Le cas Gadio reste une énigme. Il est le seul, depuis 9 ans, à continuellement occuper le poste de Ministre des Affaires Etrangères du Sénégal. Tous les hommes qui semblaient avoir de l’influence sur le Président Wade sont, soit en disgrâce, en semi disgrâce ou tout simplement perdus en cours de chemin. Qu’est-ce qui explique donc cette longévité ?
Au lendemain de la victoire du 19 Mars 2000, les Sénégalais, rivés à leurs postes de télévision, écoutent le président nouvellement élu, Me Abdoulaye Wade, égrener un chapelet de noms d’hommes et de femmes, presque tous inconnus du grand public, et qui allaient constituer le premier gouvernement de l’alternance, avec à la tête, un vieux routier de la politique sénégalaise : Moustapha Niasse. Parmi tous ces nouveaux ministres dont une bonne partie vient de la diaspora, un certain Cheikh Tidiane Gadio. Le Président n’est pas avare d’éloges à son endroit. Mais, bon nombre d’observateurs sont sceptiques quand au choix du nouveau chef de la diplomatie sénégalaise, journaliste de formation, que rien apparemment ne prédisposait à occuper ce poste qui fut le fleuron de la politique sénégalaise. On l’aurait vu à la rigueur occuper le ministère de la communication, poste tout aussi stratégique pour les débuts d’un gouvernement estampillé, au delà du volontarisme affiché, du sceau de l’inexpérience. Les bourdes ne manqueront pas du reste.
Les Sénégalais se souviennent encore des grands noms de leur diplomatie d’antan : Doudou Thiam, Médoune Fall, Seydina Oumar Sy, Karim Guèye, André Guillabert, Gabriel d’Arboussier, Ibra Déguène Kâ, etc… A la tribune des assemblées générales annuelles des Nations unies, aux sommets annuels de l’OUA, s’affrontaient les camps des révolutionnaires anti-impérialistes et des modérés considérés comme les suppôts de l’Occident capitaliste. Le conflit idéologique entre l’Est et l’Ouest faisait rage au sein de la famille africaine qui s’était divisée d’abord avant 1963, date de création de l’OUA, en deux groupes rivaux : le groupe de Casablanca et celui de Monrovia.
Quel Africain n’a pas en mémoire le ballet incessant des chefs d’Etat africains francophones venus quémander en France des subsides pour boucler des fins de mois difficiles, la traditionnelle photo avec le Grand Mentor sur le perron de l’Elysée, flanqué du Maitre Jacques de la politique de coopération d’alors, le controversé Foccart, l’exécution de l’hymne et le drapeau national flottant comme un emblème d’éternelle capitulation ? Quel Africain ne se rappelle pas les récriminations, les longues diatribes anti-impérialistes des chefs du camp « révolutionnaire » qui ont tenu leurs peuples en haleine dans l’attente « d’un grand soir » qui n’est jamais venu ?
Le Sénégal, bien qu’appartenant au camp de Monrovia, faisait entendre une petite musique, une note bien singulière qui, loin de réaliser une symphonie, évitait bien des grincements entre les durs et les modérés. Petit pays sans grandes ressources, le Sénégal sut faire de sa diplomatie la poule aux oeufs d’or. «Diplomatie de mendiants», ricaneront certains ; ou diplomatie au service de la lyre d’un poète nommé Léopold Sédar Senghor qui parcourait le monde, recevant partout des titres de Docteur honoris causa. Le Président se servait-il de son aura intellectuelle pour faire connaître le pays, ou était-ce l’inverse ? Les deux à la fois, diront les observateurs.
Abdoulaye Wade ne sera pas en reste. Issu lui aussi de l’université, il va à son tour collectionner les titres « Docteur honoris causa » au risque de s’attirer les quolibets des persifleurs qui songent au vieux nègre et la médaille de l’inoubliable Ferdinand Oyono.
Il va donc sans dire que le Sénégal a toujours sut placer des hommes dans les grandes instances internationales dont Amadou Moctar Mbow à l’Unesco et Jacques Diouf à la FAO.
Une génération d’ambassadeurs et de diplomates sénégalais s’est relayée aux Nations Unies pour faire entendre une autre voix qui faisait autorité sur bien des sujets importants : la détérioration des termes de l’échange, la lutte contre l’Apartheid, l’aide aux mouvements de libération, les droits inaliénables du peuple palestinien, la prolifération des armes nucléaires dont la commission aux Nations Unies était dirigée par l’ambassadeur Alioune Sène. On se souvient encore, en Novembre 1971, de la mission des sages dirigée par Léopold Sédar Senghor flanqué de Gowon, Mobutu, Ahidjo, dépêchée par l’OUA auprès de Golda Meir en Israël pour trouver une solution au conflit entre l’Egypte et l’Etat hébreu.
Quelles sont donc les raisons qui ont poussé le Président Wade à confier ce poste hautement stratégique à ce jeune homme, inconnu des grandes chancelleries, qui ne fut jamais militant du PDS, pas plus qu’il n’ait appartenu au bataillon des sabras qui ont accompagné Wade dans la solitude de l’opposition depuis 1974, des années de braise à la conquête du pouvoir ?
Wade, éternel étudiant, apparut comme un voltigeur dans la politique sénégalaise alors que certains de ses condisciples étaient déjà blanchis sous les harnais ministériels. On ne prit pas au sérieux l’« histrion ». « Encore une ruse de Senghor que ce parti de contribution », pensaient les intellectuels de gauche plus enclins à palabrer sur l’imminence du Grand Soir et des Internationales à venir que sur les contradictions de leur propre société. « Opposant de paille taillé à la mesure de sa majesté », ricanaient les autres. L’« histrion » se révéla pourtant un fin politique, un redoutable tribun qui sut galvaniser les foules et manier les symboliques populaires.
Durant toutes ces années, Gadio n’apparaît nulle part dans la galaxie Wade qui pourtant aimait fréquenter les insoumis, les semeurs d’idées, les intellectuels en rupture de ban. Qui est alors ce ministre qui ne s’exprime guère sur les sujets de la politique locale ? Quels sont les liens qu’il a tissés avec l’ombrageux et imprévisible président ?
Dans « Un Destion pour l’Afrique » Wade raconte sa rencontre avec le panafricanisme. Le congrès panafricain de Manchester, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, fut son chemin de Damas dans la quête du graal panafricain. C’est le congrès du relais où les militants de la diaspora comme Du Bois et Padmore passèrent le témoin aux futurs leaders africains que furent Kenyatta, Nkrumah, etc. Dans le deuxième numéro du Démocrate, journal du PDS paru en 1975, Wade affiche son credo panafricaniste à la Une avec photos à l’appui, en compagnie d’illustres devanciers comme le Président Tanzanien Julius Nyerere. Etudiant à Paris dans les années 80, le jeune Gadio fonde avec quelques amis dont Hamidou Dia, Samba Bouri Mboup, Djibril Gningue, Bouba Diop, la revue Jonction à l’orientation panafricaniste voire cheikh-Antaïste dont il devient le rédacteur en chef.
Cette rencontre sur le terrain du panafricanisme a-t-elle suffi pour justifier l’osmose qui semble se dessiner entre Wade et Gadio ?
Pendant longtemps l’opposant Wade n’a guère fréquenté le personnel politique français qui, encore sous le charme de Léopold Sédar Senghor et plus tard de son successeur Abdou Diouf, l’a longtemps ignoré. Les rares hommes politiques français que l’actuel président sénégalais fréquentait étaient des condisciples qu’il a connus sur les bancs de la faculté, à l’exception notable de Alain Madelin venu sur le tard et qui lui a été présenté par l’intellectuel malien Modibo Diagouraga. Aimant la France comme tout intellectuel sénégalais de sa génération, Wade ne comprenait pas pourquoi les autorités françaises l’avaient longtemps ignoré, lui, le chef d’une opposition légaliste dans un pays aux traditions démocratiques bien ancrées dans les moeurs.
Après le 19 mars 2000, Jacques Chirac résumera la situation à sa manière : « Que faut-il faire avec Wade pour rattraper le temps perdu ? »
Cheikh Tidiane Gadio, après avoir fréquenté la Sorbonne et le Centre de Formation des journalistes (CFJ), est allé poursuivre ses études aux Etats Unis où, plus tard, il animera un comité de soutien pour l’élection de Wade. A tort ou a raison, Gadio est estampillé proaméricain, du moins dans le jeu de la realpolitik.
Par cette nomination, Wade a t’il voulu remercier son jeune soutien ou tout simplement, a t-il voulu soustraire la diplomatie sénégalaise des moeurs de la FrançAfrique en la confiant a quelqu’un très au fait de la politique anglo-saxonne ? Ou plus prosaïquement, a-t-il, comme Napoléon, vu son Talleyrand en la personne de ce jeune homme lisse et peu englué dans les broutilles de la politique politicienne et des moeurs politiques locales ?
Ce que l’on peut dire, c’est que dès sa prise de fonction, Cheikh Tidiane Gadio a mené un intense activisme diplomatique. Le Sénégal rompt ses relations diplomatiques avec Taïwan et renoue avec la Chine continentale.
Cette décision, porte-t-elle la marque du ministre des affaires étrangères, ancien visiteur de la chapelle maoïste ? Ou ont-ils tous les deux eu conscience du poids de ce pays continent au milliard et demi d’habitants et peu regardant, en matière de coopération, sur les droits de l’homme, sujet qui empoisonne désormais les relations entre les pays africains et les anciennes puissances impériales, devenues subitement plus exigeantes avec leurs anciennes colonies ?
Les résultats ne se font pas attendre. Les chantiers chers au Président poussent comme des champignons avec le concours des Chinois. Avec plus ou moins de bonheur, Gadio s’implique dans les interminables conflits africains, dans des palabres et des négociations qui semblent ne jamais s’achever : Madagascar, Côte d’Ivoire, Burundi, Mauritanie, Bissau, Conakry. La boulimie de la diplomatie sénégalaise ne semble plus connaître de limite planétaire. Le Président Wade déclare être invité à s’impliquer dans l’interminable conflit du Moyen Orient, entre Israéliens et Palestiniens puis entre le Pakistan et l’Inde.
Aux lendemains des attentats du 11 Septembre, le Président et son ministre des affaires étrangères réunissent à Dakar un aréopage de chefs d’Etats africains pour condamner le terrorisme et apporter leur soutien à l’Amérique de Bush dont Wade se flatte d’être un interlocuteur privilégié.
Au début de son magistère, les relations du Président Wade avec certains de ses pairs africains sont houleuses et quelques fois au bord du conflit : Mauritanie, Togo, Côte d’Ivoire, Gambie, Gabon.
Le sapeur Gadio est il passé par là pour éteindre les incendies allumés par son bouillant Président ?
Pourtant, à la surprise générale, le Président Wade reçoit le prix Houphouet Boigny de la paix.
Est-ce le fruit d’un intense lobbying mené par l’infatigable ministre des affaires étrangères ? Y-a-t-il une diplomatie souterraine plus discrète, loin des déclarations porte flammes ? Ou, les deux hommes se sont-ils tout simplement répartis les rôles : l’un disant tout haut ce que l’autre pense tout bas en secouant le cocotier africain et en asticotant de temps à autre les dinosaures africains dont certains comptabilisaient une quarantaine d’années au pouvoir ?
Quoi qu’il en soit, le tandem Wade-Gadio arrêtera vite les frais de cette politique hasardeuse faite d’improvisations et qui, soit, porte l’humeur du Président ; soit, relève tout simplement de l’amateurisme.
Cependant, le Président qui s’est souvent retrouvé seul, à des années lumière du pouvoir au point que certains d’entre ses compagnons et alliés se demandaient si le but à atteindre n’était pas devenu un mirage, serait-il aujourd’hui en mesure de nouer un nouveau pacte ? Ayant cependant lu Clausewitz, ne savait-il tout aussi pas que le combat serait rude et qu’il se gagnerait casemate par casemate, tranchée par tranchée ? Des soldats tombent, d’autres prennent la ligne. Alors qu’il était au creux de la vague, des garçons qui lui doivent tout : leur formation, leur carrière politique etc. ne l’ont-ils pas abandonnés, fascinés par les lambris des palais et les sirènes du pouvoir ; ou tout simplement en opposition avec lui sur les moyens parfois peu orthodoxes pour la conquête du pouvoir ? En a-t-il tiré quelque chose comme une paranoïa envers tous ceux qui s’approchent du soleil ? Quand on pense qu’il a pu tirer des leçons des fréquentes désertions dans ses rangs, des trahisons et des ruptures avec ses « fils spirituels » et ses compagnons des temps héroïques, sommes-nous en droit de penser qu’il se serait subitement pris d’amitié et de confiance pour ce nouveau venu?
Il me semble l’avoir déjà dit quelque part mais ce ne serait pas un tord de le répéter ici. « Nous vivons dans une société où seul le résultat compte. L’on nous juge en fonction de notre appartenance politique ou de notre avoir. Peu importe que nous ayons vendu notre âme, retourné notre veste, hypothéqué la vie de nos frères et de nos enfants, souillé notre corps dans la pédophilie, trahi des proches pour l’intérêt personnel, nagé dans l’hypocrisie, trafiqué la vérité, abusé du pouvoir, vécu à la sueur du front des autres, foulé du pied la justice1. » Tout ce qui importe c’est de parvenir à porter un titre quel qu’il soit. Toute analyse, même superficielle de notre société, arriverait à une conclusion analogue. Ce n’est pas rien. C’est que nous souffrons encore des traumatismes de notre passé colonial.
Pendant la colonisation, les colons français pour mieux asseoir leur domination avaient établi douze commandements que « chaque administrateur colonial, chaque agent colonial, quel que soit son statut, [était] tenu de faire une application rigoureuse2. » Il leur a été, entres autres, demandé d’«avoir soin de décorer [nos] élites qui sont favorables et [nos] fonctionnaires qui sont dévoués à [leur] cause3.» Ceux qui étaient ainsi décorés ne l’étaient pas pour une quelconque bravoure ou mérite, mais seulement parce qu’ils collaboraient avec l’envahisseur. Le titre n’avait donc pour fonction que de susciter la jalousie d’une part, afin que soient acquis à la cause coloniale le plus d’indigènes possibles, et d’autres parts, il ne s’agissait que de diviser pour mieux régner car le sait-on bien Bür ayoul Dak yaa aaye. Le titre donnait ainsi naissance à un semblant de valeur sociale, parce que permettant d’obtenir un traitement colonial privilégié dont les bénéficiaires pouvaient se vanter en se croyant plus valeureux que leurs semblables, d’où la naissance du mot wolof Titerou (se vanter de son titre, de sa distinction), dérivé du mot français Titre.
Quarante cinq années après la décolonisation, cette attitude est plus que jamais présente dans notre système d’habitus social. On ne parvient vraiment dans la société sénégalaise que quand nous occupons, par quelque moyen que ce soit, ce que communément nous appelons poste de responsabilité. C’est là seulement que commence notre existence sociale. On se croit alors non seulement plus valeureux que nos compatriotes mais aussi et surtout, investi d’une puissance divine, d’une mission sacrée. On croit même que notre propre mère est plus probe que toutes les autres mères sénégalaises, notre soit disant réussite personnelle n’étant que la récolte des graines que notre mère aurait semée dans le jardin paternel : Ligéyou ndèye, agnou-p dom. Par conséquent, quand on nous soustrait le titre, c’est du coup, toute cette symbolique sociale qui dégringole. Les réactions qui s’en suivent sont celles identiques aux grognes et manifestations des partisans du ministre de l’intérieur récemment congédié.
Cette attitude bien sénégalaise, est partout présente dans notre société. En vérité, tout ce qui nous intéresse, et cela depuis notre plus jeune âge c’est de parvenir, non pas en terme d’humanité, mais en terme de distinction : c’est le drame du diplôme. A la question « que voulez-vous devenir quand vous serez grand ? », nous avions souvent rétorqué à nos instituteurs des postes qui nous permettraient de gagner beaucoup d’argent, où l’on serait distingué par le titre. Rare sont les fois où on entend un enfant sénégalais s’intéresser à tel ou tel autre métier dont la finalité ne serait pas la richesse. Cela traduit la manière dont nous considérons l’éducation scolaire, non pas en terme d’entreprise de socialisation et d’insertion, et même quelque fois d’aliénation, mais comme un moyen de parvenir à l’obtention d’un diplôme. Or, le diplôme ne fait que sanctionner la fin d’une formation dans un système donné. Il ne justifie pas les compétences du diplômé. Il ne fait pas non plus du tenant un intellectuel avéré en tant qu’il serait consacré par le système de la société dont il est issue. C’est cela aussi le drame de nos sociétés africaines. La science que nous considérons universelle, n’est en fait, dans plusieurs domaines (pas tous), que des réponses culturelles à des besoins naturellement définis par l’environnement social immédiat. Le diplôme ne certifie autre chose sinon que le diplômé ait acquis la somme des connaissances connues, reconnues par un système, et définie comme science au sein du même système. Dans une autre société cependant, ou au sein d’un autre système au même moment, tout à fait autre chose pourrait valoir de science et serait, dans les limites de ce système, valable de la même manière. En tant que telle, la science n’est autre qu’un discours construit, argumenté, démontré, illustré et adopté par une convention. En ce sens, elle n’est donc pas naturellement universelle.
Mais le drame c’est que nos supposés intellectuels sénégalais, avec leurs croyances en des sciences universelles, infaillibles et valables en tout temps et tout lieu, ont souvent du mal à déterminer les raisons pour lesquelles leurs connaissances sanctionnées par les diplômes du système occidental, même des universités occidentales les plus prestigieuses, ne fonctionnent que quelques rares fois en Afrique. C’est que l’environnement dans lequel nous vivons nous impose de construire un discours adapté à ses réalités, démontré et prouvé. En quelque sorte, l’Afrique doit créer, dans plusieurs domaines, sa propre science. Ce n’est pas refuser, ni réfuter la science des autres peuples autour de la terre, bien au contraire, c’est plutôt une entreprise de questionnement de l’apport des autres dans une totale prise en compte de nos réalités sociales immédiates. Tant que nous ne parviendrons pas à faire la part des différences essentielles entre l’universel et le culturel, les problèmes africains n’auront jamais de solutions. Et, nos prétendus intellectuels pourront continuer à n’être que de catastrophiques subordonnés du système qui tente de s’universaliser. Le premier intellectuel parmi nous sera dans cette veine, non pas celui qui, à chaque fin de phrase nous citera des auteurs qui n’ont ni vécu dans notre environnement, ni pris en compte nos réalités sociales, ni pensé pour nous, mais celui qui fera montre d’une grande capacité de réflexion et d’adaptation de son discours à notre environnement social immédiat.
Que mes aînés se tiennent correctement alors, ce Sénégal n’est pas le leur. Le Sénégal, ce Sénégal contemporain, ce Sénégal qui bouge, c’est notre Sénégal à nous les jeunes. Nous ne sommes plus dans cette dynamique d’assimilation, d’autant plus que nous ne sommes pas nés sous occupation française. Le temps des citations et des références est révolu. Ce n’est plus le temps des copies collées. Nous ne cherchons pas à nous faire consacrer par quelque système que ce soit, sinon par notre propre système, un système sénégalais qui permette à la société sénégalaise de s’accomplir dans la voie qu’elle aura elle-même choisie. Ce ne sont pas les intellectuels qui théorisent les voies et moyens que la société doit emprunter pour évoluer harmonieusement dans son environnement. La société dans sa lutte pour la survie, trouve naturellement le moyen de dépasser les différentes situations qu’elle traverse. Ce n’est que longtemps après, que ces systèmes de dépassement seront théorisés. Vous pourrez vous référer, comme il en est de vos habitudes, à ce que vous voudrez, mais il n’en demeurera pas moins vrai que le système de développement japonais par exemple, n’eut pas été théorisé bien après l’essor du soleil levant. La croyance en des intellectuels sauveurs est rétrograde. Nous connaissons que trop vos motivations inavouées. Intellectuel de ceci, intellectuel de cela, cercle de je ne sais quoi d’autre qui prétend organiser une conférence de je ne sais quoi, pour amener le Sénégal je ne sais où ! Je suis jeune certes, il faut le notifier, mais en tant que tel mon rôle est de poser les questions, pas les fausses, mais les vraies questions de notre société. Car, vous le savez certainement mieux que moi, Deuguë ci laméñou khalé laye guéné. Je manque peut-être d’expérience, mais en vérité, de quelle expérience me parlez-vous à chaque fois que vous faites face à vos limites ? Si c’est ne pas être soumis aux contraintes sociales au point de transformer mon stylo en tube digestif, j’en suis vraiment fier. Voyez-vous chers aînés, il faut qu’on apprenne à nous dire la vérité en face. Vous en avez tellement ingurgités que vos idées sont devenues indigestes. Vous êtes constipés de partout. Voilà ce que vous êtes, des cerveaux inaptes à la production intellectuelle tant la bataille du quotidien ne vous laisse pas le temps de cogiter. Alors bine bine.
Comment avez-vous osé vous prétendre victime de discrimination lors de la conférence des intellectuels africains et de la diaspora et, à votre tour pratiquer cette même discrimination envers ceux qui ne partagent pas vos points de vue ? Je vous croyais conséquent mais en vérité vous ne l’êtes point. Vous n’êtes en fait pas très différents de ceux sur qui vous tirez à longueur d’année. Enfin, il faut que vous sachiez que tant que vous ne serez pas capable de soutenir le débat contradictoire dans notre pays, vous ne serez, encore et pour toujours, que d’éternels apprentis de je ne sais quoi, mais en tout cas tout sauf un intellectuel. Car, être un intellectuel ce n’est pas avoir une grande gueule et râler à tout bout de champs, ce n’est pas non plus se lier d’amitié avec la presse afin d’y apparaître souvent telle une page de publicité. Être intellectuel ce n’est pas non plus se lier d’amitié avec ceux dont les bienveillances ont pour but de manipuler le peuple et de l’enrégimenter. Tenez vous correctement mes aînés. Etre un intellectuel c’est beaucoup plus que cela.
Etre un intellectuel c’est un état d’esprit, ce n’est pas quelque chose qu’on porte en bandoulière. On ne naît pas intellectuel, on n’est jamais diplômé intellectuel, on ne se revendique pas intellectuel, on se le voit considéré. L’intellectuel, ce me semble, est celui qui analyse, qui étudie et qui intervient dans tous les domaines de la vie sociale pour ainsi apporter des correctifs là où il y a erreur, et proposer des solutions là où il y a problème. L’intellectuel conséquent est celui qui se soucie, d’abord et avant tout, de son autonomie de penser. Car, à s’attacher ne serait-ce que de sympathie avec le politique, son objectivité pourrait naturellement s’en trouver soumise à des contraintes sociales, d’où pourrait naître une certaine subjectivité, une sorte de motivation partisane inavouée lui imposant soit de défendre l’ami politique, soit de tout faire pour destituer le parti ennemi. L’intellectuel, d’une manière générale et pas exhaustive, est permanemment hanté par ce souci constant d’accomplir son regard critique pour que le peuple s’accomplisse. Sa préoccupation ne puit donc être autre que le Nous qui garantit l’équilibre et le bien être social du peuple tout entier. Toute autre personne se réclamant intellectuelle et ne se s’occupant que du moi personnel et individuel, du lui le gouvernant et du nous le parti, n’est en réalité qu’un opportuniste. Ce qui l’intéresse ce n’est pas d’arriver à changer quoi que soit, de faire évoluer le pays, mais de s’en mettre plein les poches en garantissant les intérêts de ceux dont les actions mettent le pays à genoux. Ce genre d’individus est dangereux. Dans notre pays, il y en a que trop. Ce sont tous ceux qui se regroupent dans des organisations de circonstance pour profiter des bienveillances d’un quelconque Président de la République ou d’un quelconque leader politique. Mouvement de soutien entend-on dire par ci, mouvement de défense par là, organisation et cercle de je ne sais encore quoi d’autres.
L’intellectuel conséquent est celui là même qui nourrit un idéal non pas personnel, mais commun en ce sens que l’idéal intellectuel constitue, pour l’intellectuel, le modèle dans lequel la société toute entière serait mieux accomplie. Toutefois, pour que l’idéal intellectuel s’accomplisse, il faudrait d’abord que son auteur s’engage résolument à le construire, à l’argumenter, à le prouver, de sorte que le peuple valide lui-même l’idéal intellectuel. Ce n’est qu’à partir de ce moment que prend naissance une sorte de conscience collective qui fait corps autour de l’idéal intellectuel pour arriver, par tous les moyens légitimes et nécessaires, à l’insérer dans le système d’habitus social, le but étant de résoudre tel ou tel autre problème qui s’opposerait à l’évolution harmonieuse de la société. Mais quand on crie sur tous les toits qu’on est intellectuel, quand on revendique le droit d’être un intellectuel, quand on pense que parce que nous sommes professeur de ceci ou de cela nous sommes automatiquement intellectuel, et ce faisant nous pensons régler les problèmes qui s’opposent à l’évolution de notre cité, nous nous foutons le doigt dans l’œil jusqu’à la nuque. De fait, tous ceux qui revendiquent de la société qu’elle leur reconnaisse le fait d’être intellectuel, tous ceux qui, parce qu’ils ont publié tels ou tels autres articles, pensent qu’il n’est d’autres intellectuels qu’eux, passent complètement à côté de la plaque. Ce genre de personne, ce genre de soit dit étant intellectuel, nous n’en voulons pas et ils ne nous servent à rien sinon que leur malhonnêteté et leur motivations inavouées nous mettent les œillères de la dérive.
Je suis pour ma part convaincu que ce ne sont pas ces intellectuels constipés qui nous aiderons à analyser notre environnement et à en tirer profit. Nous n’avons particulièrement rien contre le fait que des gens prennent l’initiative de réfléchir sur tel ou tel autre sujet. Notre seul soucis est l’objectivité de ceux qui prétendent être des intellectuels et donc ceux qui s’attribuent le devoir de penser afin que la nation tout entière s’accomplisse dans un idéal commun, pour une ascension commune. Ce n’est pas leur nier le droit d’être des intellectuels, c’est plutôt une invitation à la confrontation d’idées et d’arguments, à un débat public afin que dans le futur, les questions relatives à la nature et à la fonction de l’intellectuel dans notre société soient définitivement évacuées.
La rencontre des prétendus intellectuels sénégalais regroupés au sein d’un supposé cercle de je ne sais quoi, dans un récent congrès de, disent-ils, 300 intellectuels sénégalais, tenu à Dakar les 28 et 29 décembre 2004, m’interpelle dans ce sens. Ce dont je parle, c’est de cette malhonnête prétention à parler au nom de tous les intellectuels sénégalais, alors qu’en réalité il ne s’agit que d’une entreprise individuelle, au mieux, ce ne serait pas plus qu’un GIE.
« Le temps de penser, le moment d’agir4 », mais j’estime seulement que le temps présent est celui qui impose préalablement à toute action, que ces prétendus intellectuels, constipés à mon sens, sachent que l’intellectuel conséquent ne devrait pas servir le temps d’un mandat présidentiel (vous savez de quoi je parle), ni viser à tout prix la destitution d’un régime présidentiel (comme c’est le cas actuellement), mais en toutes circonstances, quelque soit le régime en place, tant que sa réflexion est cohérente et satisfaisante pour l’évolution sociale, il doit s’acquitter de son devoir critique et objectif, en ce sens que ce qui doit l’intéresser en vérité c’est le Nous communautaire, collectif et national. Toute autre personne qui ne sert pas les intérêts de la Nation, se supposant intellectuel et ne s’occupant point du Nous collectif, communautaire et national n’est autre qu’un mouton5.
Il y a évidemment quelque chose qui se passe. Une théorie quasi générale prétend que le vent des indépendances devait ravager les ordres coloniaux établis et permettre ainsi à l’Afrique perdue de se retrouver. Toutefois, il apparaît aujourd’hui que ce vent, au lieu de nous mettre sur de nouvelles marques, nous a plutôt égarés.
L’occident s’exclame alors : pourquoi l’Afrique tarde-t-elle à se développer ? Pourquoi s’embourbe-t-elle autant ? Et Kabou Axel, en 1993, lance la question : « Et si l’Afrique refusait le développement ? »
Autant de questionnements qui proclament hypocritement l’échec de l’assistanat, de l’aide au développement et des politiques africaines actuelles. Où se trouve alors le mal ? Est-ce en nous, ou est-ce plutôt au sein de ces questionnements que nous devons le trouver ?
Les préoccupations occidentales sur notre sort sont significatives. Elles ne disent pas que les occidentaux nous sont solidaires, elles parlent plutôt de l’attitude paternaliste occidentale. Elles n’entendent pas nous assister mais elles dénoncent toutes les mesures prises à l’encontre de l’Afrique. Elles crient fort silencieusement que l’occident plutôt que de nous servir, nous a asservis. Enfin, elles fustigent l’aide au développement car les occidentaux qui se disent développés sont loin de se désintéresser de leur propre développement.
Ainsi les occidentaux qui prétendent nous aider nous sucent dans l’attrait de leur propre développement pour enfin nous confiner dans une paresse, dans un refus de progrès, dans une infériorité mentale qui nous exige de reproduire leurs schémas, de calquer, copier, imiter, jusqu’aux moindres détails, leurs coutumes, comme si celles-ci étaient des normes universelles. On comprend alors aisément les préoccupations de Kabou Axel et celles plus récentes de Stephen Smith.
C’est qu’aux yeux de l’occident, nous ne représentons pas plus que des bébés, incapables donc de nous prendre en charge. Et, ils doivent nous mettre des couches.
D’abord ils entendaient nous mettre la couche du bien être moral et matériel dans une vocation missionnaire ayant pour but de nous faire simultanément partager leur vérité évangélique et leur croyance au progrès. L’homme blanc se croyait alors investi d’une mission sacrée : la civilisation, car pour lui les peuples forts devaient apprendre aux races inférieures, faibles, voire dégénérées, comment s’organiser, régir la société, utiliser les ressources…
Néanmoins, cette prétendue couche civilisatrice ne caractérisait que le contact déstabilisant entre différentes croyances, idées, sensations, affects, actions concrètes… En vérité la colonisation n’était que le résultat d’un choc culturel mal digéré dû à une rencontre avec des systèmes d’habitus différents des leurs. Ce choc culturel, alimenté d’une vision ethnocentrique, à amené l’occident à ne pas nous reconnaître la qualité d’humain, le droit de faire partie de l’humanité.
Cette première mission civilisatrice n’était donc basée que sur une incompréhension de nos valeurs culturelles. Elle n’avait pas pour but d’améliorer nos conditions de vie car la civilisation emporte avec elle des significations additives. Elle véhicule une évolution vers une vision linéaire du monde (celle de l’occident) malgré nos différences culturelles. En définitive il ne s’agissait là que d’une mission d’occidentalisation.
Ce ne sont donc pas les formes politiques coloniales qui sont les plus dangereuses. Mais de nos jours, quand on parle de la colonisation et de ses conséquences sur l’Afrique actuelle, on disserte ordinairement sur sa forme politique. On néglige trop souvent sa forme d’organisation économique qui transporte avec elle une culture : un modèle de rapport à la nature, aux choses et aux autres. On occulte ainsi le désir occidental de savoir tout sur tout et de maîtriser le monde qui nous entoure. Les conquêtes de l’empire romain, les croisades, la planète triangulée par les flux d’épices, d’esclaves et d’or…et les invasions américaines plus récentes traduisent tous une même volonté : la prétention occidentale à l’hégémonie.
L’occident s’imagine encore grande manufacture de l’univers ; et le reste du monde, pourvoyeur de matières premières. Naturellement, son mode de fonctionnement n’a pas manqué de susciter d’innombrables critiques, mais jusqu’ici ces critiques n’ont jamais porté sur l’évolution économique et technique que favorise l’industrie.
Le mouvement marxiste n’a jamais remis en cause l’accumulation des forces productives et les technologies nécessaires au développement. Les libéraux capitalistes et les socialistes entretiennent tous deux l’idée selon laquelle le progrès social ne peut résulter que de l’accroissement de la richesse d’une société.
Donc la même idée du progrès est partagée par les pays communistes, les pays socialistes et les pays capitalistes. Ils sont pour ainsi dire tous impliqués dans une conception fondamentale de la réalité : celui qui vient du projet des lumières.
Je n’ai pas l’ambition de retracer ici précisément l’histoire économique et politique du colonialisme, mais plutôt de nous donner un aperçu de l’idéologie qu’il a transportée pour nous amener à réfléchir sur la situation actuelle des relations Nord – Sud.
Autrement dit, face à la situation africaine actuelle qui ne fait que s’aggraver, il devient important d’essayer de comprendre et d’expliquer comment les sociétés aujourd’hui industrialisées se sont développées, pourquoi certaines d’entre elles sont en crises et en sortent difficilement, pourquoi d’autres ne se sont industrialisés que plus tard et si lentement, ou pourquoi d’autres encore n’y parviennent pas du tout.
En d’autres termes, afin de proposer de nouveaux éléments destinés à améliorer nos politiques nationales, il convient de remettre en question l’idée de développement, d’y intégrer la notion d’identité culturelle pour la rendre relative ou tout simplement d’y remédier à travers des systèmes basés sur notre culture ainsi que l’exige l’assertion Senghorienne : « la culture est au début et à la fin du développement ».
Toutefois, quel est le sens de ce développement dont on parle autant ? Est-ce l’expression d’une politique de progrès ? Est-ce un concept au moyen duquel accuser davantage le retard de l’Afrique ? S’agit-il d’une politique de rattrapage, ou est-ce tout simplement une politique d’occidentalisation ?
A la suite des indépendances, la société occidentale persistant à penser qu’elle incarnait l’avenir de toutes les autres sociétés, entendait nous changer de couche. Non pas que ayons chié dans celle de la civilisation, mais plutôt parce qu’il leur fallait être plus vicieux pour se légitimer. La mission civilisatrice ne fut pas abandonnée ou jeter à la poubelle, elle fut tout simplement transformée en mission d’aide d’aspect économique et technique pour traiter l’extrême pauvreté qu’a causée la prétention occidentale. La répression et la présence effective du colon devaient alors être bannies puisque les délices de son niveau de vie et le mirage de sa puissance suffisaient pour lui véhiculer une image prestigieuse. Le mode disciplinaire évolua de fait vers un mode de consentement vicieux et trompeur au sein duquel la colonisation n’était plus nécessaire à la domination occidentale ; la contrainte et la domination toujours présentes devenaient impalpables, l’occident impérialiste se faisait coopérant, l’imposante occidentalisation devenait de l’ordre du choix, la propagande à l’égalité des chances devenait effective. Il ne leur restait dans ces conditions qu’à nous achever, en ouvrant la course au développement. L’occident prétend alors que même si les sous-développés sont un peu en retard sur les développés, ils peuvent espérer, puisque les chances sont prétendues égales, combler l’écart à l’image du sous-chef qui peut toujours rêver de devenir chef à son tour…à condition de jouer le même jeu et de ne pas avoir une vision trop différente de la chefferie.
Illusion je proclame ! Et illusion devraient proclamer tous les Etats africains qui n’aperçoivent plus la lueur du développement. En réalité, les pays développés ne sont pas statiques. Bien au contraire, ils sont d’une grande mobilité car ils leur faut garder cet écart qui légitime leur statut de modèle. L’occident qui prône l’égalité des chances au développement en nous ouvrant la possibilité de participer à la course, avec son assistanat et son aide, ne se laissera jamais rattraper sous peine d’être dévalorisé et de perdre sa place de modèle. Son contenu n’est donc pas fixe. Il lui faut créer perpétuellement de nouvelles normes qui alimentent la distance. C’est pourquoi, la définition du développement qui nous semble évidente à chacun de nous, n’est pas toujours commune à tous, car nous avons des idéaux différents. Le sens que l’on a donné au développement a, tout au long de l’histoire, évolué en fonction de facteurs historiques et culturels. Mais il y a une constante qui se définit par : condition idéale de l’existence sociale dans un contexte social et historique donné. Il est, par conséquent, indispensable de ne pas réduire le développement à un aspect économique, car adhérer à un modèle économique c’est être entraîné dans une façon de voir les choses et dans une philosophie de vie loin des réalités que nous vivons. Le développement est ainsi indissociable de ses autres aspects à savoir le culturel, le social, le politique… On peut même dire que la culture n’est pas qu’une dimension du développement, mais au contraire que c’est le développement qui est une dimension de la seule culture occidentale. Aspirer à ce modèle c’est comme dit Serge Latouche communier dans la foi en la science et révérer la technique, mais aussi revendiquer pour son propre compte l’occidentalisation, pour être plus occidentalisé afin de s’occidentaliser encore plus. Le développement, produit culturel de l’axe du bien (entendez les relations Nord – Sud) n’est donc pas l’expression d’une politique de progrès. C’est plus qu’une politique de rattrapage, une politique d’occidentalisation. C’est même bien plus qu’un concept au moyen duquel accuser davantage le retard de l’Afrique. Le développement est la forme dominante du projet civilisateur qui a mûri en occident. Il s’agit donc d’un mensonge qui nous exige de faire comme si. On continue à espérer plutôt que d’avouer l’échec alors qu’il ne s’agit que d’une couche trouée qui nous met à nu quand l’occident se couvre de bien être. A chacun donc de faire comme si. De cette sorte, grâce à la banalisation de cette indifférence au réel, le développement pourra continuer de faire illusion, non plus comme la justification, à priori, des pratiques de mondialisation ; mais comme leur conséquence possible mais incertaine, au terme de l’histoire.
S’attacher à une croyance de l’ordre du virtuel qui se présente sous la forme d’un au delà paradisiaque résigné au « comme si » qui légitime le processus de globalisation dont les conséquences sont dramatiques, telle est la nouvelle couche que nous amène l’occident. A défaut de certitudes, il nous suffit de faire comme si… Comme si les malheurs d’aujourd’hui portaient en germe le bonheur de demain… Comme si le développement était généralisable, comme si la dette africaine pouvait être remboursée, comme si le rattrapage des pays riches par les pays pauvres était possible, comme si la croissance illimitée pouvait être durable. Comme si le virtuel pouvait triompher du réel. Comme si nous étions tous des occidentaux.
Votre Excellence, comme enfant, nous l’avions appris et chanté : « (…) Nous disons non… [car] nos ancêtres (…) ont tracé droit le chemin et forgé notre destin ». Il est temps de sortir de cet axe du mal, de passer du constat d’échec au refus, des rêves rassurants aux questions sérieuses, de l’illusion à la réalité même si aujourd’hui tout incite à les confondre.
En hommage à Iba Ndiaye Diadji, vaillant critique d’Art, défenseur des cultures matérielles africaines, Puisse Dieu Vous accueillir dans son Paradis.
Le Nègre passe depuis toujours comme la partie inférieure que l’on doit traiter sans ménagement et ce qu’il propose est condamné immédiatement comme insuffisant. Pour le juger, on a fait appel à de bien vagues hypothèses évolutionnistes. Il lui fallait se livrer aux uns pour servir de faux concept de primitivité ; d’autres, parant avec conviction cet objet sans défense de phrases fausses, parlaient de peuples venus du fond des âges, et de bien d’autres choses encore. On espérait saisir dans le Nègre un témoignage des origines, d’un état qui n’avait jamais évolué.
Dès le 18e siècle en Europe, l’idée était répandue que les conquêtes coloniales avaient démontré la supériorité de la civilisation occidentale. Au 19e siècle cette vue fut renforcée par les salles de curiosités et les premiers musées ethnographiques. Les objets tribaux « capturés » y représentaient la conquête par la culture occidentale moderniste des sociétés traditionnelles à la manière dont le butin gagné sur les peuples à la peau sombre, était montré dans les triomphes romains antiques. Le butin du colonialisme était aussi ce qui le validait, la preuve de sa supériorité. Au 20e siècle les objets africains capturés ont commencé à être appelés Art par les commentateurs et à passer des musées d’ethnologie aux musées d’Art, faisant ainsi l’objet d’une appropriation encore plus profonde au titre des fétiches modernistes proclamant la supériorité occidentale. La réinterprétation par les colonisateurs de ces objets en dehors des intentions de leurs auteurs représente une invasion continue de l’intégrité de la culture africaine. Elle suppose que les producteurs des objets ne comprenaient pas leurs propres intentions, qu’il fallait le regard prétendument supérieur du connaisseur occidental pour leur dire ce que représentaient réellement leurs objets. Transportés du musée d’ethnologie au musée d’Art, ces objets capturés expriment encore de manière muette mais éloquente la prétention de la culture occidentale à redresser les « incompréhensions » des autres peuples autour de la terre. Le besoin de capturer la différence dans leur propre rêve d’ordre, où les occidentaux règnent sans partage, est ici un terrible échec. Seule la peur de l’Autre les force à nier sa différence. Ce dont nous parlons, c’est d’une superstition tribale de la civilisation occidentale : la conviction d’origine hégélienne que leur propre culture se tient sur le moment temporel crucial de la réalisation de soi de l’histoire. En niant que les normes africaines de représentation signifient quelque chose, l’occident nie en effet la réalité de notre vision du monde. En nous faisant la faveur d’en faire de l’Art, il nous enlève la réalité du pied. En prétendant nous regarder en face, il nous absorbe et nous utilise pour consolider les conceptions occidentales de la valeur, et leur sentiment de supériorité. La véritable question reste alors celle à savoir s’il y a Vraiment un sens à parler d’Art africain ?
Y a-t-il un sens à parler d’Art africain ?
Ce qu’il est imposé d’appeler Art africain n’a pas surgit de nulle part à la fin de l’ère coloniale, même si nombreux sont ceux qui le pensent et le considèrent comme une réaction face au bombardement de formes culturelles étrangères ou comme une conséquence pure et simple du colonialisme. En réalité cet Art Africain s’est construit sous le regard influent et autoritaire du colon. C’est dans ce sens d’impositions et d’influences, et du fait du comportement des africains par rapport à la colonisation, plutôt que par une quelconque adhésion à un style, un médium, une technique ou une thématique en particulier, que les cultures matérielles africaines sont devenues de l’Art. Le vocable Art africain n’est donc pas le fait d’un petit groupe d’artistes-intellectuels comme c’est le cas en Europe, mais de la colonisation et de son attitude la plus ancienne consistant à répudier purement et simplement les formes culturelles, morales, religieuses, sociales, esthétiques, qui sont les plus éloignées de celles de l’occident. Ainsi les anthropologues occidentaux ont tendu à représenter le reste du monde à travers les conventions occidentales, comme si celles-ci étaient des normes naturelles ou données. La Culture occidentale devait se poser comme l’universelle et la culture non occidentale comme l’autre absolu. L’assimilation était donc le nom quelque peu trompeur des prétentions occidentales à l’Hégémonie universelle. Le concept d’Art africain était une forme d’affirmation impériale en vertu de quoi les cultures non occidentales devaient assimiler les usages occidentaux. Pour s’en rendre compte, il suffit d’étudier les multiples définitions de l’Art en fonction des cultures matérielles africaines et voir comment la sculpture africaine a été interprétées dans une structure d’analyse de l’Art par l’Occident. J’aimerais donc poser ici, sans vouloir paraphraser des définitions connues de l’Art, la question de ce qui fait que quelque chose est de l’Art.
Qu’est-ce qui fait de quelque chose de l’Art ?
La tradition dominante au sein de la philosophie occidentale, celle que Richard Rorty a appelé l’axe Platon-Kant, a soutenu un certain postulat sur ce qui fait de quelque chose de l’Art. D’abord pour qu’un objet entre dans la catégorie d’Art il devait être beau. Mais affirmer ceci est beau, c’est comme disait Kant, prononcer un jugement de goût. Et ce jugement de goût est un jugement de valeur puisqu’il reconnaît à l’objet une valeur propre. Tout discours sur le beau est donc spontanément subjectif. Si on est tenté de dire que tout est beau, parce que n’importe quoi a pu trouver quelqu’un pour le juger Beau, cela revient à dire que rien n’est beau : le subjectivisme finit par annuler le jugement de goût. La catégorie d’Art n’est donc pas analogue à celle du beau. Il y a des choses qui sont belles et qui ne sont pas des œuvres d’Art : un couchée de soleil par exemple, une belle voiture etc. Il y a aussi des choses pas du tout belle mais elles sont classées dans la catégorie d’Art comme la pelle à neige de Duchamp. A la question qu’est-ce qui fait de quelque chose de l’Art, nous versons ainsi dans une autre : Qu’est ce que l’Art ?
Si quelque chose a une forme signifiante ou expressive on doit l’appeler Art. Tel est le discours soutenu par Susan Vogel. Le terme «intention expressive» est souvent utilisé pour rendre cette idée. Mais ici aussi, il y a des choses revêtant cette forme expressive comme certains objets taillés du néolithique et qui n’ont pas le statut d’Art. Il y a aussi d’autres choses qui n’ont pas cette forme ou cette intention expressive et qui sont pourtant rangées dans la catégorie d’Art. En réalité, Toutes les activités de l’homme ne revêtent-elles pas des intentions expressives ? Si tel est le cas, la catégorie d’Art définie comme une activité ou une forme revêtant ou soutendue par une intention expressive ne saurait fonctionner. Ou bien tout sera considéré comme de l’Art. Ou bien encore l’Art ne se distinguera pas des autres activités de l’homme. Pensant d’un point de vue Hégélien, Arthur Danto, affirme qu’être une œuvre d’Art, c’est incarner une pensée, avoir un contenu, exprimer une signification. Mais là aussi, à différencier les œuvres d’Art aux autres objets comme les icônes religieuses et les publicités. Danto renvoie à l’idée Hégélienne que l’œuvre d’Art véhicule une telle intensité de signification qu’elle indique par-là qu’elle participe au domaine de l’esprit. Mais il y a des choses que nous reconnaissons participer de l’esprit que nous ne considérons pas comme de l’Art. Les livres de philosophie et de mathématiques en constituent des exemples. Si le critère de l’intention expressive semble trop étroit, le critère du contenu semble trop large. Tout objet, fait par un homme exprime ou incarne une pensée, une idée, un concept. Les œuvres d’Art ne doivent-elles donc pas être considérées comme une sous-classe de l’ensemble plus large des choses qui impliquent une pensée, une idée, un concept ? Cette définition, comme celle qui repose sur la forme expressive, n’oblige-t-elle pas à dire que le mot Art est utilisé incorrectement dans beaucoup et même la plupart des cas où il est utilisé ?
D’autres comme le philosophe Wittgensteinien Timothy Binkley, ont suggéré un critère moins exigeant. Tout ce qui est appelé art, dit Binkley est de l’Art, puisqu’être de l’Art ne signifie rien d’autres sinon que le mot Art est appliqué. A toutes les entités de la catégorie d’Art, on ne peut trouver aucun élément commun qui servirait de trait définitionnel, sinon que le même mot s’applique à tous à la manière dont le même nom de famille est appliqué à des personnes manifestement différentes. La liste des choses auxquelles le terme Art est appliqué contient des objets ayant une intention expressive, d’autres qui sont spécialement destinés à nier cette intention, d’autres qui aspirent au règne de l’esprit, d’autres encore qui le refusent ou n’y parviennent pas. De ce point de vue, il n’y a pas de propriété de l’objet qui en fasse de l’Art ou du non Art. Il devient de l’Art en étant désigné Art par le système de l’Art et, n’importe quoi peut être désigné ainsi, depuis une sculpture africaine jusqu’à une boîte d’excrément humain, ou une pile de pierre brute dans une forêt. Danto, signale que les grecs de l’antiquité n’avait pas de mot précis, pour dire Art. L’implication est que la désignation linguistique n’est pas pertinente. Cette approche wittgensteinienne est peut être la seule qui appréhende toutes les choses appelées Art et exclut celles qui ne sont pas appelées ainsi. Pourtant elle ne donne pas satisfaction en ceci qu’elle ne laisse pas de place pour les sentiments et qu’elle ne dit pas pourquoi les sculptures africaines et certains objets fonctionnels africains sont appelés Art et pas d’autres. Elle rend compte des sculptures africaines appelées Art en disant qu’elles sont appelées Art. Mais le fait que les sculptures africaines soient appelées de l’Art emporte avec lui des significations additionnelles. Cela signifie en effet que les occidentaux se rapportent à nos sculptures d’une manière différente de celle dont ils se rapporteraient à elles si elles étaient nommées différemment. Une chose que révèlent la désignation linguistique c’est qu’elle catégorise. Le fait donc que la culture occidentale ait décidé d’appeler les sculptures africaines et autres objets tribaux de l’Art est significatif socialement mais cette signification parle des attitudes de la Culture occidentale, pas des sculptures elles-mêmes. Le fait que les sculptures africaines soient appelées de l’Art signifie que c’est de l’Art pour le système occidental mais ne dit rien sur ce qu’elles sont en elles-mêmes ou pour d’autres personnes. En fait tout ce qui est Art l’est par désignation. Il n’y pas d’autre manière d’être de l’Art. De ce point de vue alors, le processus par lequel les occidentaux ont qualifiés les sculptures : objets tribaux fonctionnels africains, comme de l’Art est analogue au processus par lequel ils ont fait de leurs propres objets fonctionnels, pelle à neige, briques, pneus, de l’Art. Le statut des sculptures africaines est celui d’objets trouvés qu’ils ont contextualisés comme Art. La question de savoir si ces sculptures africaines étaient de l’Art dans leur contexte africain d’origine est la question de savoir comment ils étaient culturellement désignés au moment et à l’endroit où ils furent faits.
Art africain ou Legs culturel matériel africain ?
Dans leurs contextes d’origine, ces objets étaient investis de respect et de crainte, pas de noblesse esthétique. On les voyait habituellement en mouvement, de nuit, dans des espaces sombres fermés, à la lueur de flambeaux. Ceux qui les voyaient étaient sous l’influence de sentiments rituels et d’identification collective. Surtout, ces objets agissaient grâce à la présence parmi eux du chaman qui libérait le pouvoir habituellement terrifiant représenté par le masque ou l’icône. Ce qui était en jeu pour le spectateur, ce n’était pas l’appréciation esthétique mais la perte de soi dans l’identification avec la performance chamanique à laquelle il contribuait. Les œuvres artistiques de l’occident ont des fonctions complètement différentes et furent faites pour être perçues dans une attitude complètement différentes. Si des africains ou disons des spectateurs « indigènes » marchaient à travers les musées d’art occidentaux ils verraient une exposition entièrement différente de celle que les occidentaux voyaient comme art du 20e siècle. Ils ne verraient pas de la forme mais du contenu, pas de l’art mais de la religion et de la magie. En fin de compte, n’y-a-t-il pas là un contresens, une absurdité profonde dans l’interprétation des cultures matérielles des Afriques ? Quoi qu’il en soit partons une fois de plus des attitudes occidentales.
L’art africain : un contresens ou une absurdité !
Considérons un exemple inverse où des objets culturels occidentaux furent systématiquement repris par ceux qu’ils appelaient primitifs pour remplir un rôle fonctionnel complètement nouveau. En Nouvelle-Guinée dans les années 30, les emballages de nourriture occidentaux étaient hautement appréciés comme ornements vestimentaires : une boîte de céréales devenait un chapeau, une boîte de conserve ornait une ceinture, et ainsi de suite. Transmise aux occidentaux par la photographie, cette pratique leur paraissait non seulement absurde mais pathétique. Ils savent que les gens des tribus ont fait quelque chose de tellement inapproprié que ça en devient absurde, et sans même s’en rendre compte. Leur sentiment de l’étroitesse et du manque d’envergure du weltaunschung de ceux qu’ils appellent primitifs renforce leur sentiment de la largeur de vue et de la clarté de leur vision du monde. Pourtant, la manière dont les Occidentaux se rapportent aux objets africains qui ont flotté dans leur conscience devrait nous paraître peu différente de celle dont les guinéens avaient utilisé leurs emballages alimentaires : nous devrions nous rendre compte tout de suite que les occidentaux ont fait avec nous quelques chose d’enfantin, d’inapproprié, d’ignorant et d’absurde, et sans même s’en rendre compte.
Bien sûr, vous pouvez trouver plein de petites choses à redire à tout grand projet pour peu que vous vous sentiez l’humeur à argumenter. Mais je suis mû par le sentiment que quelque chose d’important est ici en jeu, quelque chose qui est profondément et même tragiquement, faux. Avec une déprimante radicalité, l’Art met à nu la manière dont les institutions culturelles occidentales se réfèrent aux cultures étrangères, révélant sa subjectivité ethnocentrique bouffie jusqu’à absorber ces cultures et ces objets en elle-même. Je ne me plains pas, à la différence des Indiens Zuni, que nos objets culturels se retrouvent dans les musées. Je ne me plains pas non plus que l’on mène d’impressionnantes et d’intéressantes recherches d’histoire de l’Art sur les déplacements de ces objets à travers les ateliers, ce qui me gène c’est que ces recherches enterrent les vraies questions sous un monceau d’informations. Mon vrai souci est que le concept d’Art africain montre l’égoïsme occidental toujours aussi débridé qu’aux siècles du colonialisme et de souvenirs coloniaux. En définitive, l’art africain ne se justifie que dans une perspective d’assimilation et aux fins de répondre aux questions posées par l’esthétique occidentale. Autrement dit, nous devons repenser notre Culture, sinon nous demeurons des victimes de la colonisation.
Pierre Hamet Bâ
Chercheur en Anthropologie Culturelle afriqueculture@hotmail.com
Article publié dans l’info 7 du mardi 13 Janvier 2004
J’assistais ce jour là, à une conférence au Just For You. Je ne me rappelle plus vraiment de la date, ce devait être le samedi 09 août 2003. Un monsieur que je n’avais jamais vu auparavant venait de faire un brillant exposé sur l’architecture sénégalaise. En profane de l’architecture, des bobines toute pleines de questions se battaient dans ma tête. On parlait ici d’architecture sénégalaise. Je me disais que là, une identité était collée au débat, ce qui engageait donc toute l’histoire de notre tradition culturelle. Il ne s’agissait pas de l’histoire de l’architecture, ni de son évolution, mais de ce qui, dans notre vécu, témoigne de notre génie. J’ai cru comprendre en écoutant ce monsieur qui parlait en son nom propre, Jean Charles Tall, que l’architecture était d’une importance incommensurable dans l’histoire d’un peuple. Il semblait aussi dire qu’étant donné que l’architecture de nos sociétés précoloniales était des œuvres communautaires, nous ne pouvions parler d’architecture d’une manière similaire à ce qui paraît être l’universel. Enfin, je retînt une phrase assez cohérente qui, du reste, avait commencé à m’éclairer sur ce dont il s’agissait exactement. Monsieur Tall venait de prononcer ces mots : « l’architecture est un livre qui permet de comprendre le développement esthétique d’une société ». J’étais dès lors édifié. Il s’agissait ici de parler de l’évolution des aptitudes spirituelles et techniques d’une société : la société sénégalaise ; dans un domaine : l’architecture. Je pouvais alors me permettre de prendre la parole, ce que je fis à peine que le conférencier ait fini son exposé. Je choisis d’abord de raconter une blague pratiquement connu de tous les sénégalais. je vous la rapporte ici en l’actualisant.
Le Président Wade venait de prendre le même vol que Bush et Chirac. Cinq heures plus tard, Chirac, peut-être fatigué des débats diplomatiques commença à se vanter de Paris. Paris vieille ville, Paris belle ville, Paris capitale du monde… « Qu’il sont vantards les français » se dit Bush. « Pourquoi parles-tu de Paris » ? « Nous venons de survoler la capitale de mon pays » réplique Chirac. Que c’est étonnant ! comment le savait-il ? Réponse simple : il apercevait la tour-Eiffel. Au bout de quelques heures, Bush, poussé par son orgueil, réclame l’attention la plus solennelle pour admirer New-York. Etrange ! se disait Wade. Mais il ne posa point de question. Intelligent, il devina que son ami entrevoyait la statue de la liberté. Ne se laissant point impressionné, Chirac avance : « C’est l’œuvre d’un architecte français ». Et Bush de maugréer : « y aurait pas eu le 11 septembre vous pourriez contempler les deux tours jumelles ». Pendant ce temps, Wade, ne voulant pas être en reste, comme il en est de ses habitudes, s’exclame: « nous sommes au pays de la téranga ». Quel Génie ! s’exclamèrent Bush et Chirac. Comment pouvait-il le savoir ? Et tomba une réponse inattendu et décevante : « on vient de me chiper ma montre ».
On rigole, je m’indigne…
Les gens pouvaient rigoler ! C’était une blague mais pour moi ce n’était pas qu’une blague. C’était une indignation. Rappelez-vous, on parlait ce jour là des aptitudes spirituelles et techniques des sénégalais dans le domaine de l’aménagement architecturale de notre environnement. N’y avait-t-il pas donc, dans cette blague, quelque chose de significatif qui méritait attention et réflexion ? Je poursuivis mon discours.
– Cette blague traduit l’absence d’une architecture sénégalaise. Aucune œuvre architecturale n’est digne de représenter notre pays.
Mais on me cria :
– Objection : l’île de Gorée !…
– Objection : la ville de Saint-Louis !…
Et j’en rajoutais :
– Objection : le marché Kermel !…
– Objection : la porte du millénaire.
Ils avaient raison quelque part, Gorée et Saint-Louis sont de véritables œuvres architecturales. Et en plus c’est de notre patrimoine qu’il s’agit, dont l’une, Gorée, est inscrite dans le patrimoine de l’humanité. Bravo ! Mais écoutez ma réplique.
Le patrimoine et l’architecture coloniale en question…
– L’architecture de ces deux vieilles villes ne représente en rien le génie Sénégalais. Elle n’est inspirée d’aucune tradition architecturale sénégalaise. C’est plutôt le symbole de la domination occidentale, le symbole de la puissance coloniale. Elle témoigne de la grandeur des colons, de leur capacité à ériger une architecture capable de résister à l’usure, au temps et aux intempéries. Nos ancêtres, eux, ont construit dans le périssable. C’était le banco, la boue, l’argile, les palissades, la paille. Et il n’y a eu aucune entreprise pour préserver, améliorer et perpétuer cette architecture. Qui peut nier que nos sociétés traditionnelles avaient une architecture avancée qui répondait parfaitement aux réalités de notre environnement. Mais, nous n’avons pas oser entreprendre les recherches nécessaires pour déterrer cette architecture que, dans la volonté de nous persuader de n’avoir été responsable de quoi que ce soit, même de ce qui a été créé chez nous, la domination étrangère a volontairement rangé dans le non être historique. Et nous nous glorifions de cette architecture coloniale. Nous présentons ces villes comme étant les pôles d’attraction touristique. N’est-ce pas avouer contingentement que le génie sénégalais n’existe pas ? N’est-ce pas avouer que nous n’avons rien pu et su créer qui soit digne de nous représenter ? N’est-ce pas reconnaître notre faiblesse à ne pouvoir sortir de la colonisation ? Quelle honte ! C’est notre domination, pas notre résistance et notre génie, que nous présentons à la face du globe. Qu’est-ce qui, au plan visuel, représente la résistance de nos héros nationaux. Ils ont lutté contre l’occupation. Mais nos jeunes qui apprennent cette résistance ont-ils une idée de ce qu’était la demeure de Lat-Dior Ngoné Latyr Diop ? Ont-il une idée de comment étaient constituées nos cités précoloniales ? Comment alors comprendre la décision de l’Etat d’instituer la préservation des architectures coloniales, si ce n’est que pour déprécier notre génie ? Le marché Kermel, n’en parlons même pas, c’est l’œuvre d’un architecte italien. La porte du millénaire est en soi ce qu’on pourrait appeler une socialisation de territoire. Elle a permis aux sénégalais de fréquenter, jusque tard dans la nuit, une partie de la capitale, jadis, crainte dès le couché du soleil. Au delà du jugement de valeur « c’est beau » que certains en posent, elle ne représente rien et ne laisse aucun souvenir à la mémoire, aucune histoire. Est-ce alors une œuvre architecturale aboutie ? La demeure du roi du Sine avait quatre portes dont chacune faisait face à un point cardinal. C’était chargé de sens. Mais aujourd’hui qu’est ce qui peut, dans l’architecture de notre pays, nous rappeler ce pan de notre patrimoine culturel matériel ?
Quelqu’un me cria :
– « nous n’avons pas une idée de la continuité. Nous devons apprendre à continuer notre histoire et ne pas supprimer les villes coloniales de notre histoire. Fort heureusement, Senghor, lui, avait une idée de la continuité ».
On venait de faire un tour de table. Je pouvais reprendre la parole. Je parlais de Culture matérielle, on me parlait d’histoire. Et je continuais…
Entre culture matérielle et histoire…
– Je ne refuse pas que la colonisation fasse partie intégrante de notre histoire. Sauf que là, il ne s’agit pas d’histoire. Il s’agit de déceler dans notre environnement architectural, ce qui relève du génie sénégalais. Qu’est-ce qui, aujourd’hui, découle d’une recherche approfondie et assez pointue de nos traditions architecturales ? En réalité nous est-il donné de parler d’une architecture sénégalaise ? En d’autres termes, existe-t-il une architecture sénégalaise ? Et vous me parlez de continuité ! Notre histoire commence-t-elle avec la colonisation ? N’avions nous pas une histoire avant la domination coloniale ? Comment habitaient ceux qui ont existé avant nous ? Présumez-vous qu’ils n’avez pas de gîte ? Les considérez-vous comme des hommes de Cromagnon ? Ce que vous appelez continuité n’était-ce pas en réalité une acculturation ? Nos dirigeants aux « soleils des indépendances » ont évolué vers ce que j’appelle la théorie du « vous aussi, nous aussi… Vous en avez, nous en avions ». Ce faisant, ils ont essayé de prouver que nous étions des humains au même titre que les occidentaux. Par conséquent, il fallait prouver que nous avions une philosophie au même titre que les occidentaux, que nous avions une littérature comme ils en avaient… que nous avions une architecture comme eux en avaient. Mais dans ce dernier cas, il y a eu problème. Plutôt que d’essayer de déterrer une soit disante architecture semblable à celle de l’Europe, qui en vérité n’a jamais existé, le discours devait plutôt être, nous sommes capable de créer une architecture comme la vôtre. Mais dommage que ce ne fût pas le cas, nous nous sommes attelés à vouloir créer une architecture dans la fouler de la comparaison. Il faut bien voir qu’aujourd’hui ce combat n’est plus d’actualité. Nous ne pouvons pas nous situer de cette même façon dans nos Afriques qui ne disposent pas de leur propre histoire, qui n’ont pas l’initiative culturelle, qui se définissent par des détours et par des médiations diverses, dans nos Afriques qui, après avoir accédé à l’indépendance s’aperçoivent, seulement maintenant, que cette indépendance reste limitée. La décolonisation était une farce. Les toubabs sont volontairement passés en coulisse pour mieux produire notre spectacle. Ce discours des indépendances que Senghor et autres ont conduit, était donc, pour une part, imitative. Et on me parle de continuité ! La véritable continuité ne consiste-t-elle pas à redonner forme à cette vieille liberté acquise. Autrement dit, nos Etats ne doivent-ils pas, actuellement, jeter un pont entre ce qui a été notre histoire d’avant et ce qui commence à être notre histoire d’après la colonisation c’est à dire recréer une sorte de continuité émancipatrice après la parenthèse de la période coloniale ?
L’erreur des jeunes Etats africains…
Tout au long de mon discours, je m’efforçais à ne pas verser sur des explications formulées à partir d’une vision déficitaire de l’Afrique. Je ne voulais pas qu’on ait l’impression que j’incite les architectes à s’attacher aveuglément à l’histoire, d’où l’on pouvait me reprocher une sorte de ghettoïsation et de conservatisme rétrograde. Je m’essayais tout au plus à démontrer que l’Afrique n’a pas su ou pu réorienter son histoire inscrite dans les territoires et son histoire génératrice de dynamismes culturels et de visions de la société qui lui sont propres. Je m’appliquais à décrier que nous n’avons pas su ou pu redéfinir l’inscription dans l’espace territoriale parce que les pouvoirs nouveaux d’après les indépendances ont redouté de toucher d’abord aux frontières, ensuite aux espaces politiques, et donc de réanimer l’emprise territoriale qui aurait pu avoir un sens africain. Je sous-entendais que nous en sommes restés à des découpages qui sont ceux du temps des partages et c’est sans doute ce pourquoi l’aménagement architectural ne pouvait que continuer la logique coloniale. Ce que je mettais sur notre compte en tenant ce discours, ce en quoi on pouvait voir notre faiblesse propre, c’était l’incapacité maintenue de constituer des œuvres architecturales économiquement viables et culturellement cohérentes. Mais personne n’a voulu toucher à nos traditions architecturales d’autant plus que les pressions de l’occident allaient dans le sens de la conservation des anciennes œuvres coloniales. Les grands ensembles architecturaux; qui auraient pu incarné une tradition, une symbolique, toute une richesse de forces et de dynamismes portés par une histoire et une mémoire collective proprement africaine, ne pouvaient être ressuscités. Les théories de Senghor, à justification principalement métisse, n’en étaient pas les substituts. Les idées de villes modernes nègres résistaient mal à l’aliénation culturelle, et à l’effet, à l’admiration de l’architecture de la France mère. Si l’on peut dire, les dynamiques du dedans et celle du dehors n’étaient pas encore dissociables.
Tâches impératives des architectes sénégalais…
Je sais pertinemment qu’on ne construit pas le présent en voulant reproduire à l’identique le passé, en tentant de recomposer les techniques établis durant l’histoire précoloniale, mais sur ce qui est adapté à nos moyens et à notre environnement, on pourrait tisser une architecture moderne. N’est-il donc pas urgent, à l’état actuel, que les architectes sénégalais se penchent sur leur histoire, sur leur passé pour mieux organiser notre environnement. La connaissance de ce passé, de cette culture matérielle, ne peut-elle qu’être bénéfique pour une politique architecturale cohérente, adéquate et digne d’inspirer le bien vivre sénégalais ? Une architecture sénégalaise ainsi basée sur des valeurs culturelles matérielles, des actions inédites et originales, ne peut-elle pas inciter à une exploitation intelligente de notre environnement et à un progrès moins troublé ? En définitive, il revient aux architectes sénégalais la lourde responsabilité de créer une architecture sénégalaise.
La discussion était intéressante mais malheureusement le temps qui nous était imparti ne permettait pas d’épuiser la question. En tout cas merci au JustFor You de nous avoir offert cette tribune.
Au sortir de cette conférence, je m’étais retrouvé au milieu d’un cercle d’intellectuels. Les sujets débattus étaient des plus intéressants. Puis nous avions décidé d’aller manger un bout à L’Impasse. A quatre heures et demi du matin, je me trouvais enfin chez moi. Mais imaginez qu’une telle soirée ne puisse m’ensommeiller. Les bobines de questions m’éclataient encore le crâne. Je me mis alors devant la machine. Et rebelote…
Le scandale du 18 juillet 2003…
J’aurais bien aimé continuer l’histoire de la conférence et vous rapporter les brillantes contributions de l’assistance mais sans vous mentir, je ne m’en rappelle plus vraiment. Veuillez m’en excuser. Peut-être que dans lignes qui suivent des bribes m’en reviendront et je vous en ferais part.
J’étais alors devant la machine. La conférence dont je viens de vous faire un résumé, était organisée du fait de l’actualité d’un des grands projets du Chef de l’Etat : le Musée des Civilisations Noires. Un matin, le Matin nous révélait dans ses colonnes que la maquette qui avait été présentée à la pose de la première pierre de ce musée, avait été réalisée pour un stade dans les pays arabes. Scandale ! Tout le monde était terrifié. Entre les débats dans les radios, les articles de presse, et les conférences, une question était constante : comment oser présenter la maquette d’un stade de football pour un musée des civilisations noires ? Mais avant d’avancer dans ce débat, permettez-moi de faire un pas en arrière. J’aimerais tenir ma promesse de continuer l’histoire de la conférence si des bribes m’en revenaient.
Je me rappelle que cet après-midi ensoleillé de ce même samedi, une architecte sénégalaise m’avait défiée de lui expliquer la différence entre l’œuvre d’un architecte contemporain sénégalais et celle d’un architecte contemporain japonais. Elle parlait d’architecte japonais parce que je soutenais dans mon discours, que n’importe quel pays se respectant avait son architecture reconnaissable au premier coup d’œil. J’avais parlé des pays asiatiques et en particulier du Japon en soutenant que n’importe quelle rue de ces pays était reconnaissable à première vue. Pour preuve dans les films américains, on ne nous indique pas l’Asie en sous-titre. Il suffit que la caméra fasse un panneau sur une rue, et nous autres spectateurs, comprenons que cette séquence se passe dans un pays ou un quartier asiatique. J’en déduisais :
– L’architecture est une fonction essentielle qui représente un peuple là où il n’est pas.
Mais à cela, Madame, professionnelle de son état, restait persuadée de l’universalité de la contemporanéité architecturale. Elle insistait à me lancer ce défi. Sans doute pensait-elle que je ne pouvais argumenter en faveur d’une sensibilité authentiquement sénégalaise qui permettrait au sénégalais de créer des œuvres architecturales ségalaisement sénégalaise. Mais, je ne pouvais relever son défi sur le moment, elle était la dernière intervenante et monsieur Tall Jean Charles devait reprendre la parole pour clôturer le débat. La séance était levée. Les gens continuaient à parler sous la grande case et tout au tour. Je m’avançais pour aller au toilette, mais je ne le fis pas sans m’arrêter devant madame en question pour lui signifier que je ne fuyais pas son défi et que j’allais le relever. Je prévoie d’ailleurs avec votre permission de lui envoyer une copie de cette histoire. Après m’être soulagé, comprenez que des heures de discussion m’avaient empêché de vider le vessie, je revint auprès d’un de mes amis pour m’arranger avec lui de l’heure à laquelle nous allions nous retrouver, devant me rendre à l’autre bout de Dakar pour y rencontrer quelqu’un. Nous avions convenu de nous retrouver au même endroit dans les deux heures qui suivaient. Me voilà parti. Confortablement installé dans le taxi, je sortis mon cahier que je traîne partout pour relever mon défi.
Le Contemporain en question…
Elle me parlait de contemporanéité. Dans les termes de son défi, se révélait l’idée selon laquelle le contemporain est universel. Elle en concluait donc l’impossibilité de faire une différence entre un sénégalais et un japonais architectes. Ces gens bien qu’appartenant à des cultures différentes, partageraient la même contemporanéité et devrait par voie de conséquence produire des œuvres similaires ou presque. Ne voilà-t-il pas là, soulevé tout le débat sur l’universel ? Si le contemporain est partagé par le monde entier, cela voudrait dire que l’identité culturelle n’existe plus. Mais comment était-ce possible ? Puisque la conférence portait sur l’architecture sénégalaise et non sur l’Architecture au Sénégal. L’identité culturelle n’est donc pas morte.
…approche historique du contemporain
Si le Contemporain doit être considéré comme un universel immuable et que l’idée du Contemporain change d’âge en âge, alors ne faut-il pas voir, un âge ou un autre, que les deux aient tort ? En fait, comme aucune époque passée n’a eu tout à fait l’idée du Contemporain qui prévaut aujourd’hui, ne devrait-il pas s’en suivre ou bien que nous avons tort dans tous nos jugements, ou bien que toutes les époques passées se sont trompées ? Confrontés à ce dilemme et incapables de prendre la première hypothèse au sérieux, les « contemporanéistes » n’ont-ils pas donc tacitement pris la seconde à leur compte, quelque soit sa prétention ? Evidemment, cette deuxième hypothèse va dans le sens de la croyance occidentale au progrès, une croyance qui implique que toutes les époques passées s’efforçaient de devenir ce que nous sommes. Pourtant n’est-il pas vraiment difficile de prétendre que les gens du passé se trompaient quand ils vivaient leur vie sur terre comme nous vivons maintenant la nôtre ? Si d’un autre côté, nous admettons que le contemporain est relatif et qu’il change avec le temps, alors, ne pouvons nous pas considérer que chaque époque a raison en son temps et à sa manière. Le contemporain de nos ancêtres n’est-il pas devenu passé de notre époque, et notre contemporain n’est-il pas condamné par l’histoire à devenir le passé d’une génération à venir ? Dans cette perspective le Contemporain tel que c’est présenté dans ce défi, ne perd-il pas son sens ?
…approche sociale du contemporain : le conditionnement
Si nous admettons que nous prenons pour des normes de valeurs objectives ce que nous avons été conditionnés à prendre pour tel. Un japonais peut-il créer, quelque soit la prétention du terme utilisé, contemporain – universel – mondialité ou tout ce que vous voulez, une œuvre architecturale d’une sensibilité sénégalaise ? L’être humain est conditionné par de nombreux facteurs. L’un d’entre eux est la tradition culturelle dans laquelle il vie. Par exemple, dans la tradition occidentale en général, toute architecture qui naît de l’héritage gréco-romain, est acceptable comme architecture et correspondra donc, à un certain degrés, à leur sensibilité. Outre l’influence de la tradition, il y a des facteurs comme la classe sociale ; l’appartenance ethnique ; la région aussi a une influence : les habitants de certaines régions du Sénégal sont plus susceptibles d’apprécier le Wango que les habitants d’autres. Le sexe, l’âge, la santé mentale et physique aussi sous-tendent et façonnent l’être humain. Même au sein de groupes relativement restreints et bien définis, comme disons les membres d’une promotion d’architectes, il y aura des différences de création qui reposent sur des formations individuelles névrotiques. Le désir de l’un d’être en accord avec ses parents, le désir d’un autre d’être en désaccord avec eux, et ainsi de suite. Je ne dis pas aussi que le conditionnement implique que tous les membres d’une culture seront d’accord comme des robots programmés : il limite tout simplement le riche ensemble des options disponibles au sein d’une culture donnée. On voit bien ici que même les membres d’une même société, d’une même promotion, voire d’une même famille ne peuvent pas créer les mêmes choses. Puisque l’ensemble des options mentales d’une culture change sans cesse et est toujours disponible pour des modifications, Il est important de reconnaître que le conditionnement peut-être modifié et assoupli par ceux qui veulent se former et suivent leurs intérêts propres. Comment alors oser soutenir qu’un japonais et un sénégalais même s’ils vivent au même moment historique (21e siècle) pourraient créer les mêmes œuvres architecturales ?
…approche culturelle du contemporain
Il y a une seconde approche de la question non plus à travers l’histoire mais en terme de cultures coexistant dans le même temps. Ici encore on voit des variations locales frappantes dans la notion d’architecture. L’idée d’une bonne œuvre architecturale change de Kinshasa à Bombay. Il s’en suit les mêmes alternatives que précédemment : ou bien certaines cultures ont raison et d’autres tort, ou bien l’Architecture n’est pas un universel immuable mais une réalité subjective projetée sur l’environnement. La solution occidentale classique, caractéristique de l’époque coloniale, consistait à dire que toutes les cultures, à l’exception de la culture occidentale avaient tort. Pour être objectif plutôt que subjectif, un tel jugement devrait être formulé depuis quelque lieu extra-culturel jouissant d’une vue claire sur toutes les cultures, y compris sur la culture occidentale, une culture inaccessible à l’intérieur d’une de ces cultures. A l’évidence aucun point de vue de cette sorte n’est accessible aux êtres humains. La position qui s’impose donc consiste à dire au contraire que la réalité de la contemporanéité change de culture en culture, comme elle le fait d’époque en époque, et qu’aucune conception de la contemporanéité propre à une culture ou à une époque ne peut prétendre à une validité universelle. Puiqu’aucun ensemble de preuves observables n’a jamais été apporté en faveur de l’idée d’universalité de la contemporanéité, je ne vois pas d’échappatoire à la position précédente, sauf à prendre ses désirs pour la réalité.
J’étais de retour au Just For You. Mon ami s’était entre temps entouré de gens. Il n’y avait plus de place autour de la table, je pris donc une chaise et me mis à l’écart. là, isolé, je pouvais continuer ma réflexion.
L’architecture, une fonction politique…
Monsieur Jean Tall pour démontrer l’importance de l’architecture dans une société, expliquait que l’architecture restait un domaine réservé aux gouvernants. En fait, les dirigeants pour donner une certaine image à leur pays instituent des lois que sont tenus de respecter les architectes. Ce faisant, ils ont une emprise dans la gestion de l’environnement et dans l’aménagement du territoire. C’était vrai. Prenant la parole à ce propos, je déclarais :
– Les grecs de l’antiquité construisaient en hauteur. Plus particulièrement, les lieux de culte étaient toujours très élevés. Ce n’était pas rien. Cette élévation avait pour fonction de rendre l’homme petit devant la divinité. Cela participait de la construction du mythe religieux de la grandeur de l’omniscient, l’omnipotent, l’omniprésent. Les colons au Sénégal avaient volontairement occupé la partie la plus haute de Dakar. Ils y avaient construit une architecture élevée. Ce n’était pas rien non plus. Cela correspondait à une volonté d’affirmation et de domination. La fonction principale était d’inférioriser les autochtones. Ce n’était là que la continuité de leur tradition culturelle matérielle.
C’était, assis sur ma chaise, à l’écart de mes amis qui se racontaient des histoires que je repensais à tout cela. De temps à autres, je leur prêtais oreille, je rigolais puis revenais dans mes pensées. Bientôt j’entendis une jeune femme me parler :
– Vous prenez quelque chose monsieur ?
Et mes amis d’ajouter :
– Mais ou est-ce que tu es ? es-tu avec nous ?
Je répondis que j’étais en voyage, on rigolât, et je continuais dans la même posture, ressassant ça et les là des idées diffuses dans ma tête. Ensuite retournant à la fonction politique de l’architecture, je me demandais si on pouvait faire confiance à nos politiques dans la charge de conduire l’aménagement architectural de notre pays. En même temps cependant, je me dis qu’on pouvait faire confiance aux forces qui contrôlent la société autour de nous, qui sont en elles-mêmes des agents de conditionnement puissants, pour utiliser leur position dans le sens du développement de leur propre programme. Je venais de comprendre le point de vue du conférencier sur la responsabilité politique. Je me dis :
– Voilà pourquoi les œuvres architecturales sont sujettes à l’influence des forces comme celles que Théodore Adorno appelait les forces de l’industrie de la culture et Louis Althusser celles des appareils idéologiques d’Etat. Le système d’architecture qui prévaut dans une société est en partie un outil idéologique dissimulé. Toutes les œuvres architecturales étant historiquement conditionnées, comme le soutenait monsieur Tall, ont en partie, une portée idéologique et sont ainsi susceptibles de changer pour des raisons sociales.
Me voilà enfin éclairé sur la position de madame l’architecte. Il m’en a fallu du temps. En fait, je conclu ici que c’était l’avantage des pays économiquement puissant de présenter leur propre critères comme éternels et universels. Voilà pourquoi elle parlait en terme de contemporanéité. Je finissais de ruminer ces mots quand la serveuse me présenta gracieusement mon verre de bissap-djindjer. J’en pris une gorgée, alluma une cigarette et lui dis :
– Faites attention madame.
A quoi ?
Répondit-elle.
En réalité, ce n’étais pas à elle que je parlais. J’étais tellement plongé dans mes pensées que j’en étais arrivé à monologuer. Je lui demandais pardon et continuais à m’entretenir, dans le but de relever le défi, avec madame l’architecte qui avait quitté les lieux depuis 19 heures. Je lui disais :
– Faites attention madame ! La notion de contemporain est politique. Mais cela ne signifie pas que ses critères architecturaux ne sont pas valides ; les pays développés quels qu’ils soient, pour rendre leur système le plus convaincant possible, peuvent faire usage des sensibilités les plus au point pour rassembler le monde entier autour de la structure qu’ils veulent. Face à cette situation qu’on appelle mondialisation, nos œuvres architecturales doivent rester une expression très réelle de la sensibilité de notre culture, une manière de conduire à ce qui pourrait être appelé notre personnalité ou notre âme. N’entendez pas par là, un carcan, quelque chose de rigide et d’inflexible mais comprenez plutôt une entité qui change et qui est contingente.
Je me disais que c’était peut-être trop tard et que madame du défi de cet après-midi de samedi ensoleillé ne m’entendais pas. Mais je tenais à être quit avec ma conscience. Voilà qui était fait. J’avais alors cru en avoir fini de me torturer l’esprit avec ce sujet, en réalité, j’étais revenu pour m’amuser pas pour réfléchir. Mais que ce ne fût possible quand je me rendit compte que je venais de conclure que l’architecture construisait notre personnalité. Je me demandais alors quelle était la personnalité qu’on pouvait espérer de cette maquette qu’on nous avait présenté pour le musée des civilisations noires ? Souvenez-vous, je mettais mis à la machine à quatre heures et demi du matin et j’avais entrepris de vous parler d’un des grands projets du Chef de l’état à savoir le musée des civilisations noires. Et nous en étions à ce matin du scandale du Matin. Le problème portait sur quelle architecture pour ce musée. D’autres voix s’étaient élevées avant la mienne pour remettre en cause cette idée. Résultat, le Soleil avait annoncé à la première page de sa livraison du lundi 04 août 2003 le « rejet du projet d’Atépa ». Le conseillé du président de la République pour la Culture monsieur Mamadou Traoré Diop, avait déclaré le dimanche 03 août 2003 :
« le projet actuel (celui qui avait été présenté lors de la cérémonie de pose de la première pierre, le 18 juillet dernier à Dakar) n’est pas l’image retenue pour le musée. C’est une esquisse préliminaire, c’est-à-dire une hypothèse de départ ». (voir la page 2 du Soleil du lundi 04 août 2003).
Je pense avoir, dans les lignes précédantes, expliqué l’impératif qu’il y avait à créer une architecture sénégalaise. Je pense aussi vous avoir dit que l’architecture est une expression très réelle de la sensibilité d’une culture, une manière de conduire à ce qui pourrait être appelé sa personnalité ou son âme. cela devrait être suffisant en terme de mobile pour me permettre de disserter sur l’architecture du musée des civilisations noires. Mais puisque d’autres se sont déjà prononcés et ont abouti au retrait de ce projet d’architecture, Je ne ferais donc que poser une problématique :
– L’architecture du musée des civilisations noires ne doit-elle pas être, en soi, un produit des civilisations noires ? (A suivre)
Article publié dans taxi le journal des lundi 25, mardi 26 et mercredi 27 août 2003
Le vent des indépendances devait ravager les ordres coloniaux établis pour permettre à l’Afrique perdue de se retrouver. Toutefois, il apparaît aujourd’hui que ce vent, au lieu de nous mettre sur de nouvelles marques, nous à plutôt égaré. L’occident s’exclame alors : pourquoi l’Afrique tarde-t-elle à se développer ? Pourquoi s’embourbe-t-elle autant ? Et Kabou Axel, en 1993, lance la question : « Et si l’Afrique refusait le développement ? » Autant de questionnements qui proclament hypocritement l’échec de l’assistanat, de l’aide au développement et des politiques africaines actuelles. Où se trouve alors le mal ? Est-ce en nous, ou est-ce plutôt au sein de ces questionnements que nous devons les trouver ?
Les préoccupations occidentales sur notre sort sont significatives. Elles ne disent pas que les occidentaux nous sont solidaires, elles parlent plutôt de l’attitude paternaliste occidentale. Elles n’entendent pas nous assister mais elles dénoncent toutes les mesures prises à l’encontre de l’Afrique. Elles crient fort silencieusement que l’occident plutôt que de nous servir, nous a asservi. Enfin, elles fustigent l’aide au développement car les occidentaux qui se disent développés sont loin de se désintéresser de leur propre développement. Ainsi les occidentaux qui prétendent nous aider nous sucent dans l’attrait de leur propre développement pour enfin nous confiner dans une paresse, dans un refus de progrès, dans une infériorité mentale qui nous exige de reproduire leurs schémas, de calquer, copier leurs eues et coutumes comme si celles-ci était des normes universelles. On comprend alors aisément les préoccupations de Kabou Axel et celles plus récentes de Stephen Smith. C’est qu’aux yeux de l’occident, nous ne représentons pas plus que des bébés, incapables donc de nous prendre en charge. Et, ils doivent nous mettre des couches. D’abord ils entendaient nous mettre la couche du bien être moral et matériel dans une vocation missionnaire ayant pour but de nous faire simultanément partager leur vérité évangélique et leur croyance au progrès. L’homme blanc se croyait alors investi d’une mission sacrée : la civilisation, car pour lui les peuples forts devaient apprendre aux races inférieures, faibles, voire dégénérées, comment s’organiser, régir la société, utiliser les ressources… Néanmoins, cette soit disante couche civilisatrice ne caractérisait que le contact déstabilisant entre différentes croyances, idées, sensations, affects, actions concrètes… En vérité la colonisation n’était que le résultat d’un choc culturel mal digéré dû à une rencontre avec des systèmes d’habitus différents des leurs. Ce choc culturel, alimenté d’une vision ethnocentrique, à amené l’occident à ne pas nous reconnaître la qualité d’humain, le droit de faire partie de l’humanité. Cette première mission civilisatrice n’était donc basée que sur une incompréhension de nos valeurs culturelles. Elle n’avait pas pour but d’améliorer nos conditions de vie car la civilisation emporte avec elle des significations additives. Elle véhicule une évolution vers une vision linéaire du monde (celle de l’occident) malgré nos différences culturelles. En définitive il ne s’agissait là que d’une mission d’occidentalisation. Ce ne sont donc pas les formes politiques coloniales qui sont les plus dangereuses. Mais présentement, quand on parle de la colonisation et de ses conséquences sur l’Afrique actuelle, on disserte ordinairement sur sa forme politique. On néglige trop souvent sa forme d’organisation économique qui transporte avec elle une culture : un modèle de rapport à la nature, aux choses et aux autres. On occulte ainsi le désir occidental de savoir tout sur tout et de maîtriser le monde qui nous entoure. Les conquêtes de l’empire romain, les croisades, la planète triangulée par les flux d’épices, d’esclaves et d’or…et les invasions américaines plus récentes traduisent tous une même volonté : la prétention occidentale à l’hégémonie. L’occident s’imagine encore grande manufacture de l’univers ; et le reste du monde, pourvoyeur de matières premières. Naturellement, son mode de fonctionnement n’a pas manqué de susciter d’innombrables critiques, mais jusqu’ici ces critiques n’ont jamais porté sur l’évolution économique et technique que favorise l’industrie. Le mouvement marxiste n’a jamais remis en cause l’accumulation des forces productives et les technologies nécessaires au développement. Les libéraux capitalistes et le socialistes entretiennent tous deux l’idée selon laquelle le progrès social ne peut résulter que de l’accroissement de la richesse d’une société. Donc la même idée du progrès est partagée par les pays communistes, les pays socialistes et les pays capitalistes. Ils sont pour ainsi dire tous impliqués dans une conception fondamentale de la réalité : celui qui vient du projet des lumières.
Je n’ai pas l’ambition de retracer ici précisément l’histoire économique et politique du colonialisme, mais plutôt de nous donner un aperçu de l’idéologie qu’il a transportée pour nous amener à réfléchir sur la situation actuelle des relations Nord – Sud. Autrement dit, face à la situation africaine actuelle qui ne fait que s’aggraver, il devient important d’essayer de comprendre et d’expliquer comment les sociétés aujourd’hui industrialisées se sont développées, pourquoi certaines d’entre elles sont en crises et en sortent difficilement, pourquoi d’autres ne se sont industrialisés que plutard et si lentement ou pourquoi d’autres encore n’y parviennent pas du tout. En d’autres termes, afin de proposer de nouveaux éléments destinés à améliorer nos politiques nationales, il convient de remettre en question l’idée de développement, d’y intégrer la notion d’identité culturelle pour la rendre relative ou tout simplement d’y remédier à travers des systèmes basés sur notre culture ainsi que l’exige l’assertion Senghorienne : « la culture est au début et à la fin du développement ». Toutefois, quel est le sens de ce développement dont on parle autant ? Est-ce l’expression d’une politique de progrès ? Est-ce un concept au moyen duquel accuser davantage le retard de l’Afrique ? S’agit-il d’une politique de rattrapage, ou est-ce tout simplement une politique d’occidentalisation ?
A la suite des indépendances, la société occidentale persistant à penser qu’elle incarnait l’avenir de toutes les autres sociétés, entendait nous changer de couche. Non pas que ayons chié dans celle de la civilisation, mais plutôt parce qu’il leur fallait être plus vicieux pour se légitimer. La mission civilisatrice ne fut pas abandonnée ou jeter à la poubelle, elle fut tout simplement transformée en mission d’aide d’aspect économique et technique pour traiter l’extrême pauvreté qu’a causée la prétention occidentale. La répression et la présence effective du colon devaient alors être bannies puisque les délices de son niveau de vie et le mirage de sa puissance suffisaient pour lui véhiculer une image prestigieuse. Le mode disciplinaire évolua de fait vers un mode de consentement vicieux et trompeur au sein duquel la colonisation n’était plus nécessaire à la domination occidentale ; la contrainte et la domination toujours présentes devenaient impalpables, l’occident impérialiste se faisait coopérant, l’imposante occidentalisation devenait de l’ordre du choix, la propagande à l’égalité des chances devenait effective. Il ne leur restait dans ces conditions qu’à nous achever, en ouvrant la course au développement. L’occident prétend alors que même si les sous-développés sont un peu en retard sur les développés, ils peuvent espérer, puisque les chances sont prétendues égales, combler l’écart à l’image du sous-chef qui peut toujours rêver de devenir chef à son tour…à condition de jouer le même jeu et de ne pas avoir une vision trop différente de la chefferie.
Illusion je proclame ! Et illusion devraient proclamer tous les Etats africains qui n’aperçoivent plus la lueur du développement. En réalité, les pays développés ne sont pas statiques. Bien au contraire, ils sont d’une grande mobilité car ils leur faut garder cet écart qui légitime leur statut de modèle. L’occident qui prône l’égalité des chances au développement en nous ouvrant la possibilité de participer à la course, avec son assistanat et son aide, ne se laissera jamais rattraper sous peine d’être dévalorisé et de perdre sa place de modèle. Son contenu n’est donc pas fixe. Il lui faut créer perpétuellement de nouvelles normes qui alimentent la distance. C’est pourquoi, la définition du développement qui nous semble évidente à chacun de nous, n’est pas toujours commune à tous, car nous avons des idéaux différents. Le sens que l’on a donné au développement a, tout au long de l’histoire, évolué en fonction de facteurs historiques et culturels. Mais il y a une constante qui se définit par : condition idéale de l’existence sociale dans un contexte social et historique donné. Il est, par conséquent, indispensable de ne pas réduire le développement à un aspect économique, car adhérer à un modèle économique c’est être entraîné dans une façon de voir les choses et dans une philosophie de vie loin des réalités que nous vivons. Le développement est ainsi indissociable de ses autres aspects à savoir le culturel, le social, le politique… On peut même dire que la culture n’est pas qu’une dimension du développement, mais au contraire que c’est le développement qui est une dimension de la seule culture occidentale. Aspirer à ce modèle c’est comme dit Serge Latouche communier dans la foi en la science et révérer la technique, mais aussi revendiquer pour son propre compte l’occidentalisation, pour être plus occidentalisé afin de s’occidentaliser encore plus. Le développement, produit culturel de l’axe du bien (entendez les relations Nord – Sud) n’est donc pas l’expression d’une politique de progrès. C’est plus qu’une politique de rattrapage, une politique d’occidentalisation. C’est même bien plus qu’un concept au moyen duquel accuser davantage le retard de l’Afrique. Le développement est la forme dominante du projet civilisateur qui a mûri en occident. Il s’agit donc d’un mensonge qui nous exige de faire comme si. On continue à espérer plutôt que d’avouer l’échec alors qu’il ne s’agit que d’une couche trouée qui nous met à nu quand l’occident se couvre de bien être. A chacun donc de faire comme si. De cette sorte, grâce à la banalisation de cette indifférence au réel, le développement pourra continuer de faire illusion, non plus comme la justification, à priori, des pratiques de mondialisation ; mais comme leur conséquence possible mais incertaine, au terme de l’histoire.
S’attacher à une croyance de l’ordre du virtuel qui se présente sous la forme d’un au delà paradisiaque résigné au « comme si » qui légitime le processus de globalisation dont les conséquences sont dramatiques, telle est la nouvelle couche que nous amène l’occident. A défaut de certitudes, il nous suffit de faire comme si… Comme si les malheurs d’aujourd’hui portaient en germe le bonheur de demain… Comme si le développement était généralisable, comme si la dette africaine pouvait être remboursée, comme si le rattrapage des pays riches par les pays pauvres était possible, comme si la croissance illimitée pouvait être durable. Comme si le virtuel pouvait triompher du réel. Comme si nous étions tous des occidentaux.
Votre Excellence, comme enfant, nous l’avions appris et chanté : « (…) Nous disons non… [car] nos ancêtres (…) ont tracé droit le chemin et forgé notre destin ». Il est temps de sortir de cet axe du mal, de passer du constat d’échec au refus, des rêves rassurants aux questions sérieuses, de l’illusion à la réalité même si aujourd’hui tout incite à les confondre.
Nous vivons dans une société où le seul résultat compte. L’on nous juge en fonction de notre appartenance politique, de notre avoir. Peu importe que nous ayons vendu notre âme, retourné notre veste, trafiqué la vie de nos frères et de nos enfants, souiller notre corps dans l’homosexualité et la pédophilie, trahi des proches pour l’intérêt personnel, nagé dans l’hypocrisie, déformer la vérité, abuser du pouvoir, vivre à la sueur du front des autres, fouler du pied la justice. Tout ce qui importe c’est de s’inscrire comme un mouton dans le courant du parti berger. L’idéal a déserté le Sénégal, les idéologies se sont exilées, et ne parlons même pas du débat contradictoire, avant d’être assassiné, il a préféré se suicider. Il ne pouvait en faire autrement dans ce Sénégal où l’on se sent attaqué, où l’on se dit automatiquement, sans réflexion d’aucune sorte, pourquoi il s’attaque à mes privilèges, à mon siège ? Le privilège, le siège, c’est tout ce que l’on voit, c’est tout ce qui préoccupe. L’incapacité à soutenir le débat contradictoire dans un discours cohérent et satisfaisant est inquiétante. Toute réaction est traduite politiquement et s’en trouve ainsi réduit à une simple rébellion, un avis de mécontent, d’homme frustré, en atteste les propos du président de l’assemblé National à la sortie de « …un opposant au pouvoir… ». Et on se glorifie de ces termes : Sénégal pays de dialogue ; Sénégal pays de Téranga. Vertus, tradition, valeurs culturelles où simple slogan…
C’est certes vrai quelque part. Grâce à deux vertus essentielles de sa culture : Masla et Soutoura, le Sénégal a jusque là évité les perturbations et les dérives politiques. Mais aujourd’hui, ces valeurs ne sont-elles pas dépouillées de leur sens originel ? Quand on confond Masla et faiblesse, Soutoura et hypocrisie, n’est-ce pas là un abus, une déformation de la Culture sénégalaise ? Masla et Soutoura sont certes moteurs de paix et d’équilibre, mais quand on en abuse ne deviennent-elles pas source de dérives et de perturbations politiques : Lou ëup tourou.
Un peuple n’a que les dirigeants qu’il mérite. C’est, dans une certaine mesure, acceptable. Mais comment est il dirigé ? N’est-ce pas en fonction de ses vertus et valeurs culturelles les plus fondamentales ? N’est-ce pas celles-là qui permettent aux dirigeants de prévoir les réactions pouvant dériver de leur gestion des biens publiques et de leur attitude envers la population ? Masla et Soutoura sont tellement galvaudés que le Sénégal a évolué vers quelque chose comme un Disc dur. On nous maîtrise par une programmation, on nous imprime des idéologies, on est même allé jusqu’à nous faire inoculer une certaine notion de la politique. Nous constituons une population de marionnettes. On nous traîne à tous bouts de champs sans contrainte d’aucune sorte. Qu’advient-il alors quand l’un d’entre nous décide de rompre avec cette habitude ? « Wade… au pouvoir… » n’est-il pas considéré comme une attaque contre le système, un virus qui déjoue la programmation, tout simplement parce qu’il rompt avec la chaîne quotidienne ? Qu’est-ce qui peut tant déranger dans « …L’alternance piégée ? » au point de déclencher toutes ces hostilités ? En réalité, ne reproche-t-on pas à l’auteur d’être sortie des sentiers battus de terribles abus de Masla et Soutoura ? N’est-il pas bien que des citoyens prennent la liberté de se mettre au périmètre de ces valeurs ? N’est-ce pas en ceux là que les dirigeants doivent entrevoir l’inappétence ascendante ou décroissante du peuple sénégalais ? Comment oser faire fie des propos, fussent-ils faux, d’un citoyen sur la gestion des affaires publiques ? Nos dirigeants veillent-ils encore à rester à la hauteur de nos attentes ? Pensent-ils à satisfaire nos besoins et aspirations ? Sont-ils préoccupés par l’avenir de la Nation ? Qu’on nous interpelle sur l’œuvre de Latyf est significatif. Mais cette signification parle de la confiance que le Président de la République porte encore au peuple sénégalais. Alors que là, ce n’est pas la confiance de Son Excellence en son peuple qui est en jeux, mais celle du peuple en Son Excellence. Ne serait-il pas plus significatif que les Sahabas défendent leur messager avant que le peuple n’entreprenne quoi que ce soit ? Le journaliste écrivain a osé affronter l’Etat, que le Gouvernement s’emploie à ressusciter le débat contradictoire, et de nous prouver qu’ils sont, non seulement à la hauteur, à même de participer à un débat contradictoire, mais aussi et surtout, démocratie intégrée, qu’ils n’ont rien à se reprocher dans la gestion de la chose publique. C’est la seule issue valable pouvant lever les barrières sur le chemin de la démocratie que Wade lui même a balisé. Dans le cas contraire, le piège se justifie. La démocratie devient une illusion, quelque chose comme un château de carte qui s’effondre après que nous ayons déployé toutes les forces de la Nation pour le construire. Quoi de plus désolant et de plus décevant ? N’est-ce pas là, la terminaison dépréciative de la longue idéologie qui naquit chez nous il y a trois ans.
Au lendemain de l’alternance, nous nous sommes tous empressés d’enterrer l’opposition ; 2e piège… Si tout le monde pense les mêmes choses de la même manière, si nous regardons tous avec les mêmes yeux, ne nous condamne-t-on pas délibérément dans une anarchie ? Ensuite des frustrations ; 3e piège… Une opposition peut-elle exister par la seule obsession du pouvoir ? Peut elle être animée par la seule haine de l’institution suprême ? Et le 1e piège nous tombe dessus la tête : peut-on gouverner un peuple sur la base de compromis ? Quand des opposants obnubilés par l’alternance se regroupent pour conduire l’un d’entre eux au pouvoir, il s’en suit une conséquence irrationnelle et dangereuse : l’élu devient le leader des leaders politiques avec la mention spéciale : meilleur des opposants, espoir de la Nation, nous ne nous opposerons pas à Vous. Qu’on ne s’étonne donc pas, le Front pour l’Alternance (FAL) était un piège contre ceux-là même qui l’ont pensés. Qu’ils soient frustrés et pris dans leur propre piège mérite attention. En réalité, ceux-là ne sont-ils pas aujourd’hui opposant que parce qu’ils estiment que leur part du gâteau, s’ils en ont eu une, aurait du être plus grande qu’elle ne l’a été ? Nous vivons donc dans une sorte de désarroi politique où toutes les occasions sont bonnes pour affaiblir le Président Wade. Ne voilà-t-il pas esquissées, ici, les raisons pour lesquelles ils s’agrippent à l’œuvre de Latyf pour condamner le gouvernement Wade.
Mais qu’on ne s’y trompe pas aussi. Un tel climat ne justifie pas les multiples déclarations des gouvernants. Ne voyons pas en ce bouquin un bilan de l’alternance même si l’auteur l’affirme au bas de la page 25. L’évaluation ne pourra de toute manière être exhaustive qu’à la fin du mandat. Abdou Latyf parle légitimement, comme tout bon citoyen, d’épisodes précis de l’histoire Wade au pouvoir. Son intention n’est-elle donc pas d’attirer l’attention plutôt que les rancunes ? N’affirme-t-il pas entre ses lignes que le grand piège, la trahison de la confiance du peuple, est encore évitable ? L’espoir était certes plus grand que les réalités du pays, la volonté et l’ambition de Wade étaient peut-être plus grandes que les moyens de la Nation. Mais attention, la confiance a été et reste à la mesure de l’homme que nous avons sans équivoque porté au pouvoir le 19 mars 2000. Qu’il s’attelle à certaines priorités, c’est sa politique, mais qu’il n’oublie surtout pas que la confiance reste et demeure pour les quatre années à venir. L’arme est certes dégainée mais la balle est encore dans le canon. On peut encore revoir la cible. D’où la nécessité de n’avoir pas de réactions épidermiques mais de prendre en compte la température du peuple. La démocratie n’est-ce pas aussi cela ? Mais quand un citoyen est menacé de mort parce qu’il a osé parler quand parler lui semblait nécessaire, la crédibilité de l’idéologie démocrate ne s’en trouve-t-elle pas remise en cause ?
Cependant, s’il est important que des citoyens puissent tenir un discours aussi libre que celui de Latyf, n’est-il pas tout aussi important pour un peuple d’éviter que les images symboliques de son histoire ternissent ? Au delà de sa politique, au delà de son statut de fondateur du parti démocratique sénégalais, au delà de sa fonction de président de la République, Abdoulaye Wade ne représente-t-il pas une des quelques images symboliques de notre pays, une bibliothèque qui n’a pas encore pris feu ? Est-ce alors acceptable qu’on le présente comme un arriviste au pouvoir ? Doit-on faire de lui un simple opposant au pouvoir ? Ne représente-t-il pas autre chose en dépit de toutes les contestations ? N’est-il pas celui qui a tout abandonné pour la Nation ? Celui qui s’est investi et a investi pour la paix dans son pays ? Celui qui, vingt cinq ans durant, s’est battu pour mener notre existence vers un lendemain meilleur ? N’est-il pas celui qui nous a tous permis d’espérer par son intelligence, son charisme et sa témérité ? N’incarne-t-il pas l’homo-sénégalensis que chacun de nous voudrait être ? N’a-t-il pas montré que le rêve sénégalais existe et que nous pouvions dépassés l’impasse que nous croyions tous infranchissable ? Ne nous a-t-il pas rendu la fierté d’être sénégalais au moment où, las de 20 ans de régression, nous pensions tourner le dos au pays ? Un Sénégal qui gagne, …travailler….travailler…encore travailler… n’est-ce pas une lutte contre le laxisme qui avait atteint nos moelles épinières ? Qui veut plus pour donner un exemple à la postérité ? Se battre pour son pays contre vents et marrés, allant même jusqu’à traverser le mur de la dignité humaine. Franchement, n’avons nous pas au delà de l’institution qu’il représente quelqu’un qui, de part l’image que nous gardons et garderons de lui, est en soi un moteur développement ? Si nous considérons que le développement est ce quelque chose qui passe d’abord et avant tout par un sentiment d’appartenance et de fierté envers son pays, un peuple peut-il se développer sans héros ? Pourrait-il l’être sans symbole à travers lesquels la relève prendra exemple, soit pour continuer leurs œuvres, soit pour les améliorer, soit pour éviter les erreurs du passé ? Doit-on alors ternir l’image d’une image ? Ne constipons pas notre mémoire ! Evitons l’oublie… Ce serait fatal. Ne doit-on pas trouver un moyen de revendiquer et de critiquer ceux qui nous dirigent de façon à protéger, pas à embellir, contingentement, ce qu’ils sont et ce qu’ils deviendront pour des générations de sénégalais ?
Le discours est donc clair à ce niveau. C’est de nos droits les plus fondamentaux de critiquer ceux qui nous dirigent car c’est nous qui subissons leur politique. C’est du droit de l’opposition d’aller à contre courant et de trouver des stratégies nécessaires pour équilibrer le jeu politique. Mais aussi c’est de leur devoir de protéger l’institution que représente un Président de la République, de garantir la défense des symboles du peuple, car un jour, ce pourrait être leur tour. Et « malheur à celui qui chante pendant que Rome brûle ». Au demeurant, il n’est pas du devoir de l’Etat de condamner tous citoyens désireux de crier sa colère. Et si vous nous gouvernez aujourd’hui, c’est parce que nous avons profondément cru en votre idéologie démocratique et en votre éventuelle capacité à nous sortir du gouffre. En atteste la majorité à l’assemblée nationale et la constitution que nous vous avons accordés tout en nous l’accordant.
Enfin, si un brûlot de cette teneur a pu être pensé, écrit, édité et publié sans que vous n’en soyez auparavant informé, posez-vous la question de savoir si vous disposez de services de renseignement compétents ? Si quiconque peut fabriquer une bombe dans son coin et atteindre notre président, sommes nous vraiment en sécurité dans ce pays ? Et pire, si un citoyen quelque soit son statut, qu’il soit journaliste ou autres, parvient à poser l’ouïe, sur des secrets d’Etat n’y a-t-il pas danger ? Et de là une alternative. Dans le premier terme nous nous trouvons devant un gouvernement poreux, ayant en son sein des mouchards. Dans le deuxième terme, d’aucuns ont fournis des informations, fausses ou vraies c’est selon, pour détruire le symbole que représente Abdoulaye Wade au delà de sa fonction de Président de la République. Dans les deux cas nous sommes en face d’un impératif qui impose à Son Excellence de revoir son entourage. Sëb la ko bëttë ngui ci birr. L’alternance est certes piégée. Mais à y réfléchir encore, ce piège ne nous semble pas être Wade, il n’est pas non plus tendu au peuple, ni au gouvernement tout entier, mais au Président Wade. Par qui ? C’est à voir ! Pourquoi ? Chercher entre les lignes précédentes !
Article publié dans Walf, Taxi le journal et L’info 7 du Mardi 19 AOUT 2003
Il y a évidemment quelque chose qui se passe. Tout dépend de ce que nous entendons par démocratie. Au Sénégal, Il y a une théorie qui paraît quasi officielle selon laquelle la démocratie est un système dans lequel les gens sont des spectateurs, et non des acteurs. A intervalles réguliers, nous avons le droit de mettre un bulletin dans l’urne, de choisir quelqu’un dans la classe des chefs pour nous diriger. Puis nous sommes censés rentrer chez nous, et vaquer à nos affaires, consommer, regarder la télévision, faire la cuisine, mais surtout ne pas déranger. C’est la démocratie. Tout paraît donc normal, mais n’y a-t-il pas quelque chose qui nous guette et qui risque de tous nous ébranler ? Le peuple sénégalais a été détourné vers des buts inoffensifs, grâce à la gigantesque propagande animée par les hommes politiques qui consacrent un capital et une énergie énormes à nous convertir en consommateur atomisés, isolés les uns des autres sans la moindre idée de ce que pourrait être une dérive politique. Quand nous avons assez de chance pour trouver du travail, nous devenons un instrument docile de production. Nos sentiments humains normaux ont été écrasés, ils ne sont pas compatibles avec cette idéologie au service des privilèges et du pouvoir. En réalité, le rôle des intellectuels du pouvoir et cela depuis des décennies consiste à faire en sorte que nous soyons passifs, obéissants, ignorants et programmés. Le pouvoir s’évertue à nous éduquer de manière qu’on ne le tienne pas à la gorge. La démocratie telle que nous l’appliquons dans cette crise politique est devenue très claire : le pays doit être dirigé par des citoyens responsables, les autres n’ont qu’à se tenir tranquilles. Pour cela, tout ce que nous pensons doit être contrôlé, et nous devenons ainsi enrégimentés comme des soldats. Tout cela est la conséquence de l’alternance. Nous sommes devenus plus libre, il est donc devenu plus difficile d’utiliser la force contre nous. Par conséquent l’Etat doit s’évertuer à déployer plus d’énergie, que ce qui a jusque là été fait dans le cas Latyf, pour contrôler les opinions et les comportements. Sinon… Et on en passe.
Il est des habitudes de nos gouvernants de s’arrêter à l’évidence et à ce qui paraît logique. Or il convient d’aller chercher le latent, lou less waxoul, de faire un détour, de ne pas considérer les événements comme des choses isolées mais plutôt des situations ayant une relation forte et entretenue. Le climat politique et social qui prévaut actuellement est un rebond qui conduit à voir autrement et à tout reconsidérer. C’est un séisme politique qui mène à aller au delà de l’apparent, contourner l’évidence, s’étonner de cette vérité, déstabiliser l’ordre établi, ébranler les habitudes, passer au crible les influences extérieures, déceler les parts de responsabilités, et dans ce désarroi, reconstruire toute la stabilité sociale et politique de notre société.
Le peuple est divisé en deux camps. Soit on est avec Wade, soit on est contre lui. Il est difficile aux intellectuels, depuis la parution de « …l’alternance piégée ? » d’éviter les positions partisanes, d’avoir un discours objectifs et de faire des analyses de fonds. Les axes de réflexion traduisent toujours l’existence de deux camps qui se livrent à une bataille acharnée. La grande question reste celle à savoir vers quoi allons nous. Si l’on voie toujours à travers la réflexion d’un tiers la défense ou l’enfoncement de notre Président de la République, posons-nous la question de savoir s’il est encore possible de rester à l’écart de tout ce vacarme politique qui nous exige de mouiller dans le camps des bergers ou dans celui des moutons. Nous ne sommes pour notre part ni berger, ni mouton. Il paraît que le Président de la République m’aurait donné 10 millions pour prendre sa défense. Voyez-vous ? Après l’article « Attention Votre Excellence ! ! ! » paru dans les colonnes de Walf, Taxi, et Info, le mardi 19 août 2003, on nous a reproché d’être un Wadiste. Mais je tiens à préciser que tout ce qui porte le nom d’une personne est, à mes yeux, automatiquement suspect. Une doctrine qui s’appelle Wadisme ou Seckisme, ou Coulibalisme a toutes les chances d’être une religion. Parce qu’elle déifie la personne en question. Donc dès le départ, on sent que quelque chose ne cloche pas. Nous n’avons besoin ni de Wade ni de Latyf pour analyser notre société. Wade est un être humain, pas un Dieu. Il a des idées, des bonnes et des mauvaises. C’est aussi valable pour Abdou Latyf Coulibaly. Quand vous sacralisez un individu, vous êtes dans le domaine de la religion organisée. Et de fait, c’est ce que le Wadisme véhicule : une sorte de religion dans laquelle Wade est hissé au rang de divinité à laquelle il faut vouer un culte. Voilà ce que vos mots signifient. En réalité, je ne sais pas qui vous êtes mais si vous pensez être du côté de Latyf, là, vous ne lui rendez pas service. Parce que vous légitimez les actions entreprises contre lui rien qu’en utilisant le terme Wadisme ou Wadiste. Il n’en reste pas moins que dans cette affaire, Wade aussi bien que Latyf ont dit des choses intéressantes sur la société, et bien d’autres choses de porté plus générale et plus durable. Comme les idées de n’importe qui d’autre, il faut les accepter quand elles sont valides, les modifier ou les prolonger quand c’est nécessaire, les mettre de côté lorsqu’elle se révèlent inexactes ou inapplicables ou même lorsqu’elle peuvent inciter à la dérive. La démarche utilisée n’a-t-elle donc pas à l’écart de tout partie pris ? Et là où vous voyez la défense de Wade, n’est-ce pas des questionnements que tout citoyen pourrait légitimement faire ? Il nous semble même n’avoir pas utiliser le terme « Je », et on se permet de m’insulter au téléphone. Je ne sais pas pour quel motif vous le faites au delà du fait que vous me considérez comme un Wadiste mais je suis prêt à me faire tuer pour que vous-même ayez le droit de vous exprimer. Sinon en quoi les intellectuels conséquents et libres peuvent-ils être utile à ce pays ? L’histoire de notre pays nous a assez enseigné que les intellectuels qui prennent l’initiative d’avoir un discours objectif et cru risquent de le payer très cher. Sans parler de Latyf, si par exemple un intellectuel crée un syndicat, et qu’il y arrive, ce sera peut être bon pour le peuple mais certainement pas pour lui. Il sera l’objet de menace, de harcèlement, voire pire. Est-ce que les intellectuels sénégalais sont encore prêts à payer ce prix ? Prenons un intellectuel privilégié. Supposons qu’il rejoigne l’objectivité. Dans notre société, il ne sera pas tué, mais il sera puni. Il sera dénoncé, haï, calomnié. S’il ne le supporte pas, il renoncera. S’il est sensible à l’opinion, il sera complètement paralysé. Si l’on veut agir, il faut se moquer de l’opinion, c’est la seule façon d’être libre et de faire ce que l’on pense être juste. Mais quand on est insulté, parce que nous n’avons pas pris partie ou que, nous ayant mal lu, on nous campe du côté de Wade, cela ne veut-il pas dire que les hostilités sont déclenchées ? Cela ne veut-il pas dire que la poudre attend l’étincelle ? On m’accuse de corrompu, et subséquemment on accuse Wade de corrupteur. Ne sommes nous pas atteint ? Tout ce vacarme politique ne traduit-il pas la faiblesse de notre République ? En quoi tient le pays si ce n’est qu’à un bout de fil ? N’est-il pas temps, que nous abandonnions les débats partisans ? Le temps n’est-il pas venu de passer au crible toutes nos habitudes ? Ne devons nous pas nous écarter des passions et des privilèges ? N’est-il pas maintenant évident que notre peuple n’attache plus d’importance au Nous ? Le discours n’a-t-il pas évolué vers quelque chose comme aujourd’hui et maintenant, demain on s’en fou. Comment s’étonner alors que nous en soyons à ce stade ? Ne condamnons-nous pas nos enfants, à vivre dans une précarité pire que celle que nous vivons ? Ne devons nous pas penser à la République et à la nation plutôt qu’à nous même et toujours nous même.
Ce qui se passe c’est que nous ignorons la force de notre société. On en arrive à penser que tout ce qui nous trouble vient de l’intérieur. Alors qu’en réalité quand on est en face d’un peuple comme le peuple sénégalais, profondément ancré dans des valeurs traditionnelles, les mécanismes de manipulation évoluent autrement avant de nous pousser aux extrêmes. Nous rendons-nous compte que nous sommes parmi les rares pays africains à ne pas connaître la guerre. Nous rendons-nous compte que nous sommes l’un des rares pays à avoir quelque fois résister aux idéologies occidentales ? Nous rendons-nous compte que nous avons crier décolonisation alors que la décolonisation devait se faire du côté des colons comme du côté des colonisés ? Nous avons, jusque là aspiré à la décolonisation mais nos colons se sont-ils décolonisés ? N’ont-ils pas encore des intérêts en jeux chez nous ? N’est-ce pas Wade lui même qui nous avez annoncé d’avoir refusé un coup d’Etat clef en main ? Ce fût une belle leçon pour ceux qui tentaient de déstabiliser notre société. Maintenant que la leçon est bien apprise, ne sont-ils pas entrain de procéder autrement ? Il faudrait peut-être aller au delà de ceux que nous considérons comme responsable du désarroi politique qui courent en ces temps. Pensez-vous qu’un livre de la teneur de celui de Latyf puisse être publié sans que les services de renseignements étrangers n’en soient informés, eux qui sont au courant de tout ? S’ils l’ont été pourquoi l’information n’a-t-elle pas été relayée pour que des dispositions soient prises en faveur de la stabilité politique de la Nation ? Ne sommes nous donc pas devenus des ennemis inavoués ? Comment se fait-il que le gouvernement tout entier soit pris au dépourvu ? La nature du danger est-elle vraiment indiquée ? Ce serait dommage qu’un jour qu’on dise que tout était parti d’un livre…. Il nous paraît important et urgent de repenser les stratégies et de mettre en œuvre toute l’ingéniosité de la nation pour parer à toutes les éventualités. Posons-nous toujours la question de savoir si un autre sénégalais refuserait l’offre qui avait été faite à Maître Wade ? Et d’un autre côté, qu’est-ce qui peut arriver quand du jour au lendemain des postes clefs de l’armée deviennent vacants ? Est-il évident dans les temps qui courent que des militaires limogés puissent se replier le cœur joyeux ? Avons nous oublié la devise de l’armée : on nous tue mais on ne nous déshonore pas ? De jour en jour, toutes les causes ayant conduit les pays africains à la guerre s’installent dans notre République. Et nous pensons encore être dans un pays de Dialogue. L’alternance a installé le règne des passions, et nous ne sommes plus capable d’équilibrer ces forces cardiaques. La vérité c’est que nous ne sommes pas aujourd’hui à l’abri des perturbations politiques. Le Sénégal des temps n’est plus le Sénégal d’aujourd’hui. Le peuple n’a plus d’opinion, il se la forge à travers les rumeurs si ce n’est à travers celle des autres. c’est dire que nous sommes d’excellents tricheurs qui trichent mal. Et, si par malheur il nous arrivait de vouloir tricher nos voisins, que Dieu nous en garde, qu’adviendra-t-il ? Le prix à payer pour regagner la confiance des sénégalais est lourd. Et pourtant c’est le prix qu’il faut pour réinstaller la stabilité dans les temps qui courent. La solution n’est pas dans toutes les décisions qui se publient dans la presse ni dans toutes les déclarations du cercle d’intellectuels qui pensent pour Wade. La meilleure stratégie consiste à aller plus loin qu’il est pensable. Le Sénégal a été un état complice de l’état colon pendant près de trois siècle. Et il nous a suffit de trois ans pour remettre en question l’échiquier de la coopération. Pouvons nous déstabiliser trois siècles de complicité politique en trois ans de règne ? N’est-ce pas là qu’il faut commencer la réflexion ? Nous avons troublé l’ordre établie, sommes-nous alors loin du prix à payer ? Si nous gardons en vue, l’hypothèse selon laquelle, l’état colon a encore des intérêts dans l’Etat colonisé, est-il concevable que nous échappions à leur contrôle, surtout au moment où la Côte d’Ivoire est incertaine. Rien que pour cela ne sommes nous pas devenus une cible à atteindre pour que l’ordre établi depuis la colonisation soit respecté ? Notre premier ministre ne s’était-il pas indigné de la position des colons lors du naufrage du Diolas ? Pensez-vous que ce soit gratuit que ceux qui ont toujours été là, puissent un jour nous dire, devant une urgence pareille, débrouillez-vous ? Nous vivons donc dans un climat politique insupportable où tout peut arriver du jour au lendemain. Les intérêts en jeu sont tellement nombreux et insaisissables, que l’évidence n’est plus fiable. Soyons donc sur nos gardes et revenons à de meilleurs sentiments. Une chose est certaine c’est que si ces hypothèses sont juste, on en a pas après Wade seulement, mais après toute la Nation. Qui ? C’est la grande question. Mais si le Président de la République se souviens de quelles forces latentes lui avaient proposé la clef du pouvoir forcé en main, nous pourrions peut-être avoir des pistes. Et de savoir pourquoi par des jeux politiques, Son Excellence en arrive à emprisonner un de ses alliés politiques qu’il avait lui même présenté à la communauté internationale ? Pourquoi les projets du Chef de l’Etat sont souvent démolis par des forces idéologiques inavouées. En touchant Latyf Gueye, n’est-ce pas l’Afrique Aide l’Afrique qu’on touche et par voie de conséquence lui-même puisqu’il en était le défenseur ? Et encore et encore… Mais enfin, si un livre a pu surprendre, autre chose de plus secret ne peut-elle pas surprendre ?
Article publié dans Taxi le journal, le vendredi 22 aout 2003
Après avoir vendu nos ancêtres et nos ressources, notre Culture est aux enchères ! Le débat est animé. On parle de coalition nationale, on parle de diversité culturelle ! Nos états africains auraient maintenant besoin d’une coalition nationale pour concevoir et appliquer leur stratégie de développement culturel. Et ironie s’en suit… Nos jeunes africains, occidentalisés jusqu’à la moelle épinière, aurait aussi besoin de coalition pour consommer européens. Est-il encore concevable au vu de l’occidentalisation ascendante de nos peuples d’admettre une telle entreprise ? Les fonctionnaires de la Culture que nous avions en face, lors du point de presse de la coalition nationale pour la diversité culturelle à la maison de la culture, ce lundi 19 mai 2003, sont-ils en mesure de cerner et de comprendre les enjeux de la culture et partant de la diversité culturelle ? Parlons de diversité culturelle !!!La dynamique de diversité culturelle joue de manière à supérioriser l’occident et à inférioriser l’Afrique. Elle a pour fonction d’assurer et de légitimer les rapports sociaux de domination des états africains infériorisés par les états occidentaux supposés supérieurs, permettant à ceux-ci de faire valoir la soit-disante excellence de leur mode de vie et de l’imposer aux africains comme le seul modèle valable de l’existence. Cet ethnocentrisme occidental alimente la course-poursuite des africains pour accéder à ce mirage d’excellence en même temps qu’il maintien et recreuse sans cesse un écart distinctif et irréductible entre l’occident et l’Afrique. Aujourd’hui la production et la consommation de masse englobent la quasi-totalité des domaines de l’existence humaine, depuis les équipements de la vie quotidienne, l’habitat, l’alimentation, l’habillement, les objets d’usage courant ; jusqu’au secteur plus privé de l’hygiène, de l’esthétique, de la santé, de l’éducation, des besoins culturels, des loisirs etc. La créativité culturelle des sociétés consiste aussi à un marquage de tous ces produits issus de la production de masses extérieures à elles pour les intégrer à la logique de leur propre socio-style.
Dans la société de consommation d’aujourd’hui, la dynamique de diversité culturelle correspond à la construction publicitaire des différents socio-style, qui a pour enjeux la segmentation des sociétés et leurs diversités identitaires les unes par rapport aux autres. L’ethnomarketing s’efforce d’appréhender les produits et les modes de consommation en tant que marqueur d’identité pour les individus sur la scène sociale de la consommation. Dans notre société actuelle, la communauté se définit de moins en moins par sa position dans la sphère de la production et de plus en plus par sa consommation. We are what we buy!!! Autrement dit c’est par ce que nous consommons que nous déclinons de plus en plus qui nous sommes, à quel milieu nous appartenons, quelles sont les valeurs auxquels nous sommes attachés et quel sens nous donnons à notre vie. Vue sur cet angle, la dynamique de diversité culturelle paraît universelle et neutre. Mais saurions nous nous en tenir à ce qui paraît universelle et neutre ? N’est pas dans ce qui paraît universelle et neutre que l’occident nous contraint à la reconnaissance ? N’est-ce pas là que les états africains établissent avec leur soi-disant bienfaiteur une de ces amitiés louche ou l’inégalité est hypocritement niée mais secrètement sous entendu de part et d’autre ?
Parlons de la Politique et des relations internationales !!!
Les croyances occidentales inavouées dans des valeurs universelles demeurent bien un prétexte pour accentuer le degré de subordination de ceux (les Africains) qui sont déjà aliénés. Les politiques des états occidentaux refusent de l’initiative aux africains ! Ils veulent que l’Afrique continue à glorifier leur histoire, ils veulent que l’Afrique reste subordonnée, qu’elle accepte d’être leur proie, qu’elle accepte l’idée de développement. Mais le développement, qu’est-ce ? N’est-ce pas une des multiples valeurs supposées universelles ? Puisqu’il se base sur des conditions idéales de l’existence sociale dans un contexte social et historique donné, le développement n’est pas seulement économique, il est indissociable du culturel, du social et du politique… Adhérer à ce modèle économique, c’est être entraîné dans une philosophie de vie donnée, qui prétend être universelle. Demander à l’Afrique d’adhérer à ce modèle c’est lui demander de communier dans la foi en la science et de révérer la technique, mais aussi c’est demander à l’Afrique de revendiquer pour son propre compte l’occidentalisation. Si les gouvernements de l’Afrique étaient libres d’appliquer leurs propres politiques fondées sur leurs propres cultures, les résultats ne seraient-ils pas différents ? Si les intellectuels africains avaient la possibilité et la liberté de formuler des propositions en dehors du moule imposé par les organisations internationales, ne seraient-ils pas imaginatifs, créateurs, réalistes et novateurs ? La force de la culture Occidentale, ici, est qu’elle paraît plurielle, prête à accueillir toutes les autres. C’est sans doute, encore une fois, le principe fondamental d’égalité propre à l’Occident qui lui donne cette apparence trompeuse. C’est selon ce principe que l’occident s’évertue à évoluer la société actuelle vers un village planétaire. Cependant, cette égalité qui paraît être ce qu’il y a de plus neutre, de plus légitime, de plus naturel, ne touche-t-elle pas à ce qui est de l’ordre de la culture et donc de l’arbitraire ? Ces principes d’égalité déclarés universels, fondamentaux et neutres culturellement permettent par exemple aux pays Occidentaux d’intervenir dans des guerres étrangères à eux, le cas de la côte d’Ivoire en constitue un exemple patent. Et dans le cas présent, ce sont ces mêmes principes qui leur permettent d’inciter, en Afrique, la création de coalitions nationales pour la diversité culturelle. Or, si les diversités culturelles sont claires car les cultures peuvent être interprétées différemment dans chaque pays, pourquoi les pays Occidentaux se permettent-ils d’intervenir dans des pays culturellement différents d’eux ? Je ne crois pas à la coalition nationale pour la diversité culturelle. C’est un autre concept que l’occident crée pour nous tenir encore plus distant et plus subordonné.
L’histoire nous l’a démontré. De telles entreprises ne fonctionnent jamais des avantages à l’égard de l’Afrique. Il est difficile de nier aujourd’hui que la construction théorique du discours sur la diversité culturelle s’est montrée très utile dans l’imposition de la culture occidentale. Malgré le constat des dégâts de l’occidentalisation dans nos sociétés, la diversité culturelle est aujourd’hui présentée comme l’unique réponse que l’occident a à offrir aux pays africains. Auparavant, la seule et unique voie de salut était l’industrialisation. Autrement, c’était la mort de l’Afrique. C’est là une dynamique de comparaison qui se trouve dans le groupe qui parvient à persuader l’autre que c’est son modèle celui de l’excellence, le modèle le moins arbitraire. En conséquence de cette persuasion, si les Africains veulent être dans une situation où l’humain est le mieux accompli, il faut qu’ils évoluent vers le modèle occidental et suivent ses règles, ses rites… le modèle occidental est devenu une référence et a gagné une valorisation absolue différente de la valeur relative du modèle africain. Présentement, ce processus a abouti à la dynamique de diversité culturelle. Le groupe envahi ( l’Afrique) ne peut plus se saisir lui-même autrement que par les catégories de l’envahisseur (l’Occident). La diversité culturelle comme l’entend l’occident est bien un produit culturel car elle n’est pas innocente. Elle établit une manière de se rapporter au monde qui nous entoure. Elle est une réponse arbitraire à des besoins culturellement définis.
Aussi, par exemple les normes scientifiques sont arbitraires puisqu’elles sont une définition de la nature par la culture scientifique ! On peut dire que la culture n’est pas qu’une dimension du discours sur la diversité, mais au contraire que c’est la diversité culturelle qui est une dimension de la seule culture Occidentale. La diversité culturelle, dans cette logique, est la forme dominante actuelle du projet d’occidentalisation de l’Afrique. Cette occidentalisation est bien celle à laquelle l’Afrique participe et celle que l’Afrique répand dans le cadre de la construction d’une école dans nos pays. Là, où, pire encore, l’instruction évolue sans doute vers une telle parole chez les touts petits : « regardez-moi quand je vous parle, Dessinez bien entre les lignes et respectez les contours ! . L’éducation pris dans son sens de l’instruction prend part à de nombreux projets d’occidentalisation sous le couvert du terme développement . Les fonctionnaires de la Culture, les blancs à peau noire, certaines organisations internationales et l’UNESCO qui commande au Sénégal une coalition de je ne sais quoi… et même nos états, peuvent penser qu’il n’est pas un tord d’installer une coalition nationale pour la diversité culturelle. Mais je tire sur la sonnette d’alarme. Un tel projet est quand même plus vicieux quand on comprend qu’il est facteur et outil de la domination du mode de vie occidentale. Comment pourrais-je ne pas être l’ennemi de ceux qui rétorquent face à cette situation : oui mais tu sais, c’est déjà trop tard et en plus, c’est leur volonté aussi à convaincre et à séduire pratiquement toute la planète…
Parlons, précisément, de Séduction !!!
La force du discours sur la diversité culturelle tient à la séduction qu’il exerce. Dans tous les sens du terme : charmer, plaire, fasciner, faire illusion, mais aussi abuser, détourner la vérité, tromper. Comment ne pas succomber à l’idée qu’il existerait une manière d’éliminer l’emprise de l’occident sur les cultures africaines ? Comment oser penser, simultanément, que le même remède pourrait aggraver le mal que l’on veut combattre ? Les pays occidentaux, modèle de tête, n’imposent plus leur Culture par la force comme à l’époque du colonialisme. Non ! Il s’agit, depuis la colonisation, d’une domination idéologique bien subtile : celle de la séduction. Elle est plus subtile car la contrainte, et la domination toujours existantes ne sont plus palpables. Suivre le modèle occidental apparaît dès lors, de l’ordre du choix, du droit à la diversité culturel alors qu’il n’en est rien. En fait, nous sommes passés d’un mode disciplinaire à un mode de consentement vicieux et trompeur au sein duquel la colonisation n’est plus nécessaire à la domination occidentale puis que le modèle occidental est accepté comme le meilleur et soutenu par les Africains à travers des entreprises analogues à cette coalition nationale.
La diversité, élément culturel du modèle occidental, a donc gagné le monde par la séduction. Si nous remontons à l’époque de Rostow : il s’agissait d’abord de répandre l’idée que le progrès économique était possible pour tous, puisqu’il était le passage obligé pour atteindre des objectifs que l’on jugeait favorables : la dignité nationale, les meilleures conditions de vie, les profits privés et l’intérêt général. La société traditionnelle africaine devait en fait se développer à condition d’adopter les technologies modernes et les sciences pour obtenir un rendement maximum de chaque individu et évoluer vers le bien-être idéal, celui de l’Occident. La croissance devint fonction normale de l’économie et s’intégra au sein de toutes les institutions. En 1991, nous lisons que l’objectif global du nouvel ordre mondial serait d’améliorer le niveau du développement humain dans le monde. La nouvelle entente entre l’Occident et l’Afrique était alors devenue l’eau et la nourriture pour tous, l’accès à la planification familiale pour au moins 80% des populations. Dans cette nouvelle entente, la force séductrice du modèle occidental se situait dans les délices de son niveau de vie et au sein des mirages de sa puissance. Il est clair que les médias et la vision du donateur, par exemple dans l’aide humanitaire, ont véhiculé une idée d’un Occident prestigieux qu’on ne peut qu’envier. Par exemple l’égalité pour tous, l’évolution technique facteur d’un Produit National Brut croissant sont attrayants quand on en montre les bons côtés. Le discours du progrès misait ainsi, tout, sur un temps à venir, qui serait meilleur que le présent. Il rendait, et rend encore supportables, des moments insupportables, car il véhiculait un espoir. Mais, au lieu d’exploiter toutes ses facettes, il s’est réduit à une dérive économique en contournant les problématiques politiques, sociales et culturelles qui l’entouraient. A l’issue de cette dérive, l’industrialisation devenait le mot maître et universel qui rendait les nations plus fortes à l’image de l’Occident. L’on venait dès lors de renforcer, par ce biais, l’universalité de la vision occidentale des choses. Cette vision ethnocentrique du monde s’imposait encore un peu plus : l’utilitarisme de l’individu était désormais d’une logique implacable. Elle était accompagnée de l’obsession du plus, le système technique intègre les hommes comme rouages d’une machine totale, et finalement totalitaire, dotée d’une force irrésistible d’auto accroissement. Le phénomène du progrès est devenu irréversible en Afrique et toute tentative d’y remédier paraît prétentieuse alors que nous sommes encore victimes de la colonisation. En effet, la décolonisation est une farce, les blancs sont passés en coulisse mais ils restent les producteurs du spectacle africain.
Et on me parle de diversité Culturelle !!!
Disons plutôt que l’avancée fulgurante du consumérisme américain en Europe dérange les cultures toubabs. Elles sont menacées de disparition. La France veut préserver la francité, et comme dans le passé, elle fait appel au Sénégal… Allons ! Venez sauver la vie de vos frères français… disaient-ils à nos ancêtres tir-ailleurs… allons ! Venez sauver vos cultures dans une coalition pour la diversité culturelle… nous disent-ils… Que c’est malin ! Mais à malin, malin et demi… Cette coalition n’a pas pour fonction de défendre nos cultures. Elle les menace. Elle installe le droit naturel au consumérisme européen et des règles qui le défendent. La France perdra certainement un marché sur son territoire car les Français consomment américain mais elle en retrouvera incontestablement un autre dans ses colonies car nous défendons institutionnellement la diversité culturelle et le caractère naturel du consommer français… Qu’adviendra-t-ils à nos cultures nationales, à nos économies locales et à nos nations ? Ne devons nous pas songer à une coalition pour la diversité culturelle nationale et sous régionale d’abord, penser ensuite à maîtriser les diversités culturelles des Afriques pour qu’enfin l’intégration politico-économique africaine soit ?
Je ne pense pas que ceux qui, hier, nous ont traités de barbare et de sauvage, ceux qui nous ont largué dans la nature, hors de la culture, ceux qui nous ont imposé leur culture, qui nous ont menti, nous ont volé, nous ont exploité… Je ne pense pas que ceux là nous invite à la diversité et à la relativisation culturelle, et que cela soit dans nos intérêts. La coalition nationale pour la diversité culturelle constitue une menace pour nos cultures nationales et africaines.
article publié le Mercredi 21 Mai 2003 dans les colonne de l’Info 7
Loin de vouloir juger de vos capacités intellectuelles et politiques, loin de vouloir poser sur votre gouvernement une quelconque considération, je tente ici de mener une réflexion cohérente et satisfaisante pour arriver à faire la part des différences essentielles entre ce qu’a été notre histoire avant le 19 mars 2000 et ce qui a commencé à être notre histoire après la parenthèse des années Diouf.
Mes chers gouvernants, vous ignorez peut-être que les réalités quotidiennes de notre pays tel que nous les ressentons actuellement ne semblent pas inspirer une stabilité socio-politique durable. Vous trouverez sans doute pleins d’arguments à y opposer pour peu que vous soyez d’humeur politicienne. Seulement, si je décide de m’adresser à vous au moment même où je me demande s’il vaut encore la peine de s’adresser à des gouvernants qui n’ont que faire de ce que peuvent penser les citoyens qu’ils gouvernent, si je choisi de m’exprimer au moment où l’expression semble être en sursis dans cette patrie que je chéri, si je reprend aujourd’hui ma plume pour renouer avec cette presse que vous semblez ignorer et que vous ne lisez peut-être pas, c’est que je suis loin d’apprécier tout ce qui, ici ou ailleurs, se dit sur ce qui m’est de plus précieux au monde : le Sénégal.
Je n’ai pas la prétention de vous évaluer chers Messieurs. Tout simplement parce que toute évaluation part des objectifs de départ pour les comparer aux résultats de l’arrivé. Etant donné qu’au même titre que le peuple sénégalais dans sa grande majorité j’ignore votre programme, étant aussi donné que ce n’est ni l’arrivée ni la fin, vous conviendrez avec moi qu’ici, il n’est point question d’évaluation.
Tout ce qui importe, c’est ce que le peuple tout entier attendait de vous. De là il devient aisé de discourir sur ce qui a été fait et sur ce qui actuellement réveille les hostilités. Je n’ai nul besoin de connaître votre destination pour me rendre compte qu’il y a un grand écart entre les attentes de la population toute entière et les multiples réalisations dont vous ne cessez de nous parler. Si ces réalisations répondaient parfaitement aux besoins et aspirations de la population, les discours seraient-t-ils si lamentables à votre égard ?
Chers Messieurs, faites enfin tomber les écailles de vos yeux aveugles et veuillez admettre qu’il y a problème. Et pour qu’ensemble nous arrivions à y apporter la solution adéquate, passons d’abord au crible certains faits représentatifs de l’épisode alternance.
Compatriotes, vous êtes arrivés au pouvoir dans des circonstances historiques très remarquables.
Dans une Afrique meurtrie où ce qu’il est convenu d’appeler démocratie n’était pas et n’est malheureusement pas encore au rendez-vous des élections présidentielles, vous avez réussi à placer notre pays à l’abri de la guerre civile et de tout ce que cela peut entraîner de néfaste pour un pays et ses habitants.
Dans un contexte de tensions sociales extrêmes où pratiquement toutes les prévisions laissaient supposer une éventuelle guerre civile dans notre pays, où nombres de représentations diplomatiques présentes sur notre territoire préparaient leur ressortissant à un rapatriement, vous avez, vous et vos adversaires de l’époque, fait montre d’une grandeur d’esprit incomparable.
Mes chers, évitez le leurre qui pourrait vous être fatal en 2007. Vous n’en étiez pas les uniques acteurs. La victoire était partagée. D’une part Diouf qui a accepté sa défaite et d’autre part, l’image emblématique de l’opposition de l’époque qui affirmait jadis ne vouloir jamais enjamber des cadavres pour siéger au palais. Véritable leçon de démocratie, le Sénégal prouvait ainsi sa maturité au monde tout entier. Mais qu’en est-il de cette maturité aujourd’hui ?
Chers Messieurs, si le peuple sénégalais tout entier n’en avait pas marre des 40 ans de règne socialiste, vous ne seriez sans doute pas à la place que vous occupez aujourd’hui. Sinon comment expliquer ces longues années d’opposition.
Si le peuple sénégalais ne nourrissait pas un désespoir accru, une perte de confiance envers vos prédécesseurs, un désir de rupture avec les pratiques obsolètes et malhonnêtes qui avait fini par ébranler ses valeurs et sa dignité, il n’y aurait pas eu d’alternance.
Si le peuple avait un seul grain de doute sur vos capacités à nous sortir de l’abîme, il n’y aurait pas eu de 19 mars.
Si Maître Abdoulaye Wade n’avait pas trimé 25 années de sa vie pour ainsi incarner la figure emblématique capable de fédérer l’opposition autour d’une coalition, le pays serait entre d’autres mains aujourd’hui.
Si au deuxième tour Monsieur Moustapha Niass ne vous avez pas rejoint, Diouf serait toujours à sa place.
Si le peuple sénégalais n’était pas parvenu à faire la différence entre le spirituel et le politique, croyez moi, ces marabouts que vous adorez tant aujourd’hui, vous aurez rangés aux calandres grecs.
Enfin très Chers Messieurs, votre accession au pouvoir fut plus que tout autre chose l’accomplissement du désir de mettre les socialistes à la porte et de rompre avec les mauvaises habitudes tels que détournement de deniers publiques, abus de pouvoir, corruption, enrichissement illicite, mauvaise gestion, mauvaise politique, mauvais traitement…La liste est loin d’être épuisée.
Gouvernants, nous vous avions fait confiance et avions cru que le démon qui nous confinait dans le malheur était socialiste. Vous aviez donc tout en votre faveur à votre arrivé au pouvoir. Mais qu’avez-vous fait de cette confiance ?
Messieurs, dès les premières heures de l’alternance, vous nous aviez promis de rompre avec les pratiques malhonnêtes. Ce fut le temps des audits. Nous nous voyions sur de nouvelles bases. Enfin, nous disions-nous, les fautifs allaient payer, les malhonnêtes déguerpis, nos désirs assouvis, le pays mis sur orbite. Voyez-vous Chers Messieurs, nous n’attendions pas grand-chose de vous. Nous voulions juste une preuve de votre bonne volonté. Mais qu’en fut-il ?
Quatre années après, il semble que cette promesse ne soit pas encore tenue. Nombres de ceux qui furent du régime socialiste que nous pensions auteur d’actes condamnables sont devenus vos alliés. Ceux qui refusèrent de retourner leur veste et qui furent soit faibles politiquement, soit gênants eu égard à leur force politique sont devenus victimes de leur idéaux. S’ils n’ont pas été emprisonnés, ils n’existent pratiquement plus.
Chers Messieurs, que sont devenus les résultats d’audit ? Qu’est-il advenu aux auteurs de détournements, et de ce Kaolackois qui affirmait publiquement avoir profité des deniers publics ? Nous ne savons toujours pas s’il y a réellement eu pillages des ressources de l’Etat ou s’il n’en fut rien.
Mes chers, ceci a été votre première erreur. Non pas que vous soyez cléments envers vos prédécesseurs mais que vous n’ayez pas dit au peuple ce qu’il en est vraiment. Pourtant il vous suffisait de punir les fautifs pour tonner le passé. Pour dire plus jamais cela, pour inviter les citoyens au travail sérieux et honnête. Ce ne sont pas les théories et les belles phrases telles que « …Travailler, toujours travailler, beaucoup travailler, encore travailler » qui nous sortiront de la prison du laxisme et de la corruption dans laquelle nous séjournions avant vous et dans laquelle fort malheureusement nous séjournons encore.
Gouvernants, tant que vous ne vous prononcerez pas sur la question, le peuple continuera de perdre confiance en vous. Il pensera que vous récupérez les malfaiteurs, que vous les utilisez à des fins politiciennes, que rien ne vous intéresse si ce n’est votre réélection, qu’enfin vous n’êtes pas si différents de vos prédécesseurs.
Vous êtes peut-être à mille lieux d’imaginer qu’un jour le peuple puisse vous considérer comme tel. Mais Chers vacanciers, usez de vos cervelles et dites-nous ce qui peut aujourd’hui nous permettre de faire la différence entre les pratiques anciennes et celles prétendues nouvelles.
Excellence, ce n’est pas parce que vos déplacements sont couverts par des caméras qui nourrissent l’idée d’une nouvelle majorité que vous êtes indiscutablement l’élu de 2007. Veuillez s’il vous plait revoir les archives visuelles de ce même Diouf que vous avez décampé en 2000. Vous vous rendrez vite compte que ce ne sont pas les vagues humaines déferlantes qui gagnent des élections mais l’engagement prouvé de mener ce pays et ses citoyens vers de meilleurs horizons.
Votre Excellence, vos ennemis ne sont pas vos opposants car ceux-ci ne peuvent que vous permettre de revoir vos positions, d’enfanter vos idées dans les meilleures conditions, d’établir des stratégies pour avancer à pas sûrs. Votre ennemi est votre meilleur ami qui se sent aujourd’hui trahi : le peuple sénégalais dans sa majorité électorale de 2000.
Excellence, aujourd’hui que vous êtes au pouvoir avec tout ce que cela comporte comme sens, ce ne sont pas les querelles politiques qui vous empêcheront de fermer l’œil. Soyez en convaincu, ce qui vous empêchera de fermer l’œil, ce qui risque de troubler votre existence, ce qui ébranlera vos espoirs, c’est le fait que vous attendez le moins : le peuple qui vous tourne le dos, non pas qu’il préfère un seul de vos opposants actuels à vous mais plutôt parce qu’il ne veut plus de ce système, parce qu’il a envie d’en finir, parce qu’il se rend enfin compte que Sopi n’est pas Sopékou… Comme le dit Souleymane Faye dans une de ses chansons, c’est ce que nous détestions le plus qui existe toujours dans ce pays. Alors ou est le changement dont on parle tant ?
Excellence, les projets d’aéroport, d’autoroute, de monuments, de réhabilitation des valeurs nègres dans un festival mondial, de constructions de ville et tous les projets que vos différents gouvernements nous ont jusqu’ici présentés s’inscrivent dans une dynamique autre que les besoins des populations que votre accession au pouvoir a transformé en attente.
Voila ce que vous n’avez pas très tôt saisi. Le peuple exprimait son attente quand vous nous parliez de grands projets. De fait que sont les petits projets ? Sopi le cri de guerre contre la monotonie et l’inertie a montré ses limites car rien d’autres si ce n’est le changement effréné d’hommes et de gouvernements à un rythme de car-rapide n’a véritablement été fait. D’ailleurs le car-rapide nous fait bien souvenir du Bleu et du Maïs.
Votre excellence, si vous tenez tant à ce que vos réalisations soient rendues visibles c’est que quelque part vous reconnaissez qu’elles sont invisibles aux yeux de la population. Ce fait est d’autant plus vrai que le quotidien du sénégalais du début du 21e siècle ne diffère vraiment pas de celui du sénégalais de la fin du 20e siècle. Les manquements et les errements les plus basiques persistent encore. Coupure d’électricité, coût très élevé de la vie, salaires misérables, emplois instables, coupures d’eau, mauvais plan de circulation, aménagement anarchique du territoire comme à Mboro où la communauté rurale de Darou encercle la commune, liberté d’expression en sursis, instabilité politique et sociale, mauvaise évacuation des eaux de ruissellement, denrées de première nécessité inabordables, occupation anarchique des espaces vitaux etc.… Tout ceci figurez-vous, nous renvoie à moins 20 ans. Vient s’ajouter à cela, le changement ininterrompu de ministres qui laisse croire soit que vous ne trouvez pas les hommes capables de mener à bien votre politique, soit que vous vous êtes entourés d’incapables, soit vous tâtonnez ou encore…. Et là je vais évoquer le vieux sage : Ku ñiëp toufli nga toye.
Chers « congouvernés », la manière dont ce qu’il est convenu d’appeler alternance s’est jusqu’ici manifesté ne s’inscrit que dans la logique du Sopi. De fait nos gouvernants ne parviennent pas à comprendre les raisons de nos frustrations. Parce que Sopi en réalité s’applique à des personnes qui du jour au lendemain changent de caractère et de comportement vis-à-vis de ceux qui leur ont toujours tendu la perche du soutien. Le wolof dit de ceux là qu’ils ont tourné le dos. Quand il s’agit d’un changement positif dans la manière d’être, le wolof utilise un mot composé : Sopi dokhaline ou encore Sopi Djiko que les sages utilisent pour récupérer une personne qui pourrait-on dire erre dans la déviance. Le mot Sopi utilisé sans adjectif n’est donc pas entendu dans la plupart des cas comme un acte positif. Il existe un autre mot c’est « béẅ ». D’autres mots de la même famille sont Sopelikou et Sopékou.
Le premier relève du domaine mystique. C’est la transmutation de l’humain en une autre espèce animale prédatrice et terrifiante. Ce mot s’applique dans notre société à des personnes souvent qualifiées de mangeurs d’âmes.
Sopékou par contre s’applique à des personnes qui accomplissent un changement radical au sens positif du terme autant physique, moral, intellectuel que social. C’est le qualificatif qui s’applique à une personne qui évolue dans le bon sens et qui de fait était dans ce que la société qualifiait de mauvaise voie. On pourrait la traduire par révolution tandis que Sopi se traduirait par Changement.
Sénégalaises et Sénégalais, que vous soyez gouvernants ou gouvernés, le temps est venu de nous rendre compte que ce qu’il nous faut ce n’est pas un Sopi, un changement d’hommes dans le seul et même système que nous avons jusqu’ici connu. Ce qu’il nous faut c’est un Sopékou, une rupture totale et une métamorphose radicale. Un changement de fond et de forme pas seulement un changement d’hommes. Et pour ce faire il faut d’abord que nous même nous changions dans notre vécu.
L’avènement d’une nouvelle conscience est nécessaire. Une nouvelle conscience qui nous permette de repenser nos systèmes d’habitus dans la seule voie du progrès dans tous les domaines de notre société. Quelque chose de précieux est ici en jeux : le devenir de notre Nation. Et, à ce titre nous devons tous nous engager à mener notre existence au sein d’une dynamique de Sopékou, laquelle conditionnera notre survie.
Enfin chers Messiers, il vous a fallu quatre années pour dissuader une grande partie des sénégalais, puisse donc les trois années qui précèdent 2007 vous permettent de répondre parfaitement aux espérances de la population. Dans l’attente des dispositions qu’il vous plaira de prendre pour y parvenir, je vous prie, Chers Messiers, d’accepter mes encouragements.