Catégories
Mon Journal

APRES LE LONG SIECLE, LE SIECLE DE L’AFRIQUE

A intervalle régulier, il y a tout de même des siècles plus longs que d’autres. 19 Février 1919 – 19 Février 2009. Bientôt un siècle. 90 ans que, sous l’impulsion de William Dubois, se tenait à Paris, le premier congrès panafricain. En posant la question de la terre, du capital, du travail, de l’Education et de l’Etat, le congrès allait internationaliser  le problème Nègre. C’est une rupture. Une nouvelle vision s’esquisse dans l’histoire des peuples noirs. Mais où se situent donc les césures de l’histoire ? Sont-elles des fabrications mythologiques et chronologiques ? Portent-elles la marque d’un événement particulier ou s’inscrivent-elles dans le silence de la longue durée ?

 

Depuis la chute du mur de Berlin, les données géostratégiques ont changé. L’ennemi soviétique a disparu mais les dangers planent sur nos têtes. Le géostratège américain,  Zbignew Brezezinski, dans Le vrai choix soutient qu’après avoir piégé la Russie en Afghanistan, s’être proposé de désagréger la Fédération de Russie en la séparant de ses républiques du Caucase dont la Tchétchénie, pour assurer la suprématie mondiale des Etats Unis et leur mainmise sur le pétrole de la Mer Caspienne. La Russie, par la mise à feu de la Géorgie, donne un coup de frein à ces prétentions expansionnistes. Est-ce le début d’une nouvelle guerre froide ?

 

Les événements chronologiques souvent cités sont-ils les événements les plus marquants du temps des hommes ? Les batailles de Salamine ou de Zama, Bouvines, la guerre des Deux Roses, les deux épouvantables guerres mondiales ou plus récemment les deux guerres en Irak, constituent-elles des césures ? Qu’en sais-je ? Mais à coup sûr, la bataille de Tondibi constitue une rupture de l’ordre africain ancien.

 

Nous sommes en 1591, le sultan marocain Ahmed El Mansour lance une expédition contre l’Empire Sonrhaï. Elle compte plus de 10.000 hommes, Berbères et Andalous, sous les ordres de Djouder Pacha, un énuque espagnol converti à l’islam. L’armée de l’Askia se porte au devant de ces mercenaires. Elle adopte les méthodes classiques de combat en se protégeant de l’ennemi par des troupeaux de bœufs. Bouliers et lancent constituent l’essentiel de leur armement. Les mercenaires ont une supériorité de taille. Ils possèdent des arquebuses et des canons. Dés les premières salves, c’est la stupeur, le carnage et la débandade : c’est la fin d’un monde.

 

Nous avons quitté le 20eme siècle pour entrer dans un nouveau millénaire. Cela paraît grandiose tout comme le fut la fameuse peur de l’an mille qui hanta les esprits du moyen âge européen. Qu’est-ce que donc l’histoire ?

 

Une tirade du philosophe Paul Ricœur estime qu’entre l’immensité  du temps cosmique et la brièveté d’une existence humaine, l’homme a créé le temps calendaire. Semailles, moissons, récoltes, sont autant de repères qui lui permettent d’imprimer sa marque dans le déroulement grandiose du duopole Espace-temps. Chaque fait, chaque événement s’inscrit dans une trajectoire, une sorte de chronologie qui permet à l’homme de conjurer l’angoisse de la mort et de l’anéantissement. L’histoire, n’est-ce pas le temps des hommes ?

 

Pendant plus de deux mille ans, l’histoire humaine a été mise en scène, théâtralisée par une infime partie du monde : l’Europe. Elle s’est longtemps accaparée la centralité de l’histoire. Le reste du monde n’ayant été pour elle que barbarie ou, en tout cas, très périphérique. La longue lutte du monde hellénistique contre les Perses, la bataille navale de Salamine, la bataille des thermopiles, les guerres médiques, l’épopée d’Alexandre contre Darius, symbolisent, au delà du monde grec, toutes la volonté de l’aventure européenne d’imposer un ordre universel au reste du monde.

 

Au moyen âge, les Princes européens organisent des expéditions militaires – les fameuses croisades – pour délivrer le tombeau du christ des mains des « infidèles » musulmans. Dés le 15e siècle, par le fer et par le feu, l’Europe soumet le Nouveau Monde. Des millions d’Indiens, encore sous le coup de l’hébétude, sont anéantis. Des côtes d’Afrique à l’intérieur des terres, les noirs sont raflés et envoyés dans les plantations du « Nouveau Monde ». Soumis à un état servile d’enfer, ils allaient, pendant trois siècles, subir la plus grande injustice de tous les temps. La colonisation parachève l’expansion de l’Europe sur toutes les mers et les terres du monde. Il n’y a plus de terre inconnue. L’occident est désormais devenu maîtresse des destinées, du moins le croit-elle toujours.

 

Esclavage, colonisation, pillage des ressources du continent ont été le lot des Africains. Au nom du dieu Progrès, tirée d’une vision hédémoniste de l’histoire qui participe de la notion chrétienne du salut, les Européens ont colonisé l’inconscient des peuples extra-européens. Ils leur ont imprimé une marque ontologique qui débouchera sur un sentiment d’infériorité. L’Europe afficha ainsi sa supériorité : ce fût la naissance du Racisme.

 

A ce propos Edward Said, dans son œuvre majeure, Orientalism, soutient que les occidentaux ont « orientalisé » l’Orient, en ont fait une construction imaginaire, et que ces représentations ont été contrôlées et utilisées pour servir l’expansion coloniale. Pour Said en effet, « la culture européenne s’est renforcée et à préciser son identité en se démarquant d’un Orient qu’elle prenait comme une forme d’elle-même, inférieure et refoulée », écho à la phrase terrible de Sartres dans sa préface aux Damnés de la Terre : « l’Européen n’a pu se faire homme qu’en fabriquant des esclaves et des monstres ».

 

Dans la même veine, le philosophe Valentin-Yves Mudimbé pense tout aussi que l’Occident a inventé l’Afrique. Dans The invention of Africa, il dénonce « l’ethnocentrisme épistémologique » du discours occidental, et souligne combien il est difficile, pour un intellectuel africain, de sortir des systèmes conceptuels et des catégories apportées par les Européens pour définir une perspective proprement africaine. N’est-ce donc pas là, la crise ?

 

La construction d’une pensée africaine sur l’Afrique est presque devenue utopique. Visiblement c’est une crise de la pensée. Mais, cette crise de la pensée n’impose-t-elle pas une pensée de la crise ?

 

Tous les penseurs européens, de l’antiquité aux temps modernes, ont une vision téléologique de l’histoire. Il faut en conséquence dépoussiérer celle-ci.

 

Une vitalité africaine est à l’œuvre de l’histoire de la longue durée. Pendant 3.500.000 ans, l’Afrique fut aux avants postes de l’histoire. L’Egypte, mère des civilisations, a engendré le miracle grec qui, à son tour, donna naissance à la civilisation européenne. Cheikh Anta Diop et, dans son sillage, Théophile Obenga ont dépoussiéré l’histoire africaine. Tout au long du 19e et du 20e siècle,  les noirs du « Nouveau Monde »  ont résisté à l’infâme joug qui pesait sur eux. Toussaint Louverture allume le premier les flammes de la liberté. Il servira d’inspirateur à Simon Bolivar et aux patriotes d’Amérique Latine qui secouèrent le joug Espagnol.

 

De la guerre de sécession qui vît la libération des noirs d’Amérique à l’engagement des troupes noires africaines et américaines (les fameux Harlem helle fighters) sur les théâtres d’opération européens, l’Afrique et sa diaspora sont en réalité entrées dans la centralité de l’histoire non sans calendrier et programme.

 

L’Afrique, à peine libérée de l’impérialisme, subit le poids de la balkanisation, puis du néo colonialisme avec son cortège de coups d’Etats fomentés par des centurions formés à l’école coloniale. Dans les enjeux de la guerre froide dont les répercussions sur le continent Noir sont considérées avec mépris comme des conflits de basse intensité, l’Afrique fait l’objet de convoitises du fait de sa position stratégique et de ses ressources considérables.

 

Un métis, de père africain et de mère blanche américaine, a été élu Président des Etats-Unis. L’Amérique a subi une révolution. Après la guerre de Sécession, Pearl Harbour, la Nouvelle frontière de Kennedy, la guerre du Vietnam, c’est une nouvelle césure dans l’histoire américaine.

 

Sommes-nous entrain de quitter la conception Westphalienne de l’histoire née aux lendemains de la Guerre de Trente ans, et qui remembre l’Europe dans un gigantesque  maelstrom d’intérêts étatiques, dynastiques, religieux qui ne put, ni mettre fin aux guerres qui ravageaient l’Europe, ni établir les vraies règles d’un projet de paix perpétuelle comme le suggérera Emmanuel Kant plus d’un siècle et demi plus tard ?

 

Il y a 53 Etats en Afrique. Mais mon sentiment est que l’Union Africaine ne pourra jamais s’appuyer sur des Etats-nations. Le fait est pourtant saillant. En Afrique, les Etats ont précédé les Nations. Les déchirures meurtrières actuelles ne participent-elles donc pas de la construction-reconstruction de futures nations, complètement différentes de l’amalgame de peuples qu’on a voulu mécaniquement ériger en Nation au lendemain des indépendances, comme si Berlin était un décret divin ? L’Union Africaine, telle qu’elle est présentement développée est un placage de modèles qui ne ressemblent pas à l’Afrique. Une piste judicieuse pour elle pourrait être le modèle de l’Union Indienne.

 

Du point de vue mondial, le diagnostic pourrait être le suivant : il faut surveiller de près l’évolution d’une perspective de monnaie unique Yen-Yuan entre le Japon et la Chine. Cette dernière veut être le moteur surpuissant de l’union à venir. Si un tel partenariat venait à naître, les Corées ne pourraient que s’y joindre et l’on aurait un bloc redoutable à bien des égards. Les Etats-Unis sont acculés en Irak et n’ont pas réinventé les solutions du futur. En effet, la vision du progrès impulsé par la haute technologie et pensée par le monde anglo-saxon est le produit d’une école fonctionnaliste à laquelle on ne peut adhérer. La conflictualité n’est pas un problème de technicité mais de diversité. Il y a une pensée qui considère qu’il n’y a pas de problèmes globaux, donc pas de solutions globales à rechercher.

 

Faut-il alors désespérer de l’Afrique. On dit qu’elle est le continent le plus pauvre, que famine, sida, grandes endémies et guerres civiles l’affectent. Tout cela est vrai mais n’oublie-t-on pas une chose ?

 

Sa vitalité humaine, sa jeunesse à l’assaut d’un Nouveau Nouveau Monde, l’enthousiasme et la foi des ses peuples qui ont une vision optimiste de la vie et des choses du monde, ses immenses ressources et demain, son unité n’ont feront-ils pas le centre de décision du monde. Mais faudra une stratégie à l’échelle du continent. Le chancelier Bismarck, en voulant réaliser l’unité de l’Allemagne, avait une stratégie. L’empereur Teno, en lançant  l’ère Meiji en avait une. Mao Tsé Tung, en entrant à Pékin le 1er Octobre 1949, avait une vision de la Chine élaborée depuis les grottes de Yenan revisée par Deng Tsiao Ping avec ses quatre modernisations. L’Afrique a-t-elle des géostratège capables d’enfanter autre chose que d’innombrables plans mort-nés ?

 

Le 20e siècle a été le siècle le plus long de toute l’histoire de l’humanité. Il a potentialisé et condensé tous les ingrédients contenus dans les chaudrons de la préhistoire, de l’antiquité, du moyen âge, de la Renaissance et des temps dits modernes. Le 20e siècle a  produit plus de progrès qu’en plus de 4 millions d’histoire humaine. Il n’a cependant pas été bénéfique à l’Afrique et aux peuples Noirs. Et voilà qu’arrive le siècle court, le siècle de l’Afrique, le 21e siècle.

 

Mais enfin, sommes-nous entrain de rêver ? Est-ce de l’utopie ? Ou, est-ce tout simplement la traduction d’une nouvelle forme de conquête d’un Nouveau Nouveau Monde qui prend naissance sous nos yeux sans que nous n’en soyons conscients, indignés par le spectacle des pirogues de fortunes ?

Pierre Hamet BA

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *