
Auteur : pierre.ba

Dans les trois articles que j’ai consacrés à la position libanaise au Sénégal, j’ai expliqué comment et pourquoi la communauté libanaise s’est installée au Sénégal et la manière dont l’administration coloniale s’est servie des libanais comme bouclier social et intermédiaire négociant. A cela est venu s’ajouter la nécessité de sécuriser la production de l’arachide qui entrait désormais dans les habitudes de consommation en métropole (huiles, margarine, fromages, tourteaux pour les animaux) mais aussi, dans la production industrielle (huile de graissage, fabrication de glycérine et d’explosifs). Pour cause, les français allaient se heurter à un adversaire de taille dans notre pays.
En effet, Ahmad b. Muhammad b. Habib Allah connu sous le nom d’Ahmadou Bamba ou encore Serigne Touba, fondateur de la confrérie mouride, jouissait d’une grande importance économique. Ses adeptes s’adonnaient à la culture de l’arachide qui, depuis le 15e siècle dans le royaume du Cayor, si on en croit les écrits de Cada Mosto, était transformé en huile "couleur safran, odeur de violette et saveur d’olive" pour assaisonner les viandes. Cette longue tradition agricole amènera le Sénégal à produire et à exporter un peu plus de 2 500 tonnes d’arachides en 1885; plus de 140 000 tonnes en 1900; et, en 1930, plus de 508 000 tonnes (Pierre Deloncle, 1934). Dès lors les colons français allaient s’opposer à Ahmadou Bamba pour assurer leur main mise sur la production arrachidière et sécuriser ainsi les circuits d’approvisionnement. L’administration coloniale va donc fortement investir les libanais dans le commerce de l’arachide (Boutros Labaki, 1993) pour ainsi jouer un rôle central, contrôlé par le gouvernement français, dans le changement des structures économiques de production locale. (Souha Taraf, 1994).
Ainsi de plus en plus de libanais allaient s’installer au Sénégal pour y devenir les hobereaux de l’administration coloniale. C’est ahurissant de s’en rendre compte, mais le fait mérite attention. Pendant la colonisation il y avait en AOF plus de libanais que de colons francais. De 15% en 1908, ils sont passés à 87% de la population étrangère vivant en AOF. En 1936 ils sont 71% de la population totale des étrangers, soit 5 792 Libanais sur une population totale de 7 650 étrangers (Alhadji Bouba Nouhou, 2012). En ce qui concerne le Sénégal, le recensement de 1936 fait état de 3 410 français et 2 560 Libanais (Jean-Gabriel Desbordes, 1938). Mais les libanais allaient vite dépasser la population de colons établis au Sénégal. Ainsi en 1951 et 1952 on comptait respectivement 5 821 et 7454 libanais sur le territoire sénégalais contre 3351 français (Asmar, 1984).
Du point de vue économique, les libanais contrôlaient entièrement le commerce au Sénégal. En effet, en 1938, ils possédaient 75% des établissements commerciaux de Dakar, 55% de ceux de l’intérieur, le tiers des bâtiments de Dakar et 50% des bâtiments des localités de l’intérieur du Sénégal. Bien que peu nombreux dans l’agriculture, ils exploitaient tout de même des plantations d’agrumes : 2 à pout; 4 à SébiKotane et 3 à Saint-Louis. Un libanais s’était engagé dans la floriculture dans la banlieue de Dakar. Dans l’industrie, les libanais tenaient à Dakar trois confiseries-pâtisseries, une imprimerie, une fabrique de sacs; et une tannerie à Kaolack. Dans les services, on comptait plusieurs restaurants et hôtels exploités par des Libanais à Dakar. Et, dans les professions libérales, on comptait quatre librairies appartenant à des libanais, deux médecins et deux dentistes libanais. Ils avaient tout aussi plusieurs associations: 2 à Dakar, 2 à Kaolack, une à Saint-Louis et 2 à Thiès; et une revue hebdomadaire en langue arabe entre 1930 et 1935. (Mroueh, 1939).
On voit donc bien ici qu’il n’y avait de place pour les indigènes que dans des secteurs peu porteurs de richesses et d’avenir. Tout était fait pour que les sénégalais ne puissent pas un jour accéder à la classe moyenne, synonyme de pouvoir économique qui remettrait inévitablement en cause le pouvoir politique du colon. A titre de comparaison, ce n’est pas un miracle si les pays anglophones s’en sont mieux sortis que les pays francophones après les indépendances. Car, là où la politique coloniale anglaise dite "indirect rule" permettait aux autochtones de s’insérer dans la gestion politique et économique de leur pays, les français quand à eux ont totalement exclu les autochtones des affaires et leurs ont substitués un peuple étranger peu regardant et très peu scrupuleux quand au commerce des biens indigènes.
De tout ce qui précède, il ne serait pas faux d’indiquer que les français ont colonisé le Sénégal, mais que les libanais étaient l’instrument de cette colonisation. Ce ne sont donc pas les formes administratives coloniales, policières et quelque fois même sanguinaires dont on a trop souvent tendance à parler qui sont les plus abjectes. Mais quand on disserte sur la colonisation et sur ses effets on ne peut plus néfastes, on omet assez souvent d’évoquer la signification sociale additive qu’elle comporte. Or, c’en sont les dérivés et les subsistances, résistant au silence de la longue durée, qui justifient, à notre époque, la situation de la communauté libanaise au Sénégal. En effet, partout où le colon s’est installée, les structures sociales préexistantes ont été détruites et parmi ses ruines, a pris naissance non pas une nouvelle société mais une nouvelle stratification sociale, une sorte de nouvel ordre social sous-jacent au sein de laquelle les libanais allaient bénéficier du soutien administratif, logistique et financier du colon et entrer ainsi en jouissance des privilèges de la classe moyenne des sociétés colonisées.
Pierre Hamet BA.
Le but de mon propos n’est pas de soulever l’ire des sénégalais contre les libanais ni d’inciter à la haine raciale, mais de nous donner un aperçu sur le rôle et le statut des libanais depuis leur installation au Sénégal et, de nous permettre ainsi de comprendre pourquoi, du point de vue socio-économique, ils réussissent en affaires mieux que les sénégalais et constituent encore aujourd’hui une classe moyenne peu nombreuse mais fort influente, riche, considérable et très considérée.
J’ai précédemment expliqué comment les colons, dans le cadre de la mise en valeur des territoires de l’AOF, ont permis aux libanais d’investir les niches socio-économiques d’intermédiaires entre paysans sénégalais, forcés de se spécialiser dans la culture de l’arachide et, les maisons européennes qui font le commerce de ces productions. Les libanais vont ainsi accompagner la consolidation du pouvoir impérial français et de la société coloniale qui se définit exclusivement en des termes racialisés (Stoler, 2002). Mais, à mesure qu’augmentent les flux d’entrée de migrants libanais en A.O.F et qu’évoluent les mentalités coloniales, la gestion de la présence des libanais, bénéficiant de statuts administratifs spéciaux du fait de l’engagement diplomatique de la France au Liban, se montre de plus en plus complexe. En effet, à un premier temps où leur présence est vue sous un regard positif, les Libanais participant de la prospérité globale de la colonie, succède à partir des années 1920 une période où les velléités de contrôle de l’administration coloniale se précisent.
Cependant, même poussée par la mobilisation de groupes sociaux métropolitains dénonçant la concurrence des libanais et par le repli protectionniste de la politique coloniale française au début des années 1930, l’administration coloniale ne pouvait qu’agir dans le cadre contraint des engagements diplomatiques de la France vis-à-vis des ressortissants libanais, désormais sujets des mandats qu’elle exerce depuis 1920. Mais aussi les conditions d’engagement des jeunes metropolitains dans les colonies étaient si contraigenantes (célibat forcé, aucune interaction avec les noirs, climat hostile etc) que seuls les libanais pouvaient constituer une barrière viable entre colons et colonisés. Les communautés libanaises allaient donc durablement s’établir dans l’ordre impérial français en A.O.F entre les années 1880, temps des pionniers, et 1939 où l’embrasement de la Seconde Guerre mondiale interrompt, une nouvelle fois après 1914, les circulations internationales. La présence libanaise dans les colonies etaient pour ainsi dire nécessaire à l’expansion coloniale. Elle lui permettait notamment de completer une stratification sociale au sein de laquelle l’indigène ne pouvait tout au plus qu’aspirer à l’assimilation pour espérer s’affranchir un tout petit peu de sa condition inférieure pour ne devenir qu’un vil commis de l’administration coloniale.
Il faut ici comprendre que, dans le cadre d’une politique de séparation totale entre blancs et noirs dans les colonies, le pouvoir central à user des libanais mais aussi, dans une certaine mesure, des capverdiens à partir des années 1930, pour maintenir les indigènes dans une classe inférieure sans aucune possibilité d’évolution dans l’ordre sociale coloniale préétabli. Ainsi partant, après les libanais qui occupent les commerces, les capverdiens seront utilisés pour les activités tertiaires et indépendantes comme la peinture en bâtiment, la coiffure et l’élevage de cochons. Les capverdiennes, quand elles, seront les couturières ou les femmes de ménage des colons.
Si donc, jusqu’à un passé récent les peintres en bâtiment, les éleveurs de cochons et les coiffeurs à Dakar étaient pratiquement tous capverdiens, et les libanais presque tous des commerçants, ce n’est pas parce qu’ils portent ces métiers dans leurs gènes, c’est tout simplement une subsistance de la catégorisation sociale coloniale, la même qui a fait des libanais les riches commerçants qui devait reprendre les rênes de l’essentiel de l’économie sénégalaise au lendemain des indépendances.
Pierre Hamet BA.
Bien que les monographies ne soient pas précises sur leur date d’entrée sur le territoire de l’AOF, nous pouvons situer les premières arrivées en 1839, période qui coincide avec l’ouverture de la Tanzimat dont l’une des manifestations les plus concrètes est la migration des libanais à l’image des peuples de l’empire ottoman dans leur ensemble. Même si alors, traitant de la position libanaise au Sénégal, j’ai précédemment soutenu que les libanais avaient été utilisés pour servir, d’une part, l’expansion coloniale; et dautres parts, de garde-Fou entre la classe superieure du colon et celle inferieure des autochtones, il est important, afin d’éviter un faux procès à nos compatriotes d’origine libanaise, de souligner que leur arrivée dans notre pays ne fut pas manifestement et délibérément orchestrée par le colon.
Bien au contraire, la migration libanaise pendant la colonisation posa, à ses débuts, une question coloniale épineuse au point que l’administration coloniale intima à ses services de renseignements de mener une série d’enquêtes sur la question (centre des archives diplomatiques de Nantes [CADN], Beyrouth consulat, série A, Affaires consulaire). En effet, les compagnies bordelaises et marseillaises se plaignirent de l’arrivée de plus en plus massives de libanais sur le territoire de l’empire. Mais les plaintes portaient moins sur l’émigration clandestine que sur la concurrence que les libanais leur opposaient (Archives départementales des Bouches-du-Rhône, Marseille, 4M2152 : «Affaire Sursock (1891) » et « Affaire Loufti (1893-1897) »). On voit donc bien ici que la présence des commerçants libanais au Sénégal inquiète l’administration coloniale au point que Jean Paillard, idéologue maurrassien intéressé aux questions coloniales, se demande si on allait laisser le troisième port français (Dakar) aux mains des libanais (ANOM, 1AFFPOL1432 : PAILLARD Jean, « Laissera-t-on le troisième port français, Dakar, aux mains des etrangers?»).
Toutefois, une des enquêtes des services de renseignement de l’empire colonial francais sur les réseaux clandestins de migration des libanais et, notamment sur l’opportunité de placement de jeunes Français dans le commerce colonial (ANOM, 1AFFPOL1432: Lettre de l’Union coloniale au ministre des Colonies du 21 octobre 1935), va donner à l’administration coloniale une idée claire de ce qu’il fallait faire des libanais établis au Sénégal. Vue que l’Afrique subsaharienne ne représentait pas une région propice à l’installation des colons, les décideurs de la Troisième République, ne souhaitant pas que le prix à payer soit trop élevé même s’ils accordent une importance à l’accroissement du prestige français permis par la conquête coloniale, la présence libanaise va se révéler opportune pour permettre l’exploitation des ressources des terroirs ouest-africains.
En 1913, l’Empire colonial captait environ 7% des dépenses de l’État et seulement 9% des investissements français (Coquery-Vidrovitch, Goerg, 1992 : 153) et les trois-quarts de ces sommes concernaient alors l’unique colonie de peuplement qu’est l’Algérie. Ainsi, alors que l’administration et le pouvoir coloniaux français se consolident dans le sens de la centralisation, avec la création de la Fédération de l’A.O.F sous l’égide d’un gouvernement général sis à Dakar et dépendant du ministère des Colonies, le pouvoir colonial va donc assigner aux libanais un statut fluctuant en fonction des impératifs de sa gestion de l’Empire et de ses populations ainsi que de leur degré d’adhésion à l’ordre impérial. Les libanais vont ainsi bénéficier de représentations positives auprès des décideurs coloniaux qui leur reconnaissent un rôle primordial dans «la mise en valeur» de la colonie.
Définie par les deux premiers gouverneurs-généraux civils de la colonie, Ernest Roume (1902-1908) et William Ponty (1908-1914), cette politique va permettre, en élevant les conditions de vie de la population libanaise et à travers des investissements massifs dans les infrastructures de transport, sanitaires et d’éducation, de rendre l’A.O.F prospère et de renforcer le pouvoir français dans la région (Conklin, 1997 :16). L’activité commerçante des libanais se voit donc attribuer le mérite de participer à cette amélioration des revenus et des niveaux de vie des paysans africains et à « la mission civilisatrice » française en Afrique tout en mainetant les indigènes à bonne distance des colons.
C’est ainsi que les libanais vont investir les petites villes desservies par les lignes de chemin de fer inaugurées dans les années 1910, comme Diourbel, Rufisque, Thiès et Kaoloack. Leur capacité de pénétration des marchés autochtones est renforcée par un effort d’acculturation auprès des populations locales comme l’illustrent l’apprentissage des langues wolof ou sérère ou des pratiques de concubinage avec des femmes africaines qui tranchent d’avec l’entre-soi des colons d’origine métropolitaine.
Ainsi, dans le cadre d’un ordre colonial fondamentalement basé sur une stricte séparation des corps et des modes de vie et sur l’imperméabilité des contacts entre Blancs et Noirs (Stoler, 2002:19-39), les libanais acquièrent une place d’intermédiaires commerciaux, sociaux et raciaux entre Français et Africains et deviennent ainsi la classe moyenne de nos sociétés.
Au moment où des libanais sont cités dans une très grosse affaire impliquant pêle-mêle fuite et blanchiment de capitaux, financement de terrorisme et corruption, il est important de s’intéresser aux pertes, aux dérivés et aux subsistances du système qui a fait de leur communauté la classe moyenne par extraordinaire de notre société, conférant aux libanais un statut de citoyen sénégalais à part mais pas à part entière.
Pierre Hamet BA.
LA POSITION LIBANAISE: LES ORIGINES
Nous avons tôt fait fait d’enterrer les problématiques marxistes alors qu’elles n’ont jamais été aussi vraies et aussi intrigantes. Même si la lutte des classes ne se présente plus en termes de confrontations physiques entre individus de classes sociales différentes, comme à l’époque des grandes révolutions du 18e siècle, elle n’a pas pour autant cessé d’exister. Elle est plutôt le vers que la rose porte en elle. Même si alors la notion de bourgeoisie devient de plus en plus impropre, force est de constater que le système de stratification social n’a point évolué dans le temps. L’historiographie impose donc à l’histoire autrefois enchantée par la beauté de la rose de maintenant s’intéresser au vers.
Nous le savons bien, le but ultime de toute classe sociale est d’accéder au rang supérieur. Les classes n’ont donc pas de contenus statiques. Bien au contraire, elles sont dynamiques. Une classe superieure qui sert de référence est obligée de se réinventer pour ne pas perdre sa place de modèle et se voir ansi reléguée à une classe inférieure à la sienne qui, pour le moment, domine. Il en est de même pour les classes moyennes et ouvrières. Ainsi on voit bien qu’une lutte intrinsèque s’accapare des classes sociales dès leur apparition.
On peut ainsi voir les pays sous-développés comme la classe inférieure, les pays en voie de développement comme la classe moyenne et les pays développés comme le modèle de tête qui sert de référence. Par contre, là où, au sein de ce même modèle, les classes se sont âprement dessinées dans une historicité truffée de luttes féroces, parfois même sanglantes, entre forces sociales qui ont fini par se neutraliser dans le temps pour donner naissance à trois strates sociales qui se chevauchent sans s’harmoniser, dans les pays anciennement colonisés, la stratification sociale a été une fabrication chronosophique du colon.
De la sorte, pour éviter aux indigènes, classe inferieure par excellence, parce que colonisés, d’aspirer à la place de modèle, les colons ont fabriqué une classe moyenne dont l’apparence chromatique lui est sembable, mais capable de vivre dans les comptoirs les plus reculés, de s’accommoder aux modes de vie indigènes, de commercer voire de s’accoupler avec.
C’est ainsi que les syro-libanais (libanais dans le langage courant), bien que sujets français à ces époques là, ont été installés dans nos pays pour servir l’expansion coloniale, nous tenir distant de la classe supérieure et taire ainsi toute velléité indigène de prétention à la bourgoisie…
Pierre Hamet BA
ET SI GUTERRES AVAIT RAISON
Bien qu’ayant été indigné par l’assertion de Guterres selon laquelle une catastrophe sanitaire allait s’abattre sur l’Afrique occasionnant par la même des millions de morts; et bien que, dans un précédant article (Guterres, vous avez tort), je démontrais qu’une telle catacombe ne saurait arriver en Afrique, j’envisage désormais la possibilité que l’Afrique ne soit pas capable de contenir la pandémie.
Mes démonstrations précédentes, principalement basées sur une étude comparative des démographies occidentales et africaines et sur la résilience des peuples africains face aux multiples pandémies qui ont traversé son histoire, ont manqué de prendre en compte les limites politiques de l’État africain, et donc son incapacité à convaincre sa population du bien-fondé de ses décisions, à trouver des alternatives locales, d’inventer, à défaut de se réinventer, des solutions nouvelles, des approches prospectives stratégiques inédites.
Tout se passe comme si les dirigeants africains se sont contentés de copier les anciennes métropoles colonisatrices et de plaquer, avec le même agenda, leurs solutions sur une population qui n’a ni le même niveau d’éducation, toute proportion gardée, ni la même historicité, encore moins la même appréhension de la mort.
Par ailleurs, si l’on se penche de plus près sur les circonstances qui ont précipité la fin des mesures préventives et la reprise progressive, sinon totale, de pratiquement toutes les activités sociales en Afrique malgré le risque encore élevé de contamination à grande échelle, on se rend vite compte que la peur de violentes protestations, d’émeutes et peut-être même de renversement de régime s’est saisie de nos dirigeants.
Parce que la gestion des ressources naturelles en Afrique fait souvent l’objet de controverses; parce que le pouvoir politique africain manque de légitimité à cause des manipulations d’élections dont il est fréquemment accusé; parce que des hommes à des postes de responsabilités politiques et, pratiquement sortis du néant, deviennent subitement riches sans pour autant être en mesure de justifier l’origine licite de leurs biens; parce que les détournements de deniers publics et autres sacandales financiers et fonciers sont le lot de l’homme politique africain, l’Etat africain est fragile.
Il manque ainsi d’autorité sur une population qui a fini de lui retirer toute crédibilité. On en arrive à une situation où les populations vont jusqu’à douter de l’existence même d’une quelconque pandémie, pensant que l’État dont elles sont concaincues qu’il a cessé depuis belle lurette de se préoccuper de leur bien-être, abuse maintenant du seul bien précieux qui leur reste: leur liberté de mouvement, condition sine-qua-non de leur existence, si ce n’est de leur survie.
Il y a donc bien évidemment quelque chose qui se passe parallèlement à la pandémie. C’est une question à laquelle nous devons porter une réflexion attentive. Il s’agit de la problématique de la légitimité qui, elle seule, garantit la confiance qui est le préalable à tout système de gouvernance. Car, comment gouverner sans autorité et comment avoir de l’autorité sur une population convaincue de la mauvaise foi et du manque d’intérêt de ses dirigeants quant à son devenir? Telle est, il me semble, l’urgence à laquelle nous devons faire face pour nous éviter pareilles contingences en d’autres situations improbables mais possibles au terme de l’histoire.
Tout compte fait, l’État africain semble avoir abdiqué face à la pandemie, incapable d’exercer son autorité qui ne peut puiser sa source ailleurs qu’en la confiance de son peuple. Il est donc désormais envisageable que la pandémie prospère en Afrique plus qu’ailleurs à cause de l’incapacité de nos dirigeants à retrouver la confiance de leur peuple, seul gage d’une obéissance civile.
Pierre Hamet BA
BIO DU SÉNÉGAL PREND SON ENVOL

Initialement prévu pour l’année 2025, le projet BIO DU SÉNÉGAL entre dans sa phase d’exécution après 8 ans d’études, denrichissement naturel des sols et de réalisation de forages. Nous avons ainsi acquis et préparé 525 ha à differents endroits sur le territoire national. Tout aussi, a été mobilisé le financement nécessaire pour un programme national privé d’agriculture bio à grande échelle.
Ce mois-ci nous démarrons le programme expérimentale sur 25 ha dans la région de Thies. L’objectif, avec des techniques expérimentales, est d’arriver à la fin du mois de septembre à la production de 400 tonnes d’arachides Fleur 11 et de 30 tonnes de cornilles (niébé).
Un hôpital dépeuplé. Direction Paris. Le chauffeur a démenti. Mais lui, se fait rare. Signe de la solidarité familiale. Tout se partage. Le pouvoir, les marchés publics, les ressources minières et gazières, les attributs du pouvoir. Même la maladie se partage. Dagana l’aurait-il rencontré en catimini. C’est là peut-être le foyer de contamination. Sait-on jamais. Nous y étions habitués à ce discours depuis l’instauration du couvre-feu. Pas de péril en la demeure. L’autre a pris le relais. La rue aurait-elle eu raison d’eux? Est-ce de l’abandon ou est-ce plutôt un aveu d’incompétence? Qu’en sais-je?
Mais sa disparition des écrans, le manque d’informations sur ses réactions, en pareille circonstance où le pays à manquer de s’embraser, est étonnant. Même la presse qui braque ses radars sur ses moindres faits et gestes manque de quoi se mettre sous la dent. C’est un confinement total. Une quarantaine? De toute façon la possibilité d’une contamination familiale n’est pas à exclure.
Peut-être aussi est-il tout simplement encore entrain de réfléchir sur le nouvel ordre mondial?
Pierre Hamet BA
PHILOSOPHES SÉNÉGALAIS, RÉVÉLEZ-VOUS

Les problématiques que nous pouvons soumettre à la réflexion font légion depuis que le Sénégal est entré en guerre (pour reprendre le terme du chef de l’Etat) contre le coronavirus. Il ne s’agit pas seulement de questions politiques, sociales et économiques qui sont brièvement traitées sur les plateaux de télévisions nationales et rapidement évacuées au gré des faits divers et autres scandales à connotations sexuelles. L’entreprise de pensée que nous impose cette crise est plutôt une démarche hautement philosophique qui pose à nouveau, avec une certaine acuité, des questions qui ont, de part en part, traversé toute l’histoire de la philosophie. Qui sommes-nous ? Que voulons-nous ? Où allons-nous ?
Nous ne pouvons trouver de réponses cohérentes et satisfaisantes à ce triptyque ontologique que sous le prisme d’une pensée locale et historicisée plutôt que globale et universelle voire, universalisante. Car, le rêve de l’universalité notamment en ce qui concerne la nature humaine, les droits et les catégories de pensée est entrain de s’effondrer comme un château de cartes. Les hommes naissent libres et égaux mais, à la seconde qui suit, ils ne le sont plus. Suffisant pour battre en brèche toute la réflexion qui a porté sur l’universalité du genre humain. En ne posant que la question qu’est-ce que l’homme, la dite réflexion a manqué d’objet réel puisque se ghettoïsant dans la théorie pure. Il ne saurait donc y avoir de dénominateur commun quand à la réponse à cette question. Et, sans dénominateur commun comment oser penser l’universalité de l’homme. Sauf à prendre donc ses désirs pour la réalité, la question devrait plutôt se poser en ces termes : qu’est-ce qui fait que l’homme est homme?
Du cogito cartésien à la perception heideggérienne, de l’existentialisme sartrien à l’hétérotopie foucaldienne, l’homme ne peut se percevoir qu’en tant qu’expérience. C’est un étant comme le dit si bien Patočka. C’est l’expérience que nous sommes qui se voile en ne se jouant qu’au présent qui est la temporalité propre à son mouvement. La crise sanitaire actuelle est donc une occasion inédite pour questionner notre mouvement dans le temps présent. Les philosophes et autres penseurs sénégalais doivent donc se joindre à la bataille en tentant de comprendre et d’expliquer pourquoi par exemple les décisions prises pour le bien-être de la population semble plus l’irriter plutôt qu’elle ne la rassure. Les protestations qui ont cours depuis hier, sont-elles le fruit d’un mécontentement passager ou plus profondément est-ce l’expression dune césure entre gouvernants et gouvernés, ces derniers ne se sentant plus représenter par les premiers cités.
Philosophes du Sénégal, venez donc jouer votre rôle qui est la pointe extrême de toute lutte extrinsèque qui nous offre l’occasion de saisir ce qu’est la lutte au sens le plus profond: c’est-à-dire l’exposition à un péril absolu où tout est menacé et est rendu à sa problématicité originaire. Dans la lutte, le sol se dérobe sous nos pieds et l’abîme croît, le tout de l’étant devenant une question, toujours suspendue et toujours à reprendre. Le penseur et l’acteur se rejoignent ainsi dans un sacrifice de soi qui n’attend rien en retour, si ce n’est la possible ouverture à un « plus haut ».
Pierre Hamet BA.
DUPONT ET DEMBA…

Moi le Sénégalais, je pense haut et fort mais j’hurle très bas. J’ai une mémoire mais elle me sert à oublier. Je suis bavard mais muet ; critique mais crédule ; contestataire mais fataliste.
DEMBA. Orgueil, avarice, envie, colère, luxure, paresse et gourmandise mais aussi amateurisme, despotisme et népotisme : je pardonne ; je suis tolérant. Il trahit, menace, insulte, bastonne, musèle, réprime, châtie et emprisonne : je me résigne, je suis croyant. Amis, parents, cousins, oncles, tantes, cousines et belles familles se partagent le commandement : je supporte ; je suis complaisant. Maquillage à l’or noir : je laisse passer ; je suis indulgent. Privation d’eau tous les quatre matins : j’endure ; je suis persévérant. Coupure d’électricité, hausse des factures : je prends acte ; je suis endurant. Les mensonges s’amoncellent : je ne pipe mot ; je suis dupe. Mais, je ne suis pas bête. Si je me désintéresse de sa politique, c’est que j’ai le sentiment, bien justifié, qu’il me prend pour un imbécile.
TERREUR ! Nous avons compris. Nul terroriste, nulle fusillade, nulle explosion. Comme qui dirait des fesses renfrognées exposées à l’air frais du matin, sa mine est grave ; son discours, vide ; ses entreprises, indigentes. Il a désormais entrepris de terroriser. Par sa seule bouche, l’atmosphère est terrifiante ; le peuple, inerte; le pays, en coupe réglée; la cité a pris peur. Education, emplois, santé, mandat, renchérissement, réalisations, mais tout aussi médiocrité, errements, tâtonnements et toutes formes d’injustice passent désormais sous silence. Son incompétence n’est plus d’actualité. Que se passe-t-il alors si ce n’est que notre conscience collective (E. Durkheim) est pernicieusement préparée à vivre un attentat sans précédant. Lentement mais sûrement, on pointe du doigt un ennemi dont on ignore le visage et les motivations. Cela tient au management de la terreur (C. Hörstel), notion très peu connue qui est apparue récemment dans le domaine des sciences politiques. Point n’est alors question de terrorisme. Qu’on se le tienne donc pour dit. Ce n’est qu’un avatar destiné à détourner notre attention vers des buts inoffensifs. Rien, si ce n’est sa position téméraire et effrayante ; son discours laborieux et dénué de tout fondement idéologique ; et ses choix besogneux, ne permet de soutenir avec conviction une quelconque menace à notre intégrité. De grâce, tais-toi quand tu parles!
ISLAM. Parler d’Islam tolérant, c’est se fourvoyer et tenir un discours du dehors (Balandier) complètement débile, comme si les musulmans, autant qu’ils sont, appartenaient à une horde sauvage ; quelque chose comme des « sous humains » contraintes par une sorte d’« humanité accomplie » à se culpabiliser et à devoir se justifier. Il n’y a, du point de vue de la religion musulmane, ni Islam modéré, ni Islam radical dont on pourrait se prévaloir pour tuer inopinément. La sourate 29 est bien précise à cet égard : « Et ne discutez que de la meilleure façon avec les gens du Livre, sauf ceux d’entre eux qui sont injustes. Et dites : « Nous croyons en ce qu’on a fait descendre vers nous et descendre vers vous, tandis que notre Dieu et votre Dieu est le même, et c’est à Lui que nous nous soumettons ». » Le Coran (XXIX ; 46). Il n’y a qu’un seul Islam et chacun le comprend et le pratique à sa manière. Les arabes ont épousé l’Islam. Les africains ont créolisé l’Islam (Mamadou DIA. « Islam et Civilisation Négro-africaine » NEA, 1980). Ce n’est donc pas parce qu’un groupe d’individus, couvert du manteau de la religion, abrège des vies humaines que l’Islam est concomitamment en cause. Un tel discours est dangereux. Car, bien plus que de suggérer de l’islam une quintessence violente, il véhicule des stigmates qui sèment la psychose dans des sociétés déjà hybrides dont les membres se regardent désormais en chiens de faïence. Les musulmans et les non musulmans s’érigent les uns contre les autres ; et les musulmans eux-mêmes, se divisent en bastions. Et bientôt, des flancs des services secrets, se dresseront de nouvelles organisations, des « musulmans protestants » pourrait-on nous dire, et l’on assistera à un glissement sémantique dans l’appréhension même du phénomène. Mais qu’est-ce que donc le terrorisme si ce n’est une réaction violente et très dangereuse ?
Pierre Hamet BA