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LE SOUCI DE SOI: Le Saint et le Politique

II. PROJECTION. Fabriquons un Saint. Nous aimons les saints. Ils incarnent l’idée du pur, de la droiture. Cette pureté et cette droiture ancrées dans notre imaginaire que nous avons été amenés à reconnaître comme la forme aboutie de notre être. Or, les religions desquelles nous participons s’accordent toutes en ce qu’au commencement était le péché. Le mal, associé donc à l’impureté et à la déviance a, pour ainsi dire, précédé le bien. Ce qui, par ailleurs, est totalement cohérent car l’alternative du mal et du bien, de l’impur et du pur, de la droiture et de la déviance, est la quintessence même de notre existence. On ne peut donc penser le bien qu’en vertu d’une inéluctable nécessité du mal.

Cependant, le joug du système d’habitus social fortement empreint de religiosité au sein duquel nous menons notre existence oppresse tellement cette quintessence humaine que nous refoulons continuellement cette part d’impureté qui, pourtant, au commencement, était. Presque tout ce qui est charnel est interdit et donc rangé dans la catégorie d’indignité. Ce qui a pour effet une sorte de nihilisme ontologique qui suggère que, dans nos sociétés, l’être ne peut être qu’à condition de faire abstraction de soi, c’est-à-dire de son essence humaine. En d’autres termes, il faut être un être au sein duquel n’existe aucune place pour l’impureté. Mais un tel être serait inachevé, voire un non-être, car c’est précisément la dialectique réelle entre le bien et le mal dans les tréfonds de notre être qui offre à notre conscience cette responsabilité supérieure qui fonde notre humanité. Toute personne qui prétend alors être un saint ne le peut qu’à condition d’avoir été préalablement couverte du manteau de la religion.

Alors, quand bien même l’adage voudrait que l’habit ne fasse pas le moine, il n’y a tout de même pas de moine sans habit. Les habits dont je parle sont ici constitués de notre propre conception de ce que serait un saint, c’est-à-dire, sans toutefois s’y limiter : le respect apparent des préceptes de la spiritualité de laquelle nous participons ; la pratique rigoureuse des prédicats et des préceptes spirituels ; le degré d’assiduité dans les lieux de culte ; le discours à tenir ; le comportement à adopter ; ce qui peut être fait, qui est à faire, qu’il faut absolument faire ou tout simplement ce qui n’est pas à faire, qu’il ne faut pas du tout faire ; et, jusqu’à l’accoutrement, l’archétype du saint indélébilement imprimé dans notre fort intérieur.

Ainsi partant, toute personne qui se rapproche de la notion, somme toute subjective, que nous nous faisons de la sainteté sera un saint. Mais uniquement à nos yeux. Aux yeux d’autres personnes, les mêmes habits peuvent tout-à-fait valoir le contraire et, ce jugement sera tout aussi valable et valable de la même manière. Mais que ce soit pour nous comme pour les autres, nous ne faisons précisément que projeter notre notion de sainteté. Freud aurait parlé de transfert. Ce faisant, nous exemptons l’objet de notre projection de l’ambivalence de l’existence qui chancelle du bien au mal.

Fabriquer un saint consiste dès lors à projeter, voire transférer au sens freudien du terme, notre propre notion de sainteté sur l’objet de notre admiration. Et voilà, nous avons fabriqué un saint. Mais un saint qui n’a aucune pureté intrinsèque, seulement la réalité, notre propre réalité subjective, projetée sur lui. La pureté constitue en cela un but poursuivi mais jamais atteint. Ainsi partant, il devient évident, et nous le savons tous, qu’il y a peu ou prou de saints parmi nous. Est-ce donc un sacrilège que de reconnaître et d’admettre l’essence même de notre âme humaine ? Nous ne sommes pas des saints !

En ce sens, le parfum de sainteté qui embaume l’espace politique est nauséabond. Puisque, de ce qui précède, il est impossible d’imaginer un être au sein duquel ne règne que le bien et d’où le mal est proscrit, pour un être qui n’a pas l’expérience du mal, rien en lui ne mérite l’attribut de bien. Dans une parfaite égalité de valeur entre toutes les formes de l’être, toute valeur disparaîtrait tant et si bien qu’il n’y a pas d’appréhension d’un phénomène sans le dehors même du phénomène soumis à la réflexion. Comme l’ombre nous permet de percevoir la lumière et lui donne son prix, une chose n’existe que par notre capacité à la comparer à ce qu’elle n’est pas, son dehors, son opposé, bref, tout son contraire.

Le politique qui putréfie l’espace publique de son parfum pestilentiel de sainteté serait un non être s’il n’y avait pas en lui un brin de mal. Et c’est là justement que se pose avec une certaine acuité la nature du mal qu’on tente de dissimuler sous le caban de la sainteté.

Pierre Hamet BA, Le Souci de Soi, In Pensées inachevées. Ed. Premier, 2022.

Crédit photo : Ousmane Ndiaye Dago, collection Femme-Terre, 2002.

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