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Conakry : Enjeux d’un pouvoir en jeu

Le Général Président est mort, l’armée a pris le pouvoir en République de Guinée. Pour nous autres qui ne sommes pas habitués à la présence militaire dans la gestion des affaires publiques, l’information intrigue. La communauté internationale condamne. En fins défenseurs de la démocratie, les puissances occidentales s’érigent contre la junte militaire au pouvoir. La Guinée est à nouveau sous les projecteurs. C’est le début d’une nouvelle histoire à laquelle je me propose d’assister.

 

Le Novotel où je séjourne pour la circonstance s’est vite transformé en centre d’affaires. Ici on rencontre tout le monde : ministres, hommes d’affaires venus d’ailleurs, Guinéens influents, personnes privilégiées. L’Etat est désormais dans la rue. Les contrats et négociations se font sur le parterre du Novotel. Il n’y a qu’à se mettre au bord de la piscine pour entendre des hommes d’Etat clamer leur puissance. « Je vais le détruire… de la même manière que j’ai cassé l’autre… laisser le avec moi, vous verrez… ». Même s’il n’est pas ici important de préciser l’identité de l’autorité qui tenait ce discours, on peut dores et déjà se rendre compte qu’une nouvelle catégorie de personnes entend prendre sa revanche sur une autre.

 

Comme si une terre inconnue venait d’être découverte, le monde se rue vers la Guinée. C’est de bonne guerre. Sous peu, on va battre les cartes. Une nouvelle redistribution sera faite et il faut surtout être au bon endroit au bon moment pour prendre sa part du gâteau. Mais qu’en est-il de ceux qui étaient déjà là ? Ceux là, de l’avis des nouvelles autorités, ont forcément trempé dans la corruption, la concussion et bien certainement ont fortement contribué à la mise à genoux du pays. Une guerre est alors ouverte. Et leur faute ce n’est rien d’autre sinon d’avoir investi un pays au moment où sa propre population le pensait pourri. Le nouvel establishment les qualifie donc de pourriture. Bientôt des prétendus barons de la drogue sont arrêtés et mis en prison. D’anciens ministres qu’on accuse d’avoir détourné des deniers publics, des hommes d’affaires qui s’étaient liés d’amitié avec les anciens dirigeants, des chefs d’entreprises qui, dit-on, n’ont jamais payé de taxes à l’Etat ou qui sont supposés être coupables de fraude fiscale, sont persécutés. Des promoteurs immobiliers perdent leurs acquis, des populations sont expropriées. L’armée plante le décor. Tout en Guinée va changer. Mais, de quelle manière ?

 

Scandale géologique et château d’eau d’Afrique, la Guinée est bien vivante. En attestent les annonces d’événements culturels sur nombre de banderoles qui bordent les rues de Conakry. Comme si de rien n’était, chacun vaque à ses occupations quotidiennes. Et pourtant, il y a bien quelque chose qui se passe. Le général est mort. Tout se passe alors comme si tout avec lui devait mourir. «Nettoyage, balayage, assainissement, remise sur les rails» entend-on dire. Autant d’expression à la mode en Guinée, comme si une mission divine venait d’être assignée au Capitaine. Mais l’information capitale ici, ce qu’il faut vraiment saisir en ces termes, c’est que la Guinée était devant l’impasse. Au lendemain donc de la disparition du Général, l’armée dit-on s’est emparée du pouvoir. Mais, on voit pointer là précisément toute l’incohérence du discours. Car en vérité, comment peut-on s’emparer d’une chose que l’on a déjà en main ?

 

Pendant près de 25 ans, le pouvoir était entre les mains de l’armée. Même si des élections étaient presque régulièrement organisées, le Général, en plaçant la présidence, les affaires présidentielles et sa propre demeure au sein même du camp militaire Alpha Yaya Diallo, mettait ainsi l’armée au coeur de la vie publique. En fait, le général avait quitté l’uniforme mais l’armée ne l’avait jamais quitté. C’est l’exception guinéenne. Dans de nombreux pays autour de la terre, voir l’armée dans les rues, c’est supposer une grande catastrophe. La place de l’armée est aux contours de la vie publique. Elle défend la nation. Et pour ce faire elle se cantonne hors de sa vue, dans les périphéries, dans des casernes, des camps et des bases militaires. L’armée n’est pas formée au maintien de l’ordre mais au rétablissement de l’ordre. La voir signifie donc l’existence d’un grand désordre auquel il faut remédier. De ce fait, chacune de ses apparitions emporte avec elle un caractère hybride où se mélangent un faible sentiment de peur, d’intrigues et une grande assurance. Mais en Guinée, l’armée est la Nation. Les armes circulent au marché, dans les commerces, bars, restaurants, hôtels… partout. Bref, les militaires font parti du décor. Et on a presque fini de ne plus les distinguer. Ne pas les voir alors serait presque synonyme de catastrophe. Vous avez raison Capitaine : la Guinée est bien particulière. Mais c’est d’une particularité inexpliquée qu’il s’agit. Car les étrangers s’y sentent menacés, mal à l’aise par la présence continuelle des armes et des hommes de front. N’est-ce pas là qui explique la raison pour laquelle ce pays fait peur ?

 

A bien des égards, la Guinée présente des allures d’instabilité. Elle donne à percevoir un spectacle bien connu des pays en conflit ou qui en sortent, alors qu’il n’en est rien quand on comprend la place et le rôle de l’armée dans l’historicité contemporaine guinéenne. Seulement, cette réalité connue de personne est presque devenue insaisissable. A moins donc qu’on ne porte un intérêt tout particulier à ce pays, on n’arrivera jamais à en comprendre le fonctionnement endogène, singulier et glissant. Les institutions internationales auront beau décrié les militaires au pouvoir, exigé l’organisation d’élections transparentes, mais à l’état actuel, l’armée ne peut être tenue à l’écart de la vie publique de la Guinée. La raison est bien simple, les pages de son histoire sont tellement lourdes qu’il faut s’y prendre avec patience pour arriver à en tourner une. Il convient donc de tenir un langage de vérité au Capitaine. Ne pas lui faire faire des plans sur la comète qui finiront par décimer ce pays et le rendre plus instable qu’il en donne l’air. La vérité c’est ce qui sert. Et ici, ce qui sert la communauté internationale, c’est d’arriver à installer un jeu politique tellement subtil que le capitaine y perdrait son latin. Les enjeux sont grands et visiblement le Dadis et son équipe ne sont pas préparés à en saisir les fondements et les objectifs. Tout se passe alors comme s’il s’agissait d’un parc d’attractions dans lequel on laisse les enfants aux commandes, le temps de les divertir, pour mieux s’approprier les privilèges de leur maman. Comment alors s’attendre à l’arrivée massive d’investisseurs qui, dès leur sortie de l’aéroport de Conakry Gbessia, ne ressentiront que le désir pressant de retourner chez eux. Vraisemblablement, Dadis Camara ne s’est pas encore rendu compte que sa politique ne prospérera pas dans ces conditions.

 

Dans d’autres pays où une telle situation ne prévaut pas, de longues années n’ont pas suffi à attirer des investisseurs dignes de confiance. Si nous prenons le cas du Sénégal dont Dadis Camara semble avoir pris pour exemple la démarche de son Président, il y a fallu la mise en place d’une véritable stratégie. En plus de sa participation active dans les ensembles politico-économiques sous-régionaux qui lui confère une monnaie stable, le Sénégal a, entre autres, établi une politique de promotion de l’investissement, construit un nouveau terminal à conteneurs, amélioré sa mobilité urbaine, mis en place un réseau bancaire fiable, performant et fonctionnel, investi dans la construction de nouvelles centrales électriques, soigner l’image de sa diplomatie et de sa démocratie, séduit les institutions internationales et fait les yeux doux aux investisseurs. Et même avec tout cela, les investissements directs étrangers se comptent sur le bout des doigts. Sinon comment expliquer les Industries Chimiques de Sénégal (ICS) n’aient pas pu trouver de repreneur en temps voulu. Comment alors oser dire au Capitaine qu’avec le simple fait d’occuper la place publique tous les soirs et de tenir un discours presque effrayant, les investisseurs vont se bousculer à la porte de la Guinée. Il n’y a Conakry, que les cireurs de bottes pour tenir un tel discours. On le force ainsi à croire que tout est possible. Qu’en un temps record, il réalisera tellement de choses que les Guinéens seront prêts à aller aux urnes pour le consacrer. Mais, ici aussi, comment organiser des élections avec tous les chantiers en cours : lutte contre les narcotrafiquants, audit et protection du patrimoine de l’Etat, mise en place de structures électorales performantes et d’un fichier d’électeurs fiable, dégèle des activités politiques et syndicales, «déminage» du secteur minier etc.… Autant de choses qui laissent croire qu’un séisme pourrait se déclarer dans ce pays. Car on n’a pas encore fini de surfer sur le nuage de la prise du pouvoir qui incite plus à l’euphorie qu’à la lucidité. Pour peu qu’on s’arrête et qu’on y scrute la quintessence, on se rend vite compte que l’importance du nombre de choses à faire n’autorise à aucun esprit saint d’espérer des élections dans les deux ans à venir. Les personnes qui se présentent aujourd’hui dans ce pays, n’y viennent que pour se placer dans un champ en pleine reconstruction. Les attentes du Capitaine pourraient-elles trouver satisfaction avec des orpailleurs, des exclus du partage de l’occident à la recherche de l’eldorado ou des gens qui cherchent à augmenter leur influence.

 

L’équilibre de la terreur a disparu. Et depuis, le monde n’est plus gouverné de la même manière. Le Capitaine Moussa Dadis Camara doit alors se rendre bien compte que la Guinée n’est pas isolée. Et quand bien même il s’agisse d’un pays d’exception, eu égard à son historicité et à sa constitution sociopolitique qui place l’armée au coeur des affaires publiques, elle n’échappe pas à la mondialisation. La question reste alors que faire ?

 

Entre la panne du système éducatif, la désagrégation de la santé publique, l’assainissement des secteurs économiques, le recouvrement des deniers publics, la lutte contre la drogue, la restructuration institutionnelle, la mise en place d’un fichier électoral, l’organisation d’élections libres et transparentes, la relance de l’économie nationale, la lutte contre la corruption, le retrait de l’armée des affaires publiques, et la peur d’un lendemain sanglant…. Par où commencer ?

 

Sans essayer de répondre à la question, nous pouvons tout simplement conseiller au Capitaine de ne pas essayer de réinventer l’eau tiède. Ce serait une perte de temps et d’énergie qui le conduira certainement à sa perte définitive. L’eau tiède existe déjà, autant en user et tâcher d’en faire bon usage.

Pierre Hamet BA

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