vrai dire, ces gens n’en valent pas la peine.

Mais pourquoi diable ai-je donc décidé de me suicider ?

Je n’ai pourtant pas été mithridatisé. Je ne suis pas l’invalide de guerre qui, après avoir rempli sa part de contrat avec l’Etat, a fini par céder à l’emprise du quotidien abrutissant dans lequel il a été confiné. Je ne m’appelle pas Hamet Tidiane Bâ non plus. Se souvient-on d’ailleurs de ce jeune sénégalais qui a tenté de suivre les traces d’Omar Bocoum en s’immolant à l’avenue Roume ? Comme Mamadou Diop, mort, écrasé par un camion de police à la place de l’obélisque ; comme six autres personnes qui ont tout aussi payé de leur vie les ambitions politiques des obsédés du plus, il demeure dans le divers des divers faits divers des gouvernants du divers.

Mais je refuse d’être logé dans la catégorie des faits-divers.

Je suis le prématuré nouveau-né prématurément mort car à peine ai-je donné mon premier souffle que la couveuse s’est éteinte, faute d’électricité.

Je suis le talibé dont ils croisent le regard tous les matins et dont ils ont récemment scellé le sort pour des raisons politiciennes.

Je suis la jeune sénégalaise dont on se sert du corps comme antidépresseur pour hommes en détresse.

Je suis le vieillard à la retraite qui, après 35 ans de bons et loyaux services, perçoit 17.000 francs CFA de pension trimestrielle. Voilà pourquoi je suis obligé de regarder, impuissant, mes filles se prostituer tous les soirs. A défaut, de quoi vivrait-on ?

Je suis le jeune garçon, titulaire d’une licence, qui n’a eu qu’un stage de serveur au Fesman sans pour autant être payé de mes 60 malheureux mille francs CFA que je rêvais de donner à ma mère. Je n’ai aucun problème. Bien sûr, à mon âge, mon père me nourrit encore et je prends du thé devant ma maison jusqu’à 1 h du matin.

Je suis le pauvre souffreteux déchanté qui s’est battu toute sa vie pour ne point jouir de son labeur. J’ai été vendeur ambulant de cacahouètes, cireur de chaussures, marchand à la sauvette, balayeurs de rue, laveur de voiture, apprenti-« car-rapide », « madame-porté », agent clandestin de change, chauffeur, paysan, gardien de nuit et de jour, avant de finir ma carrière en tendant la main sur le boulevard de la République. Et quand vient le moment de ma crise asthmatique, épileptique, cardiaque, diabétique, anaphylactique ou d’angor spastique, je n’ai même pas de quoi me rendre à l’hôpital, à fortiori, me payer des soins. Voilà comment je vais crever : pour moins de 1000 francs CFA. Mon rendez-vous avec la mort est donc imminent : « le désespoir est le suicide du cœur ». (J.P. Richter).

Pierre Hamet BA

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