« De tous les sots, les plus insupportables sont les
prétentieux toujours occupés d’absurdes projets. »
Goswin de Stassart. Pensées et maximes.
Passé l’an moins un de l’alternance politique, Moi, le Sénégalais corrige la copie qui lui a été servie et entreprend ainsi la notation de ce qui lui a été présenté comme le chemin de l’accroissement. A tous les niveaux de gouvernance, le capitaine peine à tenir le gouvernail. Des étudiants s’immolent pour obtenir le droit d’inscription ; la période de soudure arrive plutôt que prévue ; les hôpitaux deviennent des mouroirs ; meurtres et assassinats s’amoncellent ; l’électricité se raréfie pendant que son prix électrocute nos bourses ; les commerces mettent la clef sous le paillasson ; les ménages se désintègrent ; des prisonniers menacent d’observer une grève de la faim et même de se suicider à tour de rôle ; l’administration pénitentiaire enchaine les scandales : passage à tabac de détenus, rapprochement de conjoint etc. ; et la SOCAS, usine de transformation de produits agricoles, ferme ses portes à Dagana. Décidément, l’Etat-Bateau est menacé de naufrage dans les océans de la décroissance.
CANULAR. A vrai dire, faire de l’agriculture le principal levier de relance de l’économie nationale pour atteindre l’autosuffisance alimentaire en 2018, ainsi que stipulé dans la déclaration de politique générale duBlanchisseur-des-Beaux-Quartiers, est louable, mais demeure loin d’une orientation politique conséquente. D’abord parce qu’elle ébranle la dynamique macroéconomique du Sénégal dont le soubassement est portée par la deuxième génération du Document de Stratégie de Réduction de la Pauvreté qui place la création de richesses en ses premiers termes et donc, la Stratégie de Croissance Accélérée. Ensuite, parce que l’argumentaire qui sous-tend ce choix est fallacieux. Car en effet, à en croire le Premier Ministre dans ladite déclaration, « les politiques agricoles récentes ont été négativement marquées dans leurs orientations, leurs dispositifs de pilotage et leurs applications sur le terrain ».
FAUX ! Le recul de la part de l’agriculture dans l’économie nationale relève moins « de la vulnérabilité aux aléas climatiques » que de la saturation et de la dégradation des sols agricoles qui, de plus en plus, semblent irréversibles. Le Centre de Suivi Ecologique du Sénégal note que près de la moitié des sols de notre pays tend à perdre sa fertilité. Dans le Nord, le rabattement et la salinisation de la nappe phréatique, causés par le barrage de Diama, rendent les terres de plus en plus impropres à l’agriculture. De même, les lachures d’eau de Manantali portent, par l’érosion hydrique, des dommages sur les terres cultivables aux alentours de l’ouvrage. Au Sénégal oriental, dans le sud du Bassin arachidier et en Casamance, les fortes précipitations ont décapé les sols donnant naissance à des « bads lands » impropres à l’agriculture. Dans les Niayes, l’ensablement des cuvettes interdunaires a provoqué un appauvrissement rapide des sols, rendant ainsi improductif tout projet de maraichage.
AVÉRÉ. L’autosuffisance alimentaire n’est donc pas qu’une question de discours politique. Elle requiert de mettre en œuvre des mesures de restauration des sols ; d’orienter les spéculations agricoles selon l’aptitude des terres arables ; d’affecter à l’élevage des terres de parcours inaptes à l’agriculture ; et de maintenir les terres sensibles à l’érosion hydrique, constamment couvertes par une végétation (CSE) ; tout ensemble de préalables techniques vraisemblablement irréalisables à l’horizon 2018.
BAROMETRE. Ce sont donc là quelques raisons parmi tant d’autres qui justifient que le Chef de l’Etat-Bateau n’ait pu rien faire d’autre sinon que de consentir un rabais de -2,2% sur les prix des boissons alcoolisées, tabacs et stupéfiants et de -0,2% sur les articles d’habillement et chaussures (ANSD). Tout se passe alors comme si ces gens n’ont d’autres ambitions que de nous transformer en mirliflores avinés. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : on s’habille, on se soule et on se tait. Le coût de la vie a augmenté de 2,7% pour l’enseignement ; 1,8% pour le transport ; 2,3% pour les restaurants et hôtels ; 0,9% pour les biens et services divers; 1,1% pour la santé ; 6,9% pour les prix des céréales non transformées, 4,2% pour les poissons frais ; 4,2% pour la viande de bœuf ; 9,7% pour les légumes frais en feuilles ; 4,4% pour le beurre ; 3,2% pour le lait, 2,4% pour les huiles ; 1,3% pour le pain ; 0,2% pour les services de logement, eau, gaz, électricité et autres combustibles et de 1,1% pour les meubles, articles de ménage et entretien usuel du foyer (ANSD).
PAUVRETE. Sauf alors à prendre ses désirs pour la réalité, ladite politique économique articulée autour de l’agriculture peinera à résorber la pauvreté qui s’accroît de jour en jour, alors même que nos bourses sont constamment amenuisées par une inflation de plus en plus soutenue.
Pierre Hamet BA