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DE LA QUESTION DU DEVELOPPEMENT AU DEVELOPPEMENT EN QUESTION.

Il y a évidemment quelque chose qui se passe. Une théorie quasi générale prétend que le vent des indépendances devait ravager les ordres coloniaux établis et permettre ainsi à l’Afrique perdue de se retrouver. Toutefois, il apparaît aujourd’hui que ce vent, au lieu de nous mettre sur de nouvelles marques, nous a plutôt égarés.

 

L’occident s’exclame alors : pourquoi l’Afrique tarde-t-elle à se développer ? Pourquoi s’embourbe-t-elle autant ? Et Kabou Axel, en 1993, lance la question : « Et si l’Afrique refusait le développement ? »

 

Autant de questionnements qui proclament hypocritement l’échec de l’assistanat, de l’aide au développement et des politiques africaines actuelles. Où se trouve alors le mal ? Est-ce en nous, ou est-ce plutôt au sein de ces questionnements que nous devons le trouver ?

 

Les préoccupations occidentales sur notre sort sont significatives. Elles ne disent pas que les occidentaux nous sont solidaires, elles parlent plutôt de l’attitude paternaliste occidentale. Elles n’entendent pas nous assister mais elles dénoncent toutes les mesures prises à l’encontre de l’Afrique. Elles crient fort silencieusement que l’occident plutôt que de nous servir, nous a asservis. Enfin, elles fustigent l’aide au développement car les occidentaux qui se disent développés sont loin de se désintéresser de leur propre développement.

 

Ainsi les occidentaux qui prétendent nous aider nous sucent dans l’attrait de leur propre développement pour enfin nous confiner dans une paresse, dans un refus de progrès, dans une infériorité mentale qui nous exige de reproduire leurs schémas, de calquer, copier, imiter, jusqu’aux moindres détails, leurs coutumes, comme si celles-ci étaient des normes universelles. On comprend alors aisément les préoccupations de Kabou Axel et celles plus récentes de Stephen Smith.

 

C’est qu’aux yeux de l’occident, nous ne représentons pas plus que des bébés, incapables donc de nous prendre en charge. Et, ils doivent nous mettre des couches.

 

D’abord ils entendaient nous mettre la couche du bien être moral et matériel dans une vocation missionnaire ayant pour but de nous faire simultanément partager leur vérité évangélique et leur croyance au progrès. L’homme blanc se croyait alors investi d’une mission sacrée : la civilisation, car pour lui les peuples forts devaient apprendre aux races inférieures, faibles, voire dégénérées, comment s’organiser, régir la société, utiliser les ressources…

Néanmoins, cette prétendue couche civilisatrice ne caractérisait que le contact déstabilisant entre différentes croyances, idées, sensations, affects, actions concrètes… En vérité la colonisation n’était que le résultat d’un choc culturel mal digéré dû à une rencontre avec des systèmes d’habitus différents des leurs. Ce choc culturel, alimenté d’une vision ethnocentrique, à amené l’occident à ne pas nous reconnaître la qualité d’humain, le droit de faire partie de l’humanité.

 

Cette première mission civilisatrice n’était donc basée que sur une incompréhension de nos valeurs culturelles. Elle n’avait pas pour but d’améliorer nos conditions de vie car la civilisation emporte avec elle des significations additives. Elle véhicule une évolution vers une vision linéaire du monde (celle de l’occident) malgré nos différences culturelles. En définitive  il ne s’agissait là que d’une mission d’occidentalisation.

 

Ce ne sont donc pas les formes politiques coloniales qui sont les plus dangereuses. Mais de nos jours, quand on parle de la colonisation et de ses conséquences sur l’Afrique actuelle, on disserte ordinairement sur sa forme politique. On néglige trop souvent sa forme d’organisation économique qui transporte avec elle une culture : un modèle de rapport à la nature, aux choses et aux autres. On occulte ainsi le désir occidental de savoir tout sur tout et de maîtriser le monde qui nous entoure. Les conquêtes de l’empire romain, les croisades, la planète triangulée par les flux d’épices, d’esclaves et d’or…et les invasions américaines plus récentes traduisent tous une même volonté : la prétention occidentale à l’hégémonie.

 

L’occident s’imagine encore grande manufacture de l’univers ; et le reste du monde, pourvoyeur de matières premières. Naturellement, son mode de fonctionnement n’a pas manqué de susciter d’innombrables critiques, mais jusqu’ici ces critiques n’ont jamais porté sur l’évolution économique et technique que favorise l’industrie.

 

Le mouvement marxiste n’a jamais remis en cause l’accumulation des forces productives et les technologies nécessaires au développement. Les  libéraux capitalistes et les socialistes entretiennent tous deux l’idée selon laquelle le progrès social ne peut résulter que de l’accroissement de la richesse d’une société.

 

Donc la même idée du progrès est partagée par les pays communistes, les pays socialistes et les pays capitalistes. Ils sont pour ainsi dire tous impliqués dans une conception fondamentale de la réalité : celui qui vient du projet des lumières.

 

Je n’ai pas l’ambition de retracer ici précisément l’histoire économique et politique du colonialisme, mais plutôt de nous donner un aperçu de l’idéologie qu’il a transportée pour nous amener à réfléchir sur la situation actuelle des relations Nord – Sud.

 

Autrement dit, face à la situation africaine actuelle qui ne fait que s’aggraver, il devient important d’essayer de comprendre et d’expliquer comment les sociétés aujourd’hui industrialisées se sont développées, pourquoi certaines d’entre elles sont en crises et en sortent difficilement, pourquoi d’autres ne se sont industrialisés que plus tard et si lentement, ou pourquoi d’autres encore n’y parviennent pas du tout.

 

En d’autres termes, afin de proposer de nouveaux éléments destinés à améliorer nos politiques nationales, il convient de remettre en question l’idée de développement, d’y intégrer la notion d’identité culturelle pour la rendre relative ou tout simplement d’y remédier à travers des systèmes basés sur notre culture ainsi que l’exige l’assertion Senghorienne : « la culture est au début et à la fin du développement ».

 

Toutefois, quel est le sens de ce développement dont on parle autant ? Est-ce l’expression d’une politique de progrès ? Est-ce un concept au moyen duquel accuser davantage le  retard de l’Afrique ? S’agit-il d’une politique de rattrapage, ou est-ce tout simplement une politique d’occidentalisation ?

 

A la suite des indépendances, la société occidentale persistant à penser qu’elle incarnait l’avenir de toutes les autres sociétés, entendait nous changer de couche. Non pas que ayons chié dans celle de la civilisation, mais plutôt parce qu’il leur fallait être plus vicieux pour se légitimer. La mission civilisatrice ne fut pas abandonnée ou jeter à la poubelle, elle fut tout simplement transformée en mission d’aide d’aspect économique et technique pour traiter l’extrême pauvreté qu’a causée la prétention occidentale. La répression et la présence effective du colon devaient alors être bannies puisque les délices de son niveau de vie et le mirage de sa puissance suffisaient pour lui véhiculer une image prestigieuse. Le mode disciplinaire évolua de fait vers un mode de consentement vicieux et trompeur au sein duquel la colonisation n’était plus nécessaire à la domination occidentale ; la contrainte et la domination toujours présentes devenaient impalpables, l’occident impérialiste se faisait coopérant, l’imposante occidentalisation devenait de l’ordre du choix, la propagande à l’égalité des chances devenait effective. Il ne leur restait dans ces conditions qu’à nous achever, en ouvrant la course au développement. L’occident prétend alors que même si les sous-développés sont un peu en retard sur les développés, ils peuvent espérer, puisque les chances sont prétendues égales, combler l’écart à l’image du sous-chef  qui peut toujours rêver de devenir chef à son tour…à condition de jouer le même jeu et de ne pas avoir une vision trop différente de la chefferie.

Illusion je proclame ! Et illusion devraient proclamer tous les Etats africains qui n’aperçoivent plus la lueur du développement. En réalité, les pays développés ne sont pas statiques. Bien au contraire, ils sont d’une grande mobilité car ils leur faut garder cet écart qui légitime leur statut de modèle. L’occident qui prône l’égalité des chances au développement en nous ouvrant la possibilité de participer à la course, avec son assistanat et son aide, ne se laissera jamais rattraper sous peine d’être dévalorisé et de perdre sa place de modèle. Son contenu n’est donc pas fixe. Il lui faut créer perpétuellement de nouvelles normes qui alimentent la distance. C’est pourquoi, la définition du développement qui nous semble évidente à chacun de nous, n’est pas toujours commune à tous, car nous avons des idéaux différents. Le sens que l’on a donné au développement a, tout au long de l’histoire, évolué en fonction de facteurs historiques et culturels. Mais il y a une constante qui se définit par : condition idéale de l’existence sociale dans un contexte social et historique donné. Il est, par conséquent, indispensable de ne pas réduire le développement à un aspect économique, car adhérer à un modèle économique c’est être entraîné dans une façon de voir les choses et dans une philosophie de vie loin des réalités que nous vivons. Le développement est ainsi indissociable de ses autres aspects à savoir le culturel, le social, le politique… On peut même dire que la culture n’est pas qu’une dimension du développement, mais au contraire que c’est le développement qui est une dimension de la seule culture occidentale. Aspirer à ce modèle c’est comme dit Serge Latouche communier dans la foi en la science et révérer la technique, mais aussi revendiquer pour son propre compte l’occidentalisation, pour être plus occidentalisé afin de s’occidentaliser encore plus. Le développement, produit culturel de l’axe du bien (entendez les relations Nord – Sud) n’est donc pas l’expression d’une politique de progrès. C’est plus qu’une politique de rattrapage, une politique d’occidentalisation. C’est même bien plus qu’un concept au moyen duquel accuser davantage le retard de l’Afrique. Le développement est la forme dominante du projet civilisateur qui a mûri en occident. Il s’agit donc d’un mensonge qui nous exige de faire comme si. On continue à espérer plutôt que d’avouer l’échec alors qu’il ne s’agit que d’une couche trouée qui nous met à nu quand l’occident se couvre de bien être. A chacun donc de faire comme si. De cette sorte, grâce à la banalisation de cette indifférence au réel, le développement pourra continuer de faire illusion, non plus comme la justification, à priori, des pratiques de mondialisation ; mais comme leur conséquence possible mais incertaine, au terme de l’histoire.

S’attacher à une croyance de l’ordre du virtuel qui se présente sous la forme d’un au delà paradisiaque résigné au « comme si » qui légitime le processus de globalisation dont les conséquences sont dramatiques, telle est la nouvelle couche que nous amène l’occident. A défaut de certitudes, il nous suffit de faire comme si… Comme si les malheurs d’aujourd’hui portaient en germe le bonheur de demain… Comme si le développement était généralisable, comme si la dette africaine pouvait être remboursée, comme si le rattrapage des pays riches par les pays pauvres était possible, comme si la croissance illimitée pouvait être durable. Comme si le virtuel pouvait triompher du réel. Comme si nous étions tous des occidentaux.

Votre Excellence, comme enfant, nous l’avions appris et chanté : « (…) Nous disons non… [car] nos ancêtres (…) ont tracé droit le chemin et forgé notre destin ». Il est temps de sortir de cet axe du mal, de passer du constat d’échec au refus, des rêves rassurants aux questions sérieuses, de l’illusion à la réalité même si aujourd’hui tout incite à les confondre.

 

Pierre Hamet Bâ

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