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Silence ! On mange

« La violence est le dernier refuge de l’incompétence.» Isaac Asimov

Il y a évidemment quelque chose qui se passe ! Depuis peu et cependant longtemps, intimidation, menace, persécution et violence rythment le débat politique de notre pays. Offense au Chef de l’Etat reproche-t-on à Me El Hadj Amadou Lamine Sall, enrichissement illicite à Me Madické Niang et Karim Wade, blanchiment de capitaux à Samuel Sarr et Aidara Sylla. Et, on lève viscéralement l’immunité parlementaire de Me Ousmane Ngom, Omar Sarr et Abdoulaye Baldé. Sans parler de l’attitude des députés qui entortillent leur mission d’immondes postures despotiques, ni du haineux discours d’Abdoul Mbaye qui, à la place de répondre de faits immoraux qui plombent ses casseroles, se borne à jeter l’anathème sur ses prédécesseurs, moins encore des allégations abusives qui prêtent à on ne sait qui l’intention d’attenter à la sécurité publique, l’on peut disserter sur l’absolutisme qui nous guette.

Tout dépend de ce que nous entendons par démocratie. Pour l’Alliance Partage et République, il y a une doctrine quasi-officielle selon laquelle la démocratie est un système dans lequel, Moi, le Sénégalais est un spectateur et non un acteur. A intervalles réguliers, j’ai le droit de mettre un bulletin dans l’urne, de choisir quelqu’un dans la classe des chefs pour me diriger. Puis, je suis censé rentrer chez moi et vaquer à mes contrariétés, consommer, regarder la télévision, faire la cuisine, mais surtout ne pas déranger : c’est la démocratie.

Le pouvoir s’évertue à écraser nos sentiments sénégalais normaux de conciliabule absolument incompatibles avec cette propension absolutiste. En réalité, ce que veut « l’intouchable » et cela depuis son élection, c’est de faire en sorte que nous soyons passifs, bêtement obéissants, ignorants et programmés. Il s’évertue à nous dresser de sorte qu’on ne le tienne pas à la gorge. La démocratie telle qu’il l’applique est devenue très claire : le pays doit être dirigé par des « yakaaristes », les autres n’ont qu’à se tenir tranquilles. Pour cela, tout ce que nous pensons doit être contrôlé, et nous devons être ainsi enrégimentés comme des soldats.

Et pourtant il dit vouloir une opposition. Mais son postulat de base emporte des significations additives. Il stipule d’une part que, dans la mesure où son accession au pouvoir est une victoire collective, les potentiels opposants ou disons les caciques socialistes d’alors dont Ousmane Tanor Dieng et Aminata Mbengue Ndiaye, les rebus socialistes : Moustapha Niasse et compagnie, les politiciens inavoués couverts du manteau de la société civile tels Alioune Tine, les opposants de fortune et les politiciens de circonstance comme Youssou Ndour, se sont rangés derrière lui. Et, sans être exhaustif d’autre parts, on peut déceler en cette assurance l’intention du chef de l’Etat d’enterrer le Parti Démocratique Sénégalais, opposition de fait.
 
Même si alors le pouvoir soutient obstinément que sa triviale politique portant suspicions d’enrichissement illicite, menace de troubles à l’ordre publique, offense au chef de l’Etat et blanchiment de capitaux n’a pas de soubassement politicien inavoué, l’on peut, à la lumière de ce qui précède, battre ce récit en brèche. Et, les justifications ne manquent pas à l’argumentaire. Il existe même une abondance de preuves à la faveur du contraire. On ne le sait que trop bien. Quand on est incapable d’utiliser la force de l’argument, l’on utilise l’argument de la force.

L’on perçoit pour ainsi dire la vengeance qui satisfait un orgueil personnel qui ne va pas dans le sens des intérêts de la nation. Même s’il faut punir les crimes économiques, encore faudrait-il qu’on nous dise avec exactitude de combien il s’agit et ce qu’on fera de la manne en question une fois recouvrée. Nul part cependant l’on nous a servi un plan, un programme, une politique quelconque qui satisferait nos angoisses.
 
Le gouvernement crie au voleur, mais demeure incapable de déterminer ce qui lui aurait été dépouillé, le montant qui lui aurait été soustrait et qui le lui aurait dérobé. Une telle plainte risque de ne pas trouver réparation et à l’évidence, nous pensons que le pouvoir actuel n’a nullement l’intention de retrouver le moindre franc, mais de contrôler ceux dont l’expérience, la connaissance des dossiers en cours, l’organisation et le militantisme pourraient mettre à nue toute insuffisance, incompétence, incohérence et errance de son régime.

Le pouvoir frise le ridicule et utilise l’argument de la force. L’article 80 est de retour. Eh oui, il y a évidemment quelque chose qui se passe !

Pierre Hamet BA

18 Janvier 2013

attractive black woman asking for silence with finger on lips on bed
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Alliance, partage et république ou and Pathio rewmi

Prague, Czech Republic. Two Horses In Old-fashioned Coach At Old Town Square.

« Entre fond et forme, la forme est la Compétence des incompétents ! » Laurent Martinez

[…] A chacun de faire comme si…

Mais voilà que, sous l’impérialisme d’un quotidien sombre, l’oisiveté et l’immolation pointent le bout de leur nez en ce début d’année 2013 qui apporte son lot de désespoir, de désillusion et de démission. Et « le boss » ne nous propose rien d’autre que de nous nourrir d’espoir : Yaakar ! Nos petites joies éphémères sont constamment calées sur de petites heures tandis que nos grandes peines sont assidûment au-dessus de notre imagination. À bien des égards, la sainte Alliance-Partage-et-République (APR) est tout simplement inquiétante. 

On se comporte comme si tout allait à merveille, comme si tous les besoins, attentes et aspirations du peuple avaient trouvé satisfaction en l’élection de Macky Sall. Tous les forts en gueule qui prétendaient se battre pour l’intérêt général comme Abdou Latif Coulibaly, Mame Adama Gueye, Mouhamadou Mbodj et Alioune Tine pour n’en citer que très peu, se sont tues, si ce n’est qu’ils prêchent pour le parti au pouvoir. Et devant nous, se dresse magistralement le statu quo. 

A la place d’une rupture qui sonnerait le gong d’une évolution sociale, politique et économique à laquelle aspire le peuple sénégalais, se déroule sous nos yeux un mode de gouvernance classique, banal, bête et méchant qui met fin à tout espoir de rupture d’avec l’ordre ancien que nous avons résolument combattu le soir du 25 mars. Le fait passe presque inaperçu. Mais à l’évidence, ceux qui nous gouvernent à titre principal sont ceux-là même dont nous ne voulions plus en 2000, las de leurs quarante années de règne paraplégique.

Voilà qui explique que nos gouvernants manquent d’audace, de créativité et d’inventivité. Au lieu de se tourner vers le futur en prenant en compte la nouvelle dynamique sociopolitique empreinte de problématiques existentielles, nos gouvernants cherchent, dans une sorte de nostalgie d’une époque révolue dont ils peinent à se souvenir, de vieilles marques, de vieux réflexes, d’anciennes servitudes à nous affliger. L’Etat tourne en rond s’il ne pilote pas à vue ! Et pour preuve la première adresse à la Nation du sieur Sall parfaitement analogue au discours d’Abdou Diouf à l’apogée de son magistère. Drôle de Président libéral ! 

Le gouvernement actuel n’a pas d’horizon au-delà du building administratif. Que serait par ailleurs une vision à la sauce Macky, Tanor, Niasse, relevée par Bathily et Dansokho, aromatisée par de nouveaux venus comme Abdoul Mbaye qui se croient investis d’une mission prophétique sinon un pêle-mêle de visions politiques qui se chevauchent sans jamais s’harmoniser ? Par un malin passe-passe politique, cette cohorte préside à nos destinées. Or, leur incompétence passée et leur incapacité actuelle à tenir une seule des promesses de campagne faites à la population Sénégalaise est devenue notoire. A beau chasser le naturel, il revient au galop. Au lieu donc de s’atteler à apporter des réponses cohérentes et satisfaisantes aux questions urgentes et prioritaires des Sénégalais, les dinosaures et les bleus au pouvoir tentent de jouer la fibre patriotique, en soutenant, non sans peine, que nos maux sont le fruit d’un crime organisé. 

La diversion est une méthode, la vérité c’est ce qui sert. Et ici, ce qui sert le pouvoir, c’est d’arriver à nous détourner vers des buts inoffensifs grâce à la gigantesque propagande animée par Mimi Touré, ministre de la justice, qui consacre un capital et une énergie énormes à nous convaincre du bien-fondé de ce qui a fini de se définir comme un acharnement contre d’aguerris adversaires politiques. 

Parce que toutes les voies qui prêchent vont dans le sens du maintien du statu quo apocalyptique, à chacun de faire comme si : comme si le gouvernement avait les moyens de ses promesses politiques ; comme si les dirigeants du PDS étaient des criminels ; comme si la justice était indépendante ; comme si l’APR était à la mesure de notre démocratie ; comme si le Macky pouvait régler les maux qui gangrènent notre quotidien ; comme si les promesses du chef de l’Etat pouvaient être tenues ; comme si la bourse familiale était une solution viable ; comme si la couverture maladie universelle dont on ne se soucie point de nous signifier le caractère universel était généralisable ; comme si la liberté d’expression n’était pas menacée  alors que le Président de la République aurait le droit de nous menacer ; comme si l’agriculture rudimentaire et à la limite moyenâgeuse, pouvait concurrencer la globalisation ; comme si la richesse de Macky Sall, à la vue de sa déclaration de patrimoine était anodine ; comme si les promesses du virtuel yakaar pouvaient triompher du réel ; comme si benno bok yakaar n’allait pas se disloquer à la veille des joutes communales ; comme si Abdoul Mbaye n’avait rien à se reprocher dans l’affaire Hissen Habré ; comme si le Sang Bleu ne coulait plus dans les veines de notre pays ; bref ! Comme si les malheurs d’aujourd’hui portaient en germe le bonheur de demain. 

10 Janvier 2013

Pierre Hamet BA

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APRES LE LONG SIECLE, LE SIECLE DE L’AFRIQUE

A intervalle régulier, il y a tout de même des siècles plus longs que d’autres. 19 Février 1919 – 19 Février 2009. Bientôt un siècle. 90 ans que, sous l’impulsion de William Dubois, se tenait à Paris, le premier congrès panafricain. En posant la question de la terre, du capital, du travail, de l’Education et de l’Etat, le congrès allait internationaliser  le problème Nègre. C’est une rupture. Une nouvelle vision s’esquisse dans l’histoire des peuples noirs. Mais où se situent donc les césures de l’histoire ? Sont-elles des fabrications mythologiques et chronologiques ? Portent-elles la marque d’un événement particulier ou s’inscrivent-elles dans le silence de la longue durée ?

 

Depuis la chute du mur de Berlin, les données géostratégiques ont changé. L’ennemi soviétique a disparu mais les dangers planent sur nos têtes. Le géostratège américain,  Zbignew Brezezinski, dans Le vrai choix soutient qu’après avoir piégé la Russie en Afghanistan, s’être proposé de désagréger la Fédération de Russie en la séparant de ses républiques du Caucase dont la Tchétchénie, pour assurer la suprématie mondiale des Etats Unis et leur mainmise sur le pétrole de la Mer Caspienne. La Russie, par la mise à feu de la Géorgie, donne un coup de frein à ces prétentions expansionnistes. Est-ce le début d’une nouvelle guerre froide ?

 

Les événements chronologiques souvent cités sont-ils les événements les plus marquants du temps des hommes ? Les batailles de Salamine ou de Zama, Bouvines, la guerre des Deux Roses, les deux épouvantables guerres mondiales ou plus récemment les deux guerres en Irak, constituent-elles des césures ? Qu’en sais-je ? Mais à coup sûr, la bataille de Tondibi constitue une rupture de l’ordre africain ancien.

 

Nous sommes en 1591, le sultan marocain Ahmed El Mansour lance une expédition contre l’Empire Sonrhaï. Elle compte plus de 10.000 hommes, Berbères et Andalous, sous les ordres de Djouder Pacha, un énuque espagnol converti à l’islam. L’armée de l’Askia se porte au devant de ces mercenaires. Elle adopte les méthodes classiques de combat en se protégeant de l’ennemi par des troupeaux de bœufs. Bouliers et lancent constituent l’essentiel de leur armement. Les mercenaires ont une supériorité de taille. Ils possèdent des arquebuses et des canons. Dés les premières salves, c’est la stupeur, le carnage et la débandade : c’est la fin d’un monde.

 

Nous avons quitté le 20eme siècle pour entrer dans un nouveau millénaire. Cela paraît grandiose tout comme le fut la fameuse peur de l’an mille qui hanta les esprits du moyen âge européen. Qu’est-ce que donc l’histoire ?

 

Une tirade du philosophe Paul Ricœur estime qu’entre l’immensité  du temps cosmique et la brièveté d’une existence humaine, l’homme a créé le temps calendaire. Semailles, moissons, récoltes, sont autant de repères qui lui permettent d’imprimer sa marque dans le déroulement grandiose du duopole Espace-temps. Chaque fait, chaque événement s’inscrit dans une trajectoire, une sorte de chronologie qui permet à l’homme de conjurer l’angoisse de la mort et de l’anéantissement. L’histoire, n’est-ce pas le temps des hommes ?

 

Pendant plus de deux mille ans, l’histoire humaine a été mise en scène, théâtralisée par une infime partie du monde : l’Europe. Elle s’est longtemps accaparée la centralité de l’histoire. Le reste du monde n’ayant été pour elle que barbarie ou, en tout cas, très périphérique. La longue lutte du monde hellénistique contre les Perses, la bataille navale de Salamine, la bataille des thermopiles, les guerres médiques, l’épopée d’Alexandre contre Darius, symbolisent, au delà du monde grec, toutes la volonté de l’aventure européenne d’imposer un ordre universel au reste du monde.

 

Au moyen âge, les Princes européens organisent des expéditions militaires – les fameuses croisades – pour délivrer le tombeau du christ des mains des « infidèles » musulmans. Dés le 15e siècle, par le fer et par le feu, l’Europe soumet le Nouveau Monde. Des millions d’Indiens, encore sous le coup de l’hébétude, sont anéantis. Des côtes d’Afrique à l’intérieur des terres, les noirs sont raflés et envoyés dans les plantations du « Nouveau Monde ». Soumis à un état servile d’enfer, ils allaient, pendant trois siècles, subir la plus grande injustice de tous les temps. La colonisation parachève l’expansion de l’Europe sur toutes les mers et les terres du monde. Il n’y a plus de terre inconnue. L’occident est désormais devenu maîtresse des destinées, du moins le croit-elle toujours.

 

Esclavage, colonisation, pillage des ressources du continent ont été le lot des Africains. Au nom du dieu Progrès, tirée d’une vision hédémoniste de l’histoire qui participe de la notion chrétienne du salut, les Européens ont colonisé l’inconscient des peuples extra-européens. Ils leur ont imprimé une marque ontologique qui débouchera sur un sentiment d’infériorité. L’Europe afficha ainsi sa supériorité : ce fût la naissance du Racisme.

 

A ce propos Edward Said, dans son œuvre majeure, Orientalism, soutient que les occidentaux ont « orientalisé » l’Orient, en ont fait une construction imaginaire, et que ces représentations ont été contrôlées et utilisées pour servir l’expansion coloniale. Pour Said en effet, « la culture européenne s’est renforcée et à préciser son identité en se démarquant d’un Orient qu’elle prenait comme une forme d’elle-même, inférieure et refoulée », écho à la phrase terrible de Sartres dans sa préface aux Damnés de la Terre : « l’Européen n’a pu se faire homme qu’en fabriquant des esclaves et des monstres ».

 

Dans la même veine, le philosophe Valentin-Yves Mudimbé pense tout aussi que l’Occident a inventé l’Afrique. Dans The invention of Africa, il dénonce « l’ethnocentrisme épistémologique » du discours occidental, et souligne combien il est difficile, pour un intellectuel africain, de sortir des systèmes conceptuels et des catégories apportées par les Européens pour définir une perspective proprement africaine. N’est-ce donc pas là, la crise ?

 

La construction d’une pensée africaine sur l’Afrique est presque devenue utopique. Visiblement c’est une crise de la pensée. Mais, cette crise de la pensée n’impose-t-elle pas une pensée de la crise ?

 

Tous les penseurs européens, de l’antiquité aux temps modernes, ont une vision téléologique de l’histoire. Il faut en conséquence dépoussiérer celle-ci.

 

Une vitalité africaine est à l’œuvre de l’histoire de la longue durée. Pendant 3.500.000 ans, l’Afrique fut aux avants postes de l’histoire. L’Egypte, mère des civilisations, a engendré le miracle grec qui, à son tour, donna naissance à la civilisation européenne. Cheikh Anta Diop et, dans son sillage, Théophile Obenga ont dépoussiéré l’histoire africaine. Tout au long du 19e et du 20e siècle,  les noirs du « Nouveau Monde »  ont résisté à l’infâme joug qui pesait sur eux. Toussaint Louverture allume le premier les flammes de la liberté. Il servira d’inspirateur à Simon Bolivar et aux patriotes d’Amérique Latine qui secouèrent le joug Espagnol.

 

De la guerre de sécession qui vît la libération des noirs d’Amérique à l’engagement des troupes noires africaines et américaines (les fameux Harlem helle fighters) sur les théâtres d’opération européens, l’Afrique et sa diaspora sont en réalité entrées dans la centralité de l’histoire non sans calendrier et programme.

 

L’Afrique, à peine libérée de l’impérialisme, subit le poids de la balkanisation, puis du néo colonialisme avec son cortège de coups d’Etats fomentés par des centurions formés à l’école coloniale. Dans les enjeux de la guerre froide dont les répercussions sur le continent Noir sont considérées avec mépris comme des conflits de basse intensité, l’Afrique fait l’objet de convoitises du fait de sa position stratégique et de ses ressources considérables.

 

Un métis, de père africain et de mère blanche américaine, a été élu Président des Etats-Unis. L’Amérique a subi une révolution. Après la guerre de Sécession, Pearl Harbour, la Nouvelle frontière de Kennedy, la guerre du Vietnam, c’est une nouvelle césure dans l’histoire américaine.

 

Sommes-nous entrain de quitter la conception Westphalienne de l’histoire née aux lendemains de la Guerre de Trente ans, et qui remembre l’Europe dans un gigantesque  maelstrom d’intérêts étatiques, dynastiques, religieux qui ne put, ni mettre fin aux guerres qui ravageaient l’Europe, ni établir les vraies règles d’un projet de paix perpétuelle comme le suggérera Emmanuel Kant plus d’un siècle et demi plus tard ?

 

Il y a 53 Etats en Afrique. Mais mon sentiment est que l’Union Africaine ne pourra jamais s’appuyer sur des Etats-nations. Le fait est pourtant saillant. En Afrique, les Etats ont précédé les Nations. Les déchirures meurtrières actuelles ne participent-elles donc pas de la construction-reconstruction de futures nations, complètement différentes de l’amalgame de peuples qu’on a voulu mécaniquement ériger en Nation au lendemain des indépendances, comme si Berlin était un décret divin ? L’Union Africaine, telle qu’elle est présentement développée est un placage de modèles qui ne ressemblent pas à l’Afrique. Une piste judicieuse pour elle pourrait être le modèle de l’Union Indienne.

 

Du point de vue mondial, le diagnostic pourrait être le suivant : il faut surveiller de près l’évolution d’une perspective de monnaie unique Yen-Yuan entre le Japon et la Chine. Cette dernière veut être le moteur surpuissant de l’union à venir. Si un tel partenariat venait à naître, les Corées ne pourraient que s’y joindre et l’on aurait un bloc redoutable à bien des égards. Les Etats-Unis sont acculés en Irak et n’ont pas réinventé les solutions du futur. En effet, la vision du progrès impulsé par la haute technologie et pensée par le monde anglo-saxon est le produit d’une école fonctionnaliste à laquelle on ne peut adhérer. La conflictualité n’est pas un problème de technicité mais de diversité. Il y a une pensée qui considère qu’il n’y a pas de problèmes globaux, donc pas de solutions globales à rechercher.

 

Faut-il alors désespérer de l’Afrique. On dit qu’elle est le continent le plus pauvre, que famine, sida, grandes endémies et guerres civiles l’affectent. Tout cela est vrai mais n’oublie-t-on pas une chose ?

 

Sa vitalité humaine, sa jeunesse à l’assaut d’un Nouveau Nouveau Monde, l’enthousiasme et la foi des ses peuples qui ont une vision optimiste de la vie et des choses du monde, ses immenses ressources et demain, son unité n’ont feront-ils pas le centre de décision du monde. Mais faudra une stratégie à l’échelle du continent. Le chancelier Bismarck, en voulant réaliser l’unité de l’Allemagne, avait une stratégie. L’empereur Teno, en lançant  l’ère Meiji en avait une. Mao Tsé Tung, en entrant à Pékin le 1er Octobre 1949, avait une vision de la Chine élaborée depuis les grottes de Yenan revisée par Deng Tsiao Ping avec ses quatre modernisations. L’Afrique a-t-elle des géostratège capables d’enfanter autre chose que d’innombrables plans mort-nés ?

 

Le 20e siècle a été le siècle le plus long de toute l’histoire de l’humanité. Il a potentialisé et condensé tous les ingrédients contenus dans les chaudrons de la préhistoire, de l’antiquité, du moyen âge, de la Renaissance et des temps dits modernes. Le 20e siècle a  produit plus de progrès qu’en plus de 4 millions d’histoire humaine. Il n’a cependant pas été bénéfique à l’Afrique et aux peuples Noirs. Et voilà qu’arrive le siècle court, le siècle de l’Afrique, le 21e siècle.

 

Mais enfin, sommes-nous entrain de rêver ? Est-ce de l’utopie ? Ou, est-ce tout simplement la traduction d’une nouvelle forme de conquête d’un Nouveau Nouveau Monde qui prend naissance sous nos yeux sans que nous n’en soyons conscients, indignés par le spectacle des pirogues de fortunes ?

Pierre Hamet BA

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ANTICONSTITUTIONNELLEMENT

« Exposez gravement, devant des personnes non averties, que la grosse est une expédition particulière de la minute, et l’auditoire se demandera quel est l’établissement psychiatrique le plus adapté à votre cas ». (Jean-Pierre Gridel, « Introduction au droit et au droit français.» p. 23. Dalloz-1994). Ce n’est pas singulier : le droit parle droit. Et on semble ne point se soucier de l’interprétation qu’en fait son objet, c’est-à-dire le citoyen. Or, « La plupart des occasions des troubles du monde sont grammairiennes. Nos procès ne naissent que du débat de l’interprétation des lois; et la plupart des guerres, de cette impuissance de n’avoir su clairement exprimer les conventions et traités d’accord des princes. » Montaigne, place ici (Essais, II, 12, « Apologie de Raimond Sebond ») l’interprétation au centre de la problématique du langage et de la communication, fait majeur de l’existence humaine qui a traversé de part en part toute l’histoire de la philosophie. En effet, comment avoir certitude de l’exactitude de l’interprétation que nous faisons des usages de la langue ? La compréhension que nous avons d’un discours, qu’il soit écrit ou oral, quand bien même nous semble-t-elle instantanée, emprunte cependant un chemin sinueux dans un vaste champ complexe de possibles interprétations. Le sens que nous donnons en définitive avec le plus grand souci d’exactitude peut malheureusement s’avérer quelque fois impropre. Qu’entendons-nous dès lors, ou que comprenons à l’énoncé du mot « anticonstitutionnellement » ? Est-ce le mot le plus long de la langue française ou alors un attribut caractérisant une démarche contraire à la constitution ? Dans ce dernier cas cependant, la compréhension ne suppose-t-elle pas au préalable la connaissance du mot « constitution » ? Mais comment connaitre le mot « constitution » en ne se référant pas à un dictionnaire et à l’opposé, comment avoir certitude de le connaitre sachant qu’« entre les formes effectivement rencontrées en discours et la nomenclature du dictionnaire le plus riche, subsiste un abîme impossible à combler, qui fait du dictionnaire un objet particulièrement décevant. » (J. Rey-Debove, 1971). Si donc la compréhension d’un seul terme de la langue française posent autant de questions, qu’en sera-t-il alors de ceux pour qui, d’emprunt, le français est passé langue officielle dans leur pays. Quelle compréhension peuvent-ils avoir d’un discours en français sachant que l’interprétation, travail de pensée qui consiste à déchiffrer le sens apparent, à déployer les niveaux de significations impliqués dans la signification littérale si on s’en réfère à Paul Ricœur, est d’abord et avant tout une affaire d’imaginaire et donc fait appel au royaume des sens cachés, des sen multiples, dans leur contexte originel et culturel ? Le symbole est pour ainsi dire le corollaire de l’interprétation. D’où devient nécessaire la connaissance et l’étude du monde symbolique et de l’univers de référence et de sens à interpréter. « En d’autres termes, la qualité de l’interprétation dépend des fonds de mémoire d’une communauté de même tradition. Ce qui présuppose, si l’on suppose, une certaine connaissance des structures symboliques, spécifiques de ce cadre dans ses différentes dimensions intellectuelles, socio-historiques et politiques » (B. Badji « La Folie en Afrique, une rivalité pathologique », Ed. L’harmattan, 1993). La connaissance des structures symboliques ouvre ainsi la voie au royaume des sens qui indique de manière pratiquement absolue, les conditions dans lesquelles se structure le discours. La langue est pour ainsi dire fondamentalement culturelle. Elle puise ses racines dans le substrat imaginaire communautaire et échappe le plus souvent à la maitrise de ceux qui ne participent pas de sa communauté propre. Comment alors lire et comprendre le droit écrit et exercé dans la langue française et s’appliquant à des peuples qui n’ont le plus souvent aucune notion de ce qu’est ou de ce que n’est pas la culture française ? Trop de gens restent enfermés dans l’ignorance de ce qu’est la liberté et en souffrent sans véritablement savoir que ce n’est qu’à cause de leur méconnaissance ou de leur manque de maîtrise de de la langue française. En d’autre termes, n’est-il pas anticonstitutionnel d’exercer le droit envers un justiciable qui ne participe pas du royaume de sens de la langue par laquelle le droit s’applique à lui ?

 

Il semble toutefois qu’il y ait un esprit du Droit. Une façon en quelque sorte générique et quelque peu générale de lire et de comprendre le droit. A moins donc d’être juriste, on ne pourrait ni comprendre, ni disserter sur un texte de loi, pis, exprimer sa pensée de simple citoyen, quelle qu’elle soit, sur une question de droit telle la constitution. A plus d’un titre, ce postulat évoque ce que Richard Rorty a appellé l’axe Platon-Kant, tradition dominante au sein de la philosophie occidentale. A quelques différences d’expressions près, Platon et Kant ont défendu l’existence de critères de qualité universels et fixes, supposés valides en tout temps et tout lieu. Platon parlait d’universels objectifs ; Kant, d’universels subjectifs. Mais l’idée commune consiste en ce que les jugements corrects reposent sur une perception correcte des universels et les jugements incorrects sur une mauvaise perception. Les valeurs absolues, de ce point de vue, seraient innées chez tous les êtres humains, identiques en tout temps et tout lieu, présentes dans ce que Platon appelait l’œil de l’âme et Kant la faculté du jugement ou le Goût. Cependant, on peut au moins opposer à cette conception de la valeur, l’idée que même si la valeur, se rapportant à la Raison, est universelle, le raisonnable, se rapportant à l’utilisation de la raison, est quand à lui, culturel. On le voit bien avec Hegel qui, dans la métaphore du Soulier, soutient que même si nous portons tous la mesure d’une chaussure, nous ne serions pas tous capables de faire une chaussure quand bien même nous disposerions de tous les matériaux nécessaires. Cela évoque d’une part l’utilisation de la raison et d’autres parts, l’environnement même qui la stimule. D’aucuns développent leur raison dans bien des choses, et d’autres pour de multiples raisons la développent dans bien d’autres choses. Est-ce cependant suffisant pour exclure, hors de la culture, dans la nature donc, tous ceux qui développent leur raison dans bien des domaines si nécessaires à l’accomplissement de l’Humain sur terre ? N’est-ce pas par ailleurs le cas dans le domaine du droit où l’on tente d’exclure la majorité des sujets du droit hors de la Raison du Droit en réservant aux seuls initiés des facs de droit le délice de la compréhension des textes de loi comme s’ils étaient les gardiens d’un ordre divin dont il sied de protéger les secrets.

 

Parce que le droit donne un sens particulier à certains termes (Gérard Cornu.1990), il y a bien évidemment un langage caractéristique du droit. Une « ordonnance » est, dans le vocabulaire courant, l’écrit comprenant les prescriptions faites par un médecin; une ordonnance juridique est, si l’on se situe en droit constitutionnel, un acte fait par le Gouvernement ayant valeur de loi, mais est également une décision prise par un juge unique en droit privé. Le vocabulaire du droit est pour ainsi dire un vocabulaire tout à la fois précis et technique. Mais à quoi tiennent cette technicité et ce souci de précision du langage du droit ? Est-ce pour rendre précis et compréhensible le sens juridique auquel se rapporte les phénomènes exprimés, ou est-ce alors pour faire échapper le droit à la langue qui en constitue le vecteur ?

 

Parmi tous les mots du dictionnaire de la langue française, pour le cas qui nous concerne, il n’y en a qu’un peu plus de dix mille auxquels le droit a donné un ou plusieurs sens juridiques et environ 400 mots qui n’ont pas de sens autre que juridique (G. Cornu. 2005). Etrangement ces mots sont loin de renvoyer aux notions les plus fondamentales du droit. Certains mots ont un sens juridique mais aussi au moins un sens non juridique. Il faut cependant les distinguer selon que leur sens juridique est leur sens principal (mots-clés du droit), ou alors leur sens secondaire (cas le plus fréquent). Dans le cas où il s’agit de leur sens secondaire, une deuxième distinction s’opère selon que ces mots gardent ou non le même sens dans le langage courant que dans le langage juridique. On voit pointer ici la complexité du langage du droit qui n’est pas de nature à simplifier son expression. Et pourtant, parce que le juste est précisément l’apanage du droit, son expression ne doit souffrir d’aucune ambigüité. Le discours du droit pour qu’il puisse s’appliquer convenablement doit utiliser un langage accessible. Le vrai sens du discours du droit doit être saisi et compris par tous, d’où la nécessité, pour chaque situation exprimée, de trouver dans le vocabulaire de la langue, les mots capables de l’exprimer sans nuance et sans aucune possibilité de confusion. Pour satisfaire à l’exigence du juste, le droit doit trouver le moyen d’exprimer des situations inédites que la langue elle-même n’exprime pas du tout, sinon qu’elle l’exprime avec ambigüité. Cette exigence du droit est aussi la source de l’existence, au sein de la langue, de termes qui n’ont de sens qu’exprimer dans le droit. Ces termes ont ceci de particulier qu’ils ne contiennent pas seulement un sens juridique. Ils comportent également une valeur. C’est le couple Sens-valeur qui constitue la charge juridique des termes du droit. La valeur en tant que tel est donc une potentialité lexicale qui évoque le paysage lexical dans lequel le terme considéré peut être employé sans aucune ambigüité. La connaissance du paysage lexical ouvre donc la porte à la compréhension des textes de droit puisqu’un même terme peut présenter différentes valeurs, se rapportant aux différents sens de ce terme ou même à un seul sens. Quand bien même la langue est donc principalement le vecteur du droit qui y puise les éléments de son expression et de sa compréhension, elle ne satisfait pas pleinement aux exigences du droit. Droit et langue entretiennent pour ainsi dire des liens tout à la fois étroits et ambigus. S’il existe alors un langage du droit qui semble inaccessible, aussi technique que complexe qu’il puisse être, sachant que chaque terme juridique a une signification particulière dont l’emploi fait l’objet de multiples complexités, il est tout de même partie intégrante de la langue. La complexité du langage du droit n’a pas fonction de rendre inaccessible le droit, bien au contraire, elle participe de sa précision. Ce qui parait alors représenter un obstacle fort repoussant, doit cependant être surmonté par le citoyen pour arriver légitimement, en tant que sujet du droit, à comprendre le droit.

 

Le discours du droit, mise en œuvre de la langue, par la parole, au service du droit, est, en conséquence, tout à la fois un acte linguistique et un acte juridique. En tant que tel il est l’une des manifestations les plus complexes et les plus fascinantes du phénomène linguistique. Toute tentative d’interprétation de ses divers objets ne peut donc que contribuer à jeter quelques lumières sur les mécanismes de son élaboration et de son expression, tout particulièrement lorsqu’il est soumis à l’éclairage cru de la froide logique grammaticale qui peut, à la limite, lui faire retrouver sa dignité et sa noblesse linguistique premières. Car si le texte de droit sensé légiférer l’existence humaine comporte en son sein une erreur grammaticale alors, le droit en ne présentant que les belles facettes de la singularité de son discours, dépourvues, cependant, de contenu grammatical apparent, laisse entendre que le droit qui a produit une telle complexité, est, lui aussi, beau, et, lui aussi manque de contenu grammatical caché. Mais si après tout, le droit qui a produit un tel langage n’est, en réalité, pas aussi joli, alors son langage doit porter en lui un mensonge, de la même manière dont Blake dit que la rose porte en elle un ver. Donc, la critique, autrefois enchantée par la beauté de la rose, doit maintenant aussi s’intéresser au ver. Et ce parce que, de la naissance à la mort, toute notre vie, que ce soit la naissance, le mariage, le décès ou l’acquisition de biens et de services, nous sommes confrontés à un vaste réseau d’actes et de faits juridiques qui nous accompagne au jour le jour. Que se passe-t-il alors quand, confronté à autant de faits créateurs d’obligations juridiques, nous ignorons, comprenons à peine, ne comprenons pas du tout ou alors ne saisissons les rouages et les subtilités de la langue qui exprime le droit ? Et pourtant le dit-on souvent par ailleurs, « nul n’est sensé ignorer la loi ». Mais comment ne pas ignorer la loi si nous ne savons pas la lire ou alors si aucune action n’est entreprise pour que nous la saisissions ? N’est-ce donc pas là une aberration que de soutenir telle assertion ? Puisque dans des pays comme le Sénégal, ayant adopté une langue étrangère comme langue officielle, le citoyen, qu’il soit instruit ou pas, qu’il parle français, le comprenne ou ne le comprenne pas du tout, n’est ni bénéficiaire de circonstance atténuante, ni exempt de condamnation juridique. Et  pourtant il traîne bien un handicap vis-à-vis du droit, celui de n’avoir pas été à l’école française. Ce dont il est ici question n’est pas un défaut d’éducation mais un défaut de langue, celle de l’éducation nationale. Or, l’éducation est une obligation de l’Etat en tant qu’elle participe à la formation du citoyen. Comment alors l’Etat peut-il réclamer le Droit sans pour autant se soucier d’accomplir son devoir ? Dès le départ on sent tout de même qu’il y a quelque chose qui ne va pas. Car si tant est que le citoyen ne comprend pas la langue dans laquelle est écrite et exercée la loi, comment peut-il être sous le joug d’une justice qu’il ne peut, de toute manière, qu’ignorer. Mais là, on lui oppose ordinairement l’assertion « nul n’est sensé ignorer la loi. » Mais là aussi, il est à noter qu’une telle assertion n’a pu être produite que dans des pays où la langue officielle est la langue nationale. Cela va de soi car la langue et le droit entretiennent une relation forte et entretenue. Même si certains s’empressent de soutenir qu’il existe un langage du droit, force est de reconnaitre et nous le verrons plus loin, que le droit, ce sont aussi des mots. La langue étant par excellence le véhicule d’un imaginaire culturel et donc d’une certaine socialité, d’un ensemble de codifications, d’us et de coutumes, on peut en conclure que l’ordre juridique, formulé par la langue, est en conséquence un ordre social et un ordre linguistique car lié aux textes juridiques de nature écrite ou orale. Certains auteurs vont même jusqu’à voir dans l’ordre juridique un ordre rationnel contenu dans l’ordre social (M. Weber, Sociologie du droit, Paris, 1986). Pour A. Aarnio, (Le rationnel comme raisonnable, La justification du droit, Paris, L.G.D.J., 1992) la rationalité juridique (l’acceptabilité rationnelle) est une rationalité communicationnelle fondée sur la confrontation des arguments voire l’inférence juridique. Pour lui, l’ordre juridique doit dépendre des justifications qui prennent ancrage dans la réalité sociale pour garantir la sécurité juridique du justiciable. On peut dès lors aisément en déduire que l’ordre juridique reflète la norme sociale d’un point de vue synchronique ou diachronique et intègre sa rationalité. Dans des pays anciennement colonisés, il y a donc de fait une nécessité essentielle à aller au-delà des prédicats et des concepts juridiques d’usage et à saisir le fondement même d’une justice équitable. En dehors de la méconnaissance ou du manque de maitrise de la langue, ce dernier postulat pouvant tout aussi être valable pour des juristes avérés, il y a une autre problématique tout à fait inhérente aux États importés (B. Badié, L’État importé, Paris, Fayard, 1992.). Les langues étrangères, quand bien même officielle ou officialisée, dissémine des axiologies juridiques modernes hérités des anciennes colonies. Le fait est d’autant plus appréhensible que les situations juridiques sont éminemment des situations sociales.

 

En définitive, et il est aisé de s’en rendre compte, le citoyen qui parle et comprend le français à un avantage comparatif sur celui qui n’a aucune notion de ce qui se dit dans la salle d’audience alors même qu’il est entrain d’être jugé d’une infraction ou d’un délit dont on ne s’est point soucié de savoir s’il en a saisi la quintessence même ou s’il était effectivement informé de la nature des faits qui lui sont reprochés au moment même où il les accomplissait. Or, le droit doit s’appliquer de la même manière à tous les citoyens. D’où l’épineuse question de savoir comment arriver, dans nos pays, à l’exercice d’un droit qui satisferait le principe fondamental du droit : l’équité.

 

« Nul n’est sensé ignoré la loi » d’accord. Mais de là à dire que tous les citoyens des pays dont plus de la moitié de la population ne comprend ni ne parle la langue officielle, doivent se mettre aux pas d’un ordre juridique quelque peu importé et entièrement exprimé dans une langue étrangère totalement et étrangement étrangère, il y a tout de même un saut. Le principe d’équité des citoyens devant la loi pose donc un problème dans nos pays nouvellement indépendants. Seul un petit cercle de « privilégiés », ceux qui parlent et comprennent la langue officielle, a la chance de pouvoir mener son existence conformément au dit droit. Et au sein de ce petit cercle, il existe un petit royaume de sentiments, dont on dit que les sujets sont seuls aptes à discourir et à saisir le sens profond des textes de loi. Comment alors oser même prononcer ce « nul n’est sensé ignorer la loi ». N’est-ce donc pas là un curieux paradoxe ? Le langage du droit ne doit-il pas, dans une certaine mesure, être celui de tout le monde puisque le langage du droit s’adresse au premier chef au citoyen, au justiciable, à l’administré, à la collectivité, c’est-à-dire à tout un chacun ? La compréhension du droit doit-elle être réservée à une élite royale triée sur les bancs des facultés de droit, seule apte à entendre le langage juridique ? Et en définitive quelle assurance peut-on avoir que cette élite, détentrice d’un quelconque diplôme de droit et donc supposée professionnelle du droit, a une pleine maitrise de la langue avec laquelle elle est sensée exercer le droit ? Que savons-nous alors de la façon dont elle lit et comprend le droit si dès le départ leur niveau de langue est à même de souffrir d’imperfection ? Même si elle est tenue d’avoir connaissance et de maitriser les termes propres aux différents domaines du droit, qu’advient-t-il lorsque qu’il ne s’agit dans un texte de loi que de maitrise et compréhension de la langue ? Interrogation on ne peut plus déplacée, nous le concédons, mais le fait constant demeure en ce que dès qu’il s’agit du droit, l’usage que les juristes font de leur raison se pose radicalement comme un universel immuable, tout autre usage devenant de fait contre nature, voire absurde. Le raisonnable des juristes se posent comme la norme à partir de laquelle analyser tout acte de droit. Puisque « nul n’est sensé ignorer la loi », la Raison du Droit est dans l’ordre de cette croyance le dénominateur commun des humains. Le raisonnable ne se rapportant qu’au bon sens du droit, seulement valable dans les limites même du droit, serait dans le même ordre d’idée, la chose la mieux partagée. Ainsi, toute vue sur le droit, fut-elle d’un quelconque citoyen, qui sort du cadre du raisonnable juridique prétendu prédéfini et partagé par tous les humains, se voit de la sorte qualifié d’absurde. Or, le bon sens au sens de la Raison du Droit n’est pas en soi une valeur universelle. Il n’est valable que dans les limites de l’imaginaire linguistique qui définit ce qui pour elle, participe de son bon sens ou pas. Dans une autre communauté linguistique au même moment ou au sein de la même communauté linguistique à un autre moment, tout à fait le contraire de ce qui participe à ce moment même du bon sens juridique pourrait valoir de bon sens juridique et sera, dans les limites de cette communauté linguistique, valable et valable de la même manière. « Cogito ergo Sum » Oui ! Mais cela n’exprime et ne permet point d’appréhender le rapport entre la raison et le raisonnable. La Raison est naturelle, c’est la faculté de discernement. Le raisonnable est culturel, c’est ce que les usages linguistiques imposent à la raison naturelle de discerner des attitudes communautairement considérées déraisonnables. N’est-il donc pas déraisonnable que la compréhension des principes fondamentaux d’une Nation par exemple dans le cas de la Constitution ne soit saisie que d’une infinitésimale poignée de citoyens ?

 

La constitution est la loi principale. C’est en tout cas l’idée qu’on en donne. En tant que telle, elle jouit d’une vue globale et presque infaillible sur la société. Elle est globale dans la mesure où elle prend en charge tous les aspects de la vie ;  totale parce que sans exception de race, de sexe ou de religion, elle s’adresse à tous les citoyens, et enfin, suprême parce qu’elle préside à toutes les autres lois. Sa construction juridique est souvent rigide et on est même aller vers ce qu’il y a de plus rigide dans la rigidité en voulant la figer dans le temps comme s’il s’agissait d’une vérité absolue à laquelle on ne peut apporter ni additif ni correction. Mais comment appréhender l’idée d’une loi suprême qui s’imposerait à l’homme, supérieure à toutes les autres formes de loi sans que ce ne soit d’une divine émanation ?

 

L’idée d’une construction juridique absolue, immuable, rigide et valable en tout temps et en toute circonstance a toutes les chances d’être un dogme. Parce qu’elle fige le droit en même temps qu’elle fossilise la nature humaine et suggère que l’Etre ne peut, dans le déroulement du duo-pôle espace-temps, évoluer et transformer son environnement. Or, il est difficile de croire que l’humain ait un contenu statique. Il y a même une abondance de preuves en faveur du contraire. Si alors le droit doit être considéré comme une vérité immuable alors que l’idée de ce qui est conforme au droit peut changer d’âge en âge en fonction du dynamisme de l’Etre, alors il faut s’attendre à ce que, un âge ou un autre, le droit ait tort. Puisqu’aucune époque passée n’a eu tout à fait l’idée du droit qui prévaut aujourd’hui, il devrait s’ensuivre ou bien que nous ayons tort dans tous nos jugements, ou bien que toutes les époques passées se soient trompées ? Evidemment, cette dernière hypothèse va dans le sens d’une croyance qui implique que toutes les époques passées s’efforçaient de devenir ce que nous sommes. Pourtant il est vraiment difficile de prétendre que les gens du passé se trompaient quand ils vivaient leur vie sur terre comme nous vivons maintenant la nôtre ? Si d’un autre côté, nous admettons que le droit est relatif et qu’il change avec le temps, alors, nous pouvons considérer que chaque époque a raison en son temps et à sa manière.

 

Admettant ainsi que nous prenons pour des normes de valeurs objectives ce que nous avons été conditionnés à prendre comme telles, il devient dès lors aisé d’admettre que le droit se meut dans un réseau culturel complexe et dynamique. Outre l’influence de la culture, il y a des facteurs comme la classe sociale, l’appartenance ethnique, la région. Le sexe, l’âge, la santé mentale et physique aussi sous-tendent et façonnent la nature dont le citoyen se rapporte au droit. Même au sein de groupes relativement restreints et bien définis, comme disons les membres d’une seule et même famille, il y a des différences de comportement vis-à-vis des normes établies qui reposent sur des formations individuelles névrotiques. Le désir de l’un d’être en accord avec la loi, le désir d’un autre d’être en désaccord, et ainsi de suite. On voit bien ici que même le conditionnement n’implique pas que tous les membres d’une communauté seront d’accord avec la loi comme des robots programmés. Le conditionnement ne fait que limiter le riche ensemble des options disponibles au sein d’une communauté donnée. Puisque l’ensemble des options mentales d’une communauté change sans cesse et est toujours disponible pour des modifications, il est important de reconnaître que le conditionnement peut-être modifié et assoupli.

 

Il y a cependant une seconde approche de la question non plus à travers l’histoire mais en termes de communautés dans le même temps. Ici encore on voit des variations locales frappantes dans la notion du droit. L’idée de ce qui est conforme au droit change de Ndioum à Ibel. Il s’en suit les mêmes alternatives que précédemment : ou bien certaines communautés ont raison et d’autres ont tort, ou bien que le droit n’est pas une vérité immuable mais une réalité subjective projetée sur l’environnement. La solution classique, caractéristique du législateur, consiste cependant à dire que toutes les vues, à l’exception de la vue du législateur, ont tort si elles ne se conforment pas à l’esprit même du législateur. Pour être objectif plutôt que subjectif, un tel jugement devrait être formulé depuis quelque lieu extra-communautaire jouissant d’une vue claire sur toutes les vues, y compris sur la vue du législateur, une vue inaccessible à l’intérieur d’une de ces vues. A l’évidence aucun point de vue de cette sorte n’est accessible aux êtres humains. La position qui s’impose donc consiste à dire au contraire que la réalité du droit change de communauté en communauté, comme elle le fait d’époque en époque, et qu’aucune conception du droit propre à une communauté ou à une époque ne peut prétendre à une validité totale. Puisqu’aucun ensemble de preuves observables n’a jamais été apporté en faveur de l’idée de droit immuable, il ne peut y avoir d’échappatoire à la position précédente, sauf à prendre ses désirs pour la réalité.

 

L’idée d’une loi suprême au contenu invariable qui s’imposerait à toutes les autres normes juridiques ne peut évidemment être que religieuse. Dès lors, on peut s’interroger sur la prétention des Constitutions modernes à constituer et à instituer un Etat comme si celui-ci avait une validité donnée ou universelle. Cela implique une conception totalitaire, artificialiste du droit qui n’est jamais remise en cause. La prétendue suprématie ou encore le caractère ultime des Constitutions au sens formel doit être remis en cause. Le droit ne peut s’arrêter à une norme posée par la volonté humaine. Car si l’on admet que le droit ne peut exister que s’il existe déjà du droit, la Constitution, si tant est que son objectif est d’être positive, ne saurait avoir de valeur juridique qu’à condition d’avoir été produite en vertu d’une norme qui lui est supérieure. Sauf à concéder que la validité de la Constitution et de l’ordre juridique qu’elle instaure n’est pas justifiée, cette norme doit bien exister. Or, il est impossible de décrire phénoménalement cette norme. Il n’existe pas au sein de l’histoire de norme supra ou métaconstitutionnelle qui ait été posée par quelque organe compétent. Il doit donc exister une norme située au-dessus de la Constitution qui n’a pas de réalité empirique (notamment linguistique) tout en étant juridique. Hélas, ce problème est tout simplement écarté par les juristes.

 

De ce qui précède, on peut dès lors dépouiller la Constitution de ses allures dogmatiques et ne la considérer autrement que comme une œuvre humaine comparable, selon sa catégorie, à n’importe qu’elle autre œuvre humaine. Elle peut avoir raison comme elle peut tout aussi avoir tort suivant qu’on se situe dans le temps, dans l’espace, au niveau sociale et même suivant notre classe sociale, notre ethnie ou la région dans laquelle nous menons notre existence. Il s’ensuit que, du point de vue de sa forme, la constitution n’est ni le Coran, ni la Tora, encore moins la Bible. Elle est un texte comme tous les autres textes, écrit dans une langue : le français, dans le but d’être lu et compris par une cible : en l’occurrence ici, les citoyens. Il est donc de bon usage qu’elle soit claire, précise, concise et compréhensible. Car, à quoi bon s’adresser à une cible tout en rendant son discours inaccessible à la cible elle-même ?

 

Dans le fond, la Constitution est un texte, dit-on, fondamental qui organise et régente la vie de la Nation. En tant que tel, la connaissance et la compréhension de la langue ainsi que la maitrise du contexte de langage sont des éléments de nature capitale qui sont la seule solution pour que le juriste puisse employer le bon mot au bon moment. Cette connaissance de la langue est d’autant plus primordiale qu’un terme peut avoir une toute autre signification en droit que dans le vocabulaire courant, mais peut également avoir une autre signification en fonction de la matière juridique concernée. Ensuite, puisque que la constitution cherche à informer, inciter, autoriser, interdire, convaincre, elle est un acte de langage (John L. Austin – 1962) parce qu’elle cherche à agir sur son environnement. En tant que tel, elle est : a) un discours qui doit revêtir un caractère grammatical conforme aux normes et usages de la langue dans laquelle elle est écrite ; b) un discours juridique puisqu’elle est la mise en œuvre de la langue, par la parole, au service du droit.

En définitive, la Constitution est, tout à la fois, un acte linguistique et un acte juridique. Sa rédaction doit donc répondre à une certaine logique. D’abord s’agissant des « sujets du discours », en fonction de la réponse à la question quels sont les émetteurs et les récepteurs du discours ? Ensuite s’agissant du « type de message », en fonction de la réponse à la question quelle est la finalité du discours ? Enfin s’agissant du « mode d’expression » : Quelles sont les règles grammaticales à respecter pour transcrire l’esprit en lettres ?

 

C’est à cette dernière interrogation que les rédacteurs de la constitution  de la République du Sénégal (celle de 2001) n’ont pas pu apporter de réponse cohérente et satisfaisante. La problématique de la candidature de Mr. Abdoulaye Wade alors président de la République du Sénégal, avec deux mandats à son actif, dont d’aucuns estimaient que la constitution ne lui permettait pas de se représenter et d’autres bien le contraire, résulte d’une très mauvaise utilisation de langue. Par conséquent, quand bien même les juristes se soient en long et en large épanchés sur la question, ils n’ont pas pu apporter la solution à la question. C’est que le fond du problème n’est pas juridique. Il est jurilinguistique. Et, parce que, comme nous l’avons dit plus haut, tout ce qui touche au droit est réservé à l’élite du droit, on a manqué de donner la parole aux professionnels de la langue. Or, il aurait juste fallu se rendre compte que le droit ce sont aussi des mots, pour avoir le réflexe salvateur : questionner la langue avant de questionner le droit car la problématique de la candidature de Wade se posait en une double interrogation à savoir d’une part, « Wade peut-il se présenter ? », question qui porte le débat dans le domaine du « Pouvoir » et donc sur la légalité de la candidature (le droit) ; et d’autre part, « Wade doit-il se présenter », interrogation qui porte le débat dans le domaine du « Devoir » et donc de la philosophie morale et politique (la langue). Et en philosophie, le drame consiste en ce qu’il ne saurait y avoir de dénominateur commun quand à la réponse à la question « qu’est-ce que la philosophie ? ». En conséquence la question du « Devoir » conduit à des réponses subjectives qui ne sauraient faire foi en termes de « Droit ». On voit donc pointer ici toute la complexité de la problématique. Malheureusement, la question du « Devoir » a été la seule à être fondamentalement traitée. Et on y est allé fort en essayant même d’en faire le fondement intrinsèque du raisonnement portant sur la question du « Pouvoir ». D’aucuns se sont ainsi égarés en cours de route car le subjectivisme ne peut valoir en aucun cas, dès lors qu’il s’agit d’apprécier un texte de Loi. Or, il aurait juste fallu se rendre compte que sur la question du « Devoir », autant on peut détester Wade, autant on peut aussi aimer Wade. Le droit que s’arrogent les détracteurs de Wade  ne devait avoir d’équivalent, aux yeux de ces mêmes détracteurs, que le droit de défendre Wade que s’arrogent ceux qui l’aiment. Donc à la question du « Devoir » qui se traduit par « Wade doit-il se présenter ? », on ne saurait arriver à un dénominateur commun. La seule perspective qui s’offrait dès lors, consistait à départager les citoyens par les urnes. Ce qui fut le cas. Ce qui est tout de même déplorable c’est que personne n’ait pris le soin d’interroger la langue pour se rendre compte par ce procédé qu’il y avait et qu’il y a encore, car la constitution n’a pas encore été révisée, une incartade, un mauvais usage de langue, à la limite une grossièreté de la part des rédacteurs de la constitution. La mauvaise maitrise de la langue dont ils ont fait montre n’a d’égale que la décadence linguistique caractéristique des universitaires qui se complaisent de plus en plus dans un rôle monotone de fonctionnaires corporatistes et répartiteurs d’une mécanique intellectuelle.

 

PIERRE HAMET BA

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Le Sénégal et le Monde : Comprendre la Géopolitique Sénégalaise

Au fil des vingt dernières années, le monde bipolaire de la guerre froide est peu à peu devenu un monde multipolaire, voire même, apolaire. L’émergence des pays comme la Chine, l’Inde et le Brésil remet en cause la puissance occidentale notamment celle des Etats Unis et de l’Europe. Quand bien même les Etats-Unis restent la première puissance militaire, la Chine est devenue une puissance économique. L’Europe, berceau des Lumières et de son ancienne puissance coloniale, prend de l’âge et tend à prendre sa retraite. Qui seront les nouveaux acteurs de demain ? Qui va influencer les tendances géopolitiques futures ?

 

La fin de l’année 2010 a été marquée par une croissance économique chinoise exponentielle. Sa monnaie, le Yuan, dont son taux est artificiellement bas, lui permet de s’enrichir avec son commerce extérieur. Ses exportations en Europe et aux Etats Unis lui offrent un pouvoir économique concurrentiel intelligemment maintenu. Dernièrement, la Chine cherche à se positionner militairement en maître face à la flotte américaine pour le contrôle des zones maritimes avoisinant son territoire. Un défi est pour ainsi dire lancé dans le rapport de force entre la Chine et les Etats Unis pour les décennies à venir. Mais la République Populaire détient la plus importante dette américaine en bon du trésor (800 milliards de dollars). Dans Le Monde Diplomatique de janvier 2011, Mme Hillary Clinton, Secrétaire d’Etat des Etats Unis, semble s’inquiéter de la dette détenue par Pékin en posant la question de savoir « Comment négocier en position de force avec son banquier ? ».

 

En Asie Centrale, l’Afghanistan s’insère dans une stratégie internationale où les grandes puissances y trouvent un intérêt économique et politique. L’Union Soviétique de la guerre froide convoitait les ressources minières afghanes qu’aujourd’hui la Chine s’approprie de manière légale. L’Inde y voit l’arrière-base des Pakistanais, et l’OTAN, un des nids du terrorisme. La géopolitique afghane se complexifie et rend difficile toute appréciation géostratégique des relations entre l’occident et l’Asie.

 

Avec le renforcement du fédéralisme de l’Union Européenne et la réintégration complète de la France au sein des instances militaires de l’OTAN, on serait tenté de dire que le mondialisme atlantiste et unipolaire s’est définitivement imposé. Or, on assiste depuis peu à une résistance croissante à ce même monde. En 2009, on a assisté au rapprochement économique de divers blocs géopolitiques assez éloignés les uns des autres : Amérique Latine, Chine et Proche/Moyen-Orient. Une voie multipolaire semble progressivement se dessiner face à l’établissement d’un Nouvel Ordre Mondial à la sauce américaine. Hugo Chavez et Hu Jintao ont renforcé la coopération bilatérale entre le Venezuela et la Chine. Au début du mois de mars 2009, au siège de la Ligue des pays arabes au Caire, à l’initiative du ministre qatari des Affaires Étrangères, l’ensemble des ministres arabes des A.E. et 12 de leurs homologues sud-américains ont évoqué le projet de la Déclaration de Doha (capitale du Qatar) dont l’adoption fut effective le 31 mars de la même année lors du deuxième Sommet des Pays Arabes et d’Amérique Latine. À l’issue de ce Sommet, Hugo Chavez a approfondi sa coopération bilatérale avec l’Iran sur 205 points (politique, économie, commerce, énergie). Puis, un sommet Afrique-Amérique Latine s’est tenu en septembre 2009 au Vénézuela. Un brusque retournement géopolitique s’est donc produit lors de la dernière décennie avec l’arrivée au pouvoir d’hommes politiques qualifiés de « populistes de gauche » (Hugo Chavez au Venezuela et Rafael Correa en Équateur) ou « d’indigéniste » (Evo Morales en Bolivie), tous favorables à l’établissement d’un monde multipolaire équilibré au sein duquel la Palestine aurait une existence viable sur les plans politique et économique. Il va s’en dire alors que nous sommes entrain d’assister à l’émergence croissante d’un monde multipolaire constitué de plusieurs blocs géopolitiques distincts au sein duquel différentes nations économiquement souveraines s’opposent à un bloc géopolitique uniforme.

 

Le Général De Gaule n’avait-il donc pas raison d’annoncer, le 21 août 1958 à Brazzaville, que « dans le monde tel qu’il va, il est nécessaire que s’établissent de grands ensembles économiques, politiques, culturels et, au besoin, de grands ensembles de défense » ? Qu’en est-il alors de l’Afrique à l’heure où l’Europe a presque fini d’adopter une monnaie commune, où la France promeut l’union pour la Méditerranée, où les pays ayant en commun la langue arabe se sont ligués, où les Etats-unis veulent partager une zone monétaire avec l’Amérique latine et le Canada, où la Chine, le Vénézuela, le Brésil, développe des grands rassemblements trans-géographiques avec des pays culturellement différents mais économiquement stratégiques comme la Libye, l’Egypte, la Syrie, le Liban et même l’Iran ?

Les membres de la première conférence des Etats indépendants d’Afrique noire, tenue au Liberia quelques mois après l’indépendance de la Guinée, se préoccupèrent de dégager les règles d’une morale internationale susceptible de permettre l’organisation de leurs rapports sur la base de la souveraineté et du respect de chacun. Il a été décidé que chaque État maintienne son identité nationale et sa structure constitutionnelle et s’interdit d’intervenir dans les  affaires des autres. Les principes posés (respect de la souveraineté des États, non-ingérence dans leurs affaires intérieures) répondaient à des préoccupations nouvelles. Il fallait éviter les revendications territoriales de l’un ou de l’autre et consolider les frontières acquises. Aujourd’hui encore, les Etats Africains sont pour ainsi dire très soucieux de sauvegarder leur indépendance et d’affirmer leur souveraineté propre. Mais n’est-ce pas l’impossibilité pratique de procéder à une révision territoriale après les indépendances qui les a poussés à se prononcer pour l’adoption de ce principe ?

 

L’ex-Zaïre, l’un des plus grands pays d’Afrique, par sa population et ses richesses naturelles est devenu, par la faute de sa classe politique, un objet de l’histoire et de discussion  entre chancelleries et états majors militaires. Quant au Rwanda, pour les acteurs de la violence d’origine hutue, la solution politique passe par la démocratisation du pays, garante d’une légitimité fondée sur le principe majoritaire. Mais pour les acteurs tutsis, la démocratisation serait une menace mortelle et inacceptable car la survie de leur ethnie est liée à la conservation du pouvoir politique et militaire. Par ailleurs, le conflit angolais est le prolongement de la guerre qui enflamme désormais toute l’Afrique Centrale. Celle-ci oppose maintenant deux coalitions (Soudan, Tchad Zimbabwe et Angola contre Ouganda, Rwanda et Burundi) qui rassemblent une douzaine de pays, et constitue la première grande guerre interafricaine. Son enjeu est la remise en question des frontières. La première coalition est partisante du statu quo et des découpages frontaliers issus de la colonisation alors que la deuxième (« bloc tutsi ») est favorable à une vision d’un nouvel ordre politique Africain répudiant les héritages coloniaux et notamment les frontières tracées par les européens.

 

Il y donc pour ainsi dire une forte tendance qui suggère que la carte de l’Afrique soit redessinée. Récemment, le référendum proposé au Sud Soudan pour la scission du pays milite en faveur de ce postulat. Et voilà qu’en France on parle de partition de la Côte d’Ivoire. Mais, même s’il semble judicieux de se demander s’il faut redessiner la carte de l’Afrique en créant des pays ethniquement homogènes comme le prônent de nombreux géostratéges, force est de reconnaître que les conflits ethniques étatiques internes et externes sont tellement diversifiés et complexes qu’ils ne plaident pas en faveur de la création de pays ethniquement homogènes.

En Afrique centrale par exemple, les conflits sont dus à la conception du pouvoir politique par des minorités « extrémistes » qui sont toujours contre un partage de souveraineté et un retraçage de la carte de la région. Ainsi, la dichotomie du dominant et du dominé, du vainqueur et du vaincu, du seigneur né pour commander et du serviteur pliant l’échine pour obéir exclut toute idée de partenariat dans une société où les citoyens sont libres et égaux en dignité et en droits. De même, ces conflits internes se sont reproduits dans les pays voisins qui accusent des structures étatiques fragiles et instables. Les frontières qui englobent de part et d’autre des populations de même ethnie constituent un amas de forces endogènes qui se dissipent et se neutralisent mutuellement, ce qui constitue un obstacle majeur pour redessiner la carte de l’Afrique centrale selon les tendances ethniques. La reconquête du Rwanda par les Tutsis a permis d’établir une rébellion qui a renversé le président Mobutu au ZAIRE, puis de se retourner contre Laurent Désiré Kabila qu’ils avaient porté au pouvoir. Mais cette fois, l’objectif n’est plus la conquête de Kinshasa, mais l’établissement d’un « tutsi land » et la remise en question des frontières coloniales.

 

En Afrique Occidentale, la République de Guinée et celle de Guinée Bissau nourrissent encore des incertitudes. Devenus ces dernières années, des plaques tournantes du trafic international de drogue, ces deux pays affichent de nouvelles ambitions mais tardent à rassurer au regard de l’avilissement de leurs institutions. Le Niger n’est pas encore sorti de la crise institutionnelle et fait désormais face au terrorisme qui s’installe progressivement à ses confins. Le Togo et le Gabon sont passés de père en fils, la Mauritanie est politiquement instable et son détachement progressif de l’espace francophone la rapproche de l’extrémisme musulman, le Nigéria fait face à une crise quelque peu armée entre musulman et Chrétien, le Mali et le Sénégal font respectivement face à la rébellion Touareg et Casamançaise, la Côte d’ivoire s’enflamme et la Gambie tend lentement vers une royauté. Tout ensemble de choses qui rend très glissante la situation géostratégique de la sous-région. Le fait mérite toutefois attention. La même question de la souveraineté, centrale dans la géopolitique africaine, refait surface en Afrique de l’Ouest bien longtemps après que Sékou Touré en eusse usé comme arme de motivation nationaliste. Cette fois cependant, c’est en côte d’ivoire qu’on en use pour justifier des comportements pour le moins légitimement et légalement injustifiables.

 

En cette première décennie du troisième millénaire, la Côte d’Ivoire est passée de miracle à naufrage économique. La dérive nationaliste a pris le dessus et se traduit par des discours xénophobes accusant les étrangers d’être la cause de la crise économique et politique que traverse la Côte d’Ivoire et de l’augmentation du chômage. Les observateurs internationaux du conflit en Côte d’ivoire se contentent parfois de le réduire à un affrontement religieux entre le Nord musulman et le Sud chrétien et animiste, mais la situation est beaucoup plus complexe. Il convient d’abord de se rendre compte du caractère multiculturel de la Côte d’Ivoire où se côtoient 4 grands groupes ethniques : les Akans ou Baoulés (Houphouët-Boigny) originaires du Sud-Est sont majoritaires (42% de la population); les Malinkés originaires du Nord-Est (17,5%); les Mandés ou Dioulas au Nord-Ouest (16,5) et les Bétés (L. Gbagbo) ou Krous (11%). Ensuite, le conflit qui a divisé le pays notamment le Nord contre le Sud, n’est ni une guerre de religions ni une croisade. Au début des années 2000, la Côte d’Ivoire comptait 39% de musulmans pour 30% de chrétiens et 12% d’animistes. S’il est exact que le Nord, moins peuplé, est majoritairement musulman, 77% des musulmans du pays sont installés dans le Sud. Par ailleurs, les chrétiens sont concentrés à 93% dans le Sud où les confessions sont quasiment à égalité (35% de musulmans pour 33% de chrétiens), le Sud étant beaucoup plus peuplé que le Nord (86% de la population totale du pays).

 

Avec le report de voix que Bédié a consenti à Alassane Dramane Ouattara au deuxième tour des récentes élections, point n’est plus question d’analyser la situation en termes de conflit religieux. Le vote massif du Nord pour Ouattara s’explique autrement. En effet, la guerre civile touche inégalement les deux moitiés du pays. Le Sud, contrôlé par les loyalistes, a réussi à garder un fonctionnement économique relativement stable, préservant à la Côte d’Ivoire sa place de premier producteur mondial de cacao, une relative stabilité des prix, ainsi que des services publics actifs. Mais le Nord, coupé de l’aide de l’État, fait face à de graves difficultés. L’économie tourne au ralenti. Les débouchés commerciaux étant au Sud, les planteurs ne peuvent pas vendre leurs marchandises et se retrouvent sans ressources. Les infrastructures sont en déliquescence, l’État ne prenant plus en charge l’Éducation Nationale, l’eau, l’électricité, les routes… Depuis le coup d’État de septembre 2002, le Nord de la Côte d’Ivoire est donc plongé dans le chaos. Fort malheureusement, ce chaos est tout aussi préjudiciable à l’économie de l’Afrique de l’Ouest. Sans parler de la dévaluation du Franc CFA qui risque d’être effective si la crise ivoirienne perdure (un an), la Côte d’Ivoire représente 39% de la masse monétaire et contribue pour près de 40 % (CSAO) au PIB de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA). Même si alors les spécialistes de la sous-région pensent que le Ghana et le Sénégal seront les principaux bénéficiaires de la crise ivoirienne, force est de reconnaitre que cette crise risque d’anéantir tous nos efforts de développement et d’intégration économique sous-régionale. Elle démolira les axes représentatifs du commerce à l’intérieur de l’espace CEDEAO : Abidjan-Bamako, Abidjan-Ouagadougou, Abidjan-Lomé-Cotonou. Il s’ensuivra alors une redéfinition du commerce intérieur ouest africain, à partir des ports de Dakar et de Tema au Ghana, qui prendra un temps insoupçonné pour rétablir les équilibres et les flux économiques et financiers, et donc un nouveau frein au développement à accuser.

 

Dans cet imbroglio, le Sénégal, en déployant de nouvelles stratégies géopolitiques, tire son épingle du jeu. Sans prétendre cependant tirer profit du malheur qui frappe la Côte d’Ivoire, la stabilité de notre pays constitue un rayonnement assez attractif pour les puissances du monde. En effet, notre pays a entrepris le développement d’une nouvelle stratégie diplomatique qui récuse l’idée de pré-carré et qui met en concurrence tout pays désireux d’entretenir des relations avec Nous. De plus en plus, l’occident et l’orient se livre à une rude concurrence politique et économique sur notre territoire. Dans la même veine, la Chine qui accroit sa présence en Afrique, s’est lancée à l’assaut de notre pays avec un nouveau style d’aide étrangère se basant sur les principes déjà énoncés lors de la conférence de Bandung, en avril 1955, et réitérés en mai 1996 lors de la tournée africaine du président Jiang Zemin. Et pourtant, nous ne sommes pas l’État africain le plus intéressant pour la République Populaire de Chine, la France, les Etats-Unis ou même les Emirats. Néanmoins, nous possédons certains atouts dans un contexte subsaharien en ébullition.

 

Au plan diplomatique, le Sénégal, petit pays à l’échelle mondiale, n’en est pas moins important au plan géostratégique. Notre pays a toujours fait montre d’une finesse géopolitique et géostratégique sur les grandes questions qui ont traversé de part en part l’histoire de notre continent. A la tribune des assemblées générales annuelles des Nations unies, aux sommets annuels de l’OUA, s’affrontaient les camps des révolutionnaires anti-impérialistes et des modérés considérés comme les suppôts de l’Occident capitaliste. Le conflit idéologique entre l’Est et l’Ouest faisait rage au sein de la famille africaine qui s’était divisée d’abord avant 1963, date de création de l’OUA, en deux groupes rivaux : le groupe de Casablanca et celui de Monrovia. Le Sénégal, bien qu’appartenant  au camp de Monrovia, faisait entendre une petite musique, une note bien singulière qui, loin de réaliser une symphonie, évitait bien des grincements entre les durs et les modérés. Une génération d’ambassadeurs et de diplomates sénégalais s’est relayée aux Nations Unies pour faire entendre une autre voix qui faisait autorité sur bien des sujets importants : la détérioration des termes de l’échange, la lutte contre l’Apartheid, l’aide aux mouvements de libération, les droits inaliénables du peuple palestinien, la prolifération des armes nucléaires dont la commission aux Nations Unies était dirigée par l’ambassadeur Alioune Sène. En Novembre 1971, la mission des sages, dépêchée par l’OUA auprès de Golda Meir en Israël pour trouver une solution au conflit entre l’Egypte et l’Etat hébreu, était dirigée par Léopold Sédar Senghor accompagné de Gowon, Mobutu, Ahidjo. Petit pays donc, sans grandes ressources en plus, le Sénégal, dès 1960, sut faire de sa diplomatie la poule aux œufs d’or.

 

Abdoulaye Wade ne sera pas en reste. Dès sa prise de fonction, il mène un intense activisme diplomatique et prend toute l’ampleur du pays continent au milliard et demi d’habitants. Le Sénégal rompt ses relations diplomatiques avec Taïwan et renoue avec la Chine continentale. Que recherche la République du Sénégal dans le rétablissement des relations diplomatiques avec la Chine ?

 

A première vue, elle participe à la tendance générale, en Afrique, où Taiwan perd un à un ses partenaires, ouvrant son territoire à l’État en passe d’instaurer un nouvel ordre politique et, qui sait, économique mondial. Mais d’autres choix sont intervenus dans cette décision. Dakar tente également par cette occasion de réaliser un de ses objectifs majeurs : siéger au Conseil de sécurité. Le Sénégal, de par son histoire, sa stabilité politique et économique et son activisme panafricain, est l’État le mieux placé pour ravir ce siège. Le Président Abdoulaye Wade le sait et agit en conséquence. Les cinq membres permanents au Conseil de sécurité de l’ONU étant les États- unis, la France, la Russie, le Royaume-Uni et la République Populaire de Chine, le Sénégal devait obligatoirement compter avec la voix chinoise. En mai 2005, soit seulement cinq mois avant le rétablissement de nos relations diplomatiques avec la République Populaire, Cheikh Tidiane Gadio, ex ministre des Affaires étrangères annonce que « la Chine n’est pas hostile au Sénégal, soulignant subséquemment que, sur les cinq membres du Conseil de sécurité, quatre sont « très favorables » à la candidature du Sénégal à un poste de membre au Conseil de sécurité des Nations unies (APS du 2 mai 2005). Il fallait donc tout faire pour que la muraille de Chine ne soit pas un obstacle infranchissable pour nos ambitions onusiennes. Tout faire revient cependant à dire que la reconnaissance de Taiwan était un obstacle réel. Car le Sénégal n’est pas le seul État africain à vouloir briguer ce mandat. L’Afrique du Sud, le Nigéria, le Kenya, l’Égypte, l’Algérie et la Libye sont nos principaux concurrents.

 

Notre pays projette son avenir et réfléchit à la possibilité de commercer avec la première puissance démographique mondiale, le prochain marché intérieur mondial, la future puissance internationale et de siéger à l’ONU. L’intérêt stratégique de cette relation est donc sans équivoque. « La Chine semble très loin, mais au point de vue stratégique, elle est en fait proche de nous. Ignorer la Chine équivaut à boucher soi-même la voie du dialogue avec un pays puissant » (APS du 25 juin 2006). Les résultats ne se font d’ailleurs pas attendre. Les chantiers chers au Président poussent comme des champignons avec le concours des Chinois. Avec plus ou moins de bonheur, le Sénégal s’implique dans les interminables conflits africains, dans des palabres et des négociations qui semblent ne jamais s’achever : Madagascar, Côte d’Ivoire, Burundi, Mauritanie, Bissau, Conakry. La diplomatie sénégalaise ne semble plus connaître de limite planétaire. Le Président Wade déclare être invité à s’impliquer dans l’interminable conflit du Moyen Orient, entre Israéliens et Palestiniens, puis entre le Pakistan et l’Inde. Aux lendemains des attentats du 11 Septembre, le Sénégal réunit à Dakar un aréopage de chefs d’Etats africains pour condamner le terrorisme et apporter leur soutien à l’Amérique de Bush dont Wade est un interlocuteur privilégié. Récemment, il parvient, grâce à ses relations courageuses avec Mahmoud Ahmadinejad, à faire libérer une détenue française en Iran.

 

La pertinence de l’approche géopolitique sénégalaise est donc avérée. Elle s’inscrit dans une longue tradition où la recherche de nouveaux partenaires économiques et politiques sur la scène internationale est la priorité des différents gouvernements sénégalais depuis l’indépendance en 1960. L’Asie (Japon, Chine, Taiwan, Corée du Sud et Inde), l’Amérique Latine (Brésil), Moyen-Orient (Iran), Maghreb (Maroc, Algérie), Amérique du Nord (États-unis et Canada) et Océanie (Australie) sont les partenaires choisis par le Sénégal pour pallier à la prépondérance politique et économique française. Nouer concomitamment des relations avec la République Populaire de Chine, les États-unis et l’Iran est l’exemple du déploiement diplomatique sénégalais sur la scène internationale : aucune idée reçue, seule la qualité du rapport compte pour notre pays. Puisse-t-il pour ainsi dire en être de même pour la nouvelle décennie.

Pierre Hamet ba

 

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LAURENT DOIT PARTIR

Mais qu’est-ce que donc cette théorie qui préconise le partage du pouvoir en Côte d’Ivoire ? Autant alors parler de partage du territoire, de la naissance de quelque chose comme une ligne Maginot ou bien même, selon que l’on soit avec ou contre Ouattara, une ligne Siegfried, et à l’extrême, selon que l’on soit du Nord ou du Sud, la construction de quelque chose comme un Mur de Berlin ?

Houphouët ne mérite pas ça !

 

A l’évidence, une solution incapable de résoudre un problème n’en est pas une. Elle diffère le seuil critique et crée par la même un conflit latent qui finit par définitivement saper la possibilité d’une paix intérieure durable. Et ce ne sont pas les schémas à la Mbecky qui dissiperont les nuages de la guerre. La côte d’Ivoire balbutie d’interminables bulles préoccupantes et lourdes de conséquences. Il faut alors prendre la mesure de la situation et agir fermement :

 

Laurent doit partir !

 

Et nous ne connaissons que trop les multiples raisons qui justifient une telle position.

D’abord au plan économique, la Côte d’Ivoire représente 39% de la masse monétaire et contribue pour près de 40 % au PIB de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA). Dans l’étude sur les « Perspectives à long terme en Afrique de l’Ouest », publiée par le CSAO, trois grandes zones économiques sont identifiées comme points de référence pour les réflexions sur l’avenir de la région { l’horizon 2020. Les Pays du Golf de Guinée autour du Nigeria considérés comme le coeur de l’économie régionale. Ce groupe de pays, d’Abidjan { Yaoundé, représente plus de 80% du PIB régional. Cette bande polarise l’essentiel du marché régional, actuel et futur. La Côte d’Ivoire, avec près de 50% du PIB régional, occupe une place prépondérante dans cette sous-région du Golfe de Guinée de même que par rapport à l’Afrique de l’Ouest dans son ensemble. Pour nous autres, répartis entre les pays de la Façade Atlantique (Sénégal, Guinée Bissau et Guinée Conakry) et les Pays Enclavés (Mali, Burkina-Faso, Niger), une crise en Côte d’Ivoire anéantirait tous nos efforts de développement et d’intégration économique sous-régionale. D’autant plus qu’elle (la crise ivoirienne) démolira les axes représentatifs du commerce { l’intérieur de l’espace CEDEAO : Abidjan-Bamako, Abidjan-Ouagadougou, Abidjan-Lomé-Cotonou. Il s’ensuivra alors une redéfinition du commerce intérieur ouest africain, à partir des ports de Dakar et de Tema au Ghana, qui prendra un temps insoupçonné pour rétablir les équilibres et les flux économiques et financiers, et donc un nouveau frein au développement à accuser.

 

Un document de CAIRN assez intéressant, fruit de l’analyse combinée de trois docteurs en Économie, qui eux-mêmes se référent à d’autres recherches scientifiques relatives à la Côte d’Ivoire et à sa région, étaye le postulat du départ de Laurent Gbagbo pour laisser place au Dr. Alassane Dramane Ouattara :

 

L’Homme de la Situation !

 

« Au milieu des années 1990, et après une décennie de forte récession, la situation économique de l’Afrique sub-saharienne semblait s’améliorer. La croissance du produit par tête était redevenue positive, l’inflation était mieux maîtrisée que par le passé, les déficits des comptes publics et extérieurs étaient réduits. Ce retournement intervenait { l’issue d’un long processus de réformes : politiques de stabilisation macro-économique, privatisations, restructuration des systèmes financiers, libéralisation graduelle du commerce extérieur et de l’agriculture, amélioration partielle du cadre juridico légal. Il était également favorisé par la bonne tenue des cours des grandes matières premières exportées par le continent, et la reprise progressive de la croissance dans les pays industrialisés. Enfin, dans de nombreux cas, la démocratisation politique semblait continuer d’avancer, permettant d’espérer une meilleure adaptation des politiques menées aux exigences du moment. En particulier, la fin de l’apartheid en Afrique du Sud semblait pouvoir annoncer un nouveau départ pour le continent le plus déshérité de la planète. Au sein de la zone Franc et de l’Afrique francophone, c’est en Côte d’Ivoire que la reprise économique avait été observée le plus nettement. Ce changement était important étant donné le poids économique de ce pays dans ce groupe. L’embellie intervenait en même temps qu’une accélération des réformes. Par ailleurs, l’intégration régionale de la zone UEMOA continuait son cours : l’harmonisation des tarifs douaniers se mettait en place ainsi qu’une bourse régionale des valeurs ». Denis Cogneau et al. « Côte d’Ivoire : histoires de la crise », Afrique contemporaine 2/2003 (no 206), p. 5-12.

Toutefois, la forte relance de l’économie était aussi imputable non seulement à des facteurs conjoncturels : dévaluation du franc CFA, hausse des cours du café et du cacao sur les marchés mondiaux et afflux de capitaux étrangers privés et publics, mais aussi et surtout à un homme : Alassane Dramane Ouattara.

Au plan économique, entre 1983 et 1989, le cycle récurrent de la mévente des produits d’exportation ivoiriens a entraîné une crise financière sans précédent qui a livré le pays aux diktats des bailleurs de fonds avec l’apparition de multiples programmes d’ajustement structurel. La crise économique, et donc sociale a été dure en Côte d’Ivoire jusqu'{ l’orée des années 90, date { laquelle Mr Dramane Ouattara – technocrate du FMI – avait été plébiscité pour redresser l’économie Ivoirienne. Il a fait une carrière exceptionnelle de haut fonctionnaire du Fonds Monétaire International et de la BCEAO où il a gravi les échelons avant de se retrouver Gouverneur. Puis, il a été appelé par le Président Houphouët Boigny pour sauver la Côte d’Ivoire d’un désastre économique. Le Président Ouattara entreprend alors un travail de redressement dont les décisions nécessaires mais douloureuses, comme la dévaluation du Franc CFA en 1994, étaient la voie salutaire pour une relance l’économie sous-régionale.

 

Jamais la Côte d’Ivoire n’avait connu un tel activisme « réformiste » que sous Ouattara. En bonne logique, la liste impressionnante dressée, ainsi que la réussite indéniable des autorités de l’époque dans la conduite de certaines politiques (comme par exemple la maîtrise des prix malgré le choc de la dévaluation) aurait pu constituer un cas exemplaire d’ajustement structurel réussi.

En effet, en 1997, les principaux indicateurs économiques étaient les suivants :

 

  • Taux de croissance économique : +7.5 % contre -2,3% en 2000, +1,6% en 2004, +1,8% en 2005, +1,2% en 2006 et une prévision de +4,5% en 2012.

 

  • PIB: 6000 milliards de Franc CFA et Investissement en % du PIB : 15 (%)

 

  • BUDGET 1997: Budget général de fonctionnement: 1356,1 milliards FCFA

 

  • Budget spécial d’INVESTISSEMENT: 430 milliards FCFA.

 

Parallèlement, lorsqu’on observe le budget 2009 de la Côte d’Ivoire, la quantité est mise en exergue au détriment de l’utilité. Une Utilité banalisée, mal jaugée, en clair, une sorte d’injure {l’école Néo-classique (Économie) tant chère à William Stanley Jevons et Léon Walras. Pour exemple, en observant le développement du Maroc malgré la quasi-rareté en ressources naturelles à forte valeur ajoutée dont il souffre, l’Algérie riche en pétrole et pouvant se vanter de ses réserves de change ne dira pas le contraire. Idem pour Le Congo-Zaïre (Requalifiée en République Démocratique du Congo) et sa forte richesse minière mal rentabilisée au profit du peuple. Il est donc clair que le mérite d’un gouvernement se résume à l’exploitation efficiente des ressources et à leur allocation. La côte d’ivoire a en effet tiré des fruits tangibles en termes d’infrastructures, de progrès social et de niveau de vie à cette époque Houphouetienne où Ouattara était premier Ministre.

 

Toute personne objective peut, à son aise, calculer la proportion de l’investissement dans le budget ivoirien à l’époque Ouattara. Ce n’est surement pas identique à ce budget 2009 exclusivement asphyxié par la masse salariale. De plus, quand on observe le budget 2008 de Gbagbo, la masse salariale représente plus de 43% des recettes fiscales alors que les critères de convergences de l’UEMOA parlent d’un maximum de 35%. En 2008, les dépenses de santé n’étaient qu'{ 6,5% du Budget quand il s’élevait à 9% en 2007, donc un budget en hausse dont les ivoiriens ne ressentent point les effets dans leur quotidien.

En définitive, le mérite de M. Ouattara se résume, au moins, à la manière dont ont été allouées les ressources de la rente agricole à la construction de la Côte d’Ivoire économique et sociale. Car il ne suffit pas d’engranger des rentes agricoles et pétrolières pour les faire paraitre dans un budget mal agencé tel que Gbagbo le fait depuis 2000.

 

Enfin au plan Politique, cette situation « d’Un Pays, Deux Présidents » ne peut prospérer indéfiniment. Cela pose avec une certaine acuité la question du fondement même de l’Etat Ivoirien.

Il y a dans la relation de pouvoir quelque chose qui n’est pas seulement de l’ordre de la violence. Ce serait trop facile, parce que ça résoudrait le problème tout de suite! En fait, la question de l’origine de cette relation de pouvoir entre l’Etat et les Ivoiriens se dédouble au sens où il y a une question du haut et une question du bas:

 

 la question du haut, c’est : qu’est-ce qui fait que, Gbagbo dise « c’est moi le chef et vous allez m’obéir »? C’est la question du sommet de la pyramide.

 

 la question du bas, de la base de la pyramide, c’est : pourquoi les ivoiriens accepteront-ils d’obéir, alors que ce n’est pas Gbagbo qui détient une force, une capacité de violence suffisante pour faire régner la terreur sur tout le monde. Donc cette acceptation de l’obéissance renvoie à autre chose.

 

C’est déjà là les deux questions que posait Rousseau au début du Contrat Social en soutenant que jamais un homme ne sera suffisamment fort pour être toujours le plus fort. Le discours de Gbagbo est simple : « Nous avons le pouvoir et vous allez obéir ». Mais là, deux choses peuvent se passer: ou bien ceux qui entendent ce discours disent « oui c’est vrai, vous avez le pouvoir et on va obéir ou bien « non, non, vous n’avez pas le pouvoir et la preuve, c’est qu’on ne va pas vous obéir ».

La côte d’Ivoire est en proie à une crise profonde qui découle donc de la problématique du légal et du légitime, fondement même de l’Etat. Les partisans de Gbagbo disent : « Nous avons le pouvoir et vous allez obéir » ; et les partisans de Ouattara rétorquent : « non, non, vous n’avez pas le pouvoir et nous n’allons pas vous obéir ». Ou bien alors Gbagbo les traitera d’insoumis et de fou ; ou alors et c’est la thèse la plus probable, il décidera de les tuer, le discours évoluant ainsi : ou bien on obéit, ou bien on n’obéit pas.

De ce point de vue là et reprenant les thèses de Pierre Clastres dans « La Société Contre l’Etat », on pourrait opposer terme à terme les sociétés sans Etat et les sociétés à Etat: les sociétés sans Etat sont du côté du petit, du limité, du réduit, de la scission permanente, du côté du multiple, tandis que les sociétés à Etat sont exactement du côté du contraire; elles sont du côté de la croissance, du côté de l’intégration, du côté de l’unification, du côté de l’un. Les sociétés primitives, ce sont des sociétés du multiple; les sociétés non-primitives, à Etat, ce sont des sociétés de l’un :

L’Etat, c’est le triomphe de l’un !

Comment alors oser penser le partage du pouvoir en Côte d’Ivoire ? Car à partir de la division politique, s’engendre, d’ailleurs très facilement, la division économique, c’est-à dire ceux qui obéissent deviennent en même temps les pauvres et les exploités, ceux qui commandent, les riches et les exploiteurs. Ce n’est pas rien, parce que détenir le pouvoir c’est pour l’exercer :

Un pouvoir qui ne s’exerce pas, ce n’est pas un pouvoir !

Et, puisque l’exercice du pouvoir passe par l’obligation qu’on fait aux autres d’obéir, comment pensez-vous que Gbagbo exercera cette obligation, si ce n’est qu’au travers de la violence ?

Pour les jeunes démocraties de notre continent, il est crucial que le coup de force institutionnel de Gbagbo ne passe pas. Il doit être refusé, condamné et combattu par tous les fils de l’Afrique. Nous devons nous investir pour que le Président Ouattara ait le pouvoir. Les discours de reconnaissance de sa victoire et les félicitations ne suffisent pas car, et nous venons de le dire :

Un pouvoir qui ne s’exerce pas n’est pas un pouvoir, Ouattara a besoin de plus :

Laurent doit Partir !

PIERRE HAMET BA

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LE MONDE ET LE PROBLEME AFRICAIN : Une Approche Géoéconomique

En ce début 2011, nous abordons une décennie pleine d’espoirs, d’inquiétudes, d’angoisses et de dangers. Aux plans économique, géopolitique et militaire, les affrontements sont de plus en plus meurtriers même s’ils sont quelque peu feutrés. Une nouvelle dynamique oppose d’anciennes puissances économiques vieillissantes mais solides (la vieille Europe, celle de l’Est) et de nouvelles puissances jeunes, émergentes, ambitieuses et ascendantes (les BRIC et certains pays comme l’Afrique du Sud et l’Argentine). Quelle sera la place de l’Afrique avec sa population d’un milliard de personnes dont 50% de moins de 30 ans, sans emplois ou sous employés ? On parle beaucoup trop souvent du passé à nos jeunes et pas assez de l’avenir, c’est à dire trop des autres et pas assez d’eux-mêmes. Et si alors pour une fois on leur parlait de l’avenir ?

 

Monsieur Watson – Venez ici – Je veux vous voir ». Deux siècles se sont écoulés depuis que, le 10 mars 1876, l’inventeur américain, Alexander Bell, à l’attention de son assistant, prononça la première phrase à passer par les câbles d’un téléphone. Aujourd’hui, le World Wide Web (www), imaginé par Tim Berners-Lee en 1989 et rendu public et libre en 1991, afin de créer un espace virtuel capable de stocker et de distribuer des données (un serveur web) dans un langage commun (le HTML), est aussi âgé que la chute du mur de Berlin. Nous sommes bien entendu au seuil de l’année 2011 et, voilà 21 ans maintenant que les données géostratégiques du monde ont évolué vers quelque chose comme un imbroglio paradigmatique entre le réel et virtuel, dans un jeu quelque peu inextricable, à propension arithmétique et à progression géométrique, qui impose à l’Homme africain de redéfinir sa relation au monde.

 

Le développement du système informatique, des réseaux sociaux et des livres numériques marque un pas vers une nouvelle ère. La virtualité semble aujourd’hui transcender la réalité. Nos jeunes se perdent dans un monde virtuel dont la force tient à la séduction dans tous les sens du terme : charmer, plaire, fasciner, faire illusion, mais aussi abuser, détourner la vérité, tromper ; et finissent par oublier la cruauté du monde réel. Comment ne pas succomber à l’idée qu’il existerait une manière d’éliminer l’emprise du réel déprimant du quotidien africain ? C’est le pouvoir de ce qui est communément appelé Internet. Un monde non réel où s’interfère des milliards d’informations, de données et de messages. Un nombre infinitésimal d’actions produites par l’homme. Pourtant, comme l’explique Gaspard Lundwall dans la revue Esprit, Internet a sa place au cœur du réel. Il marque un changement d’échelle et perturbe notre rapport au réel, c’est-à-dire au monde, en accélérant le temps d’accessibilité aux données et aux rapports aux autres. Internet est à la fois un déverseur d’idées ou de pensées favorable à la propagande et un outil pédagogique remarquable comme le souligne Michel Serres. Utile, mais pas indispensable ou non nécessaire, on constate, et au grand bonheur de l’Homme, l’importance et la remise en valeur de la relation réelle avec autrui. Internet nous rapproche et nous fait comprendre l’importance de l’autre. « L’homme est un animal sociable » dit Socrate.

 

 

Cependant, Internet, utilisé par quiconque, loin de servir d’un simple moyen de se détourner du réel, porte en lui-même un réel intrinsèque. Il est une arme stratégique redoutable pour les gouvernements. Outre le système d’écoute Echelon, les Etats Unis comme la France se dotent de systèmes informatiques capables de contrer de futures cyber-attaques. L’Iran aurait subit une attaque sur ses usines d’enrichissement d’uranium de Natanz, provoquant des problèmes techniques dus à un virus informatique. Une offensive feutrée est donc aujourd’hui considérée plus performante qu’une attaque directe. S’attaquer à l’économie d’un pays, provoquer des rivalités semblent plus prometteur qu’une attaque nucléaire. Le réel du virtuel produit par Internet est devenu la nouvelle arme stratégique pour contre-influencer les puissances actuelles. Pour preuve, l’action réalisée par le site Wikileaks, le 28 novembre 2010.

 

En divulguant une quantité gargantuesque de télégrammes « secrets » de la diplomatie américaine (environ 250.000) dont certains détails peuvent être intéressants, Wikileaks lance l’avénement d’un nouveau Nouveau Monde. La polémique suscitée autour de la transparence en diplomatie n’est pas l’intérêt, car ses données recueillies proviennent d’un pays à proprement parlé démocratique. Par contre, quelles seraient la teneur et les conséquences d’un tel « exploit » s’il s’agissait d’informations secrètes provenant de la Corée du Nord ou de la Russie ?

 

Voilà qui remet donc en cause, seulement 20 ans après qu’il soit rendu libre et public, la manière dont va être utilisé Internet et l’accessibilité des données dans les relations internationales pour les années à venir. Ce coup éclair du site de Julian Assange déclenche donc une nouvelle guerre froide : la guerre des secrets. Le jeu sécuritaire contre la piraterie informatique, et inversement, va se complexifier comme la course aux armements ou la conquête de l’espace. Dans ce domaine, la Chine est devenue un acteur redoutable. Elle a pris conscience de l’atout de se doter d’une force électronique. Sachant que le nombre d’utilisateurs en informatique dans ce pays est en forte croissance (420 millions en juin 2010), la Chine pourrait renverser l’équilibre des forces à son avantage en cas de conflit majeur.

Conscient de cet état de fait, les deux Corée, et le Japon en premier, mènent une course effrénée vers la maîtrise de la science informatique et de ses applications militaires. On assiste, en plus des jeux d’espionnage et des attaques cybernétiques, à des essais d’armement aux allures de sommation. Ce fut le cas le Mardi 23 novembre 2010, quand la Corée du Nord tire une dizaine d’obus sur une île de Yeonpyeong en mer Jaune, en proie entre les deux Corées pour son appropriation. Une réponse par les armes de la Corée du Sud déclenche un tollé international. Cette frasque introduit la tendance actuelle d’un monde en ébullition. Le monde bipolaire de la guerre froide devient un monde multipolaire, voir même, apolaire. L’émergence des pays comme la Chine, l’Inde et le Brésil remet en cause la puissance occidentale, notamment celle des Etats Unis et de l’Europe. Quand bien même les Etats-Unis restent la première puissance militaire, la Chine est devenue une puissance économique. L’Europe, berceau des Lumières et de son ancienne puissance coloniale, prend de l’âge et tend à prendre sa retraite. Quels seront les nouveaux acteurs de demain ? Qui va influencer les tendances géopolitiques futures ?

 

Tout commence par certains signes précurseurs d’une évolution. La fin de l’année 2010 a été marquée par de nombreux mouvements de manifestation en Chine, puis au Bangladesh le 23 juillet dernier. Les gouvernements ont réussi à étouffer ces « bruitages » à travers leur pays. Car même si la plus grande force en Chine est bien sa forte population, cela peut devenir sa plus grande faiblesse en cas de soulèvement. Peut être est-ce une des raisons qui pousse le gouvernement chinois à se doter de la plus grande armée du monde ? Croire qu’un peuple considéré comme la fabrique du monde va rester inerte, face à l’émergence d’une population riche dans leur pays, est illusoire. La convoitise est propre à l’homme et constitue l’une des sources de nombreux conflits à travers notre Histoire. Chaque personne prend conscience de l’inégalité dans le monde. Une goutte d’eau ferait, à coup sûr, déborder le vase. La flambée des prix en Chine, annoncé le 17 novembre 2010, met en danger ce miracle économique. La croissance économique chinoise exponentielle met de coté certains points importants comme la sécurité des ses infrastructures afin de garantir une pérennisation certaine. Sans oublié le manquement aux Droits de l’Homme tant décrié par la communauté internationale. Au-delà du prix Nobel de la Paix, promulgué par la Norvège en désignant Liu Xiaobo, dissident chinois, quels atouts gardent en main la Chine pour ne pas être écarté du jeu géostratégique ?

Sa monnaie, le Yuan, dont son taux est artificiellement bas, lui permet de s’enrichir avec son commerce extérieur. Ses exportations en Europe et aux Etats Unis lui offrent un pouvoir économique concurrentiel intelligemment maintenu sans aucunes réelles critiques extérieures allant jusqu’à des pénalisations. Le gouvernement américain a, à plusieurs reprises, mis la pression sur le président chinois Hu Jintao afin qu’il cesse ses méthodes commerciales avantageuses pour son pays mais « déloyales » envers les autres pays. Mais la Chine détient la plus importante dette américaine en bon du trésor avoisinant les 800 milliards de dollars. Un principe financier semble découler de cette perspective, c’est par la dette qu’on maîtrise un pays. Dans Le Monde Diplomatique de janvier 2011, Mme Hillary Clinton, la secrétaire d’Etat des Etats Unis, semble s’inquiéter de la dette détenue par Pékin en posant la question de savoir « Comment négocier en position de force avec son banquier ? ».

 

Dernièrement, le gouvernement chinois cherche à se positionner militairement en maître face à la flotte américaine pour un contrôle des zones maritimes avoisinant son territoire. Un défi est pour ainsi dire lancé dans le rapport de force entre le Chine et les Etats Unis pour les décennies à venir. Toutefois, d’un point de vue géostratégique, c’est de l’Asie Centrale que provient le plus d’inquiétudes.

 

L’Afghanistan, pays des chevaux ainsi que le soutenait Joseph Kessel dans son roman « Les Cavaliers », a toujours connu une instabilité politique et les étrangers ont toujours cherché à se l’accaparer. Le 12 novembre 1893, ce pays est séparé de l’empire des Indes par la ligne Durand. Cette ligne le sépare aujourd’hui du Pakistan. Il prit son indépendance le 8 août 1919 après la guerre contre l’empire Britannique. Il s’en suivit l’invasion soviétique en 1979 qui dura jusqu’en 1989 à la chute de l’Union Soviétique. Une guerre civile dans les années 90 mit le pays dans une faiblesse politique qui permit au Taliban, en 1996, de s’emparer de Kaboul, sa capitale, et de contrôler une bonne partie du pays. Après l’assassinat d’Ahmed chah Massoud, le commandant de l’Alliance du Nord afghane, du Jamiat-Islami et le chef de l’Armée islamique en septembre 2001, une suite d’évènements marque un basculement du monde dans la terreur du terrorisme. Les Etats-Unis déclarent la guerre contre l’islamisme et interviennent en Afghanistan dans la même année, en renversant le régime taliban.

 

Depuis l’invasion soviétique, plus de 3 millions de morts ont été recensés dans ce pays. L’Afghanistan est pourtant aujourd’hui considéré comme une des bases du terrorisme et où se sont engouffrés les occidentaux dans un bourbier international. Le conflit s’allonge sans réelle perspective de paix, l’opinion publique s’y détache et les gouvernements occidentaux cherchent la bonne stratégie sans sembler pas la trouver. Le 20 juillet dernier, une conférence internationale sur l’Afghanistan s’est déroulée à Kaboul soutenant le gouvernement du pays dans ses objectifs de parvenir avec ses propres forces à un contrôle du pays d’ici la fin de l’année 2014.

 

En définitive, l’Afghanistan s’insère dans une stratégie internationale où les grandes puissances y trouvent un intérêt économique et politique. L’Union Soviétique de la guerre froide convoitait les ressources minières afghanes qu’aujourd’hui la Chine s’approprie de manière légale. L’Inde y voit l’arrière-base des Pakistanais, et l’OTAN : un des nids du terrorisme. La géopolitique afghane se complexifie, ce qui rendra le futur plus difficile en Asie Centrale.

 

Force est donc de constater que les enjeux de la géopolitique contemporaine nous conduisent inévitablement vers une nouvelle configuration géostratégique du monde. Mais allons-nous pour autant assister à l’avènement d’un monde multipolaire ?

 

Ce que l’on peut constater c’est que, contrairement au schéma classique qui dessine les coopérations inter-Etat au sein des cercles régionaux frontaliers, le jeu des alliances contemporaines transcende les frontières dans un réel virtuel dont la cohérence tient plus aux intérêts et à la volonté de s’affranchir du joug traditionnel d’une poignée, infime mais pas insignifiante, de pays dits majeurs, qu’à une intégration régionale ou sous-régionale. Avec le renforcement du fédéralisme de l’UE et la réintégration complète de la France au sein des instances militaires de l’OTAN, on pourrait croire que le mondialisme atlantiste et unipolaire s’est définitivement imposé. Or, on assiste à une résistance certes informelle mais croissante face à l’impérialisme américain. En 2009, on a assisté au rapprochement économique de divers blocs géopolitiques assez éloignés les uns des autres : Amérique Latine, Chine et Proche/Moyen-Orient. Une voie multipolaire semble progressivement se dessiner face à l’établissement d’un Nouvel Ordre Mondial à la sauce américaine.

 

Grâce à leurs excellentes relations diplomatiques, Hugo Chavez et Hu Jintao ont renforcé la coopération bilatérale entre le Venezuela et la Chine. Lors d’un long périple en décembre 2003 en Méditerranée orientale (Libye, Egypte, Syrie, Liban) et aux Emirats Arabes Unis, le président brésilien Luiz Iniacio Lula Da Silva eut l’idée de créer un Sommet géopolitique réunissant les Pays arabes et diverses nations de l’Amérique Latine. Le premier Sommet se déroule à Brasilia les 10 et 11 mai 2005. Cette rencontre internationale s’acheva avec la signature de la Déclaration de Brasilia qui aborde concrètement les questions politiques, économiques et commerciales entre les 2 blocs si éloignés géographiquement.

 

Au début du mois de mars 2009, au siège de la Ligue des pays arabes au Caire, à l’initiative du ministre qatari des Affaires Étrangères, l’ensemble des ministres arabes des A.E. et 12 de leurs homologues sud-américains ont évoqué le projet de la Déclaration de Doha (capitale du Qatar) dont l’adoption fut effective le 31 mars de la même année, lors du deuxième Sommet des Pays Arabes et d’Amérique Latine. Les questions soulevées tournaient autour de la politique « régionale » et internationale, de la crise économique, des échanges commerciaux et de l’énergie. Cette importante rencontre scelle un rapprochement décisif entre ces 2 blocs géopolitiques si différents en apparence. La coopération économique et commerciale entre les pays arabes et latino-américains est appelée à s’intensifier au cours des prochaines années.

À l’issue d’un long entretien avec le colonel Mouammar Kadhafi, Hugo Chavez de son côté annonce officiellement son intention d’accueillir un Sommet Afrique-Amérique Latine. Hugo Chavez a également rencontré les présidents Syrien Bachar-El-Assad et Libanais Michel Sleimane avec lequel il a évoqué la situation politique délicate dans le Pays des Cèdres. À l’issue du Sommet de Doha, Hugo Chavez s’est rendu en Iran pour une visite officielle de 2 jours au cours de laquelle il a approfondi la coopération bilatérale sur 205 points (politique, économie, commerce, énergie). Le sommet Afrique-Amérique Latine se tînt en septembre 2009 au Vénézuela. Même si ce rapprochement géopolitique entre le monde arabe (méditerranée orientale, Pays du Golfe et de la péninsule arabique) est encore embryonnaire, on assiste à l’émergence d’un monde multipolaire au sein duquel différentes nations libres et souveraines s’opposent à un bloc géopolitique uniforme et américanisé.

En février 2009, le vice-président chinois Xi Jinping a effectué un long périple à travers les Caraïbes (Jamaïque), l’Amérique centrale (Mexique) et latine (Brésil, Colombie). Le 18 février, Xi Jinping se trouvait à Caracas où il s’est entretenu avec Hugo Chavez. À l’occasion de la commémoration du 35e anniversaire de l’établissement de relations diplomatiques entre la Chine et le Venezuela, Xi Jinping et Hugo Chavez ont vivement plaidé pour un renforcement des échanges dans de multiples domaines. Si Hugo Chavez n’a pas dissimulé son admiration pour l’extraordinaire développement économique de la Chine depuis 1978, Xi Jinping a plaidé plus concrètement pour un renforcement de la coopération agricole, énergétique, économique (infrastructures), scientifique (hautes technologies). Cette étape vénézuélienne a débouché sur une coopération bilatérale renforcée en de multiples domaines et à un partenariat stratégique consolidé. La brève rencontre de Xi Jinping avait préparé le voyage de 3 jours de Hugo Chavez en Chine en avril 2009. Le Mercredi 8 avril 2009 au cours d’une longue rencontre avec son homologue chinois Hu Jintao, Hugo Chavez a loué les excellentes relations diplomatiques qui ont débouché progressivement sur une coopération économique bilatérale. Les discussions ont également abordé la crise systémique mondiale et le rôle financier de la Chine afin de lutter contre le ralentissement de l’activité économique, industrielle et commerciale.

 

Lors de son périple en Asie orientale en avril 2009, Hugo Chavez a effectué une importante étape au Japon. Le lundi 6 avril, il rencontre officiellement le premier ministre japonais Taro Aso. Cet événement politique est d’autant plus intéressant que le président vénézuélien est présenté de manière caricaturale comme un gauchiste, nostalgique du marxisme et que Taro Aso est décrit comme un conservateur de tendance nationaliste. En réalité, Hugo Chavez mène une tranquille révolution bolivarienne qui vise à extirper son pays et l’ensemble du continent latino-américain de la tutelle « impérialiste » des USA. Car, depuis la conception de la « Doctrine Monroe » en 1817, les États-Unis considèrent l’ensemble de l’Amérique centrale et latine comme leur propriété exclusive. Avec des dictateurs corrompus à leur botte et la présence de nombreuses multinationales apatrides, ils tentaient de contrôler ces pays affaiblis économiquement et politiquement. Un brusque retournement politique s’est produit lors de la dernière décennie avec l’arrivée au pouvoir d’hommes politiques qualifiés de « populistes de gauche » (Hugo Chavez au Venezuela et Rafael Correa en Équateur) ou « d’indigéniste » (Evo Morales en Bolivie). Le point commun de ces chefs d’État latino-américains réside dans leur hostilité sans faille face au Nouvel Ordre Mondial ultralibéral. Ainsi, ils chassèrent des ambassadeurs américains et plusieurs multinationales apatrides. Tous, sont favorables à l’établissement d’un monde multipolaire équilibré au sein duquel la Palestine aurait une existence viable sur les plans politique et économique.

 

À travers ces quelques exemples de coopération bilatérale en matière politique et géostratégique, on assiste à l’émergence croissante d’un monde multipolaire, constitué de plusieurs blocs géopolitiques distincts. Malgré leur éloignement géographique et leur disparité historico-culturelle, ces blocs soudés sont formés de nations souveraines politiquement et économiquement. Surtout, ils partagent en commun une autre vision du monde opposé à l’établissement du Nouvel Ordre Mondial américanisé, basé sur un consumérisme apatride et déshumanisé. Contrairement à la propagande insidieuse et simpliste des néo-conservateurs américains et de leurs alliés israéliens, ces pays ne forment aucunement un axe « islamo-marxiste » ou un « axe du mal » selon l’expression de l’ancien président américain G.W. Bush (2001-2009).

 

On s’en rend donc bien compte, le Général De Gaule avait vu juste en annonçant, le 21 août 1958 à Brazzaville, que « dans le monde tel qu’il va, il est nécessaire que s’établissent de grands ensembles économiques, politiques, culturels et, au besoin, de grands ensembles de défense ».

 

Qu’en est-il alors de l’Afrique à l’heure où l’Europe a presque fini d’adopter une monnaie commune, où la France promeut l’union pour la Méditerranée, où les pays ayant en commun la langue arabe se sont ligués, où les Etats-unis veulent partager une zone monétaire avec l’Amérique latine et le Canada, où la Chine, le Vénézuela, le Brésil, développe des grands rassemblements trans-géographiques avec des pays culturellement différents mais économiquement stratégiques comme la Libye, l’Egypte, la Syrie, le Liban et même l’Iran ?

1960, l’aube d’un nouvel espoir, d’un nouveau départ, « les soleils des indépendances » (Ahmadou Kourouma) sont au firmament d’une Afrique Nouvelle. L’optimisme est au rendez-vous des projections d’un futur radieux. Mais très vite, la crise congolaise de 1960-61 et celle de 1964 vont édulcorer l’optimisme d’une Afrique prometteuse. « L’Afrique noire est mal partie » (René Dumont, 1962), pronostiquait l’agronome dans un livre qui fit grand bruit. Aux antipodes des espoirs qu’il plaçait sur ce nouvel élan d’une renaissance africaine, Immanuel Maurice Wallerstein (« Africa: The Politics of Unity », New York. Random House, 1967»), relève désormais les divisions internes des pays africains, qu’elles soient d’ordre social, régional ou ethnique. Il envisage désormais la possibilité que l’Afrique ne soit pas capable de développer une idéologie révolutionnaire et ne puisse mettre en place une organisation politique susceptible de lui assurer une certaine autonomie politique, économique et culturelle. A défaut de perspectives réalistes de changements, l’auteur reprend une citation de Modibo Keita, alors président du Mali, empruntée à Ernest Renan : « Rien de grand ne peut être construit sans chimères ».

 

L’histoire de l’Afrique a démenti depuis lors presque point par point les espérances que Wallerstein avait énoncées dans son premier ouvrage (« Africa, The Politics of Independence », New York. Vintage. 1961), à l’aube des Indépendances, et dans son apologie de l’unité africaine de 1967. Toutes les structures, les actions et les personnes qui fondaient légitimement ces espérances se sont délitées. Les mouvements nationalistes et les partis politiques qui en étaient l’instrument se sont dilués dans le factionalisme. Les élites dirigeantes ont utilisés le pouvoir et l’appareil de l’état à leur profit et pour satisfaire des clientèles parasitaires dont la principale raison d’être était de protéger leur pouvoir au détriment de tout processus de contrôle démocratique. Dans cette faillite générale, il existe toutefois une catégorie d’Africains qui prospère: les “rois nègres”, despotes corrompus installés au pouvoir par des puissances coloniales soucieuses de conserver un pied dans leurs anciens empires. C’est l’histoire de l’un de ces pantins sanguinaires que l’écrivain ivoirien Ahmadou Kourouma nous narre dans « En attendant le vote des bêtes sauvages » (Ed. Seuil. Coll. Points. 382 pages) :

Au cours d’une cérémonie purificatoire en six veillées, un griot raconte la vie édifiante et drolatique du général Koyaga, maître chasseur d’une tribu paléonégritique (celle des “hommes nus”) devenu président de la République du Golfe. L’aventure du général-président commence en Indochine, où ce caporal tirailleur s’illustre en cassant du Viet. De retour au pays, grâce aux pouvoirs surnaturels que lui confèrent les gris-gris de sa maman et le Coran magique de son marabout préféré, le caporal Koyaga prend (brutalement) le pouvoir laissé vacant par les Français. Au cours d’un putsch militaire, il élimine le président Fricassa Santos, rival d’autant plus redoutable qu’il est lui aussi expert en vaudou et autres talismans : « Le grand initié Fricassa Santos s’écroule et râle. Un soldat l’achève d’une rafale. Deux autres se penchent sur le corps. Ils déboutonnent le Président, l’émasculent, enfoncent le sexe ensanglanté entre les dents. C’est l’émasculation rituelle. Toute vie humaine porte une force immanente. Une force immanente qui venge le mort en s’attaquant à son tueur. Le tueur peut neutraliser la force immanente en émasculant la victime ».

 

On le devine: le règne de Koyaga sera riche en émasculations, celle du président Santos n’étant que la première d’une longue série. Mais la sorcellerie est une chose, l’expérience en est une autre. Aussi Koyaga va-t-il prendre des leçons de tyrannie chez ses collègues africains: on reconnaîtra au passage (les pseudonymes sont transparents) Houphouët-Boigny, Sékou Touré, Mobutu, Bokassa… Ahmadou croque ici un portrait féroce et plein d’humour de l’Afrique contemporaine.

 

René Dumont n’avait-il pas alors raison de dire que nous étions mal partie ? Ne pouvons nous d’ailleurs pas fatalement soutenir aujourd’hui, sans risque de nous tromper, à la vue de tous les fléaux de la planète que nous collectionnons: famine, sécheresse, désertification, guerres, génocides, épidémies, etc. que non seulement nous étions mal partie mais aussi et surtout que nous ne sommes jamais, voire pas encore arrivée ?

 

Au plan politique, les différents pays de notre continent s’attachent solidement aux principes de la souveraineté du territoire et d’intangibilité des frontières et s’opposent à toute tentative de leurs remises en cause. Seulement c’est au gré des circonstances, suivant les hasards de la colonisation que l’Afrique a été découpée en plusieurs territoires. A l’intérieur de ces territoires, des administrations ont été mises en place, des structures économiques et sociales sont apparues. Petit à petit, les hommes appartenant à ces territoires ont pris  conscience de leur solidarité, et un vouloir vivre commun s’est formé entre eux. Par une singulière contradiction du sort, la colonisation dont le but  était  d’installer dans ces territoires une souveraineté étrangère, a eu, en définitive, pour résultat, d’y développer une conscience nationale très forte qui a été à l’origine de tous les mouvements d’émancipation en Afrique. Cependant, l’accession à l’indépendance a conféré à l’Afrique des éléments d’identification  internationale : un drapeau, un hymne, une devise, des signes et  une langue  nationale. Alors les symboles identitaires deviennent une voie de reconnaissance nationale et de repérage international d’un peuple sorti de l’anonymat colonial.

 

La première  conférence des États indépendants d’Afrique noire s’est tenue au Liberia, quelques mois après l’indépendance de la Guinée. Les membres de la conférence se préoccupèrent de dégager les règles d’une morale internationale susceptible de permettre l’organisation de leurs rapports sur la base de la souveraineté et du respect de chacun. Il a été décidé que chaque État maintien son identité nationale et sa structure constitutionnelle et s’interdit d’intervenir dans les  affaires des autres. Les principes posés (respect de la souveraineté des États, non-ingérence dans leurs affaires intérieures) répondaient à des préoccupations nouvelles. Il fallait éviter les revendications territoriales de l’un ou de l’autre et consolider les frontières acquises.

 

Ainsi, les jeunes Etats Africains sont soucieux de sauvegarder leur indépendance et d’affirmer leur souveraineté propre. C’est ce qui explique leur adhésion au principe de l’intangibilité des frontières dès le début de la décolonisation. Mais n’est-ce pas l’impossibilité pratique de procéder à une révision territoriale après l’indépendance qui les a poussés à se prononcer pour l’adoption de ce principe ? Ainsi, la charte d’Addis-Abeba annonce dans son préambule que les chefs d’États Africains et de gouvernements sont fermement résolus à sauvegarder et à consolider l’indépendance et la souveraineté durement conquise ainsi que l’intégrité  territoriale des Etats. L’adoption d’une telle règle permet la  défense de la souveraineté et la consolidation des Africains dans toutes leurs composantes.

Cependant, la consécration de ce principe n’a pas empêché la prolifération des conflits frontaliers en Afrique. Pour trouver une solution à ces litiges, certains auteurs proposent la règle du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes pour permettre aux populations des territoires contestés de choisir librement leur rattachement à tel ou tel Etat. Mais ce principe reçoit une conception restrictive dans le cas Africain car il supposait le remodelage de toute la carte de l’Afrique, proposition rejetée catégoriquement par les gouvernements mis en place avec l’appui des occidentaux. Ainsi, les chefs d’États africains sont pour le maintien des frontières héritées du colonialisme et contre tout partage du pouvoir.

 

A ce titre, l’ex-Zaïre, l’un des plus grands pays d’Afrique, par sa population et ses richesses naturelles est devenu, par la faute de sa classe politique, un objet de l’histoire et de discussion  entre chancelleries et états majors militaires. Quant au Rwanda, pour les acteurs de la violence d’origine hutue, la solution politique passe par la démocratisation du pays, garante d’une légitimité fondée sur le principe majoritaire. Mais pour les acteurs tutsis, la démocratisation est, bien au contraire, une menace mortelle et inacceptable car la survie de leur ethnie est liée à la conservation du pouvoir politique et militaire. Ainsi, les différents leaders ne peuvent compter que sur leur capacité à maîtriser des ressources internes, en hommes et en biens, et à les marchander sur le plan externe pour faire prévaloir leurs intérêts politiques. On pense que les chefs politiques ont tendance à se replier sur des clientèles régionales ou ethniques et à nouer des alliances internes et externes, privées et publiques, en vue de contrôler des ressources rapidement mobilisables auprès d’agents extérieurs. Par ailleurs, le nouveau conflit angolais est  le prolongement de la guerre qui enflamme désormais toute l’Afrique Centrale. Celle-ci oppose maintenant deux coalitions qui rassemblent une douzaine de pays, et constitue la première grande guerre interafricaine. Son enjeu est la remise en question des frontières.

Autour du président Laurent Désire Kabila, la première coalition réunit le Soudan, le Tchad le Zimbabwe et l’Angola. Cette alliance est soutenue politiquement par les pays francophones de la région et supportée financièrement par la Libye. En outre, ces pays ont en commun d’être tous artificiels, c’est à dire qu’ils ne survivraient pas à une remise en question des frontières actuelles. Ils sont donc tous partisans du statu quo et des découpages frontaliers issus de la colonisation.

 

L’autre alliance rassemble les trois pays du « bloc tutsi » à savoir l’Ouganda, le Rwanda et le Burundi, qui soutiennent les rebelles zaïrois et qui sont directement engagés dans les combats. Isolés diplomatiquement, ils disposent néanmoins d’un atout essentiel qui est la vision d’un nouvel ordre politique Africain répudiant les héritages coloniaux et notamment les frontières tracées par les européens.

 

Il y donc pour ainsi dire une forte tendance qui suggère que la carte de l’Afrique soit redessinée. Récemment, le référendum proposé au Soudan pour diviser le pays en deux parties, plaide en faveur de ce postulat. Mais, même s’il semble judicieux de se demander s’il faut redessiner la carte de l’Afrique en créant des pays ethniquement homogènes comme le prônent de nombreux géostratéges, force est de reconnaître que les conflits ethniques étatiques internes et externes sont tellement diversifiés et complexes qu’ils ne plaident pas en faveur de la création de pays ethniquement homogènes.

 

En Afrique centrale, dans un climat d’affrontements permanents selon les clivages ethniques, il est devenu presque impossible de redessiner la carte de la région. La crise dans cette partie de notre continent va bien au delà des problèmes ethniques et touche essentiellement la collision d’intérêts économiques et commerciaux entre différents acteurs et surtout l’attachement solide à la souveraineté et au maintien du statu quo.

Le colonialisme qui avait instauré un régime politico-religieux extrêmement hiérarchisé visait à imposer un clivage institutionnel entre les différentes ethnies au sein de chaque pays d’Afrique centrale pour assurer son pouvoir dans les meilleures conditions. Après son départ, la situation éclata.  On assiste depuis à des conflits locaux extrêmement violents. Ils sont dus à la conception du pouvoir politique par des minorités « extrémistes » qui sont toujours contre un partage de souveraineté et un retraçage de la carte de la région. Ainsi, la dichotomie du dominant et du dominé, du vainqueur et du vaincu, du seigneur né pour commander et du serviteur pliant l’échine pour obéir, exclut toute idée de partenariat dans une société où les citoyens sont libres et égaux en dignité et en droits. Le cas le plus frappant est celui du Rwanda où la communauté Hutue, placée dans une situation de dépendance et de soumission totale à l’égard des Tutsis, seuls détenteurs du pouvoir et de la richesse, s’est révoltée. La guerre entre les deux ethnies en avril 1994 a fait plus de 500 000 victimes. Elle a en outre provoqué l’exode de plus de 2 ,5 millions  d’habitants du pays qui ont trouvé asile dans les pays voisins, où vivaient déjà plus d’un million de leurs concitoyens chassés par la vague de violence de l’année précédente. Une lecture de l’actualité sensible à l’histoire permet d’analyser l’apparition de nouveaux pouvoirs dans certains pays de la région, comme l’émanation de minorités longtemps brimées ou exclues qui, une fois leur hégémonie établie, suscitent à leur tour la désaffection ou la rébellion d’autres factions minoritaires.

 

De même, ces conflits internes se sont reproduits dans les pays voisins qui accusent des structures étatiques fragiles et instables. Les frontières qui englobent de part et d’autre des populations de même ethnie constituent un amas de forces endogènes qui se dissipent et se neutralisent mutuellement, ce qui constitue un obstacle majeur pour redessiner la carte de l’Afrique centrale selon les tendances ethniques. La reconquête du Rwanda par les Tutsis a permis d’établir une rébellion qui a renversé le président Mobutu au ZAIRE, puis de se retourner contre Laurent Désiré Kabila qu’ils avaient porté au pouvoir. Mais cette fois, l’objectif n’est plus la conquête de Kinshasa, mais l’établissement d’un « tutsi land » et la remise en question des frontières coloniales.

 

La complexité de l’analyse de la situation provient aussi de la multiplicité des acteurs locaux : milices, bandes armées, groupes d’autodéfense, régionaux et nationaux directement impliqués dans les affrontements qui ravagent la région. A ceci s’ajoute l’extrême fluidité des alignements politiques. Ces ingérences ont des conséquences désastreuses pour la stabilité des Etats concernés. Elles les dépossèdent de certaines de leurs prérogatives de souveraineté. La compétence judiciaire a ainsi été retirée au Rwanda par la création du tribunal pénal international d’Arusha qui juge les responsables du génocide de 1994 et dont on attend aussi, paradoxalement, qu’il contribue à la réconciliation des peuples. La compétence constitutionnelle elle-même, vidée de son sens par la communauté internationale, se substitue aux peuples en élaborant les règles définissant le statut des Etats décomposés par la guerre civile. Ainsi, la compétence sécuritaire est exercée de plus en plus souvent au nom de l’ONU et des organisations régionales Africaines qui se sont octroyées la prérogative de maintenir l’ordre. Cependant, la situation au sein de chaque ethnie est dominée par un climat de tension entre les détenteurs du pouvoir qui exploitent leurs concitoyens souvent dépourvus de tout. Par conséquent, il serait difficile de régler des problèmes très compliqués pour assurer une meilleure cohabitation et retracer la carte de la région. D’après l’estimation des observateurs, la situation est extrêmement complexe et elle ne saurait se réduire à de simples antagonismes ethniques. La communauté Hutue est elle-même divisée et il y a une cassure entre les Hutus du Nord plus favorisés et leurs frères du Sud qui sont laissés à l’abandon. L’hostilité interne est parfois si vive que les enfants n’en sont pas indemnes. Blaise Chérif, conseiller juridique du H.C.R en Afrique se désole en disant : « J’ai entendu des gamins de 10 ans dire qu’ils tueraient leurs voisins quand ils seraient grands ». On comprend alors combien les rancœurs sont profondes et combien cette région risque de ne guère se stabiliser dans le long terme.

 

D’autre part et toujours en Afrique Centrale, le partage déséquilibré des richesses naturelles, la remise en cause des  regroupements régionaux déjà mis en place et les enjeux économiques de cette région sont autant de paramètres qui excluent tout retraçage des frontières selon le clivage ethnique. D’abord, le problème des richesses naturelles constitue l’un des facteurs  majeurs  de déstabilisation de la région car les richesses du sous-sol en Afrique centrale sont mal réparties. Ainsi, le sous-sol de la République Démocratique du Congo (RDC), qualifié de « scandale géologique » au même titre que la Guinée Conakry en Afrique subsaharienne, recèle les deux tiers des ressources mondiales de cobalt, le tiers des ressources de diamants, ainsi que des gisements importants de cuivre, d’uranium, de manganèse et d’or. Le Cameroun dispose de l’aluminium, du bois précieux et surtout du pétrole. La République Centrafricaine quand à elle détient une part importante de bois, de diamants et d’uranium. De son coté le Gabon est recouvert par des forets denses dont l’exploitation constitue une ressource importante à coté des industries extractives notamment l’uranium, le manganèse et le pétrole. Paradoxalement le Burundi et le Rwanda disposent de ressources énergétiques et minières insuffisantes ou difficilement exploitables. Leurs espaces sont saturés et leurs capacités d’autofinancement réduites.

 

Devant cette inégale répartition des richesses, on est en droit de se demander comment peut-on, en cas de retraçage de la carte, satisfaire le choix des territoires surtout que la lutte porte essentiellement sur la conquête des biens que sur l’appartenance ethnique. Aussi, le manque de terres agricoles fertiles allié à une croissance démographique galopante constitue la pierre d’achoppement de l’économie de l’Afrique Centrale. Le Rwanda, pays enclavé, d’une population de 8,1 millions d’habitants dispose uniquement de 26.338Km² dont une grande superficie forestière et un sol qui a perdu sa fertilité suite à des pratiques agricoles intenses. Le  Burundi de son coté, avec  une population de 6,6 millions d’habitants ne dispose que de 28 000 km². Ainsi, le noyau du problème dans ces deux pays est certes ethnique, mais il est lié essentiellement à la recherche d’espace vitaux que les pays limitrophes ne sont pas prêt à céder. De ce fait, refaire les frontières de la région ne pourrait que conduire à des affrontements fratricides, compromettre son développement économique et remettre en cause les regroupements régionaux déjà mis en place depuis 1983 dans le but d’essayer de s’imposer vis à vis  de l’extérieur et créer un démarrage réel de développement de la région. Dans ce sillage il a été crée la Communauté Économique des États d’Afrique Centrale (CEEAC) et la communauté économique des pays des  grands lacs. Dans le secteur forestier, deux organisations régionales ont été mises en place, ces dernières s’intéressent essentiellement à la coordination et la promotion des activités de développement économique. Il s’agit en fait de l’organisation Africaine du bois (OAB) qui rassemble tous les pays de l’Afrique Centrale disposant de forets. A titre d’exemple la forêt naturelle pour l’ensemble de la sous région était estimée en 1995 à environ 210 millions d’hectares. Les superficies forestières plantées étaient de 336.000 hectares dont 258.000 uniquement pour le Rwanda et le Burundi.

 

En définitive, la collision d’intérêts économiques et commerciaux entre plusieurs acteurs rend les enjeux économiques de l’Afrique Centrale plus intéressants et beaucoup plus complexes. En effet, les troupes de Laurent Désiré Kabila ont pu mener leur marche triomphale sur Kinshasa grâce à une aide substantielle en matériels militaires provenant de compagnies minières. Kabila a  donc d’abord remporté la bataille du sous-sol avant de s’emparer de la capitale Zaïroise. Tout au long des transactions, la conduite du président congolais a été stimulée par un sentiment de revanche à l’encontre des compagnies minières Sud-africaines qui avaient participé pendant trois décennies à l’enrichissement colossal de la famille Mobutu.

En outre, l’instauration d’une zone franche à Bujumbura, sur avis favorable de la banque mondiale, a exacerbé les tensions car une société belge a reçu l’autorisation d’y installer une entreprise de raffinage d’or exempte de taxes, alors que d’autres sociétés de la place s’en voyaient interdire l’accès. A cette « guerre de l’or » s’ajoute celle de la drogue et, les bénéfices du trafic alimentent les milices locales.

 

A plusieurs titres alors, l’exemple de l’Afrique Centrale montre combien il serait fastidieux d’envisager une reconfiguration géographique du continent. A défaut donc de trouver des causes explicites et cohérentes des perturbations dans la Région, à partir de l’analyse des implications ethnico-territoriales, il convient de poser la problématique du fondement même de l’Etat africain.

 

Selon la vision de certains politologues, l’Etat africain est un Etat intrinsèquement néopatrimonial où prédominent des logiques d’appropriation des rentes (Van De Walle Nicolas, « Neopatrimonialism and democracy in Africa », 1994.). Il n’existe pas d’Etat qui serait rationnel au sens que Max Weber donne à ce mot. Quelques auteurs qualifient également l’Etat africain d’Etat hybride, dans lequel se mêleraient d’un côté certains éléments caractéristiques d’un Etat moderne et de l’autre, des pratiques traditionnelles d’exercice du pouvoir. Le système économique africain serait pour ainsi dire étranger à la logique de marché, dominé par un large éventail d’économies informelles de survie (Jennifer Widner, « Economic change and political liberalisation in sub-Saharan Africa », Johns Hopkins University Press, Baltimore, London, p.129-157.). Si l’Etat africain est alors en crise, ce n’est pas seulement à cause d’une logique interne fondée sur l’économie de rente et le clientélisme, ou en raison de guerres ; la crise naît aussi des dysfonctionnements des institutions étatiques qu’entraînent la constitution de structures parallèles dans le cadre de l’aide au développement et du renforcement du secteur privé. La brèche salariale qui s’est créée entre le secteur public et l’économie privée a conduit à détourner les experts soit vers le secteur privé, soit vers des organisations d’exécution de la coopération et les organisations non gouvernementales (ONG). L’une des différences principales entre le Botswana et l’Ile Maurice d’une part, deux PRI qui connaissent des succès, et les PMA africains d’autre part, réside dans le fait que, dans le développement de ces deux pays, les institutions étatiques ont, au cours des dernières années, joué un rôle significatif de promoteurs du développement. Une étude de Goldsmith (Goldsmith Arthur A. “Africa’s overgrown state reconsidered Bureaucracy and economic growth », World Politics, Vol. 51, p. 520-546. 1999), démontre clairement qu’une administration étatique efficace est nécessaire pour assurer une croissance élevée. Or ce n’est le cas dans presque aucun PMA.

 

En somme, devant les multiples et complexes problèmes ethniques internes et externes, le rapprochement des populations par ethnie semble désuet. Et si on associe à ces problèmes ethniques d’une part, les enjeux économiques liés à la lutte pour l’acquisition des ressources naturelles inégalement réparties et à la collision d’intérêts économiques, et d’autres parts, les enjeux politiques notamment l’attachement solide à la souveraineté et à la lutte pour le pouvoir, il paraîtra clair que tout retraçage de la carte de l’Afrique selon des pays ethniquement homogènes est impossible.

 

Au plan économique, le contraste le plus spectaculaire en termes de développement économique dans le monde, est celui de l’Afrique et de l’Asie. Les économies de la Chine et de l’Inde se sont développées rapidement, l’Amérique Latine, elle aussi, a connu une croissance modérée tirant des millions d’habitants au-dessus du seuil de pauvreté. Selon certains, en raison d’un passé colonial qui a conduit d’une part à une orientation de l’économie vers l’exportation de matières premières minérales et de produits agricoles, et d’autre part à la mise en place d’élites qui ont cherché à suivre le modèle des colons, l’Afrique doit avant tout porter la charge de l’héritage postcolonial. L’héritage colonial a contribué à instaurer une structure duale et à empêcher toute croissance économique durable. Il faut aussi, selon Bloom et Sachs (Bloom David E. et Sachs Jeffrey, « Geography, demography and economic growth in Africa », in Brookings Papers on Economic Activity, No. 2, p. 207-273. 1998), considérer les données naturelles comme des facteurs importants. Pour les deux auteurs, la crise africaine trouve sa source dans les conditions géographiques particulièrement défavorables qui caractérisent le continent. 93% de la surface du continent africain se trouve sous l’influence des tropiques : les conditions climatiques difficiles (par exemple très forte ou très faible densité des pluies) sont à l’origine de la faiblesse de la productivité agricole. Hall et Jones (Hall Robert E. et Jones Charles I. « Why do some countries produce so much more production per worker than others ? », The Quarterly Journal of Economics, Vol. 114, p. 83-116. 1999), qui s’opposent à cette conception des choses, montrent dans leurs analyses que les effets des conditions climatiques sur la productivité sont négligeables. Les recherches de Gundlach et Matus-Velasco (Gundlach Erich et Matus-Velasco Xiemna, « Labor productivity in different climatic zones », Kiel Institute of World Economics, Kiel. 1999) montrent également que d’autres facteurs jouent un rôle plus important : par exemple le morcellement ethnique, voir infra. Mais la thèse selon laquelle la poursuite d’une libéralisation des marchés et, par conséquent, une intégration renforcée de l’Afrique dans le marché mondial ainsi qu’un afflux de capitaux étrangers pourraient aider l’Afrique à surmonter ses handicaps géographiques, ne parvient pas à être convaincante. Les coûts de transports ainsi que la nature des sols et les handicaps qui en découlent continuent de jouer un rôle important.

 

Parmi les arguments souvent présentés comme particulièrement importants, le morcellement ethnique serait en Afrique particulièrement marqué. Selon cette analyse, le nombre important de groupes ethniques significativement plus élevé que dans les autres régions du monde expliquerait le niveau particulièrement bas des taux de croissance africains (Easterly William et Levine Ross, « Africa’s growth tragedy », Quarterly Journal of Economics, Vol. 62, p. 1203-1250. (1997). Le morcellement ethnique serait à l’origine de 35% des pertes de croissance.

 

Bien que quelque peu contradictoire sur les approches et les causes du sous développement économiques, ces études s’accorde tout de même sur le fait que la majeure partie de l’Afrique a tout simplement stagné voire même régressé en termes d’échanges commerciaux internationaux, d’investissements, de revenus par tête et autres indicateurs de croissance économique. La paupérisation des populations a eu des conséquences dramatiques parmi lesquelles la diminution de l’espérance de vie, la violence et l’instabilité politique qui sont autant de handicaps à la croissance de l’Afrique. Durant les dernières décennies, nous avons été les témoins de nombreuses tentatives infructueuses de redressement des économies de différents pays africains. En 2006, 922 millions d’africains peuplaient les 54 états. Bien que certaines parties du continent aient connu des avancées significatives dans les dernières années, 25 pays africains sont les plus pauvres de la liste des 175 états composant le monde dressée par le Rapport du Développement Humain des Nations Unies en 2003. L’histoire de l’Afrique est en partie responsable de ce constat. La décolonisation de l’Afrique a été marquée par une instabilité aggravée par les conflits liés à la guerre froide. Pendant la seconde moitié du XXe siècle, la guerre froide ainsi que la corruption et le despotisme en très forte augmentation ont également contribué aux piètres résultats économiques du continent. Faut-il pour autant désespérer de l’Afrique ?

 

Le professeur Robert Kappel, chercheur au Département d’Etudes Africaines de l’Université de Leipzig, établit un sombre pronostic de l’avenir économique de l’Afrique. Son étude montre à quel point le sous-développement des pays les moins avancés (PMA) d’Afrique a des risques de durer. Dans les « pays les moins avancés », le PIB par habitant est inférieur à $ 785, ce qui concerne, en Afrique subsaharienne, 37 pays sur 48. De nombreux PMA africains ont pu, à plusieurs reprises, connaître une croissance ponctuelle du produit intérieur brut (PIB), mais sans que cette croissance soit durable et sans qu’aucun processus de rattrapage ne s’enclenche. On observe cependant des disparités importantes au sein même du groupe des PMA. Il faudrait distinguer les pays les plus pauvres, parmi lesquels on compte l’Ethiopie, le Mozambique et le Tchad, ainsi que ceux déchirés par les guerres civiles (Liberia, Sierra Leone, Rwanda, Congo et Angola). Beaucoup de PMA sont des pays continentaux et nombre d’entre eux connaissent une densité de population très faible (29 pays sur 48 ont une population inférieure à 10 millions d’habitants), d’où une faible demande intérieure. Si l’on prend en compte le PIB réel, la plupart ont tout juste le potentiel économique d’une grande ville allemande. Il n’y a au total, en Afrique subsaharienne, que 5 pays « avancés » : les Seychelles ($ 6450), le Gabon ($ 4170) l’Ile Maurice ($ 3700), le Botswana ($ 3600) et l’Afrique du Sud ($ 2880).

 

Les PMA africains, si l’on prend les indicateurs du développement humain (IDH), tels que la santé, l’éducation et l’espérance de vie, ont connu quelques résultats positifs : espérance de vie plus longue, mortalité infantile en baisse et alphabétisation en progrès. Il faut cependant souligner dans cette performance deux aspects déterminants :

 

D’abord, si l’on compare l’Afrique avec les autres régions du monde, l’amélioration de la performance africaine reste très modeste.

 

Ensuite, la pauvreté continue de progresser : en 1998, environ 290 millions de personnes vivaient avec moins de 1 $ par jour (c’est-à-dire environ 46% de la population africaine); 475 millions de personnes devaient vivre avec moins de 2 $ par jour (= 75% de la population africaine). Même si le PIB progressait de plus de 3%, cela ne suffirait pas à réduire le nombre de pauvres. (Robert Kappel, L’Afrique et le Monde, In. Marchés Tropicaux du 22 mars 2002, pp. 682-688.)

 

Alors que la plupart des économistes s’accordent pour dire que l’Afrique se caractérisait, depuis le milieu des années 1970 jusqu’au début des années 1990, par la stagnation et le déclin, les avis divergent sur les processus de croissance que connaît l’Afrique depuis le milieu des années 1990. De nombreux économistes pensent que le continent serait sur la bonne voie, tels ceux de la Banque mondiale, du FMI et de l’OCDE, qui tentent de montrer que l’Afrique réalise une meilleure croissance qu’auparavant. Les programmes d’ajustement structurels, selon leurs analyses, auraient contribué au retour d’une dynamique de croissance en Afrique et à l’introduction d’un processus de rattrapage.

 

Ainsi le FMI rapporte qu’entre 1970 et 1998, le taux de croissance en pourcentage du PIB réel par habitant a évolué pour l’Angola (-1,9), le Rwanda (-1,3), le Burkina Faso (-0,5), Sao-Tomé-et-Principe (-0,4), le Burundi (-0,3), le Sénégal (-0,4), la République Centrafricaine (-0,3), le Sierra Leone (-2,5), Comores (-0,2), la Somalie (-0,9), la République Démocratique du Congo (-4,3), le Togo (-1,1), la Côte d’Ivoire (0), la Zambie (-2,2), l’Ethiopie (-0,1), le Djibouti (-4,3), le Ghana (-0,6), la  Namibie (-0,6), la Guinée Bissau (-0,1), l’Afrique du Sud (-0,1), le Liberia (-2,0), le Cap-Vert (0,5), Madagascar (-2,0), Swaziland (1,4), le Mali (-0,5), l’Ile Maurice (4,6), le Niger (-0,9), le Botswana (7,3). (Robert Kappel, Ibidem.)

 

Si les taux de croissance moyens du PIB sont effectivement positifs pour la période 1994-1998, 20 pays sur 45 connaissent une croissance inférieure à 1%. La croissance n’a de sens que pour une poignée de pays : Ile Maurice, Botswana, Ouganda et Guinée équatoriale. Sur le long terme, on ne peut guère être optimiste : tous les PMA sans exception enregistrent une croissance négative pour la période 1970-1998. Le calcul est simple : les PMA devraient enregistrer pendant 50 ans une croissance moyenne du PIB supérieure à 7% (à supposer également que la transition démographique se fasse au bout de 35 ans) pour que le PIB par habitant africain moyen actuel passe de 500 $ à 3900 $. Il serait parfaitement irréaliste d’envisager que plus de 10% des PMA puissent atteindre cette croissance. (Robert Kappel, Ibid.)

 

Par ailleurs, les taux d’investissement constituent un indicateur particulièrement important du caractère durable de la croissance. Le niveau des investissements nationaux nets que connaissent les PMA se situe en dessous de celui de la majorité des autres continents. La part du PIB consacrée aux investissements bruts était de 27% au milieu des années 1970, elle est tombée à 17% environ pendant les années 1990. De même, de 1971 à 1998 l’épargne brute globale est tombée de 19% à 15% à peine. L’insuffisance des ressources humaines ainsi que la perte d’experts constituent un handicap majeur pour le développement de l’Afrique. L’espérance de vie dans les pays tropicaux est plus basse qu’ailleurs, les maladies tropicales rendent les conditions sanitaires précaires, le Sida accentue chaque jour ses ravages sur la population active. Plus encore, le développement de la formation reste inférieur à celui d’autres régions du monde. Les conditions de scolarisation dans l’enseignement primaire et secondaire sont déplorables. Le constat est abrupt : le manque très important d’ingénieurs formés et d’employés spécialisés, ainsi que la faiblesse des compétences technologiques disponibles, rendent improbable le décollage des PMA. Dans beaucoup d’entre eux, la productivité du travail a même chuté. Le capital investi par emploi est très faible. Au cours des 25 dernières années, la productivité globale des facteurs de production (PGFP) s’est dépréciée. Les faibles productivités du travail et la faible PGFP suffisent à affirmer encore aujourd’hui que l’Afrique est l’une des régions du monde où la production est la moins rentable, bien que les coûts salariaux y soient faibles. Si l’on y ajoute le coût élevé des moyens de communication et des transports, on comprend que l’Afrique n’ait joué jusqu’à présent aucun rôle dans le système de production mondial. Les prévisions de croissance pour les décennies à venir, en tenant compte de ces facteurs, ne peuvent être que pessimistes (Mkandawire Thandika et Soludo Charles C. « Our continent, our future », Africa World Press, Trenton, 1999).

 

Les PMA africains restent aujourd’hui encore en marge de toute dynamique technologique et l’absence de système moderne de communication et d’infrastructures matérielles physiques rend quasiment impossible toute politique d’intégration volontariste dans le marché mondial. Une comparaison entre l’Afrique du Sud et les autres pays africains démontre l’ampleur du retard : pour atteindre le niveau d’équipement en téléphones que connaît l’Afrique du Sud, il faudrait que 50% du PIB africain soit investi dans ce secteur. On pourrait citer des exemples semblables pour le développement du réseau routier, la construction de ports et d’aéroports, l’équipement en électricité, etc. Les coûts élevés de transport et de communication qui en découlent ont contribué à créer, dans de nombreuses régions du continent, des marchés protégés qui satisfont la demande locale sans avoir à n’affronter aucune concurrence.

 

Parmi les facteurs exogènes essentiels, il faut compter les chocs dus aux variations des termes de l’échange. Les chocs liés aux termes de l’échange sont particulièrement sensibles en Afrique. Si certains pays connaissent, même temporairement, une appréciation importante des termes de l’échange, comme par exemple certains pays exportateurs de pétrole (Nigéria, Guinée équatoriale, Angola, Cameroun), cette appréciation reste un facteur de déstabilisation. Il faut évoquer notamment l’inflation, la hausse des taux de consommation intérieure, l’utilisation toujours plus inefficace des prélèvements publics, l’orientation vers une économie de rente, les espérances mises dans la poursuite des taxations des exportations ; tout cela entretient un système d’exportation composé uniquement de matières premières brutes. (« dutch disease »). Les mesures prises par les Etats pour amortir ces chocs extérieurs n’existent qu’à l’état embryonnaire. Les politiques économiques nationales n’ont connu, pendant les quarante premières années des indépendances, pratiquement aucun succès en ce qui concerne la restructuration des économies et la baisse de la volatilité de capitaux. Les élites gouvernementales comptent en outre sur les revenus procurés par les rentes qu’elles prélèvent sur le commerce extérieur ; étant donné que les investissements directs et les investissements de portefeuille se font attendre, alors même que les banques de crédit restent inaccessibles, ces mêmes élites mettent leur confiance dans l’aide au développement (Fabrizio Coricelli, Massimo di Matteo et Frank Hahn, “New theories in growth and development”, MacMillan, Houndmills, Basingstoke, New York, pp. 97-110).

 

En outre, les programmes d’adaptation des structures (PAS) ont conduit, dans beaucoup de PMA, à une certaine stabilité. Cela s’observe à la chute des taux d’inflation (61% des pays connaissent désormais un taux d’inflation inférieur à 10%), à la réduction des écarts fiscaux à moins de 10% du ratio déficit budgétaire/PIB, à la poursuite de la libéralisation des marchés, à l’ouverture du commerce extérieur, à la suppression des Marketing Boards et à la libéralisation des cours du change, de sorte que, dans la plupart des pays, il n’existe plus de cours de change parallèles (N.J. Asmara, Ottawa, Dakar. Bardhan Pranab, “The contributions of endogenous growth theory to the analysis of development problems : An assessment” 1998). Par contre, la crise de l’endettement des PMA n’est pas résolue. La plupart des PMA d’Afrique sont des PPTE (pays pauvres fortement endettés). Les succès relatifs mentionnés supra, sont dus avant tout aux PAS. Les PAS ont été nécessaires : ils ont permis à des économies, dont la majorité était jusqu’alors fermées, de s’ouvrir ; ils ont contribué à rétablir l’équilibre de la balance des paiements, ils ont réduit les déséquilibres budgétaires et donné aux pays l’impulsion nécessaire pour s’orienter vers l’exportation ; ils ont libéralisé les marchés intérieurs. Mais l’Afrique, malgré l’amélioration de ses résultats économiques, est tombée dans le piège d’une stabilité au niveau faible (SNF) (Wohlmuth Karl, « Die Grundlagen des neuen Wachstumsoptimismus in Afrika » et R. Kappel (Hrsg.), Afrikas Wirtschaftsperspektiven, Institut für Afrika-Kunde, Hamburg, p. 47-72. 1999).

 

Les mesures prises conformément aux principes connus sous le nom de Consensus de Washington n’ont pu aucunement, jusqu’à présent, aider à la hausse des taux d’investissement, à l’accumulation du capital et à la croissance, parce qu’elles se sont concentrées avant tout sur des variables facilement modifiables, comme le taux de change, la politique fiscale et la politique monétaire, au lieu de se donner comme mission première de développer les ressources humaines et les infrastructures et de modifier la structure du commerce extérieur. Résultat : on ne constate aucune croissance de la productivité, on n’enregistre pratiquement aucun succès en matière d’industrialisation, et seuls quelques pays producteurs de matières premières attirent des capitaux étrangers. La pauvreté, surtout, ne se trouve pas réduite.

 

Il existe cependant un bon nombre d’explications théoriques plausibles de la faible croissance de nos pays.

 

D’abord la croissance dépend, selon le modèle Harrod-Domar, des taux d’investissement et, de façon marginale, de la productivité du capital. La croissance peut être accélérée par des taux d’investissement élevés associés à la grande efficacité des investissements de capitaux. Les taux d’investissement africains sont généralement bas. Ensuite, selon le modèle de Solow au contraire, la croissance est le résultat du progrès technique et de la croissance démographique (Hoeffler Anke E., « The augmented Solow model and the African growth debate », Ulpa, University of Leipzig Papers on Africa Politics and Economics, No.43, Leipzig, 2000.). Des taux d’investissement supérieurs à 15% ne sont constatés qu’exceptionnellement, dans quelques pays seulement. Surtout, l’investissement de capitaux est souvent inefficace, conséquence, entre autres, de l’inefficacité des institutions.

 

Les analyses de Langhammer (Langhammer Rolf J. « Wirtschaftsreformen in Afrika : Getragen von der Gunst der Geber ? » Zeitschrift für Wirtschafts- und Sozialwissenschaften, Vol. 116, S. 119-144. 1996.) tentant de prendre en compte le secteur des rentes en mesurant la faible productivité du capital dans le secteur productif d’Afrique montrent que ce sont précisément les pays pauvres en capitaux qui se révèlent être les moins économes de leurs capitaux.

 

Alors que le fonctionnement du modèle de croissance néoclassique se fonde sur l’hypothèse d’une baisse des rendements marginaux du capital et du progrès technique importé, baisse qui empêche toute croissance à long terme, la théorie de la croissance endogène repose, elle, sur des externalités technologiques et sur une croissance imparfaite. Il s’ensuit que, par le biais d’investissements en capital et en travail, on peut introduire une externalité intra-industrielle et inter-industrielle qui conduise à des effets de synergie sur l’ensemble de l’économie. Dans le cas d’une concurrence imparfaite, les firmes sont en permanence incitées à introduire de nouvelles gammes de produits, voire de nouvelles qualités de produits. Les investissements permettent au moins, à défaut de les réduire, de rendre stables les rendements marginaux. La croissance dépend ainsi de la complémentarité entre capitaux physiques et humains. La formation initiale et continue, les dépenses pour la Recherche et le Développement (R&D) et les innovations élargissent la base de la création de richesse (Robert Kappel, Id.). Seulement la complémentarité entre investissements en capital humain et dépenses de R&D dans les secteurs de l’économie privée n’existe pratiquement pas dans notre continent. Cela s’explique en particulier par le nombre toujours aussi élevé d’entreprises d’Etat, mais aussi par une politique de privatisation dont l’efficacité laisse à désirer (Prof. Moussa Samb « La privatisation des services publics en Afrique Subsaharienne : à l’heure des bilan » In. Mirador du Monde Contemporain N° 01, pp. 156-167. Dakar, Février-Mars 2009.) par la réticence éprouvée à promouvoir le secteur privé, ainsi que par un désintérêt complet pour la promotion de l’innovation et de la recherche dans les entreprises et les institutions étatiques.

 

Au plan socio-économique, Nous nous trouvons, depuis nos indépendances, dans un processus de transformation socio-économique qui se caractérise par une urbanisation en très forte hausse et par la croissance du secteur informel. L’espace rural connaît une forte déprise agricole, la productivité est faible et les chances de survie en milieu rural sont à maints égards extrêmement faibles. Et bien que les villes aient été privilégiées grâce aux infrastructures matérielles, à un accès plus facile à l’eau potable, aux soins médicaux et à l’école, les populations urbaines sont, elles aussi, pauvres. La majorité des populations se trouvent contraintes d’opter pour des stratégies mixtes afin d’assurer leur survie. Les formes que prend ce phénomène sont variées, mais elles mettent toutes en évidence l’exclusion de ces populations de l’économie moderne. Les réseaux familiaux, les clans, les groupes ethniques et les réseaux religieux jouent un rôle essentiel lorsqu’il s’agit de surmonter des problèmes liés à la survie. Dans un contexte où le secteur informel est l’économie dominante, on peut distinguer schématiquement trois domaines :

 

En premier lieu, le secteur moderne (SM) qui se caractérise par une forte intensité de rendement des capitaux. Les conditions de travail y sont régulées et les prix fixés par le gouvernement. Celui-ci joue un grand rôle dans la protection du secteur moderne et exerce actuellement le monopole de la régulation. De nombreuses entreprises du SM ne sont pas rentables et l’utilisation des capacités est faible. Les PAS ont favorisé la restructuration du SM. De nombreuses entreprises d’Etat ont été privatisées.

 

En deuxième lieu, le secteur de survie ou secteur de subsistance (SS) qui absorbe le surplus de main d’œuvre. La productivité est très faible. Il n’y a pas d’accumulation du capital. La plupart des gens tentent d’assurer leur survie en adoptant des stratégies à risques.

 

En troisième lieu, le secteur informel (SI). Le fonctionnement des facteurs de production montre des procédés de production où l’intensité du travail est plus importante que l’intensité du capital. Les PME emploient le plus souvent des membres de la famille ou des salariés mal payés. Le SI se différencie entre autres par la libéralisation et la dérégulation des marchés. Un petit secteur moderne (SI moderne) commence à se former dans le domaine manufacturier et dans le secteur des services. Certaines PME font preuve d’innovation ; elles utilisent les technologies modernes et elles satisfont la demande croissante des agglomérations urbaines. Parce qu’elles ont une bonne connaissance de la réalité locale et que leur production est peu coûteuse, elles peuvent également concurrencer les exportations étrangères. Les PME productives couvrent une part croissante du marché, mais moins de 5% des PME sont en mesure de continuer à se développer (Liedholm Carl et Mead Donald C. « Small enterprises and economic development. The dynamics of micro and small enterprises ». MacMillan, London, New York. 1999).

 

Les entreprises non productives du SI continuent à constituer un secteur de transition vers le secteur de subsistance. Les résultats nécessaires à la croissance du SI proviennent d’une part de la migration de la population rurale vers les villes, d’autre part de la croissance démographique urbaine. Les jeunes qui ont terminé leur scolarité ne trouvent pas d’emploi dans le SM et sont par conséquent obligés de s’insérer dans le SI pour survivre. Le passage du SI vers le SS est souple, de même qu’entre SI et SI moderne. SI moderne, SI et SS se développent surtout dans les agglomérations. Il faut considérer comme une forme nouvelle du développement économique ce qu’on appelle les « clusters » industriels (structures en nids d’abeilles ou réseaux industriels locaux). Les réseaux forment un environnement favorable au développement de l’innovation et de la capacité concurrentielle des PME. Les études menées sur la formation des réseaux mettent en évidence que le succès d’une industrie n’est pas assuré seulement par la productivité de chaque entreprise, mais bien par l’interaction d’un nombre important d’entreprises qui sont reliées entre elles horizontalement et verticalement. Les conditions et les originalités spécifiques d’une région, comme par exemple les réseaux intrarégionaux et les diverses formes de coopération, tout comme les traditions historiques, économiques et culturelles ainsi que les niveaux de qualification sont déterminants pour le développement régional de la croissance et de l’emploi. Les succès de tels développements industriels sont liés à un milieu particulier de coopération et d’innovation. Ils augmentent l’efficacité collective.

 

La faiblesse que connaît jusqu’à présent le taux d’urbanisation en Afrique, la taille limitée des marchés intérieurs de la demande et la structure périurbaine n’ont jusqu’ici donné d’élan à aucun développement économique particulier. Pourtant, il semble que des potentialités se forment dans les villes. Si l’émergence de réseaux constitue une preuve de cette nouvelle dynamique, cela ne veut pas dire pour autant que les réseaux constituent la voie royale pour le développement des entreprises : les réseaux africains font montre jusqu’ici de nombreuses faiblesses, et ce n’est que dans quelques pays que certains réseaux ont pu être couronnés de succès (Mc. Cormick Dorothy, « African enterprise cluster and industrialization: Theory and reality », World Development, Vol. 27, pp. 1531-1591. (1999)).

 

Les plus gros problèmes que connaissent les Pays les Moins Avancés  (PMA) d’Afrique sont les suivants: carences des institutions, développement insuffisant de l’économie, droits de propriété incertains, manque de compétences techniques, faible niveau d’acquisition de savoir technologique et faiblesse des effets exogènes en raison d’une faible demande du marché. La faiblesse de l’intégration verticale dans le secteur formel ainsi que celle de l’intégration horizontale sont également des facteurs limitant le développement. Les PME des réseaux sont en outre la plupart du temps des entreprises familiales qui doivent répondre aux besoins de leur propre clientèle familiale et n’arrivent pas, par conséquent, à franchir le seuil de l’accumulation du capital.

 

A côté des activités économiques informelles, il existe une part importante de marchés illégaux qui connaît depuis quelque temps une forte croissance (contrebande, vol, prostitution, trafic d’armes, trafic de voitures, trafic de drogue et d’alcool, détournement de fonds publics à usage privé). De nombreux hommes politiques et fonctionnaires, en Afrique, sont partie prenante de ces activités (Bayard Jean-François, Ellis Stephen et Hibou Béatrice, « La criminalisation de l’Etat en Afrique », Ed. Complexe, Bruxelles. 1997).

 

Au plan de l’urbanisation, le processus a connu de nouvelles tendances ces deux dernières décennies. On l’observe en particulier en Afrique australe et occidentale. Cette urbanisation se fait en dehors de toute planification rationnelle ; elle n’est le plus souvent liée à aucune nouvelle infrastructure. On peut, malgré tout, y trouver les germes d’une nouvelle dynamique économique. Selon les découvertes les plus récentes en analyse spatiale (Fujita Masahisa, Krugman Paul et Venables Anthony J., « The spatial economy. Cities, regions, and international trade », MIT-Press, Cambridge, Mass. & London 1999.), ces concentrations spatiales ainsi que la diminution des coûts de transport et les possibilités d’économies d’échelle, contribuent au développement d’une métropole économique dynamique et à l’émergence de noyaux industriels. Peut-on reconnaître les prémices d’un tel processus dans les PMA africains ? Il semble bien, malheureusement, que non. L’impulsion devrait venir de la croissance de la demande qui accompagne l’urbanisation. Bien que cette demande provienne en grande part des revenus des pauvres (auxquels il faut ajouter ceux d’une classe moyenne qui croît lentement), elle représente une croissance potentielle pour les PME locales, qui augmentent leur production de biens de consommation mais aussi de biens d’équipement. Or dans presque tous les PMA africains, le processus d’urbanisation est marqué par des déséquilibres, une répartition inégale des revenus, de violents conflits sociaux qui empêchent le phénomène de se développer.

 

Lors des trente dernières années, les structures du commerce extérieur et de la production n’ont pas connu de transformation significative. En Afrique, les exportations sont toujours composées essentiellement de matières premières ; il faudrait viser à tirer profit de la grande valeur de ces ressources naturelles pour en réduire les effets négatifs. Le Botswana l’a montré : les recettes provenant des matières premières furent utilisées pour modifier les structures économiques, empêchant le pays de tomber dans le « syndrome hollandais ». La mise en place d’une économie de rente a ansi pu être évitée : grâce à la libéralisation les entreprises locales et étrangères investirent dans l’industrie et dans le secteur des services.

 

Les potentialités technologiques se trouvèrent alors étendues et les compétences technologiques maîtrisées ; l’importation de capitaux ainsi que de nouvelles technologies contribua au succès économique. Le dilemme des PMA est le suivant : si l’on renforce les investissements dans le capital humain, alors même que la demande en techniciens qualifiés, en ingénieurs, en experts et en diplômés de gestion d’entreprises diminue, on aboutit à un excès de l’offre. La formation de la population active coûte cher, surtout lorsque la main d’œuvre qualifiée quitte le pays (fuite des cerveaux). Pour éviter cela, l’Afrique doit s’efforcer de compléter les nécessaires réformes macroéconomiques par des investissements dans la formation et dans l’infrastructure, par d’actives interventions dans la politique de croissance et par des mesures de nature microéconomique, cela afin d’améliorer l’environnement économique offert aux entreprises (surtout aux PME). Dans d’autres secteurs, où l’on produit avant tout des biens nécessitant du savoir-faire, des entreprises étrangères peuvent, par le biais de leurs investissements, accroître la demande en main-d’œuvre qualifiée.

 

Le rôle que les théories de l’économie du développement assignent à la répartition des revenus dans le développement économique a été souvent controversé. Certains théoriciens du développement soutenaient que l’inégalité pouvait contribuer à augmenter la croissance, les riches investissant davantage que les pauvres. Lipton insiste au contraire sur le fait que l’explosion urbaine revient en fait à un transfert du surplus des productions agricoles des espaces ruraux vers les espaces urbains. Ce à quoi il ajoute que les capacités productives des pauvres à la campagne ne sont plus utilisées de façon rentable (Lipton Michael, « Why poor people stay poor », Temple Smith, London. 1977.). La thèse de l’explosion urbaine de Lipton a été maintes fois contredite, car, en raison du processus d’ajustement structurels, le rapport des prix aurait évolué en faveur des agriculteurs, et la population rurale en aurait par conséquent aussi profité. La chute relative des revenus en ville et la hausse des revenus à la campagne auraient plutôt atténué les inégalités en Afrique. De nouvelles études confirment à présent que des inégalités trop importantes sont plutôt préjudiciables à la croissance (Aghion Philippe, Caroli Eve et Garcia Penalosa Cecilia, « Inequality and economic growth : The perspective of the new growth theory », Journal of Economic Literature, Vol. 37, p. 1615-1660. 1999), tandis que de faibles inégalités ont tendance à favoriser la croissance ; on met du moins des limites à l’efficacité de la politique de redistribution. Dans les pays très pauvres en effet, même un système d’impôt très progressif incite peu les catégories de population à faible revenus à investir. Dans le cas où les bénéficiaires de hauts revenus sont empêchés d’investir, la capacité de croissance de la société se trouve même réduite. Deinigner et Squire (Deinigner Klaus et Squire Lyn « A new data set measuring income inequality », The World Bank Economic Review, Vol. 19, pp. 565-591. 1996.) ont fait des analyses comparées des inégalités en Afrique et, ce faisant, ont avant tout mis l’accent sur l’inégalité, au départ, de la répartition spatiale des richesses ; ce sont ces disparités spatiales qui auraient des effets négatifs sur la croissance. En revanche, d’après les deux auteurs, le lien de cause à effet entre disparités des revenus et croissance économique ne serait pas aussi marqué. Les conséquences des disparités spatiales des richesses ne se retrouvent pas seulement dans la disparité des régions, mais se poursuivent aussi sur les marchés financiers.

 

L’accès au crédit dépend de la propriété foncière et l’on pourrait ajouter, dans le cas du secteur des PME, de l’absence de propriété foncière, à laquelle on recourt comme gage de sécurité. Les investissements dans le capital physique et humain sont donc rendus plus difficiles. En outre, étant donné la corrélation négative, et cela est significatif, entre l’inégale distribution spatiale et le niveau de formation, les effets d’exclusion du marché du crédit sont particulièrement marqués. Les conséquences de ce modèle sont les suivantes :

 

  • Il est nécessaire de modifier la répartition des revenus qui rend possible l’accès au marché des capitaux et encourage parallèlement les investissements et la croissance économique.

 

  • Les mesures de redistribution ne doivent pas freiner la capacité d’investissement.

 

Même si le tableau que nous venons de dresser est quelque peu sombre et accorde une toute petite place à l’espoir, l’on peut tout de même, en se basant sur les données récentes, constater des taux de croissance plus élevés dans certaines parties du continent. A la question faut-il désespérer de l’Afrique, nous pouvons dès lors répondre par la négative au moins pour les raisons que dessous.

 

D’abord la Banque Mondiale signale que l’économie de certains pays africains sub-sahariens a pu connaitre des taux de croissance similaires à la moyenne mondiale. Les économies des nations africaines au développement le plus significatif ont connu des taux de croissance sensiblement supérieurs à la moyenne mondiale. Parmi ces nations en 2007, figurent la Mauritanie (croissance de 19.8%), l’Angola (17.6%), le Soudan (9.6%), le Mozambique (7.9%) et le Malawi (7.8%). De nombreuses agences internationales portent un intérêt accru aux économies africaines émergeantes, particulièrement si l’on prend en compte le maintien de taux de croissance élevés en dépit de la récession économique mondiale.

 

Il y a cependant un effort à faire et une réorientation des politiques économiques dans beaucoup de pays africains dans les domaines de l’innovation technique et technologique et, sans avoir à réinventer la roue, de la mise en place de conditions d’appropriation des savoir-faires importés du reste du monde. Le constat est cependant fait. L’appropriation d’un savoir technique importé grâce à un transfert de savoir-faire est souvent rendue impossible dans nos pays. Des chefs d’entreprise innovateurs, pour peu qu’ils se trouvent dans un contexte d’innovation, peuvent être des moteurs de croissance. Cela suppose un système national d’innovation qui relie la science, l’économie, le système de formation initiale et continue, proposée par les entreprises ou par des organismes de sous-traitance, ainsi que la promotion de la recherche par l’Etat. C’est ce modèle qui a permis aux nouveaux pays industrialisés (NPI) de connaître le processus de rattrapage économique qui a été le leur. L’insuffisance des systèmes nationaux d’investissement sur notre continent et la réorientation des chefs d’entreprises innovateurs vers des domaines liés au détournement des rentes ont eu comme conséquence, dans les secteurs productifs, le retrait d’importantes ressources.

 

En conclusion, on peut retenir cependant que l’Afrique se différencie de plus en plus des autres continents. Collier et Gunning (Collier Paul et Gunning Jan Willem, « Explaining African economic résultat », Journal of Economic Literature, Vol 37, pp. 64-111. 1999) ont regroupé les différents pays en quatre groupes. Le premier groupe de pays, constitué de pays politiquement instables, voire touchés par les guerres, a fortement réduit la croissance africaine globale. La croissance de la productivité du travail a été durant les vingt dernières années d’à peine 0,8%. Le deuxième groupe a certes atteint la stabilité politique mais n’a pas encore amélioré de façon satisfaisante ses structures macroéconomiques. Dans ce groupe, la productivité du travail croît actuellement de 2,7%. Le troisième groupe comprend des pays dont la politique d’allocation des ressources (cours du change, secteur financier, marché des facteurs de production et des produits, entreprises semi-publiques, dépenses publiques) s’est améliorée. Ces pays enregistrent une croissance de la productivité du travail de 4,2%. Les autres pays sont ceux qui remplissent tous les critères et dont la croissance se situe à 4,7%. Ce dernier groupe comprend, les PMA suivants : Bénin, Burkina Faso, Cap Vert, Côte d’Ivoire, Ethiopie, Gambie, Ghana, Guinée-Bissau, Mali, Mauritanie, Sénégal et Ouganda. Les auteurs de cette enquête concluent en disant que la faible croissance en Afrique doit être imputée aux insuffisances de la politique macroéconomique. Si les PMA avaient suivi la politique économique de l’Ile Maurice et du Botswana et avaient adopté une gestion des risques semblable, leur croissance aurait été de loin plus importante.

 

Je propose personnellement cependant, une répartition en cinq catégories, reposant sur la prise en compte du taux de croissance du PIB, du PIB/habitant, du taux d’investissement, de la productivité, de l’indice de développement humain et de la répartition des revenus.

 

  1. Economies africaines émergentes. En nombre très réduit, elles se trouvent en situation de rattrapage économique. Seuls deux pays insulaires (Ile Maurice et Seychelles) appartiennent à cette catégorie en 2000.

 

  1. Pays à réforme potentielle : ce groupe comprend le Botswana, la Namibie, l’Afrique du Sud, le Lesotho, le Gabon, le Cap Vert, le Ghana et la Guinée équatoriale. A condition de poursuivre les réformes économiques en cours, ce groupe de pays peut tout à fait réaliser une croissance plus élevée du PIB et augmenter ses exportations. Au delà d’une certaine durée, il faudra un taux de croissance de 6-8% pour pouvoir sortir de la spirale de la pauvreté, de la croissance démographique élevée et des faibles investissements. Cela est surtout difficile pour les pays dont l’économie repose essentiellement sur la vente de matières premières, car il faut y prendre des mesures politico-économiques anti-« syndrome hollandais ».

 

  1. Pays à faibles revenus chroniques et à faibles chances de développement (PFCD) : ce groupe (environ un quart de tous les Etats africains) se caractérise par la stagnation. Les indicateurs de croissance sont tous faibles. Parmi les PFCD, on compte également l’Ouganda, dont les effets de la croissance sont réduits à néant par l’engagement militaire au Congo ainsi que par des tensions internes. A cela s’ajoutent des coûts de transactions et de transports élevés dus à la situation continentale de l’Etat. Ces facteurs handicapent le développement ougandais, tout autant que le manque de formation de la population. En outre, le régime néopatrimonial n’est, de façon évidente, plus en mesure d’entreprendre des réorientations en terme de politique économique. L’Ouganda, dans de telles conditions, ne pourra pas accomplir de processus de rattrapage et restera durablement un PMA. Il en va de même pour d’autres pays comme par exemple la Côte d’Ivoire.).

 

  1. Pays à faibles revenus chroniques à chances de développement à long terme inexistantes (PCDI) : plus d’un quart de l’ensemble des Etats appartient à ce groupe. La plupart d’entre eux vont rester prisonniers du piège de la croissance. Ils se trouvent dans un cercle vicieux de pauvreté et de conflit. Même si l’on fait la supposition irréaliste que les taux de croissance moyens progressent de 3% sur une période de 50 ans, cela suffirait à peine à réduire la pauvreté.

 

  1. Pays où les perspectives (actuelles) sont nulles (PPN) : ce groupe comprend également environ un quart de l’ensemble des Etats. Il s’agit entre autres de la Sierra Leone, de l’Angola, du Liberia, du Burundi. Les pays des groupes C, D et E (un peu plus de 4 pays africains sur 5) sont tous des PMA, à l’exception du Swaziland. Il seront à peine en mesure d’amorcer un processus de rattrapage, bien que, dans beaucoup d’Etats, de nouvelles orientations aient été mises en place grâce à des programmes de stabilisation.

 

Ces difficultés reflètent les problèmes fondamentaux suivants :

 

  • Ces pays sont le plus souvent caractérisés par la « persistance du dysfonctionnement institutionnel » (BARDHAN, Pranab (2000), « Understanding underdevelopment : Challenges for institutional economics from the point of view of poor countries », Journal of Institutional and Theoretical Economics, Vol. 156, p. 216-244.). Les résultats empiriques montrent combien la transformation socio-économique et la mise en place d’institutions sociales n’ont jusqu’à présent pas été durables. On observe presque partout la persistance de logiques rentières et néopatrimoniales. La stabilité politique, l’assurance des droits de propriété et le fonctionnement d’institutions qui soient orientées vers le développement constituent les conditions nécessaires à tout développement. Si ces conditions font défaut, aucune croissance durable ne sera possible.

 

  • Les faibles niveaux d’accumulation du capital seront accompagnés de la faible croissance de la productivité générale des facteurs de production.

 

  • Le faible niveau de développement des ressources humaines est un facteur handicapant, car il réduit les chances de développement des PMA. Pour assurer croissance et développement, l’Afrique doit s’appliquer à renforcer ses efforts pour améliorer la qualité de la formation technique et de la recherche, ainsi que de la formation professionnelle.

 

  • La hausse dramatique du taux d’urbanisation que connaissent presque tous les PMA se caractérise par le développement du secteur informel urbain et du secteur agraire péri-urbain. Ces deux secteurs font également montre de productivités très faibles. L’accumulation du capital est très faible.

 

Au niveau microéconomique, c’est le secteur informel qui continue de prédominer. Le développement croissant de la transformation socio-économique et de l’urbanisation porte en germe les conditions d’une modernisation et d’une plus grande capacité de concurrence, mais le décollage ne se fait pas de façon automatique. Là se trouve le danger que le manque de stabilité macroéconomique et la persistance d’une économie de rente ne renforcent les dysfonctionnements du secteur informel. L’économie informelle, les activités économiques illégales et les économies de temps de guerre se renforcent les unes les autres et, dans de nombreux Etats, gangrènent entièrement la vie économique. La stabilité politique et économique ainsi que l’orientation de l’Etat vers le développement peuvent toutefois permettre de développer les potentialités présentes dans les agglomérations urbaines et de mettre en route une dynamique de croissance endogène.

 

  • Le manque de diversification est une caractéristique essentielle des PMA, bien que certains pays produisent depuis peu une petite gamme de produits finis et parviennent même à les exporter (Elbadawi, Ibrahim A. (1999), « Can Africa export manufactures ? The role of endowment, exchange rates and transaction costs », World Bank Policy Research Working Papers, WPS 2120, Washington, D.C).

 

  • La faible contribution de la productivité globale des facteurs de production (PGFP) à la croissance économique correspond aussi à un faible taux d’investissement et d’épargne. Les taux d’épargne intérieure sont dans de nombreux PMA plus élevés que les taux d’épargne nationale. Cela signifie que l’endettement est élevé et que les intérêts et les taux d’amortissement jouent un grand rôle. Nombreux sont les PMA qui versent une grande part des revenus de leurs facteurs de production à leurs créanciers étrangers. Il s’ensuit que les investissements ne peuvent pas être financés par les épargnes nationales. La performance des investissements est par conséquent fortement conditionnée par des importations de capital, qui proviennent essentiellement de l’aide au développement.

 

Dans de nombreux PMA, des entreprises d’Etat ont connu des pertes structurelles et causé de ce fait les déficits budgétaires, qui ont été comblés à leur tour par les épargnes internes. Qui en ont privé les investisseurs privés.

 

  • Nombreux sont les PMA qui font confiance à l’aide au développement, car les investissements directs, les investissements de portefeuille et les crédits bancaires constituent des exceptions. Des emprunts non remboursables, qui affluent de différentes manières vers les élites néopatrimoniales sous la forme de revenus de rentes, sont souvent placés de façon peu rentable et créent des institutions parallèles.

 

  • L’ouverture économique et la stabilisation macroéconomique ont libéré les potentialités et permis une plus grande croissance, mais cette ouverture n’est pas encore parvenue à un stade  suffisamment avancé. Sans stabilité macroéconomique, l’accumulation du capital restera faible ; sans une plus forte intégration dans le marché mondial, les PMA ne seront pas exposés à la concurrence et les transferts de technologie et de capitaux feront défaut, à tout le moins seront très faibles.

 

La politique économique nationale peut, grâce à des mesures ciblées, compenser les difficultés structurelles comme la faible dotation en matières premières, le coût élevé des transports, la forte croissance démographique, le taux de maladie très élevé et la faible espérance de vie sous les tropiques. L’Afrique peut se sortir de la stagnation (SNF) et du piège de la pauvreté si, par ce changement d’orientation, elle augmente ses taux d’investissement, surtout les investissements privés, et si elle améliore la formation de sa population, ses infrastructures et son système social.

 

  • Une donnée essentielle du sous-développement reste la très grande inégalité des revenus et des richesses qui, d’après toutes les estimations, va augmenter durant les prochaines années en raison des migrations campagne-ville. Cela accroît le risque de troubles politiques et donc de risques économiques. Les inégalités peuvent être réduites à condition de garantir les droits propriété, de rendre sûres les institutions, de permettre l’accès au crédit et de donner une plus grande marge de manoeuvre à la politique.

 

Le constat est sans appel : l’Afrique est tombée dans le piège de la pauvreté. Dans les sociétés africaines contemporaines prédomine une structure sociale qui, organisée sur la base du clientélisme, se révèle être un frein à l’augmentation de l’épargne, aux investissements et à la hausse de la productivté.

 

Davantage d’aide au développement ne peut rendre possible aucune impulsion décisive de la croissance, de quelque nature qu’elle soit. Ce sont des changements préalables, tant politiques qu’économiques, qui sont nécessaires pour résoudre les distorsions et les blocages actuels, afin de rendre possibles, sur cette base, de véritables transformations socio-économiques. De tels processus sont inexistants dans la quasi-totalité des PMA, pour lesquels tout optimisme concernant la croissance semble donc devoir être écarté.

 

Cependant, des économistes africains comme Abdoulaye Wade, Président de la République du Sénégal, les Congolais Aimé Mianzenza, Directeur du Centre d’Etudes Stratégique du Bassin du Congo (CESB), Gildas Biondi, professeur d’Economie et chercheur au Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS – France), Désiré Mandilou chercheur au CESB, Emanuel Kunzumwami économiste et professeur des universités en France ; les Sénégalais Macodou Ndiaye, professeur de Géostratégie à l’Ecole de Guerre de Paris et Souleymane Astou Diagne, professeur d’Economie à l’université Picardi Jules Verne, soutiennent que l’Afrique doit d’une certaine manière s’affranchir de l’aide au développement. Avec près d’un milliard d’habitants et autant de consommateurs, 860 milliards dépensés en produit de consommation en 2010, 60% des terres arables du monde, et avec une estimation de 1000 milliards 400 millions de dépense en produits de consommation à l’horizon 2020 (Lions on the move : The Progress and potential of African Economies, McKinsey Institute et al, 2010), l’Afrique doit à l’état actuel, selon ces mêmes économistes, jouer un rôle non négligeable dans la géopolitique mondiale. Face au nouvel enjeu économique mondial, à la volonté de présence de la Chine en Afrique, aux désirs géopolitiques de l’Europe, aux chiffres rassurants avancés par l’étude de McKinsey Institute, et à la position géostratégique de l’Afrique, point alors n’est question de désespérer. L’Afrique a eu de la grandeur dans son passé comme elle en a dans son présent, l’avenir nous en réserve probablement encore. Il ne suffit que de travailler à l’émergence d’un nouveau système de gouvernance.

PIERRE HAMET BA

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Cronos et Pape Diop

Les Sénégalais, peuple le plus bavard de la terre aux dires d’un diplomate Français, aiment gloser sur leur Président du Sénat. Sur lui, on a tout dit ou presque rien. On le dit tantôt né à Mbour. Tantôt à Mboss ou  à Kaolack en 1954, d’un père marabout décédé très tôt alors que le jeune Moustapha, de son vrai nom dit-on, avait à peine 4 ans. Elevé par une tante à Thiès, il est confronté très tôt aux dures réalités de la vie. Pauvre jeune homme, sans grand bagage intellectuel, il parvient tout de même à obtenir son diplôme de comptable à l’Institut Universitaire de Technologie (IUT) en 1976. Faux, rétorqueront certains contempteurs qui parlent d’une biographie arrangée. Son cursus scolaire se serait arrêté au brevet élémentaire. Il aurait exercé de petits métiers, fait du commerce de détail, aurait travaillé à l’ONCAD, géré une station service. Un ensemble de suppositions qui ne permettent pas d’établir avec certitude le parcours du bonhomme. Toutefois, les sources concordent en ce qu’il ait tout de même créé la SOUMEX (Soumbédioune Export), société spécialisée dans l’exportation de produits halieutiques vers l’Europe. En somme, Pape Diop est un goorgoorlou parvenu. Dans la petite histoire politique du Sénégal, le fait est assez singulier pour ne pas mériter attention. Comment, un homme du peuple, que rien apparemment ne destinait à la politique, s’est-il retrouvé dans le cercle si restreint des décideurs de notre pays ?

 

En 1993, Pape Diop obtient son premier mandat de député à l’Assemblée Nationale. Quand survient l’Alternance en 2000, il devient maire de Dakar. Peu après, il se voit propulsé au perchoir de l’Assemblée Nationale. Mais à l’époque, la problématique de la succession ne se posait pas encore. Il était naturellement admis que le Président Abdoulaye Wade allait être remplacé par Idrissa Seck. Mais ce dernier se rendit vite compte que son mentor n’avait pas l’intention de céder le fauteuil présidentiel après un mandat de 7 ans.

 

Commence alors un épisode de stratagèmes politiques qui atteint son paroxysme à la sortie de «Wade, un opposant au pouvoir ou l’alternance piégée ?». Pape Diop, alors président de l’Assemblée Nationale, s’exprimant sur la diatribe de Coulibaly, déclare n’avoir pas lu le livre du journaliste mais que ce dernier avait pour but tout ensemble de mettre en mal le Président de la République et son Premier Ministre d’alors : Idrissa Seck. Ce dernier, ne tardera d’ailleurs pas à être accusé d’avoir commandité l’ouvrage signé par Abdou Latif Coulibaly.

 

Revenant de vacances, le Président de la République déclare qu’«Il y a une main derrière Latif» et que bien des gens qui lui sont dévoués allaient prendre sa défense. Bientôt, la riposte s’organise. Ndiogou Wack Seck est appelé à la rescousse. Il crée «Le Messager», quotidien d’informations générales, puis le quotidien «Il est midi». N’ayant de cesse de critiquer le désormais ex premier ministre, Ndiogou Wack publie le scandale des chantiers de Thiès. Le Parti Démocratique Sénégalais (PDS) implose. Idrissa Seck est remercié de la primature, écarté de la direction du parti, puis emprisonné. Abdoulaye Wade est désormais seul. Plus d’homme de main. Plus de successeur connu. Plus de dauphin, si tant est qu’il en eût eu. Et la question de la succession fait alors surface.

 

Comme s’il souffrait de quelque chose, le Président Wade se met à nommer et à remercier à tout va. Les anciens ennemis deviennent de nouveaux amis. Et les amis, de nouveaux ennemis. Vraisemblablement, Wade a perdu toute capacité à faire confiance à ses proches collaborateurs. Et le voilà qui ne va pas tarder à s’agripper à ce qu’il pourrait mieux maitriser : son fils.

 

Dans la perspective des élections de 2007, Wade exécute ses plans. Après Moustapha Niasse, Mame Madior Boye, personnage apparemment neutre, se charge de la primature en attendant que le Pape du Sopi éteigne le feu qui lui brûle la barbe : les alliés de l’alternance sont maintenant devenus des opposants. Mais survint le drame du Diola. Et Wade, fortement influencé par Idrissa Seck qui convoitait la primature, en profite pour faire payer les pots cassés à Madame Boye. C’est maintenant la dernière ligne droite vers 2007 et il faut neutraliser Idrissa Seck qui menace de décimer le PDS aux prochaines élections. Macky Sall est parachuté à la primature et la contre attaque s’organise à Thiès avec Abdou Fall comme fer de lance. Mais jusque là, une question demeure sans réponse : quel successeur ?

 

L’âge avancé du Président de la République ne facilite pas les choses. Tantôt les opposants en font un argument contre sa réélection. Tantôt, ce sont ses propres militants qui agitent la question, prétextant que la bibliothèque Wade n’a pas fini de nous livrer ses secrets. De manière inavouée cependant, l’entourage de l’avocat Président n’est pas loin de penser comme l’opposition. La question reste donc taboue. Mais dans l’entourage du président, on se prépare, on se mesure à soi-même, on se mire et on se dit que ce n’est pas impossible, on rêve, le pouvoir semble être accessible à tous. Chacun veut succéder au père épuisé et affaibli par le départ de son directeur de campagne de l’année de gloire. Le jeu consiste maintenant à se hisser à une place assez stratégique pour être parmi les favoris, un certain jour J. Quelque chose comme un syndrome du possible commence à ravager le PDS. En effet, ils pensent tous que le pouvoir est désormais dans la rue et qu’il suffit seulement de prendre la peine de se baisser pour le ramasser. Seulement, Wade est bien vivant.

 

Profondément atteint par les attitudes de ses proches, plus enclins à profiter de ses largesses qu’à prendre des coups à sa place, le Président Wade s’en indigne et tombe dans un état d’angoisse post-traumatique. Il ne fait plus aucun doute, Wade a perdu confiance en ses compagnons. Comme dans la plupart des cas d’angoisse post-traumatique, il tombe dans ce qu’on appelle le «phénomène de régression» et développe alors une profonde nostalgie d’un univers de type maternel. C’est-à-dire clos et protecteur. Et, cette quête ne peut trouver d’autres objets adéquats que le groupe familial. A défaut donc de pouvoir se blottir physiquement contre le corps maternel, il se blottit psychologiquement dans la grande matrice sociale qu’est le lignage. D’où la solution qu’il pense avoir trouvé en la personne de Karim Meïssa Wade, son fils. Mais comment approcher de la scène politique une personne qui s’en est toujours tenue trop éloignée ? Telle est la problématique qui semble désormais hanter le sommeil du Président de Me Abdoulaye Wade.

 

———

 

Le Sénégal occupe la présidence de l’OCI et doit abriter la rencontre des chefs d’Etats de la même organisation. Une agence est créée pour organiser la conférence et Karim Meïssa Wade en devient le Président. Comme pour le mettre à l’abri d’éventuels scandales financiers, on lui colle un secrétaire exécutif qui, de fait, cumule sa nouvelle fonction avec celle de Secrétaire Général de la Présidence. L’OCI devient vite un prétexte pour tout. Un véritable fourre-tout qui allie les allures d’un centre d’œuvres de charité et d’un ministère du développement social : distribution de denrées alimentaires, organisation d’aide aux mosquées, associations et organisations de masse bénéficiant des largesses de son Président. Rapidement, le clientélisme se développe autour de Karim Meïssa Wade. Des organisations de soutien naissent partout sur le territoire national. Le président de l’ANOCI est désormais sur la sellette. Des personnalités politiques commencent à se constituer en troubadour du nouveau sultan du sahel. Et certains d’entre eux comme Adama Bâ, maintenant ex maire de Gueule-tapée-Fass-Colobane et Amadou Tidiane Wone, piètre ministre de la Culture emporté par la vague déferlante qui chavira le Diola, ne tardent pas à invoquer ce qui pourrait être symptomatique du syndrome du possible : «Pourquoi pas Karim ?».

 

Un véritable pêle-mêle de stratégies de popularisation d’un illustre inconnu politique fait alors jour. Comme s’il voulait prouver quelque chose aux Sénégalais, Karim Meïssa Wade duplique les actions sur l’ensemble du territoire national. Mais la presse sénégalaise décèle en ses actes, une véritable démarche politique qui nourrit alors les supputations les plus folles sur son éventuelle préparation à la succession du Président Wade. Le débat successoral revient ainsi à la Une. Comme si leurs propres parents avaient mené leur existence dans le virtuel, les acolytes du Président de l’ANOCI créent, en catimini d’abord puis en grande pompe, la Génération du Concret. Une organisation dont le but reste encore aujourd’hui inavoué, quand bien même les observateurs y voient un parti politique en dormance. Et visiblement, Karim M. Wade n’est pas sans s’en plaire. Il ne confirme ni n’infirme les ambitions qu’on lui prête.

 

Dans cet imbroglio politique, Pape Diop est le parfait pion. Petit de taille, le visage rond et poupin, peu disert et mauvais orateur, personnage effacé et presque falot, il déclare n’avoir d’autres ambitions que de servir le Président Wade. Il a bien le profil d’un successeur constitutionnel sans d’autres objectifs sinon d’organiser les élections s’il arrivait malheur au Président de la République (que Dieu l’en garde).

 

Mais l’angoisse post-traumatique ne s’est pas encore dissipée. Abdoulaye Wade, à l’instar du Dieu Cronos, se met à dévorer ses propres enfants. Dès que la presse, les associations de soutien où même les griots vantent les mérites d’un des leaders de son parti, il prend peur. Le syndrome Idrissa Seck réapparaît à ses yeux, son traumatisme refait surface, l’angoisse l’envahi et il dévore.

 

Dans la trilogie syndrome-traumatisme-angoisse, Wade fortifie ses défenses. Il manigance maintenant pour écarter Macky Sall qui venait de contribuer fortement à la victoire du PDS et de ses alliés lors des élections présidentielle et législatives de 2007. Mais entre un ingénieur visiblement teigneux et un poissonnier apparemment docile, Abdoulaye Wade n’a d’autre choix que de conserver Pape Diop comme deuxième personnalité de l’Etat. Il va donc amorcer la disgrâce de Macky Sall pour enclencher la chute de Pape Diop. Il envoie le premier à l’assemblée nationale, à la place du deuxième qui va chômer le temps qu’un Sénat taillé sur mesure soit placée sous son autorité. Quand on sait que l’Assemblée Nationale, sous Senghor, sous Diouf et maintenant sous Wade, est une chambre d’enregistrement et la caisse de résonnance du parti au pouvoir, on se rend vite compte que c’est là, un désaveu de l’ancien Premier Ministre Macky Sall.

 

Jusque là,  Pape Diop reste la deuxième personnalité de l’Etat dans l’ordre protocolaire et dauphin constitutionnel. Dans un régime hyper présidentialisé où abondent maints nigauds, opportunistes et aventuriers, il occupe une place à part, cultivant son jardin secret, ne faisant jamais de déclarations fracassantes, et faisant peu de vagues malgré toutes les couleuvres qu’il a dû avaler. Tout semblait alors lui réussir. Mais c’est sans compter avec les rumeurs qui commencent à lui prêter des intentions de vouloir, soit conserver le pouvoir, soit de tout mettre en œuvre pour le triomphe d’Idrissa Seck, s’il arrivait à assurer l’intérim pour quelque raison que ce soit. On lui prête pour ainsi dire de fortes accointances avec Idrissa Seck. Dans les coulisses du PDS, on commence à se rendre compte que le poissonnier n’est pas si rond qu’il le laisse paraître. Bien au contraire, tout semble confirmer qu’il cultive la discrétion dans un pays ou la logorrhée verbale, le fantasque, le merveilleux et l’emphase sont une seconde nature chez les hommes politiques. Bien qu’on le décrive comme un personnage courtois mais assez terne, peu porté sur les discussions intellectuelles et les analyses politiques raffinées, on retrouve son nom dans tous les conciliabules et conclaves jalonnant la vie de la République. Y a-t-il donc du docteur Jekkyl en ce personnage terne qui apparaît le jour comme un bon notable politique presque rad de soc, et se transforme la nuit en un Monsieur Hyde ? Une telle interrogation n’est-elle pas à l’origine des appétits de Cronos à son égard ?

 

Ce que l’on peut dire, c’est que les événements du 22 mars 2009 constituent une bonne salade pour aiguiser l’appétit de Cronos. Le fait est en effet inédit. Pour la première fois dans l’histoire du Sénégal, le pouvoir perd la mairie de la capitale. Une véritable gifle pour le régime qui se targuait d’avoir ouvert de grands chantiers pour l’embellissement de Dakar. D’autant que celui qui incarnait ce nouveau sursaut de la ville n’est autre que Karim Meïssa Wade, colistier du maire sortant. Quelle est donc la responsabilité de Pape Diop dans cette terminaison dépréciative du régime ? Est-il à l’origine de ce coup de massue électoral ? Lui qui, dit-on, avait juré à Wade de conserver la mairie de Dakar. A-t-il commis une bourde lorsqu’il déclare vouloir céder la mairie une fois conquise à Karim Wade ? Ce qui a bien pu déclencher l’ire des électeurs sénégalais très portés à s’opposer contre ce qu’il considère comme une dérive monarchique du pouvoir. En définitive, Pape Diop a-t-il tout bonnement fait le lit de la défaite de Karim Wade ?

 

En tout cas, Pape Diop ne semble pas avoir sauté au plafond à l’évocation des ambitions de Karim Wade pour la mairie de Dakar. D’abord, le prestige que confère le poste de maire de la capitale est l’atout stratégique idéal pour tout politicien qui rêve d’un destin national. Ensuite, Karim l’a totalement écarté de la réalisation des chantiers de Dakar. Nulle part Pape Diop n’est apparu dans la réalisation des travaux de l’ANOCI. Bien que la mairie ait été sollicitée financièrement pour le volet éclairage public, on ne parle point de lui. Pire, aucune réalisation n’est pas comptabilisé dans son bilan. On aurait pu comprendre qu’on s’attache les services de ses compétences dans la réalisation des travaux de sa ville. Mais ce ne fut pas le cas. Pape Diop a été snobé. Et, en plus d’avoir été enlevé de la présidence de l’Assemblée Nationale qui, d’un point de vue institutionnel, confère plus de garantie, il a été difficilement logé dans un sénat à l’avenir hypothétique. Naturellement, une telle attitude à son égard a bien pu générer un pincement au cœur, quelque chose comme une jalousie, une rancœur. Karim à la mairie signifie la perte du contrôle de sa base politique qu’il a tant peiné à mettre en place. La fin d’un juteux budget qui crée un clientélisme important. Et surtout, la fin certaine de sa carrière politique. La mauvaise stratégie que Pape Diop a adoptée durant les locales est-elle alors à mettre sous le coup d’une désinvolture béate ?

 

Visiblement, Pape Diop ne s’est pas donné corps et âme pour gagner la ville de Dakar. Il y aurait même à se demander s’il n’a pas plutôt œuvré pour la défaite du PDS. Affirmant à tort et à travers qu’il ne fait pas de campagne parce qu’il ne rencontre aucune opposition sur le terrain, Pape Diop a été certainement le seul à ne pas se rendre compte du travail de sape qui a été réalisé par l’opposition. D’ailleurs, lors de son meeting le plus significatif avec Béthio Thioune, il a soutenu que l’opposition était inexistante à Dakar, d’où son choix de ne pas battre campagne. Mais, pourquoi Pape Diop s’est-il allié à Béthio Thioune qui, en ces temps, était en conflit latent avec le Président de la République dont il prétextait avoir été le principal instigateur de sa réélection ? Que penser de la déclaration de Béthio indiquant qu’il allait faire réélire Pape Diop à la mairie de Dakar ? Etait-ce une déclaration de circonstance, sans contenu caché pour que les apparences soient sauves ? Ou était-ce plutôt un message à ses fidèles pour ne pas que Karim soit porté au poste de maire de Dakar ?

 

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Un corps abandonné à lui-même tombe en suivant une direction qui est la verticale. Cette notion de physique qui explique les lois de la pesanteur s’applique bien à la démarche de Wade. Ce dernier a, avec ses meilleurs soins, fabriqué tous les leadeurs de son parti. Il le dit lui-même : «Dieu a créé les hommes, j’ai créé Idrissa Seck». Abandonné donc à eux-mêmes, ils n’ont aucune légitimité. Ils suivent la verticale et finissent par s’écraser. Aucune lecture ne donne de manière cohérente une quelconque démarche politique de leur part. Toutes leurs actions se confinent dans une éternelle lutte contre la verticale. Ils manœuvrent, manigancent, s’agenouillent et se prosternent pour ne pas être abandonnés à eux-mêmes. Ceci en a été de Modou Diagne Fada, Macky Sall, Ousmane Ngom, Aliou Sow…, la liste est longue sans être exhaustive. D’où Pape Diop tire-t-il alors sa place de dauphin constitutionnel ? Est-ce par la longévité de son compagnonnage avec Me Abdoulaye Wade ? Ou y-a-t-il d’autres raisons sous-jacentes ?

 

De toute manière, on ne peut pas soutenir que Pape Diop ait bénéficié de sa position par la durée de son engagement dans le parti. Les entrées dans l’entourage de Wade ainsi que les sorties si fracassantes défrayaient tellement la chronique qu’il est difficile d’admettre, même si certains le prétendent, que Pape Diop ait adhéré au PDS dès sa création. En 1974, le bataillon des premiers fidèles était si réduit qu’il n’aurait pas pu passer inaperçu. En tout cas, quelqu’un se serait tout de même souvenu de lui. Mais le fait est qu’il n’apparaît nulle-part. Ni dans les grandes manifestations politiques, ni dans les actes mémorables posés par le PDS d’alors dont de grands noms tels que Baïla Wone, feu Badara Diop, Amadou Booker Washington Sadji, feu Puritian Fall, Moussa Diallo, Alassane Cissokho, Serigne Diop, Ousmane Ngom, Marcel Bassène, Laye Diop Diatta, Papa Demba Diallo, Assane Cissé, Dame Kébé, feu Fara Ndiaye, feu Boubacar Sall, résistent encore à l’oubli.

 

Le PDS de jadis fut un refuge pour nombre d’hommes et de femmes qui défiaient la puissance et l’autoritarisme de l’UPS, parti-Etat de fait. Ils y avaient trouvé exutoire et sang neuf. Certains n’y sont pas restés, d’autres ont gardé la boutique. Mais de ce ballet incessant on ne se souvient pas du tout de Pape Diop. A moins que Wade ait usé du même stratagème que François Mitterrand qui aimait cloisonner ses cercles d’amis de sorte que bien des gens qui n’étaient pas destinés à se rencontrer découvrent, au soir du 10 mai 1981, qu’ils servaient le même maître depuis des années. Pape Diop était-il alors un financier occulte qui renflouait les caisses du parti au moment ou celui-ci et son leader charismatique traversaient des années de vaches maigres ?

 

Quoi qu’il en soit et de tout ce qui précède, il apparaît nettement que Pape Diop, ex Maire de Dakar, ex Président de l’Assemblée Nationale et actuellement Président du Sénat, n’a été que le fruit de multiples concours de circonstances. Il a joué la partition que lui avait conférée le chef d’orchestre qui, présentement, semble composer une nouvelle symphonie. On parle de plus en plus de la disparition du Sénat. Pis, le 4 Avril 2009, le Président annonce son projet de nommer un Vice Président. Le décret est signé le 24 août 2009. Certains observateurs y voient des indices de la fin politique d’un homme qui continue pourtant de jurer fidélité et dévouement au Président Wade. Pape Diop est alors en passe de prendre la verticale. Et de lui, il risque de ne rester que le souvenir d’un fils ayant lui-même aiguisé les appétits de Cronos. Car assurément, Wade tend de plus en plus à s’éloigner de son intérimaire. Il ne le cite ni ne fait référence à lui depuis la débâcle du 22 mars 2009.  Seulement, le poste de Vice-président est dépourvu de pouvoir constitutionnel. Pape Diop demeure pour ainsi dire l’intérimaire que Wade s’est choisi. Ce qui pose avec une certaine acuité, pas seulement le devenir de l’actuel Président du Sénat si cette institution venait à être supprimée, mais aussi et surtout la question de sa légitimité. Car, comment oser penser qu’une personne n’ayant pas pu conserver sa place de maire de la capitale, donc sans base politique conséquente, puisse organiser des élections que son parti ne voudrait pas perdre sous quelque prétexte que ce soit. En perdant donc la mairie de Dakar, Pape Diop s’est jeté à Cronos. Seul, abandonné à lui-même, il prend la verticale et amorce une chute libre.

 

PIERRE HAMET BA

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Moi, le Sénégalais

«La minorité a ceci de supérieur à la majorité

qu’elle comprend un nombre inférieur d’imbéciles».

Léo Campion.

 

Quand mille doigts pointaient le ciel pour exprimer l’envie de trouver du travail au pays natal alors que, neuf années plus tard, des millions en pointent l’océan pour exprimer l’envie de survivre; quand les laissés pour compte se retrouvent au sommet de l’Etat; quand l’incompétence prime sur la compétence; quand la médiocrité prend le dessus sur l’excellence; quand le politique se lie d’amitié aux charlatans et que ces derniers entrent en politique; quand le religieux devient une étincelle alors qu’il devrait plutôt être l’extincteur; quand les pompiers deviennent des pyromanes et les pyromanes, des gardes forestiers, alors il ne reste plus qu’à se demander de combien de temps dispose-t-on avant que l’étincelle ne mette le feu à la poudre ?

 

Bien d’événements ont presque fini de torpiller les ambitions de la jeunesse sénégalaise. Du maîtrisard boulanger au maîtrisard chômeur, de la Téranga à la rébellion en Casamance, de l’image de l’agent garant de la sécurité nationale à celle du policier traqueur social, du dirigeant honnête au chef corrompu, de l’enseignant amoureux de son métier aux vacataires chasseurs de primes, et des charlatans, sous le couvert du manteau de la religion, s’y ajoutent. Fidèles adeptes du mal, ces marchands d’illusions religieuses projettent leur propre peur sur nous. Ils n’expriment autre chose dans leurs sermons sinon leur envie de tuer Dieu. Ils tentent de nous faire croire à l’enfer et au paradis alors qu’au fond d’eux-mêmes ils auraient bien aimé que Dieu soit mort. Ces guides charlatans ne s’occupent que de leur salut terrestre et accessoirement, de celui de leurs disciples.

 

Les confréries religieuses, au même titre que les partis politiques, sont des lobbies de pouvoir. Plus elles sont influentes, plus elles tiennent le pouvoir à la gorge. Que les rangs se massifient alors ! La propagande a pris place. Dieu est mort, l’homme est vivant. On ne se préoccupe plus de l’au-delà, seulement d’ici bas. On déifie des hommes, on leurs voue un culte, on les vénère. En contre partie de cette bassesse, ils nous garantissent le bonheur ici bas et un certain paradis à l’au-delà. Suivez Dieu si vous voulez, mais ne croyez point en lui, croyez plutôt aux jouissances de ce bas monde. Voilà qui constitue la quintessence même de leur discours.

 

Les charlatans et les politiciens se sont transformés en quelque chose comme des dieux sur terre. Plus d’idéal politique, plus de valeurs, plus de moralité, pas même une religion. Seul triomphe l’être déifié. Dans ces religions organisées, le débat contradictoire n’est point admis. Seuls comptent les intérêts de soi-même, du parti, de la confrérie. Le discours est devenu clair : prêchez pour votre paroisse et incendiez la paroisse d’à côté. Marchez à quatre pattes, mettez-vous à genoux devant le marabout, prosternez-vous et mettez les institutions en coupe réglée. Et puis, dressez-vous, bras au ciel devant le peuple, et proclamez votre dignité. Saluez votre prochain et appelez le «mon frère» tant que vous partagez les mêmes intérêts. Mais, surtout, haïssez-le s’il ne partage pas vos convictions confrériques.  La religion est maintenant au cœur de la politique. Que peut-il s’en suivre si ce n’est une réaction violente et très dangereuse ? Plus de critiques, plus de débats, plus de contestation. Bien sûr, on ne conteste pas les dieux sur terre. Et c’est presque devenu une mode que de saccager les maisons de presse. Toi, moi, lui, eux, nous, tout le monde est en danger. Qu’on s’en morde les doigts, qu’on meurt de faim ou qu’on descende dans la rue. Ça leur est égal.

 

Les partis politiques et les confréries religieuses sont des forces de division et d’exclusion. En regroupant certaines personnes, ils en excluent d’autres. En raison de ce danger, nous devons rester attentifs. Les principes fondamentaux sont foulés au pied. Et on laisse les charlatans et leurs esclaves de talibés s’emparer des leviers de commande. On accroît leur influence. On laisse des analphabètes qui ignorent tout de la chose politique fausser le jeu des institutions. On donne à une bande d’ignares et d’incultes le pouvoir d’influencer le choix des citoyens.

 

Tant de faits qui expriment l’inappétence, la souffrance et le désespoir que Moi, le Sénégalais couve au plus profond de mon être. Tant que nous n’aurons pas balayé ce conglomérat de charlatans, cette racaille de politiciens constipés et leurs effroyables pacotilles d’intellectuels, nous irons de plus en plus régressant. Centaines d’événements sont passés sous mes yeux en spectacle. Centaines de griefs au cœur sans que j’en sois totalement et définitivement guéris. De la foi au fanatisme, des ajustements structurels à la dévaluation du franc CFA, de la stabilité scolaire aux multiples grèves des enseignants, des étudiants bons espoirs de l’avenir aux vermines du futur, de la bonne éducation à la délinquance, des visas inaccessibles aux boat-peoples, de Senghor à Diouf, de Wade à….? Wade, le discours évolue comme tel : pays pauvre très endetté ; population pauvre très endettée. PPTE = PPTE.

 

Pierre HAMET BA

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Conakry : Enjeux d’un pouvoir en jeu

Le Général Président est mort, l’armée a pris le pouvoir en République de Guinée. Pour nous autres qui ne sommes pas habitués à la présence militaire dans la gestion des affaires publiques, l’information intrigue. La communauté internationale condamne. En fins défenseurs de la démocratie, les puissances occidentales s’érigent contre la junte militaire au pouvoir. La Guinée est à nouveau sous les projecteurs. C’est le début d’une nouvelle histoire à laquelle je me propose d’assister.

 

Le Novotel où je séjourne pour la circonstance s’est vite transformé en centre d’affaires. Ici on rencontre tout le monde : ministres, hommes d’affaires venus d’ailleurs, Guinéens influents, personnes privilégiées. L’Etat est désormais dans la rue. Les contrats et négociations se font sur le parterre du Novotel. Il n’y a qu’à se mettre au bord de la piscine pour entendre des hommes d’Etat clamer leur puissance. « Je vais le détruire… de la même manière que j’ai cassé l’autre… laisser le avec moi, vous verrez… ». Même s’il n’est pas ici important de préciser l’identité de l’autorité qui tenait ce discours, on peut dores et déjà se rendre compte qu’une nouvelle catégorie de personnes entend prendre sa revanche sur une autre.

 

Comme si une terre inconnue venait d’être découverte, le monde se rue vers la Guinée. C’est de bonne guerre. Sous peu, on va battre les cartes. Une nouvelle redistribution sera faite et il faut surtout être au bon endroit au bon moment pour prendre sa part du gâteau. Mais qu’en est-il de ceux qui étaient déjà là ? Ceux là, de l’avis des nouvelles autorités, ont forcément trempé dans la corruption, la concussion et bien certainement ont fortement contribué à la mise à genoux du pays. Une guerre est alors ouverte. Et leur faute ce n’est rien d’autre sinon d’avoir investi un pays au moment où sa propre population le pensait pourri. Le nouvel establishment les qualifie donc de pourriture. Bientôt des prétendus barons de la drogue sont arrêtés et mis en prison. D’anciens ministres qu’on accuse d’avoir détourné des deniers publics, des hommes d’affaires qui s’étaient liés d’amitié avec les anciens dirigeants, des chefs d’entreprises qui, dit-on, n’ont jamais payé de taxes à l’Etat ou qui sont supposés être coupables de fraude fiscale, sont persécutés. Des promoteurs immobiliers perdent leurs acquis, des populations sont expropriées. L’armée plante le décor. Tout en Guinée va changer. Mais, de quelle manière ?

 

Scandale géologique et château d’eau d’Afrique, la Guinée est bien vivante. En attestent les annonces d’événements culturels sur nombre de banderoles qui bordent les rues de Conakry. Comme si de rien n’était, chacun vaque à ses occupations quotidiennes. Et pourtant, il y a bien quelque chose qui se passe. Le général est mort. Tout se passe alors comme si tout avec lui devait mourir. «Nettoyage, balayage, assainissement, remise sur les rails» entend-on dire. Autant d’expression à la mode en Guinée, comme si une mission divine venait d’être assignée au Capitaine. Mais l’information capitale ici, ce qu’il faut vraiment saisir en ces termes, c’est que la Guinée était devant l’impasse. Au lendemain donc de la disparition du Général, l’armée dit-on s’est emparée du pouvoir. Mais, on voit pointer là précisément toute l’incohérence du discours. Car en vérité, comment peut-on s’emparer d’une chose que l’on a déjà en main ?

 

Pendant près de 25 ans, le pouvoir était entre les mains de l’armée. Même si des élections étaient presque régulièrement organisées, le Général, en plaçant la présidence, les affaires présidentielles et sa propre demeure au sein même du camp militaire Alpha Yaya Diallo, mettait ainsi l’armée au coeur de la vie publique. En fait, le général avait quitté l’uniforme mais l’armée ne l’avait jamais quitté. C’est l’exception guinéenne. Dans de nombreux pays autour de la terre, voir l’armée dans les rues, c’est supposer une grande catastrophe. La place de l’armée est aux contours de la vie publique. Elle défend la nation. Et pour ce faire elle se cantonne hors de sa vue, dans les périphéries, dans des casernes, des camps et des bases militaires. L’armée n’est pas formée au maintien de l’ordre mais au rétablissement de l’ordre. La voir signifie donc l’existence d’un grand désordre auquel il faut remédier. De ce fait, chacune de ses apparitions emporte avec elle un caractère hybride où se mélangent un faible sentiment de peur, d’intrigues et une grande assurance. Mais en Guinée, l’armée est la Nation. Les armes circulent au marché, dans les commerces, bars, restaurants, hôtels… partout. Bref, les militaires font parti du décor. Et on a presque fini de ne plus les distinguer. Ne pas les voir alors serait presque synonyme de catastrophe. Vous avez raison Capitaine : la Guinée est bien particulière. Mais c’est d’une particularité inexpliquée qu’il s’agit. Car les étrangers s’y sentent menacés, mal à l’aise par la présence continuelle des armes et des hommes de front. N’est-ce pas là qui explique la raison pour laquelle ce pays fait peur ?

 

A bien des égards, la Guinée présente des allures d’instabilité. Elle donne à percevoir un spectacle bien connu des pays en conflit ou qui en sortent, alors qu’il n’en est rien quand on comprend la place et le rôle de l’armée dans l’historicité contemporaine guinéenne. Seulement, cette réalité connue de personne est presque devenue insaisissable. A moins donc qu’on ne porte un intérêt tout particulier à ce pays, on n’arrivera jamais à en comprendre le fonctionnement endogène, singulier et glissant. Les institutions internationales auront beau décrié les militaires au pouvoir, exigé l’organisation d’élections transparentes, mais à l’état actuel, l’armée ne peut être tenue à l’écart de la vie publique de la Guinée. La raison est bien simple, les pages de son histoire sont tellement lourdes qu’il faut s’y prendre avec patience pour arriver à en tourner une. Il convient donc de tenir un langage de vérité au Capitaine. Ne pas lui faire faire des plans sur la comète qui finiront par décimer ce pays et le rendre plus instable qu’il en donne l’air. La vérité c’est ce qui sert. Et ici, ce qui sert la communauté internationale, c’est d’arriver à installer un jeu politique tellement subtil que le capitaine y perdrait son latin. Les enjeux sont grands et visiblement le Dadis et son équipe ne sont pas préparés à en saisir les fondements et les objectifs. Tout se passe alors comme s’il s’agissait d’un parc d’attractions dans lequel on laisse les enfants aux commandes, le temps de les divertir, pour mieux s’approprier les privilèges de leur maman. Comment alors s’attendre à l’arrivée massive d’investisseurs qui, dès leur sortie de l’aéroport de Conakry Gbessia, ne ressentiront que le désir pressant de retourner chez eux. Vraisemblablement, Dadis Camara ne s’est pas encore rendu compte que sa politique ne prospérera pas dans ces conditions.

 

Dans d’autres pays où une telle situation ne prévaut pas, de longues années n’ont pas suffi à attirer des investisseurs dignes de confiance. Si nous prenons le cas du Sénégal dont Dadis Camara semble avoir pris pour exemple la démarche de son Président, il y a fallu la mise en place d’une véritable stratégie. En plus de sa participation active dans les ensembles politico-économiques sous-régionaux qui lui confère une monnaie stable, le Sénégal a, entre autres, établi une politique de promotion de l’investissement, construit un nouveau terminal à conteneurs, amélioré sa mobilité urbaine, mis en place un réseau bancaire fiable, performant et fonctionnel, investi dans la construction de nouvelles centrales électriques, soigner l’image de sa diplomatie et de sa démocratie, séduit les institutions internationales et fait les yeux doux aux investisseurs. Et même avec tout cela, les investissements directs étrangers se comptent sur le bout des doigts. Sinon comment expliquer les Industries Chimiques de Sénégal (ICS) n’aient pas pu trouver de repreneur en temps voulu. Comment alors oser dire au Capitaine qu’avec le simple fait d’occuper la place publique tous les soirs et de tenir un discours presque effrayant, les investisseurs vont se bousculer à la porte de la Guinée. Il n’y a Conakry, que les cireurs de bottes pour tenir un tel discours. On le force ainsi à croire que tout est possible. Qu’en un temps record, il réalisera tellement de choses que les Guinéens seront prêts à aller aux urnes pour le consacrer. Mais, ici aussi, comment organiser des élections avec tous les chantiers en cours : lutte contre les narcotrafiquants, audit et protection du patrimoine de l’Etat, mise en place de structures électorales performantes et d’un fichier d’électeurs fiable, dégèle des activités politiques et syndicales, «déminage» du secteur minier etc.… Autant de choses qui laissent croire qu’un séisme pourrait se déclarer dans ce pays. Car on n’a pas encore fini de surfer sur le nuage de la prise du pouvoir qui incite plus à l’euphorie qu’à la lucidité. Pour peu qu’on s’arrête et qu’on y scrute la quintessence, on se rend vite compte que l’importance du nombre de choses à faire n’autorise à aucun esprit saint d’espérer des élections dans les deux ans à venir. Les personnes qui se présentent aujourd’hui dans ce pays, n’y viennent que pour se placer dans un champ en pleine reconstruction. Les attentes du Capitaine pourraient-elles trouver satisfaction avec des orpailleurs, des exclus du partage de l’occident à la recherche de l’eldorado ou des gens qui cherchent à augmenter leur influence.

 

L’équilibre de la terreur a disparu. Et depuis, le monde n’est plus gouverné de la même manière. Le Capitaine Moussa Dadis Camara doit alors se rendre bien compte que la Guinée n’est pas isolée. Et quand bien même il s’agisse d’un pays d’exception, eu égard à son historicité et à sa constitution sociopolitique qui place l’armée au coeur des affaires publiques, elle n’échappe pas à la mondialisation. La question reste alors que faire ?

 

Entre la panne du système éducatif, la désagrégation de la santé publique, l’assainissement des secteurs économiques, le recouvrement des deniers publics, la lutte contre la drogue, la restructuration institutionnelle, la mise en place d’un fichier électoral, l’organisation d’élections libres et transparentes, la relance de l’économie nationale, la lutte contre la corruption, le retrait de l’armée des affaires publiques, et la peur d’un lendemain sanglant…. Par où commencer ?

 

Sans essayer de répondre à la question, nous pouvons tout simplement conseiller au Capitaine de ne pas essayer de réinventer l’eau tiède. Ce serait une perte de temps et d’énergie qui le conduira certainement à sa perte définitive. L’eau tiède existe déjà, autant en user et tâcher d’en faire bon usage.

Pierre Hamet BA