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LE MONDE ET LE PROBLEME AFRICAIN : Une Approche Géoéconomique

En ce début 2011, nous abordons une décennie pleine d’espoirs, d’inquiétudes, d’angoisses et de dangers. Aux plans économique, géopolitique et militaire, les affrontements sont de plus en plus meurtriers même s’ils sont quelque peu feutrés. Une nouvelle dynamique oppose d’anciennes puissances économiques vieillissantes mais solides (la vieille Europe, celle de l’Est) et de nouvelles puissances jeunes, émergentes, ambitieuses et ascendantes (les BRIC et certains pays comme l’Afrique du Sud et l’Argentine). Quelle sera la place de l’Afrique avec sa population d’un milliard de personnes dont 50% de moins de 30 ans, sans emplois ou sous employés ? On parle beaucoup trop souvent du passé à nos jeunes et pas assez de l’avenir, c’est à dire trop des autres et pas assez d’eux-mêmes. Et si alors pour une fois on leur parlait de l’avenir ?

 

Monsieur Watson – Venez ici – Je veux vous voir ». Deux siècles se sont écoulés depuis que, le 10 mars 1876, l’inventeur américain, Alexander Bell, à l’attention de son assistant, prononça la première phrase à passer par les câbles d’un téléphone. Aujourd’hui, le World Wide Web (www), imaginé par Tim Berners-Lee en 1989 et rendu public et libre en 1991, afin de créer un espace virtuel capable de stocker et de distribuer des données (un serveur web) dans un langage commun (le HTML), est aussi âgé que la chute du mur de Berlin. Nous sommes bien entendu au seuil de l’année 2011 et, voilà 21 ans maintenant que les données géostratégiques du monde ont évolué vers quelque chose comme un imbroglio paradigmatique entre le réel et virtuel, dans un jeu quelque peu inextricable, à propension arithmétique et à progression géométrique, qui impose à l’Homme africain de redéfinir sa relation au monde.

 

Le développement du système informatique, des réseaux sociaux et des livres numériques marque un pas vers une nouvelle ère. La virtualité semble aujourd’hui transcender la réalité. Nos jeunes se perdent dans un monde virtuel dont la force tient à la séduction dans tous les sens du terme : charmer, plaire, fasciner, faire illusion, mais aussi abuser, détourner la vérité, tromper ; et finissent par oublier la cruauté du monde réel. Comment ne pas succomber à l’idée qu’il existerait une manière d’éliminer l’emprise du réel déprimant du quotidien africain ? C’est le pouvoir de ce qui est communément appelé Internet. Un monde non réel où s’interfère des milliards d’informations, de données et de messages. Un nombre infinitésimal d’actions produites par l’homme. Pourtant, comme l’explique Gaspard Lundwall dans la revue Esprit, Internet a sa place au cœur du réel. Il marque un changement d’échelle et perturbe notre rapport au réel, c’est-à-dire au monde, en accélérant le temps d’accessibilité aux données et aux rapports aux autres. Internet est à la fois un déverseur d’idées ou de pensées favorable à la propagande et un outil pédagogique remarquable comme le souligne Michel Serres. Utile, mais pas indispensable ou non nécessaire, on constate, et au grand bonheur de l’Homme, l’importance et la remise en valeur de la relation réelle avec autrui. Internet nous rapproche et nous fait comprendre l’importance de l’autre. « L’homme est un animal sociable » dit Socrate.

 

 

Cependant, Internet, utilisé par quiconque, loin de servir d’un simple moyen de se détourner du réel, porte en lui-même un réel intrinsèque. Il est une arme stratégique redoutable pour les gouvernements. Outre le système d’écoute Echelon, les Etats Unis comme la France se dotent de systèmes informatiques capables de contrer de futures cyber-attaques. L’Iran aurait subit une attaque sur ses usines d’enrichissement d’uranium de Natanz, provoquant des problèmes techniques dus à un virus informatique. Une offensive feutrée est donc aujourd’hui considérée plus performante qu’une attaque directe. S’attaquer à l’économie d’un pays, provoquer des rivalités semblent plus prometteur qu’une attaque nucléaire. Le réel du virtuel produit par Internet est devenu la nouvelle arme stratégique pour contre-influencer les puissances actuelles. Pour preuve, l’action réalisée par le site Wikileaks, le 28 novembre 2010.

 

En divulguant une quantité gargantuesque de télégrammes « secrets » de la diplomatie américaine (environ 250.000) dont certains détails peuvent être intéressants, Wikileaks lance l’avénement d’un nouveau Nouveau Monde. La polémique suscitée autour de la transparence en diplomatie n’est pas l’intérêt, car ses données recueillies proviennent d’un pays à proprement parlé démocratique. Par contre, quelles seraient la teneur et les conséquences d’un tel « exploit » s’il s’agissait d’informations secrètes provenant de la Corée du Nord ou de la Russie ?

 

Voilà qui remet donc en cause, seulement 20 ans après qu’il soit rendu libre et public, la manière dont va être utilisé Internet et l’accessibilité des données dans les relations internationales pour les années à venir. Ce coup éclair du site de Julian Assange déclenche donc une nouvelle guerre froide : la guerre des secrets. Le jeu sécuritaire contre la piraterie informatique, et inversement, va se complexifier comme la course aux armements ou la conquête de l’espace. Dans ce domaine, la Chine est devenue un acteur redoutable. Elle a pris conscience de l’atout de se doter d’une force électronique. Sachant que le nombre d’utilisateurs en informatique dans ce pays est en forte croissance (420 millions en juin 2010), la Chine pourrait renverser l’équilibre des forces à son avantage en cas de conflit majeur.

Conscient de cet état de fait, les deux Corée, et le Japon en premier, mènent une course effrénée vers la maîtrise de la science informatique et de ses applications militaires. On assiste, en plus des jeux d’espionnage et des attaques cybernétiques, à des essais d’armement aux allures de sommation. Ce fut le cas le Mardi 23 novembre 2010, quand la Corée du Nord tire une dizaine d’obus sur une île de Yeonpyeong en mer Jaune, en proie entre les deux Corées pour son appropriation. Une réponse par les armes de la Corée du Sud déclenche un tollé international. Cette frasque introduit la tendance actuelle d’un monde en ébullition. Le monde bipolaire de la guerre froide devient un monde multipolaire, voir même, apolaire. L’émergence des pays comme la Chine, l’Inde et le Brésil remet en cause la puissance occidentale, notamment celle des Etats Unis et de l’Europe. Quand bien même les Etats-Unis restent la première puissance militaire, la Chine est devenue une puissance économique. L’Europe, berceau des Lumières et de son ancienne puissance coloniale, prend de l’âge et tend à prendre sa retraite. Quels seront les nouveaux acteurs de demain ? Qui va influencer les tendances géopolitiques futures ?

 

Tout commence par certains signes précurseurs d’une évolution. La fin de l’année 2010 a été marquée par de nombreux mouvements de manifestation en Chine, puis au Bangladesh le 23 juillet dernier. Les gouvernements ont réussi à étouffer ces « bruitages » à travers leur pays. Car même si la plus grande force en Chine est bien sa forte population, cela peut devenir sa plus grande faiblesse en cas de soulèvement. Peut être est-ce une des raisons qui pousse le gouvernement chinois à se doter de la plus grande armée du monde ? Croire qu’un peuple considéré comme la fabrique du monde va rester inerte, face à l’émergence d’une population riche dans leur pays, est illusoire. La convoitise est propre à l’homme et constitue l’une des sources de nombreux conflits à travers notre Histoire. Chaque personne prend conscience de l’inégalité dans le monde. Une goutte d’eau ferait, à coup sûr, déborder le vase. La flambée des prix en Chine, annoncé le 17 novembre 2010, met en danger ce miracle économique. La croissance économique chinoise exponentielle met de coté certains points importants comme la sécurité des ses infrastructures afin de garantir une pérennisation certaine. Sans oublié le manquement aux Droits de l’Homme tant décrié par la communauté internationale. Au-delà du prix Nobel de la Paix, promulgué par la Norvège en désignant Liu Xiaobo, dissident chinois, quels atouts gardent en main la Chine pour ne pas être écarté du jeu géostratégique ?

Sa monnaie, le Yuan, dont son taux est artificiellement bas, lui permet de s’enrichir avec son commerce extérieur. Ses exportations en Europe et aux Etats Unis lui offrent un pouvoir économique concurrentiel intelligemment maintenu sans aucunes réelles critiques extérieures allant jusqu’à des pénalisations. Le gouvernement américain a, à plusieurs reprises, mis la pression sur le président chinois Hu Jintao afin qu’il cesse ses méthodes commerciales avantageuses pour son pays mais « déloyales » envers les autres pays. Mais la Chine détient la plus importante dette américaine en bon du trésor avoisinant les 800 milliards de dollars. Un principe financier semble découler de cette perspective, c’est par la dette qu’on maîtrise un pays. Dans Le Monde Diplomatique de janvier 2011, Mme Hillary Clinton, la secrétaire d’Etat des Etats Unis, semble s’inquiéter de la dette détenue par Pékin en posant la question de savoir « Comment négocier en position de force avec son banquier ? ».

 

Dernièrement, le gouvernement chinois cherche à se positionner militairement en maître face à la flotte américaine pour un contrôle des zones maritimes avoisinant son territoire. Un défi est pour ainsi dire lancé dans le rapport de force entre le Chine et les Etats Unis pour les décennies à venir. Toutefois, d’un point de vue géostratégique, c’est de l’Asie Centrale que provient le plus d’inquiétudes.

 

L’Afghanistan, pays des chevaux ainsi que le soutenait Joseph Kessel dans son roman « Les Cavaliers », a toujours connu une instabilité politique et les étrangers ont toujours cherché à se l’accaparer. Le 12 novembre 1893, ce pays est séparé de l’empire des Indes par la ligne Durand. Cette ligne le sépare aujourd’hui du Pakistan. Il prit son indépendance le 8 août 1919 après la guerre contre l’empire Britannique. Il s’en suivit l’invasion soviétique en 1979 qui dura jusqu’en 1989 à la chute de l’Union Soviétique. Une guerre civile dans les années 90 mit le pays dans une faiblesse politique qui permit au Taliban, en 1996, de s’emparer de Kaboul, sa capitale, et de contrôler une bonne partie du pays. Après l’assassinat d’Ahmed chah Massoud, le commandant de l’Alliance du Nord afghane, du Jamiat-Islami et le chef de l’Armée islamique en septembre 2001, une suite d’évènements marque un basculement du monde dans la terreur du terrorisme. Les Etats-Unis déclarent la guerre contre l’islamisme et interviennent en Afghanistan dans la même année, en renversant le régime taliban.

 

Depuis l’invasion soviétique, plus de 3 millions de morts ont été recensés dans ce pays. L’Afghanistan est pourtant aujourd’hui considéré comme une des bases du terrorisme et où se sont engouffrés les occidentaux dans un bourbier international. Le conflit s’allonge sans réelle perspective de paix, l’opinion publique s’y détache et les gouvernements occidentaux cherchent la bonne stratégie sans sembler pas la trouver. Le 20 juillet dernier, une conférence internationale sur l’Afghanistan s’est déroulée à Kaboul soutenant le gouvernement du pays dans ses objectifs de parvenir avec ses propres forces à un contrôle du pays d’ici la fin de l’année 2014.

 

En définitive, l’Afghanistan s’insère dans une stratégie internationale où les grandes puissances y trouvent un intérêt économique et politique. L’Union Soviétique de la guerre froide convoitait les ressources minières afghanes qu’aujourd’hui la Chine s’approprie de manière légale. L’Inde y voit l’arrière-base des Pakistanais, et l’OTAN : un des nids du terrorisme. La géopolitique afghane se complexifie, ce qui rendra le futur plus difficile en Asie Centrale.

 

Force est donc de constater que les enjeux de la géopolitique contemporaine nous conduisent inévitablement vers une nouvelle configuration géostratégique du monde. Mais allons-nous pour autant assister à l’avènement d’un monde multipolaire ?

 

Ce que l’on peut constater c’est que, contrairement au schéma classique qui dessine les coopérations inter-Etat au sein des cercles régionaux frontaliers, le jeu des alliances contemporaines transcende les frontières dans un réel virtuel dont la cohérence tient plus aux intérêts et à la volonté de s’affranchir du joug traditionnel d’une poignée, infime mais pas insignifiante, de pays dits majeurs, qu’à une intégration régionale ou sous-régionale. Avec le renforcement du fédéralisme de l’UE et la réintégration complète de la France au sein des instances militaires de l’OTAN, on pourrait croire que le mondialisme atlantiste et unipolaire s’est définitivement imposé. Or, on assiste à une résistance certes informelle mais croissante face à l’impérialisme américain. En 2009, on a assisté au rapprochement économique de divers blocs géopolitiques assez éloignés les uns des autres : Amérique Latine, Chine et Proche/Moyen-Orient. Une voie multipolaire semble progressivement se dessiner face à l’établissement d’un Nouvel Ordre Mondial à la sauce américaine.

 

Grâce à leurs excellentes relations diplomatiques, Hugo Chavez et Hu Jintao ont renforcé la coopération bilatérale entre le Venezuela et la Chine. Lors d’un long périple en décembre 2003 en Méditerranée orientale (Libye, Egypte, Syrie, Liban) et aux Emirats Arabes Unis, le président brésilien Luiz Iniacio Lula Da Silva eut l’idée de créer un Sommet géopolitique réunissant les Pays arabes et diverses nations de l’Amérique Latine. Le premier Sommet se déroule à Brasilia les 10 et 11 mai 2005. Cette rencontre internationale s’acheva avec la signature de la Déclaration de Brasilia qui aborde concrètement les questions politiques, économiques et commerciales entre les 2 blocs si éloignés géographiquement.

 

Au début du mois de mars 2009, au siège de la Ligue des pays arabes au Caire, à l’initiative du ministre qatari des Affaires Étrangères, l’ensemble des ministres arabes des A.E. et 12 de leurs homologues sud-américains ont évoqué le projet de la Déclaration de Doha (capitale du Qatar) dont l’adoption fut effective le 31 mars de la même année, lors du deuxième Sommet des Pays Arabes et d’Amérique Latine. Les questions soulevées tournaient autour de la politique « régionale » et internationale, de la crise économique, des échanges commerciaux et de l’énergie. Cette importante rencontre scelle un rapprochement décisif entre ces 2 blocs géopolitiques si différents en apparence. La coopération économique et commerciale entre les pays arabes et latino-américains est appelée à s’intensifier au cours des prochaines années.

À l’issue d’un long entretien avec le colonel Mouammar Kadhafi, Hugo Chavez de son côté annonce officiellement son intention d’accueillir un Sommet Afrique-Amérique Latine. Hugo Chavez a également rencontré les présidents Syrien Bachar-El-Assad et Libanais Michel Sleimane avec lequel il a évoqué la situation politique délicate dans le Pays des Cèdres. À l’issue du Sommet de Doha, Hugo Chavez s’est rendu en Iran pour une visite officielle de 2 jours au cours de laquelle il a approfondi la coopération bilatérale sur 205 points (politique, économie, commerce, énergie). Le sommet Afrique-Amérique Latine se tînt en septembre 2009 au Vénézuela. Même si ce rapprochement géopolitique entre le monde arabe (méditerranée orientale, Pays du Golfe et de la péninsule arabique) est encore embryonnaire, on assiste à l’émergence d’un monde multipolaire au sein duquel différentes nations libres et souveraines s’opposent à un bloc géopolitique uniforme et américanisé.

En février 2009, le vice-président chinois Xi Jinping a effectué un long périple à travers les Caraïbes (Jamaïque), l’Amérique centrale (Mexique) et latine (Brésil, Colombie). Le 18 février, Xi Jinping se trouvait à Caracas où il s’est entretenu avec Hugo Chavez. À l’occasion de la commémoration du 35e anniversaire de l’établissement de relations diplomatiques entre la Chine et le Venezuela, Xi Jinping et Hugo Chavez ont vivement plaidé pour un renforcement des échanges dans de multiples domaines. Si Hugo Chavez n’a pas dissimulé son admiration pour l’extraordinaire développement économique de la Chine depuis 1978, Xi Jinping a plaidé plus concrètement pour un renforcement de la coopération agricole, énergétique, économique (infrastructures), scientifique (hautes technologies). Cette étape vénézuélienne a débouché sur une coopération bilatérale renforcée en de multiples domaines et à un partenariat stratégique consolidé. La brève rencontre de Xi Jinping avait préparé le voyage de 3 jours de Hugo Chavez en Chine en avril 2009. Le Mercredi 8 avril 2009 au cours d’une longue rencontre avec son homologue chinois Hu Jintao, Hugo Chavez a loué les excellentes relations diplomatiques qui ont débouché progressivement sur une coopération économique bilatérale. Les discussions ont également abordé la crise systémique mondiale et le rôle financier de la Chine afin de lutter contre le ralentissement de l’activité économique, industrielle et commerciale.

 

Lors de son périple en Asie orientale en avril 2009, Hugo Chavez a effectué une importante étape au Japon. Le lundi 6 avril, il rencontre officiellement le premier ministre japonais Taro Aso. Cet événement politique est d’autant plus intéressant que le président vénézuélien est présenté de manière caricaturale comme un gauchiste, nostalgique du marxisme et que Taro Aso est décrit comme un conservateur de tendance nationaliste. En réalité, Hugo Chavez mène une tranquille révolution bolivarienne qui vise à extirper son pays et l’ensemble du continent latino-américain de la tutelle « impérialiste » des USA. Car, depuis la conception de la « Doctrine Monroe » en 1817, les États-Unis considèrent l’ensemble de l’Amérique centrale et latine comme leur propriété exclusive. Avec des dictateurs corrompus à leur botte et la présence de nombreuses multinationales apatrides, ils tentaient de contrôler ces pays affaiblis économiquement et politiquement. Un brusque retournement politique s’est produit lors de la dernière décennie avec l’arrivée au pouvoir d’hommes politiques qualifiés de « populistes de gauche » (Hugo Chavez au Venezuela et Rafael Correa en Équateur) ou « d’indigéniste » (Evo Morales en Bolivie). Le point commun de ces chefs d’État latino-américains réside dans leur hostilité sans faille face au Nouvel Ordre Mondial ultralibéral. Ainsi, ils chassèrent des ambassadeurs américains et plusieurs multinationales apatrides. Tous, sont favorables à l’établissement d’un monde multipolaire équilibré au sein duquel la Palestine aurait une existence viable sur les plans politique et économique.

 

À travers ces quelques exemples de coopération bilatérale en matière politique et géostratégique, on assiste à l’émergence croissante d’un monde multipolaire, constitué de plusieurs blocs géopolitiques distincts. Malgré leur éloignement géographique et leur disparité historico-culturelle, ces blocs soudés sont formés de nations souveraines politiquement et économiquement. Surtout, ils partagent en commun une autre vision du monde opposé à l’établissement du Nouvel Ordre Mondial américanisé, basé sur un consumérisme apatride et déshumanisé. Contrairement à la propagande insidieuse et simpliste des néo-conservateurs américains et de leurs alliés israéliens, ces pays ne forment aucunement un axe « islamo-marxiste » ou un « axe du mal » selon l’expression de l’ancien président américain G.W. Bush (2001-2009).

 

On s’en rend donc bien compte, le Général De Gaule avait vu juste en annonçant, le 21 août 1958 à Brazzaville, que « dans le monde tel qu’il va, il est nécessaire que s’établissent de grands ensembles économiques, politiques, culturels et, au besoin, de grands ensembles de défense ».

 

Qu’en est-il alors de l’Afrique à l’heure où l’Europe a presque fini d’adopter une monnaie commune, où la France promeut l’union pour la Méditerranée, où les pays ayant en commun la langue arabe se sont ligués, où les Etats-unis veulent partager une zone monétaire avec l’Amérique latine et le Canada, où la Chine, le Vénézuela, le Brésil, développe des grands rassemblements trans-géographiques avec des pays culturellement différents mais économiquement stratégiques comme la Libye, l’Egypte, la Syrie, le Liban et même l’Iran ?

1960, l’aube d’un nouvel espoir, d’un nouveau départ, « les soleils des indépendances » (Ahmadou Kourouma) sont au firmament d’une Afrique Nouvelle. L’optimisme est au rendez-vous des projections d’un futur radieux. Mais très vite, la crise congolaise de 1960-61 et celle de 1964 vont édulcorer l’optimisme d’une Afrique prometteuse. « L’Afrique noire est mal partie » (René Dumont, 1962), pronostiquait l’agronome dans un livre qui fit grand bruit. Aux antipodes des espoirs qu’il plaçait sur ce nouvel élan d’une renaissance africaine, Immanuel Maurice Wallerstein (« Africa: The Politics of Unity », New York. Random House, 1967»), relève désormais les divisions internes des pays africains, qu’elles soient d’ordre social, régional ou ethnique. Il envisage désormais la possibilité que l’Afrique ne soit pas capable de développer une idéologie révolutionnaire et ne puisse mettre en place une organisation politique susceptible de lui assurer une certaine autonomie politique, économique et culturelle. A défaut de perspectives réalistes de changements, l’auteur reprend une citation de Modibo Keita, alors président du Mali, empruntée à Ernest Renan : « Rien de grand ne peut être construit sans chimères ».

 

L’histoire de l’Afrique a démenti depuis lors presque point par point les espérances que Wallerstein avait énoncées dans son premier ouvrage (« Africa, The Politics of Independence », New York. Vintage. 1961), à l’aube des Indépendances, et dans son apologie de l’unité africaine de 1967. Toutes les structures, les actions et les personnes qui fondaient légitimement ces espérances se sont délitées. Les mouvements nationalistes et les partis politiques qui en étaient l’instrument se sont dilués dans le factionalisme. Les élites dirigeantes ont utilisés le pouvoir et l’appareil de l’état à leur profit et pour satisfaire des clientèles parasitaires dont la principale raison d’être était de protéger leur pouvoir au détriment de tout processus de contrôle démocratique. Dans cette faillite générale, il existe toutefois une catégorie d’Africains qui prospère: les “rois nègres”, despotes corrompus installés au pouvoir par des puissances coloniales soucieuses de conserver un pied dans leurs anciens empires. C’est l’histoire de l’un de ces pantins sanguinaires que l’écrivain ivoirien Ahmadou Kourouma nous narre dans « En attendant le vote des bêtes sauvages » (Ed. Seuil. Coll. Points. 382 pages) :

Au cours d’une cérémonie purificatoire en six veillées, un griot raconte la vie édifiante et drolatique du général Koyaga, maître chasseur d’une tribu paléonégritique (celle des “hommes nus”) devenu président de la République du Golfe. L’aventure du général-président commence en Indochine, où ce caporal tirailleur s’illustre en cassant du Viet. De retour au pays, grâce aux pouvoirs surnaturels que lui confèrent les gris-gris de sa maman et le Coran magique de son marabout préféré, le caporal Koyaga prend (brutalement) le pouvoir laissé vacant par les Français. Au cours d’un putsch militaire, il élimine le président Fricassa Santos, rival d’autant plus redoutable qu’il est lui aussi expert en vaudou et autres talismans : « Le grand initié Fricassa Santos s’écroule et râle. Un soldat l’achève d’une rafale. Deux autres se penchent sur le corps. Ils déboutonnent le Président, l’émasculent, enfoncent le sexe ensanglanté entre les dents. C’est l’émasculation rituelle. Toute vie humaine porte une force immanente. Une force immanente qui venge le mort en s’attaquant à son tueur. Le tueur peut neutraliser la force immanente en émasculant la victime ».

 

On le devine: le règne de Koyaga sera riche en émasculations, celle du président Santos n’étant que la première d’une longue série. Mais la sorcellerie est une chose, l’expérience en est une autre. Aussi Koyaga va-t-il prendre des leçons de tyrannie chez ses collègues africains: on reconnaîtra au passage (les pseudonymes sont transparents) Houphouët-Boigny, Sékou Touré, Mobutu, Bokassa… Ahmadou croque ici un portrait féroce et plein d’humour de l’Afrique contemporaine.

 

René Dumont n’avait-il pas alors raison de dire que nous étions mal partie ? Ne pouvons nous d’ailleurs pas fatalement soutenir aujourd’hui, sans risque de nous tromper, à la vue de tous les fléaux de la planète que nous collectionnons: famine, sécheresse, désertification, guerres, génocides, épidémies, etc. que non seulement nous étions mal partie mais aussi et surtout que nous ne sommes jamais, voire pas encore arrivée ?

 

Au plan politique, les différents pays de notre continent s’attachent solidement aux principes de la souveraineté du territoire et d’intangibilité des frontières et s’opposent à toute tentative de leurs remises en cause. Seulement c’est au gré des circonstances, suivant les hasards de la colonisation que l’Afrique a été découpée en plusieurs territoires. A l’intérieur de ces territoires, des administrations ont été mises en place, des structures économiques et sociales sont apparues. Petit à petit, les hommes appartenant à ces territoires ont pris  conscience de leur solidarité, et un vouloir vivre commun s’est formé entre eux. Par une singulière contradiction du sort, la colonisation dont le but  était  d’installer dans ces territoires une souveraineté étrangère, a eu, en définitive, pour résultat, d’y développer une conscience nationale très forte qui a été à l’origine de tous les mouvements d’émancipation en Afrique. Cependant, l’accession à l’indépendance a conféré à l’Afrique des éléments d’identification  internationale : un drapeau, un hymne, une devise, des signes et  une langue  nationale. Alors les symboles identitaires deviennent une voie de reconnaissance nationale et de repérage international d’un peuple sorti de l’anonymat colonial.

 

La première  conférence des États indépendants d’Afrique noire s’est tenue au Liberia, quelques mois après l’indépendance de la Guinée. Les membres de la conférence se préoccupèrent de dégager les règles d’une morale internationale susceptible de permettre l’organisation de leurs rapports sur la base de la souveraineté et du respect de chacun. Il a été décidé que chaque État maintien son identité nationale et sa structure constitutionnelle et s’interdit d’intervenir dans les  affaires des autres. Les principes posés (respect de la souveraineté des États, non-ingérence dans leurs affaires intérieures) répondaient à des préoccupations nouvelles. Il fallait éviter les revendications territoriales de l’un ou de l’autre et consolider les frontières acquises.

 

Ainsi, les jeunes Etats Africains sont soucieux de sauvegarder leur indépendance et d’affirmer leur souveraineté propre. C’est ce qui explique leur adhésion au principe de l’intangibilité des frontières dès le début de la décolonisation. Mais n’est-ce pas l’impossibilité pratique de procéder à une révision territoriale après l’indépendance qui les a poussés à se prononcer pour l’adoption de ce principe ? Ainsi, la charte d’Addis-Abeba annonce dans son préambule que les chefs d’États Africains et de gouvernements sont fermement résolus à sauvegarder et à consolider l’indépendance et la souveraineté durement conquise ainsi que l’intégrité  territoriale des Etats. L’adoption d’une telle règle permet la  défense de la souveraineté et la consolidation des Africains dans toutes leurs composantes.

Cependant, la consécration de ce principe n’a pas empêché la prolifération des conflits frontaliers en Afrique. Pour trouver une solution à ces litiges, certains auteurs proposent la règle du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes pour permettre aux populations des territoires contestés de choisir librement leur rattachement à tel ou tel Etat. Mais ce principe reçoit une conception restrictive dans le cas Africain car il supposait le remodelage de toute la carte de l’Afrique, proposition rejetée catégoriquement par les gouvernements mis en place avec l’appui des occidentaux. Ainsi, les chefs d’États africains sont pour le maintien des frontières héritées du colonialisme et contre tout partage du pouvoir.

 

A ce titre, l’ex-Zaïre, l’un des plus grands pays d’Afrique, par sa population et ses richesses naturelles est devenu, par la faute de sa classe politique, un objet de l’histoire et de discussion  entre chancelleries et états majors militaires. Quant au Rwanda, pour les acteurs de la violence d’origine hutue, la solution politique passe par la démocratisation du pays, garante d’une légitimité fondée sur le principe majoritaire. Mais pour les acteurs tutsis, la démocratisation est, bien au contraire, une menace mortelle et inacceptable car la survie de leur ethnie est liée à la conservation du pouvoir politique et militaire. Ainsi, les différents leaders ne peuvent compter que sur leur capacité à maîtriser des ressources internes, en hommes et en biens, et à les marchander sur le plan externe pour faire prévaloir leurs intérêts politiques. On pense que les chefs politiques ont tendance à se replier sur des clientèles régionales ou ethniques et à nouer des alliances internes et externes, privées et publiques, en vue de contrôler des ressources rapidement mobilisables auprès d’agents extérieurs. Par ailleurs, le nouveau conflit angolais est  le prolongement de la guerre qui enflamme désormais toute l’Afrique Centrale. Celle-ci oppose maintenant deux coalitions qui rassemblent une douzaine de pays, et constitue la première grande guerre interafricaine. Son enjeu est la remise en question des frontières.

Autour du président Laurent Désire Kabila, la première coalition réunit le Soudan, le Tchad le Zimbabwe et l’Angola. Cette alliance est soutenue politiquement par les pays francophones de la région et supportée financièrement par la Libye. En outre, ces pays ont en commun d’être tous artificiels, c’est à dire qu’ils ne survivraient pas à une remise en question des frontières actuelles. Ils sont donc tous partisans du statu quo et des découpages frontaliers issus de la colonisation.

 

L’autre alliance rassemble les trois pays du « bloc tutsi » à savoir l’Ouganda, le Rwanda et le Burundi, qui soutiennent les rebelles zaïrois et qui sont directement engagés dans les combats. Isolés diplomatiquement, ils disposent néanmoins d’un atout essentiel qui est la vision d’un nouvel ordre politique Africain répudiant les héritages coloniaux et notamment les frontières tracées par les européens.

 

Il y donc pour ainsi dire une forte tendance qui suggère que la carte de l’Afrique soit redessinée. Récemment, le référendum proposé au Soudan pour diviser le pays en deux parties, plaide en faveur de ce postulat. Mais, même s’il semble judicieux de se demander s’il faut redessiner la carte de l’Afrique en créant des pays ethniquement homogènes comme le prônent de nombreux géostratéges, force est de reconnaître que les conflits ethniques étatiques internes et externes sont tellement diversifiés et complexes qu’ils ne plaident pas en faveur de la création de pays ethniquement homogènes.

 

En Afrique centrale, dans un climat d’affrontements permanents selon les clivages ethniques, il est devenu presque impossible de redessiner la carte de la région. La crise dans cette partie de notre continent va bien au delà des problèmes ethniques et touche essentiellement la collision d’intérêts économiques et commerciaux entre différents acteurs et surtout l’attachement solide à la souveraineté et au maintien du statu quo.

Le colonialisme qui avait instauré un régime politico-religieux extrêmement hiérarchisé visait à imposer un clivage institutionnel entre les différentes ethnies au sein de chaque pays d’Afrique centrale pour assurer son pouvoir dans les meilleures conditions. Après son départ, la situation éclata.  On assiste depuis à des conflits locaux extrêmement violents. Ils sont dus à la conception du pouvoir politique par des minorités « extrémistes » qui sont toujours contre un partage de souveraineté et un retraçage de la carte de la région. Ainsi, la dichotomie du dominant et du dominé, du vainqueur et du vaincu, du seigneur né pour commander et du serviteur pliant l’échine pour obéir, exclut toute idée de partenariat dans une société où les citoyens sont libres et égaux en dignité et en droits. Le cas le plus frappant est celui du Rwanda où la communauté Hutue, placée dans une situation de dépendance et de soumission totale à l’égard des Tutsis, seuls détenteurs du pouvoir et de la richesse, s’est révoltée. La guerre entre les deux ethnies en avril 1994 a fait plus de 500 000 victimes. Elle a en outre provoqué l’exode de plus de 2 ,5 millions  d’habitants du pays qui ont trouvé asile dans les pays voisins, où vivaient déjà plus d’un million de leurs concitoyens chassés par la vague de violence de l’année précédente. Une lecture de l’actualité sensible à l’histoire permet d’analyser l’apparition de nouveaux pouvoirs dans certains pays de la région, comme l’émanation de minorités longtemps brimées ou exclues qui, une fois leur hégémonie établie, suscitent à leur tour la désaffection ou la rébellion d’autres factions minoritaires.

 

De même, ces conflits internes se sont reproduits dans les pays voisins qui accusent des structures étatiques fragiles et instables. Les frontières qui englobent de part et d’autre des populations de même ethnie constituent un amas de forces endogènes qui se dissipent et se neutralisent mutuellement, ce qui constitue un obstacle majeur pour redessiner la carte de l’Afrique centrale selon les tendances ethniques. La reconquête du Rwanda par les Tutsis a permis d’établir une rébellion qui a renversé le président Mobutu au ZAIRE, puis de se retourner contre Laurent Désiré Kabila qu’ils avaient porté au pouvoir. Mais cette fois, l’objectif n’est plus la conquête de Kinshasa, mais l’établissement d’un « tutsi land » et la remise en question des frontières coloniales.

 

La complexité de l’analyse de la situation provient aussi de la multiplicité des acteurs locaux : milices, bandes armées, groupes d’autodéfense, régionaux et nationaux directement impliqués dans les affrontements qui ravagent la région. A ceci s’ajoute l’extrême fluidité des alignements politiques. Ces ingérences ont des conséquences désastreuses pour la stabilité des Etats concernés. Elles les dépossèdent de certaines de leurs prérogatives de souveraineté. La compétence judiciaire a ainsi été retirée au Rwanda par la création du tribunal pénal international d’Arusha qui juge les responsables du génocide de 1994 et dont on attend aussi, paradoxalement, qu’il contribue à la réconciliation des peuples. La compétence constitutionnelle elle-même, vidée de son sens par la communauté internationale, se substitue aux peuples en élaborant les règles définissant le statut des Etats décomposés par la guerre civile. Ainsi, la compétence sécuritaire est exercée de plus en plus souvent au nom de l’ONU et des organisations régionales Africaines qui se sont octroyées la prérogative de maintenir l’ordre. Cependant, la situation au sein de chaque ethnie est dominée par un climat de tension entre les détenteurs du pouvoir qui exploitent leurs concitoyens souvent dépourvus de tout. Par conséquent, il serait difficile de régler des problèmes très compliqués pour assurer une meilleure cohabitation et retracer la carte de la région. D’après l’estimation des observateurs, la situation est extrêmement complexe et elle ne saurait se réduire à de simples antagonismes ethniques. La communauté Hutue est elle-même divisée et il y a une cassure entre les Hutus du Nord plus favorisés et leurs frères du Sud qui sont laissés à l’abandon. L’hostilité interne est parfois si vive que les enfants n’en sont pas indemnes. Blaise Chérif, conseiller juridique du H.C.R en Afrique se désole en disant : « J’ai entendu des gamins de 10 ans dire qu’ils tueraient leurs voisins quand ils seraient grands ». On comprend alors combien les rancœurs sont profondes et combien cette région risque de ne guère se stabiliser dans le long terme.

 

D’autre part et toujours en Afrique Centrale, le partage déséquilibré des richesses naturelles, la remise en cause des  regroupements régionaux déjà mis en place et les enjeux économiques de cette région sont autant de paramètres qui excluent tout retraçage des frontières selon le clivage ethnique. D’abord, le problème des richesses naturelles constitue l’un des facteurs  majeurs  de déstabilisation de la région car les richesses du sous-sol en Afrique centrale sont mal réparties. Ainsi, le sous-sol de la République Démocratique du Congo (RDC), qualifié de « scandale géologique » au même titre que la Guinée Conakry en Afrique subsaharienne, recèle les deux tiers des ressources mondiales de cobalt, le tiers des ressources de diamants, ainsi que des gisements importants de cuivre, d’uranium, de manganèse et d’or. Le Cameroun dispose de l’aluminium, du bois précieux et surtout du pétrole. La République Centrafricaine quand à elle détient une part importante de bois, de diamants et d’uranium. De son coté le Gabon est recouvert par des forets denses dont l’exploitation constitue une ressource importante à coté des industries extractives notamment l’uranium, le manganèse et le pétrole. Paradoxalement le Burundi et le Rwanda disposent de ressources énergétiques et minières insuffisantes ou difficilement exploitables. Leurs espaces sont saturés et leurs capacités d’autofinancement réduites.

 

Devant cette inégale répartition des richesses, on est en droit de se demander comment peut-on, en cas de retraçage de la carte, satisfaire le choix des territoires surtout que la lutte porte essentiellement sur la conquête des biens que sur l’appartenance ethnique. Aussi, le manque de terres agricoles fertiles allié à une croissance démographique galopante constitue la pierre d’achoppement de l’économie de l’Afrique Centrale. Le Rwanda, pays enclavé, d’une population de 8,1 millions d’habitants dispose uniquement de 26.338Km² dont une grande superficie forestière et un sol qui a perdu sa fertilité suite à des pratiques agricoles intenses. Le  Burundi de son coté, avec  une population de 6,6 millions d’habitants ne dispose que de 28 000 km². Ainsi, le noyau du problème dans ces deux pays est certes ethnique, mais il est lié essentiellement à la recherche d’espace vitaux que les pays limitrophes ne sont pas prêt à céder. De ce fait, refaire les frontières de la région ne pourrait que conduire à des affrontements fratricides, compromettre son développement économique et remettre en cause les regroupements régionaux déjà mis en place depuis 1983 dans le but d’essayer de s’imposer vis à vis  de l’extérieur et créer un démarrage réel de développement de la région. Dans ce sillage il a été crée la Communauté Économique des États d’Afrique Centrale (CEEAC) et la communauté économique des pays des  grands lacs. Dans le secteur forestier, deux organisations régionales ont été mises en place, ces dernières s’intéressent essentiellement à la coordination et la promotion des activités de développement économique. Il s’agit en fait de l’organisation Africaine du bois (OAB) qui rassemble tous les pays de l’Afrique Centrale disposant de forets. A titre d’exemple la forêt naturelle pour l’ensemble de la sous région était estimée en 1995 à environ 210 millions d’hectares. Les superficies forestières plantées étaient de 336.000 hectares dont 258.000 uniquement pour le Rwanda et le Burundi.

 

En définitive, la collision d’intérêts économiques et commerciaux entre plusieurs acteurs rend les enjeux économiques de l’Afrique Centrale plus intéressants et beaucoup plus complexes. En effet, les troupes de Laurent Désiré Kabila ont pu mener leur marche triomphale sur Kinshasa grâce à une aide substantielle en matériels militaires provenant de compagnies minières. Kabila a  donc d’abord remporté la bataille du sous-sol avant de s’emparer de la capitale Zaïroise. Tout au long des transactions, la conduite du président congolais a été stimulée par un sentiment de revanche à l’encontre des compagnies minières Sud-africaines qui avaient participé pendant trois décennies à l’enrichissement colossal de la famille Mobutu.

En outre, l’instauration d’une zone franche à Bujumbura, sur avis favorable de la banque mondiale, a exacerbé les tensions car une société belge a reçu l’autorisation d’y installer une entreprise de raffinage d’or exempte de taxes, alors que d’autres sociétés de la place s’en voyaient interdire l’accès. A cette « guerre de l’or » s’ajoute celle de la drogue et, les bénéfices du trafic alimentent les milices locales.

 

A plusieurs titres alors, l’exemple de l’Afrique Centrale montre combien il serait fastidieux d’envisager une reconfiguration géographique du continent. A défaut donc de trouver des causes explicites et cohérentes des perturbations dans la Région, à partir de l’analyse des implications ethnico-territoriales, il convient de poser la problématique du fondement même de l’Etat africain.

 

Selon la vision de certains politologues, l’Etat africain est un Etat intrinsèquement néopatrimonial où prédominent des logiques d’appropriation des rentes (Van De Walle Nicolas, « Neopatrimonialism and democracy in Africa », 1994.). Il n’existe pas d’Etat qui serait rationnel au sens que Max Weber donne à ce mot. Quelques auteurs qualifient également l’Etat africain d’Etat hybride, dans lequel se mêleraient d’un côté certains éléments caractéristiques d’un Etat moderne et de l’autre, des pratiques traditionnelles d’exercice du pouvoir. Le système économique africain serait pour ainsi dire étranger à la logique de marché, dominé par un large éventail d’économies informelles de survie (Jennifer Widner, « Economic change and political liberalisation in sub-Saharan Africa », Johns Hopkins University Press, Baltimore, London, p.129-157.). Si l’Etat africain est alors en crise, ce n’est pas seulement à cause d’une logique interne fondée sur l’économie de rente et le clientélisme, ou en raison de guerres ; la crise naît aussi des dysfonctionnements des institutions étatiques qu’entraînent la constitution de structures parallèles dans le cadre de l’aide au développement et du renforcement du secteur privé. La brèche salariale qui s’est créée entre le secteur public et l’économie privée a conduit à détourner les experts soit vers le secteur privé, soit vers des organisations d’exécution de la coopération et les organisations non gouvernementales (ONG). L’une des différences principales entre le Botswana et l’Ile Maurice d’une part, deux PRI qui connaissent des succès, et les PMA africains d’autre part, réside dans le fait que, dans le développement de ces deux pays, les institutions étatiques ont, au cours des dernières années, joué un rôle significatif de promoteurs du développement. Une étude de Goldsmith (Goldsmith Arthur A. “Africa’s overgrown state reconsidered Bureaucracy and economic growth », World Politics, Vol. 51, p. 520-546. 1999), démontre clairement qu’une administration étatique efficace est nécessaire pour assurer une croissance élevée. Or ce n’est le cas dans presque aucun PMA.

 

En somme, devant les multiples et complexes problèmes ethniques internes et externes, le rapprochement des populations par ethnie semble désuet. Et si on associe à ces problèmes ethniques d’une part, les enjeux économiques liés à la lutte pour l’acquisition des ressources naturelles inégalement réparties et à la collision d’intérêts économiques, et d’autres parts, les enjeux politiques notamment l’attachement solide à la souveraineté et à la lutte pour le pouvoir, il paraîtra clair que tout retraçage de la carte de l’Afrique selon des pays ethniquement homogènes est impossible.

 

Au plan économique, le contraste le plus spectaculaire en termes de développement économique dans le monde, est celui de l’Afrique et de l’Asie. Les économies de la Chine et de l’Inde se sont développées rapidement, l’Amérique Latine, elle aussi, a connu une croissance modérée tirant des millions d’habitants au-dessus du seuil de pauvreté. Selon certains, en raison d’un passé colonial qui a conduit d’une part à une orientation de l’économie vers l’exportation de matières premières minérales et de produits agricoles, et d’autre part à la mise en place d’élites qui ont cherché à suivre le modèle des colons, l’Afrique doit avant tout porter la charge de l’héritage postcolonial. L’héritage colonial a contribué à instaurer une structure duale et à empêcher toute croissance économique durable. Il faut aussi, selon Bloom et Sachs (Bloom David E. et Sachs Jeffrey, « Geography, demography and economic growth in Africa », in Brookings Papers on Economic Activity, No. 2, p. 207-273. 1998), considérer les données naturelles comme des facteurs importants. Pour les deux auteurs, la crise africaine trouve sa source dans les conditions géographiques particulièrement défavorables qui caractérisent le continent. 93% de la surface du continent africain se trouve sous l’influence des tropiques : les conditions climatiques difficiles (par exemple très forte ou très faible densité des pluies) sont à l’origine de la faiblesse de la productivité agricole. Hall et Jones (Hall Robert E. et Jones Charles I. « Why do some countries produce so much more production per worker than others ? », The Quarterly Journal of Economics, Vol. 114, p. 83-116. 1999), qui s’opposent à cette conception des choses, montrent dans leurs analyses que les effets des conditions climatiques sur la productivité sont négligeables. Les recherches de Gundlach et Matus-Velasco (Gundlach Erich et Matus-Velasco Xiemna, « Labor productivity in different climatic zones », Kiel Institute of World Economics, Kiel. 1999) montrent également que d’autres facteurs jouent un rôle plus important : par exemple le morcellement ethnique, voir infra. Mais la thèse selon laquelle la poursuite d’une libéralisation des marchés et, par conséquent, une intégration renforcée de l’Afrique dans le marché mondial ainsi qu’un afflux de capitaux étrangers pourraient aider l’Afrique à surmonter ses handicaps géographiques, ne parvient pas à être convaincante. Les coûts de transports ainsi que la nature des sols et les handicaps qui en découlent continuent de jouer un rôle important.

 

Parmi les arguments souvent présentés comme particulièrement importants, le morcellement ethnique serait en Afrique particulièrement marqué. Selon cette analyse, le nombre important de groupes ethniques significativement plus élevé que dans les autres régions du monde expliquerait le niveau particulièrement bas des taux de croissance africains (Easterly William et Levine Ross, « Africa’s growth tragedy », Quarterly Journal of Economics, Vol. 62, p. 1203-1250. (1997). Le morcellement ethnique serait à l’origine de 35% des pertes de croissance.

 

Bien que quelque peu contradictoire sur les approches et les causes du sous développement économiques, ces études s’accorde tout de même sur le fait que la majeure partie de l’Afrique a tout simplement stagné voire même régressé en termes d’échanges commerciaux internationaux, d’investissements, de revenus par tête et autres indicateurs de croissance économique. La paupérisation des populations a eu des conséquences dramatiques parmi lesquelles la diminution de l’espérance de vie, la violence et l’instabilité politique qui sont autant de handicaps à la croissance de l’Afrique. Durant les dernières décennies, nous avons été les témoins de nombreuses tentatives infructueuses de redressement des économies de différents pays africains. En 2006, 922 millions d’africains peuplaient les 54 états. Bien que certaines parties du continent aient connu des avancées significatives dans les dernières années, 25 pays africains sont les plus pauvres de la liste des 175 états composant le monde dressée par le Rapport du Développement Humain des Nations Unies en 2003. L’histoire de l’Afrique est en partie responsable de ce constat. La décolonisation de l’Afrique a été marquée par une instabilité aggravée par les conflits liés à la guerre froide. Pendant la seconde moitié du XXe siècle, la guerre froide ainsi que la corruption et le despotisme en très forte augmentation ont également contribué aux piètres résultats économiques du continent. Faut-il pour autant désespérer de l’Afrique ?

 

Le professeur Robert Kappel, chercheur au Département d’Etudes Africaines de l’Université de Leipzig, établit un sombre pronostic de l’avenir économique de l’Afrique. Son étude montre à quel point le sous-développement des pays les moins avancés (PMA) d’Afrique a des risques de durer. Dans les « pays les moins avancés », le PIB par habitant est inférieur à $ 785, ce qui concerne, en Afrique subsaharienne, 37 pays sur 48. De nombreux PMA africains ont pu, à plusieurs reprises, connaître une croissance ponctuelle du produit intérieur brut (PIB), mais sans que cette croissance soit durable et sans qu’aucun processus de rattrapage ne s’enclenche. On observe cependant des disparités importantes au sein même du groupe des PMA. Il faudrait distinguer les pays les plus pauvres, parmi lesquels on compte l’Ethiopie, le Mozambique et le Tchad, ainsi que ceux déchirés par les guerres civiles (Liberia, Sierra Leone, Rwanda, Congo et Angola). Beaucoup de PMA sont des pays continentaux et nombre d’entre eux connaissent une densité de population très faible (29 pays sur 48 ont une population inférieure à 10 millions d’habitants), d’où une faible demande intérieure. Si l’on prend en compte le PIB réel, la plupart ont tout juste le potentiel économique d’une grande ville allemande. Il n’y a au total, en Afrique subsaharienne, que 5 pays « avancés » : les Seychelles ($ 6450), le Gabon ($ 4170) l’Ile Maurice ($ 3700), le Botswana ($ 3600) et l’Afrique du Sud ($ 2880).

 

Les PMA africains, si l’on prend les indicateurs du développement humain (IDH), tels que la santé, l’éducation et l’espérance de vie, ont connu quelques résultats positifs : espérance de vie plus longue, mortalité infantile en baisse et alphabétisation en progrès. Il faut cependant souligner dans cette performance deux aspects déterminants :

 

D’abord, si l’on compare l’Afrique avec les autres régions du monde, l’amélioration de la performance africaine reste très modeste.

 

Ensuite, la pauvreté continue de progresser : en 1998, environ 290 millions de personnes vivaient avec moins de 1 $ par jour (c’est-à-dire environ 46% de la population africaine); 475 millions de personnes devaient vivre avec moins de 2 $ par jour (= 75% de la population africaine). Même si le PIB progressait de plus de 3%, cela ne suffirait pas à réduire le nombre de pauvres. (Robert Kappel, L’Afrique et le Monde, In. Marchés Tropicaux du 22 mars 2002, pp. 682-688.)

 

Alors que la plupart des économistes s’accordent pour dire que l’Afrique se caractérisait, depuis le milieu des années 1970 jusqu’au début des années 1990, par la stagnation et le déclin, les avis divergent sur les processus de croissance que connaît l’Afrique depuis le milieu des années 1990. De nombreux économistes pensent que le continent serait sur la bonne voie, tels ceux de la Banque mondiale, du FMI et de l’OCDE, qui tentent de montrer que l’Afrique réalise une meilleure croissance qu’auparavant. Les programmes d’ajustement structurels, selon leurs analyses, auraient contribué au retour d’une dynamique de croissance en Afrique et à l’introduction d’un processus de rattrapage.

 

Ainsi le FMI rapporte qu’entre 1970 et 1998, le taux de croissance en pourcentage du PIB réel par habitant a évolué pour l’Angola (-1,9), le Rwanda (-1,3), le Burkina Faso (-0,5), Sao-Tomé-et-Principe (-0,4), le Burundi (-0,3), le Sénégal (-0,4), la République Centrafricaine (-0,3), le Sierra Leone (-2,5), Comores (-0,2), la Somalie (-0,9), la République Démocratique du Congo (-4,3), le Togo (-1,1), la Côte d’Ivoire (0), la Zambie (-2,2), l’Ethiopie (-0,1), le Djibouti (-4,3), le Ghana (-0,6), la  Namibie (-0,6), la Guinée Bissau (-0,1), l’Afrique du Sud (-0,1), le Liberia (-2,0), le Cap-Vert (0,5), Madagascar (-2,0), Swaziland (1,4), le Mali (-0,5), l’Ile Maurice (4,6), le Niger (-0,9), le Botswana (7,3). (Robert Kappel, Ibidem.)

 

Si les taux de croissance moyens du PIB sont effectivement positifs pour la période 1994-1998, 20 pays sur 45 connaissent une croissance inférieure à 1%. La croissance n’a de sens que pour une poignée de pays : Ile Maurice, Botswana, Ouganda et Guinée équatoriale. Sur le long terme, on ne peut guère être optimiste : tous les PMA sans exception enregistrent une croissance négative pour la période 1970-1998. Le calcul est simple : les PMA devraient enregistrer pendant 50 ans une croissance moyenne du PIB supérieure à 7% (à supposer également que la transition démographique se fasse au bout de 35 ans) pour que le PIB par habitant africain moyen actuel passe de 500 $ à 3900 $. Il serait parfaitement irréaliste d’envisager que plus de 10% des PMA puissent atteindre cette croissance. (Robert Kappel, Ibid.)

 

Par ailleurs, les taux d’investissement constituent un indicateur particulièrement important du caractère durable de la croissance. Le niveau des investissements nationaux nets que connaissent les PMA se situe en dessous de celui de la majorité des autres continents. La part du PIB consacrée aux investissements bruts était de 27% au milieu des années 1970, elle est tombée à 17% environ pendant les années 1990. De même, de 1971 à 1998 l’épargne brute globale est tombée de 19% à 15% à peine. L’insuffisance des ressources humaines ainsi que la perte d’experts constituent un handicap majeur pour le développement de l’Afrique. L’espérance de vie dans les pays tropicaux est plus basse qu’ailleurs, les maladies tropicales rendent les conditions sanitaires précaires, le Sida accentue chaque jour ses ravages sur la population active. Plus encore, le développement de la formation reste inférieur à celui d’autres régions du monde. Les conditions de scolarisation dans l’enseignement primaire et secondaire sont déplorables. Le constat est abrupt : le manque très important d’ingénieurs formés et d’employés spécialisés, ainsi que la faiblesse des compétences technologiques disponibles, rendent improbable le décollage des PMA. Dans beaucoup d’entre eux, la productivité du travail a même chuté. Le capital investi par emploi est très faible. Au cours des 25 dernières années, la productivité globale des facteurs de production (PGFP) s’est dépréciée. Les faibles productivités du travail et la faible PGFP suffisent à affirmer encore aujourd’hui que l’Afrique est l’une des régions du monde où la production est la moins rentable, bien que les coûts salariaux y soient faibles. Si l’on y ajoute le coût élevé des moyens de communication et des transports, on comprend que l’Afrique n’ait joué jusqu’à présent aucun rôle dans le système de production mondial. Les prévisions de croissance pour les décennies à venir, en tenant compte de ces facteurs, ne peuvent être que pessimistes (Mkandawire Thandika et Soludo Charles C. « Our continent, our future », Africa World Press, Trenton, 1999).

 

Les PMA africains restent aujourd’hui encore en marge de toute dynamique technologique et l’absence de système moderne de communication et d’infrastructures matérielles physiques rend quasiment impossible toute politique d’intégration volontariste dans le marché mondial. Une comparaison entre l’Afrique du Sud et les autres pays africains démontre l’ampleur du retard : pour atteindre le niveau d’équipement en téléphones que connaît l’Afrique du Sud, il faudrait que 50% du PIB africain soit investi dans ce secteur. On pourrait citer des exemples semblables pour le développement du réseau routier, la construction de ports et d’aéroports, l’équipement en électricité, etc. Les coûts élevés de transport et de communication qui en découlent ont contribué à créer, dans de nombreuses régions du continent, des marchés protégés qui satisfont la demande locale sans avoir à n’affronter aucune concurrence.

 

Parmi les facteurs exogènes essentiels, il faut compter les chocs dus aux variations des termes de l’échange. Les chocs liés aux termes de l’échange sont particulièrement sensibles en Afrique. Si certains pays connaissent, même temporairement, une appréciation importante des termes de l’échange, comme par exemple certains pays exportateurs de pétrole (Nigéria, Guinée équatoriale, Angola, Cameroun), cette appréciation reste un facteur de déstabilisation. Il faut évoquer notamment l’inflation, la hausse des taux de consommation intérieure, l’utilisation toujours plus inefficace des prélèvements publics, l’orientation vers une économie de rente, les espérances mises dans la poursuite des taxations des exportations ; tout cela entretient un système d’exportation composé uniquement de matières premières brutes. (« dutch disease »). Les mesures prises par les Etats pour amortir ces chocs extérieurs n’existent qu’à l’état embryonnaire. Les politiques économiques nationales n’ont connu, pendant les quarante premières années des indépendances, pratiquement aucun succès en ce qui concerne la restructuration des économies et la baisse de la volatilité de capitaux. Les élites gouvernementales comptent en outre sur les revenus procurés par les rentes qu’elles prélèvent sur le commerce extérieur ; étant donné que les investissements directs et les investissements de portefeuille se font attendre, alors même que les banques de crédit restent inaccessibles, ces mêmes élites mettent leur confiance dans l’aide au développement (Fabrizio Coricelli, Massimo di Matteo et Frank Hahn, “New theories in growth and development”, MacMillan, Houndmills, Basingstoke, New York, pp. 97-110).

 

En outre, les programmes d’adaptation des structures (PAS) ont conduit, dans beaucoup de PMA, à une certaine stabilité. Cela s’observe à la chute des taux d’inflation (61% des pays connaissent désormais un taux d’inflation inférieur à 10%), à la réduction des écarts fiscaux à moins de 10% du ratio déficit budgétaire/PIB, à la poursuite de la libéralisation des marchés, à l’ouverture du commerce extérieur, à la suppression des Marketing Boards et à la libéralisation des cours du change, de sorte que, dans la plupart des pays, il n’existe plus de cours de change parallèles (N.J. Asmara, Ottawa, Dakar. Bardhan Pranab, “The contributions of endogenous growth theory to the analysis of development problems : An assessment” 1998). Par contre, la crise de l’endettement des PMA n’est pas résolue. La plupart des PMA d’Afrique sont des PPTE (pays pauvres fortement endettés). Les succès relatifs mentionnés supra, sont dus avant tout aux PAS. Les PAS ont été nécessaires : ils ont permis à des économies, dont la majorité était jusqu’alors fermées, de s’ouvrir ; ils ont contribué à rétablir l’équilibre de la balance des paiements, ils ont réduit les déséquilibres budgétaires et donné aux pays l’impulsion nécessaire pour s’orienter vers l’exportation ; ils ont libéralisé les marchés intérieurs. Mais l’Afrique, malgré l’amélioration de ses résultats économiques, est tombée dans le piège d’une stabilité au niveau faible (SNF) (Wohlmuth Karl, « Die Grundlagen des neuen Wachstumsoptimismus in Afrika » et R. Kappel (Hrsg.), Afrikas Wirtschaftsperspektiven, Institut für Afrika-Kunde, Hamburg, p. 47-72. 1999).

 

Les mesures prises conformément aux principes connus sous le nom de Consensus de Washington n’ont pu aucunement, jusqu’à présent, aider à la hausse des taux d’investissement, à l’accumulation du capital et à la croissance, parce qu’elles se sont concentrées avant tout sur des variables facilement modifiables, comme le taux de change, la politique fiscale et la politique monétaire, au lieu de se donner comme mission première de développer les ressources humaines et les infrastructures et de modifier la structure du commerce extérieur. Résultat : on ne constate aucune croissance de la productivité, on n’enregistre pratiquement aucun succès en matière d’industrialisation, et seuls quelques pays producteurs de matières premières attirent des capitaux étrangers. La pauvreté, surtout, ne se trouve pas réduite.

 

Il existe cependant un bon nombre d’explications théoriques plausibles de la faible croissance de nos pays.

 

D’abord la croissance dépend, selon le modèle Harrod-Domar, des taux d’investissement et, de façon marginale, de la productivité du capital. La croissance peut être accélérée par des taux d’investissement élevés associés à la grande efficacité des investissements de capitaux. Les taux d’investissement africains sont généralement bas. Ensuite, selon le modèle de Solow au contraire, la croissance est le résultat du progrès technique et de la croissance démographique (Hoeffler Anke E., « The augmented Solow model and the African growth debate », Ulpa, University of Leipzig Papers on Africa Politics and Economics, No.43, Leipzig, 2000.). Des taux d’investissement supérieurs à 15% ne sont constatés qu’exceptionnellement, dans quelques pays seulement. Surtout, l’investissement de capitaux est souvent inefficace, conséquence, entre autres, de l’inefficacité des institutions.

 

Les analyses de Langhammer (Langhammer Rolf J. « Wirtschaftsreformen in Afrika : Getragen von der Gunst der Geber ? » Zeitschrift für Wirtschafts- und Sozialwissenschaften, Vol. 116, S. 119-144. 1996.) tentant de prendre en compte le secteur des rentes en mesurant la faible productivité du capital dans le secteur productif d’Afrique montrent que ce sont précisément les pays pauvres en capitaux qui se révèlent être les moins économes de leurs capitaux.

 

Alors que le fonctionnement du modèle de croissance néoclassique se fonde sur l’hypothèse d’une baisse des rendements marginaux du capital et du progrès technique importé, baisse qui empêche toute croissance à long terme, la théorie de la croissance endogène repose, elle, sur des externalités technologiques et sur une croissance imparfaite. Il s’ensuit que, par le biais d’investissements en capital et en travail, on peut introduire une externalité intra-industrielle et inter-industrielle qui conduise à des effets de synergie sur l’ensemble de l’économie. Dans le cas d’une concurrence imparfaite, les firmes sont en permanence incitées à introduire de nouvelles gammes de produits, voire de nouvelles qualités de produits. Les investissements permettent au moins, à défaut de les réduire, de rendre stables les rendements marginaux. La croissance dépend ainsi de la complémentarité entre capitaux physiques et humains. La formation initiale et continue, les dépenses pour la Recherche et le Développement (R&D) et les innovations élargissent la base de la création de richesse (Robert Kappel, Id.). Seulement la complémentarité entre investissements en capital humain et dépenses de R&D dans les secteurs de l’économie privée n’existe pratiquement pas dans notre continent. Cela s’explique en particulier par le nombre toujours aussi élevé d’entreprises d’Etat, mais aussi par une politique de privatisation dont l’efficacité laisse à désirer (Prof. Moussa Samb « La privatisation des services publics en Afrique Subsaharienne : à l’heure des bilan » In. Mirador du Monde Contemporain N° 01, pp. 156-167. Dakar, Février-Mars 2009.) par la réticence éprouvée à promouvoir le secteur privé, ainsi que par un désintérêt complet pour la promotion de l’innovation et de la recherche dans les entreprises et les institutions étatiques.

 

Au plan socio-économique, Nous nous trouvons, depuis nos indépendances, dans un processus de transformation socio-économique qui se caractérise par une urbanisation en très forte hausse et par la croissance du secteur informel. L’espace rural connaît une forte déprise agricole, la productivité est faible et les chances de survie en milieu rural sont à maints égards extrêmement faibles. Et bien que les villes aient été privilégiées grâce aux infrastructures matérielles, à un accès plus facile à l’eau potable, aux soins médicaux et à l’école, les populations urbaines sont, elles aussi, pauvres. La majorité des populations se trouvent contraintes d’opter pour des stratégies mixtes afin d’assurer leur survie. Les formes que prend ce phénomène sont variées, mais elles mettent toutes en évidence l’exclusion de ces populations de l’économie moderne. Les réseaux familiaux, les clans, les groupes ethniques et les réseaux religieux jouent un rôle essentiel lorsqu’il s’agit de surmonter des problèmes liés à la survie. Dans un contexte où le secteur informel est l’économie dominante, on peut distinguer schématiquement trois domaines :

 

En premier lieu, le secteur moderne (SM) qui se caractérise par une forte intensité de rendement des capitaux. Les conditions de travail y sont régulées et les prix fixés par le gouvernement. Celui-ci joue un grand rôle dans la protection du secteur moderne et exerce actuellement le monopole de la régulation. De nombreuses entreprises du SM ne sont pas rentables et l’utilisation des capacités est faible. Les PAS ont favorisé la restructuration du SM. De nombreuses entreprises d’Etat ont été privatisées.

 

En deuxième lieu, le secteur de survie ou secteur de subsistance (SS) qui absorbe le surplus de main d’œuvre. La productivité est très faible. Il n’y a pas d’accumulation du capital. La plupart des gens tentent d’assurer leur survie en adoptant des stratégies à risques.

 

En troisième lieu, le secteur informel (SI). Le fonctionnement des facteurs de production montre des procédés de production où l’intensité du travail est plus importante que l’intensité du capital. Les PME emploient le plus souvent des membres de la famille ou des salariés mal payés. Le SI se différencie entre autres par la libéralisation et la dérégulation des marchés. Un petit secteur moderne (SI moderne) commence à se former dans le domaine manufacturier et dans le secteur des services. Certaines PME font preuve d’innovation ; elles utilisent les technologies modernes et elles satisfont la demande croissante des agglomérations urbaines. Parce qu’elles ont une bonne connaissance de la réalité locale et que leur production est peu coûteuse, elles peuvent également concurrencer les exportations étrangères. Les PME productives couvrent une part croissante du marché, mais moins de 5% des PME sont en mesure de continuer à se développer (Liedholm Carl et Mead Donald C. « Small enterprises and economic development. The dynamics of micro and small enterprises ». MacMillan, London, New York. 1999).

 

Les entreprises non productives du SI continuent à constituer un secteur de transition vers le secteur de subsistance. Les résultats nécessaires à la croissance du SI proviennent d’une part de la migration de la population rurale vers les villes, d’autre part de la croissance démographique urbaine. Les jeunes qui ont terminé leur scolarité ne trouvent pas d’emploi dans le SM et sont par conséquent obligés de s’insérer dans le SI pour survivre. Le passage du SI vers le SS est souple, de même qu’entre SI et SI moderne. SI moderne, SI et SS se développent surtout dans les agglomérations. Il faut considérer comme une forme nouvelle du développement économique ce qu’on appelle les « clusters » industriels (structures en nids d’abeilles ou réseaux industriels locaux). Les réseaux forment un environnement favorable au développement de l’innovation et de la capacité concurrentielle des PME. Les études menées sur la formation des réseaux mettent en évidence que le succès d’une industrie n’est pas assuré seulement par la productivité de chaque entreprise, mais bien par l’interaction d’un nombre important d’entreprises qui sont reliées entre elles horizontalement et verticalement. Les conditions et les originalités spécifiques d’une région, comme par exemple les réseaux intrarégionaux et les diverses formes de coopération, tout comme les traditions historiques, économiques et culturelles ainsi que les niveaux de qualification sont déterminants pour le développement régional de la croissance et de l’emploi. Les succès de tels développements industriels sont liés à un milieu particulier de coopération et d’innovation. Ils augmentent l’efficacité collective.

 

La faiblesse que connaît jusqu’à présent le taux d’urbanisation en Afrique, la taille limitée des marchés intérieurs de la demande et la structure périurbaine n’ont jusqu’ici donné d’élan à aucun développement économique particulier. Pourtant, il semble que des potentialités se forment dans les villes. Si l’émergence de réseaux constitue une preuve de cette nouvelle dynamique, cela ne veut pas dire pour autant que les réseaux constituent la voie royale pour le développement des entreprises : les réseaux africains font montre jusqu’ici de nombreuses faiblesses, et ce n’est que dans quelques pays que certains réseaux ont pu être couronnés de succès (Mc. Cormick Dorothy, « African enterprise cluster and industrialization: Theory and reality », World Development, Vol. 27, pp. 1531-1591. (1999)).

 

Les plus gros problèmes que connaissent les Pays les Moins Avancés  (PMA) d’Afrique sont les suivants: carences des institutions, développement insuffisant de l’économie, droits de propriété incertains, manque de compétences techniques, faible niveau d’acquisition de savoir technologique et faiblesse des effets exogènes en raison d’une faible demande du marché. La faiblesse de l’intégration verticale dans le secteur formel ainsi que celle de l’intégration horizontale sont également des facteurs limitant le développement. Les PME des réseaux sont en outre la plupart du temps des entreprises familiales qui doivent répondre aux besoins de leur propre clientèle familiale et n’arrivent pas, par conséquent, à franchir le seuil de l’accumulation du capital.

 

A côté des activités économiques informelles, il existe une part importante de marchés illégaux qui connaît depuis quelque temps une forte croissance (contrebande, vol, prostitution, trafic d’armes, trafic de voitures, trafic de drogue et d’alcool, détournement de fonds publics à usage privé). De nombreux hommes politiques et fonctionnaires, en Afrique, sont partie prenante de ces activités (Bayard Jean-François, Ellis Stephen et Hibou Béatrice, « La criminalisation de l’Etat en Afrique », Ed. Complexe, Bruxelles. 1997).

 

Au plan de l’urbanisation, le processus a connu de nouvelles tendances ces deux dernières décennies. On l’observe en particulier en Afrique australe et occidentale. Cette urbanisation se fait en dehors de toute planification rationnelle ; elle n’est le plus souvent liée à aucune nouvelle infrastructure. On peut, malgré tout, y trouver les germes d’une nouvelle dynamique économique. Selon les découvertes les plus récentes en analyse spatiale (Fujita Masahisa, Krugman Paul et Venables Anthony J., « The spatial economy. Cities, regions, and international trade », MIT-Press, Cambridge, Mass. & London 1999.), ces concentrations spatiales ainsi que la diminution des coûts de transport et les possibilités d’économies d’échelle, contribuent au développement d’une métropole économique dynamique et à l’émergence de noyaux industriels. Peut-on reconnaître les prémices d’un tel processus dans les PMA africains ? Il semble bien, malheureusement, que non. L’impulsion devrait venir de la croissance de la demande qui accompagne l’urbanisation. Bien que cette demande provienne en grande part des revenus des pauvres (auxquels il faut ajouter ceux d’une classe moyenne qui croît lentement), elle représente une croissance potentielle pour les PME locales, qui augmentent leur production de biens de consommation mais aussi de biens d’équipement. Or dans presque tous les PMA africains, le processus d’urbanisation est marqué par des déséquilibres, une répartition inégale des revenus, de violents conflits sociaux qui empêchent le phénomène de se développer.

 

Lors des trente dernières années, les structures du commerce extérieur et de la production n’ont pas connu de transformation significative. En Afrique, les exportations sont toujours composées essentiellement de matières premières ; il faudrait viser à tirer profit de la grande valeur de ces ressources naturelles pour en réduire les effets négatifs. Le Botswana l’a montré : les recettes provenant des matières premières furent utilisées pour modifier les structures économiques, empêchant le pays de tomber dans le « syndrome hollandais ». La mise en place d’une économie de rente a ansi pu être évitée : grâce à la libéralisation les entreprises locales et étrangères investirent dans l’industrie et dans le secteur des services.

 

Les potentialités technologiques se trouvèrent alors étendues et les compétences technologiques maîtrisées ; l’importation de capitaux ainsi que de nouvelles technologies contribua au succès économique. Le dilemme des PMA est le suivant : si l’on renforce les investissements dans le capital humain, alors même que la demande en techniciens qualifiés, en ingénieurs, en experts et en diplômés de gestion d’entreprises diminue, on aboutit à un excès de l’offre. La formation de la population active coûte cher, surtout lorsque la main d’œuvre qualifiée quitte le pays (fuite des cerveaux). Pour éviter cela, l’Afrique doit s’efforcer de compléter les nécessaires réformes macroéconomiques par des investissements dans la formation et dans l’infrastructure, par d’actives interventions dans la politique de croissance et par des mesures de nature microéconomique, cela afin d’améliorer l’environnement économique offert aux entreprises (surtout aux PME). Dans d’autres secteurs, où l’on produit avant tout des biens nécessitant du savoir-faire, des entreprises étrangères peuvent, par le biais de leurs investissements, accroître la demande en main-d’œuvre qualifiée.

 

Le rôle que les théories de l’économie du développement assignent à la répartition des revenus dans le développement économique a été souvent controversé. Certains théoriciens du développement soutenaient que l’inégalité pouvait contribuer à augmenter la croissance, les riches investissant davantage que les pauvres. Lipton insiste au contraire sur le fait que l’explosion urbaine revient en fait à un transfert du surplus des productions agricoles des espaces ruraux vers les espaces urbains. Ce à quoi il ajoute que les capacités productives des pauvres à la campagne ne sont plus utilisées de façon rentable (Lipton Michael, « Why poor people stay poor », Temple Smith, London. 1977.). La thèse de l’explosion urbaine de Lipton a été maintes fois contredite, car, en raison du processus d’ajustement structurels, le rapport des prix aurait évolué en faveur des agriculteurs, et la population rurale en aurait par conséquent aussi profité. La chute relative des revenus en ville et la hausse des revenus à la campagne auraient plutôt atténué les inégalités en Afrique. De nouvelles études confirment à présent que des inégalités trop importantes sont plutôt préjudiciables à la croissance (Aghion Philippe, Caroli Eve et Garcia Penalosa Cecilia, « Inequality and economic growth : The perspective of the new growth theory », Journal of Economic Literature, Vol. 37, p. 1615-1660. 1999), tandis que de faibles inégalités ont tendance à favoriser la croissance ; on met du moins des limites à l’efficacité de la politique de redistribution. Dans les pays très pauvres en effet, même un système d’impôt très progressif incite peu les catégories de population à faible revenus à investir. Dans le cas où les bénéficiaires de hauts revenus sont empêchés d’investir, la capacité de croissance de la société se trouve même réduite. Deinigner et Squire (Deinigner Klaus et Squire Lyn « A new data set measuring income inequality », The World Bank Economic Review, Vol. 19, pp. 565-591. 1996.) ont fait des analyses comparées des inégalités en Afrique et, ce faisant, ont avant tout mis l’accent sur l’inégalité, au départ, de la répartition spatiale des richesses ; ce sont ces disparités spatiales qui auraient des effets négatifs sur la croissance. En revanche, d’après les deux auteurs, le lien de cause à effet entre disparités des revenus et croissance économique ne serait pas aussi marqué. Les conséquences des disparités spatiales des richesses ne se retrouvent pas seulement dans la disparité des régions, mais se poursuivent aussi sur les marchés financiers.

 

L’accès au crédit dépend de la propriété foncière et l’on pourrait ajouter, dans le cas du secteur des PME, de l’absence de propriété foncière, à laquelle on recourt comme gage de sécurité. Les investissements dans le capital physique et humain sont donc rendus plus difficiles. En outre, étant donné la corrélation négative, et cela est significatif, entre l’inégale distribution spatiale et le niveau de formation, les effets d’exclusion du marché du crédit sont particulièrement marqués. Les conséquences de ce modèle sont les suivantes :

 

  • Il est nécessaire de modifier la répartition des revenus qui rend possible l’accès au marché des capitaux et encourage parallèlement les investissements et la croissance économique.

 

  • Les mesures de redistribution ne doivent pas freiner la capacité d’investissement.

 

Même si le tableau que nous venons de dresser est quelque peu sombre et accorde une toute petite place à l’espoir, l’on peut tout de même, en se basant sur les données récentes, constater des taux de croissance plus élevés dans certaines parties du continent. A la question faut-il désespérer de l’Afrique, nous pouvons dès lors répondre par la négative au moins pour les raisons que dessous.

 

D’abord la Banque Mondiale signale que l’économie de certains pays africains sub-sahariens a pu connaitre des taux de croissance similaires à la moyenne mondiale. Les économies des nations africaines au développement le plus significatif ont connu des taux de croissance sensiblement supérieurs à la moyenne mondiale. Parmi ces nations en 2007, figurent la Mauritanie (croissance de 19.8%), l’Angola (17.6%), le Soudan (9.6%), le Mozambique (7.9%) et le Malawi (7.8%). De nombreuses agences internationales portent un intérêt accru aux économies africaines émergeantes, particulièrement si l’on prend en compte le maintien de taux de croissance élevés en dépit de la récession économique mondiale.

 

Il y a cependant un effort à faire et une réorientation des politiques économiques dans beaucoup de pays africains dans les domaines de l’innovation technique et technologique et, sans avoir à réinventer la roue, de la mise en place de conditions d’appropriation des savoir-faires importés du reste du monde. Le constat est cependant fait. L’appropriation d’un savoir technique importé grâce à un transfert de savoir-faire est souvent rendue impossible dans nos pays. Des chefs d’entreprise innovateurs, pour peu qu’ils se trouvent dans un contexte d’innovation, peuvent être des moteurs de croissance. Cela suppose un système national d’innovation qui relie la science, l’économie, le système de formation initiale et continue, proposée par les entreprises ou par des organismes de sous-traitance, ainsi que la promotion de la recherche par l’Etat. C’est ce modèle qui a permis aux nouveaux pays industrialisés (NPI) de connaître le processus de rattrapage économique qui a été le leur. L’insuffisance des systèmes nationaux d’investissement sur notre continent et la réorientation des chefs d’entreprises innovateurs vers des domaines liés au détournement des rentes ont eu comme conséquence, dans les secteurs productifs, le retrait d’importantes ressources.

 

En conclusion, on peut retenir cependant que l’Afrique se différencie de plus en plus des autres continents. Collier et Gunning (Collier Paul et Gunning Jan Willem, « Explaining African economic résultat », Journal of Economic Literature, Vol 37, pp. 64-111. 1999) ont regroupé les différents pays en quatre groupes. Le premier groupe de pays, constitué de pays politiquement instables, voire touchés par les guerres, a fortement réduit la croissance africaine globale. La croissance de la productivité du travail a été durant les vingt dernières années d’à peine 0,8%. Le deuxième groupe a certes atteint la stabilité politique mais n’a pas encore amélioré de façon satisfaisante ses structures macroéconomiques. Dans ce groupe, la productivité du travail croît actuellement de 2,7%. Le troisième groupe comprend des pays dont la politique d’allocation des ressources (cours du change, secteur financier, marché des facteurs de production et des produits, entreprises semi-publiques, dépenses publiques) s’est améliorée. Ces pays enregistrent une croissance de la productivité du travail de 4,2%. Les autres pays sont ceux qui remplissent tous les critères et dont la croissance se situe à 4,7%. Ce dernier groupe comprend, les PMA suivants : Bénin, Burkina Faso, Cap Vert, Côte d’Ivoire, Ethiopie, Gambie, Ghana, Guinée-Bissau, Mali, Mauritanie, Sénégal et Ouganda. Les auteurs de cette enquête concluent en disant que la faible croissance en Afrique doit être imputée aux insuffisances de la politique macroéconomique. Si les PMA avaient suivi la politique économique de l’Ile Maurice et du Botswana et avaient adopté une gestion des risques semblable, leur croissance aurait été de loin plus importante.

 

Je propose personnellement cependant, une répartition en cinq catégories, reposant sur la prise en compte du taux de croissance du PIB, du PIB/habitant, du taux d’investissement, de la productivité, de l’indice de développement humain et de la répartition des revenus.

 

  1. Economies africaines émergentes. En nombre très réduit, elles se trouvent en situation de rattrapage économique. Seuls deux pays insulaires (Ile Maurice et Seychelles) appartiennent à cette catégorie en 2000.

 

  1. Pays à réforme potentielle : ce groupe comprend le Botswana, la Namibie, l’Afrique du Sud, le Lesotho, le Gabon, le Cap Vert, le Ghana et la Guinée équatoriale. A condition de poursuivre les réformes économiques en cours, ce groupe de pays peut tout à fait réaliser une croissance plus élevée du PIB et augmenter ses exportations. Au delà d’une certaine durée, il faudra un taux de croissance de 6-8% pour pouvoir sortir de la spirale de la pauvreté, de la croissance démographique élevée et des faibles investissements. Cela est surtout difficile pour les pays dont l’économie repose essentiellement sur la vente de matières premières, car il faut y prendre des mesures politico-économiques anti-« syndrome hollandais ».

 

  1. Pays à faibles revenus chroniques et à faibles chances de développement (PFCD) : ce groupe (environ un quart de tous les Etats africains) se caractérise par la stagnation. Les indicateurs de croissance sont tous faibles. Parmi les PFCD, on compte également l’Ouganda, dont les effets de la croissance sont réduits à néant par l’engagement militaire au Congo ainsi que par des tensions internes. A cela s’ajoutent des coûts de transactions et de transports élevés dus à la situation continentale de l’Etat. Ces facteurs handicapent le développement ougandais, tout autant que le manque de formation de la population. En outre, le régime néopatrimonial n’est, de façon évidente, plus en mesure d’entreprendre des réorientations en terme de politique économique. L’Ouganda, dans de telles conditions, ne pourra pas accomplir de processus de rattrapage et restera durablement un PMA. Il en va de même pour d’autres pays comme par exemple la Côte d’Ivoire.).

 

  1. Pays à faibles revenus chroniques à chances de développement à long terme inexistantes (PCDI) : plus d’un quart de l’ensemble des Etats appartient à ce groupe. La plupart d’entre eux vont rester prisonniers du piège de la croissance. Ils se trouvent dans un cercle vicieux de pauvreté et de conflit. Même si l’on fait la supposition irréaliste que les taux de croissance moyens progressent de 3% sur une période de 50 ans, cela suffirait à peine à réduire la pauvreté.

 

  1. Pays où les perspectives (actuelles) sont nulles (PPN) : ce groupe comprend également environ un quart de l’ensemble des Etats. Il s’agit entre autres de la Sierra Leone, de l’Angola, du Liberia, du Burundi. Les pays des groupes C, D et E (un peu plus de 4 pays africains sur 5) sont tous des PMA, à l’exception du Swaziland. Il seront à peine en mesure d’amorcer un processus de rattrapage, bien que, dans beaucoup d’Etats, de nouvelles orientations aient été mises en place grâce à des programmes de stabilisation.

 

Ces difficultés reflètent les problèmes fondamentaux suivants :

 

  • Ces pays sont le plus souvent caractérisés par la « persistance du dysfonctionnement institutionnel » (BARDHAN, Pranab (2000), « Understanding underdevelopment : Challenges for institutional economics from the point of view of poor countries », Journal of Institutional and Theoretical Economics, Vol. 156, p. 216-244.). Les résultats empiriques montrent combien la transformation socio-économique et la mise en place d’institutions sociales n’ont jusqu’à présent pas été durables. On observe presque partout la persistance de logiques rentières et néopatrimoniales. La stabilité politique, l’assurance des droits de propriété et le fonctionnement d’institutions qui soient orientées vers le développement constituent les conditions nécessaires à tout développement. Si ces conditions font défaut, aucune croissance durable ne sera possible.

 

  • Les faibles niveaux d’accumulation du capital seront accompagnés de la faible croissance de la productivité générale des facteurs de production.

 

  • Le faible niveau de développement des ressources humaines est un facteur handicapant, car il réduit les chances de développement des PMA. Pour assurer croissance et développement, l’Afrique doit s’appliquer à renforcer ses efforts pour améliorer la qualité de la formation technique et de la recherche, ainsi que de la formation professionnelle.

 

  • La hausse dramatique du taux d’urbanisation que connaissent presque tous les PMA se caractérise par le développement du secteur informel urbain et du secteur agraire péri-urbain. Ces deux secteurs font également montre de productivités très faibles. L’accumulation du capital est très faible.

 

Au niveau microéconomique, c’est le secteur informel qui continue de prédominer. Le développement croissant de la transformation socio-économique et de l’urbanisation porte en germe les conditions d’une modernisation et d’une plus grande capacité de concurrence, mais le décollage ne se fait pas de façon automatique. Là se trouve le danger que le manque de stabilité macroéconomique et la persistance d’une économie de rente ne renforcent les dysfonctionnements du secteur informel. L’économie informelle, les activités économiques illégales et les économies de temps de guerre se renforcent les unes les autres et, dans de nombreux Etats, gangrènent entièrement la vie économique. La stabilité politique et économique ainsi que l’orientation de l’Etat vers le développement peuvent toutefois permettre de développer les potentialités présentes dans les agglomérations urbaines et de mettre en route une dynamique de croissance endogène.

 

  • Le manque de diversification est une caractéristique essentielle des PMA, bien que certains pays produisent depuis peu une petite gamme de produits finis et parviennent même à les exporter (Elbadawi, Ibrahim A. (1999), « Can Africa export manufactures ? The role of endowment, exchange rates and transaction costs », World Bank Policy Research Working Papers, WPS 2120, Washington, D.C).

 

  • La faible contribution de la productivité globale des facteurs de production (PGFP) à la croissance économique correspond aussi à un faible taux d’investissement et d’épargne. Les taux d’épargne intérieure sont dans de nombreux PMA plus élevés que les taux d’épargne nationale. Cela signifie que l’endettement est élevé et que les intérêts et les taux d’amortissement jouent un grand rôle. Nombreux sont les PMA qui versent une grande part des revenus de leurs facteurs de production à leurs créanciers étrangers. Il s’ensuit que les investissements ne peuvent pas être financés par les épargnes nationales. La performance des investissements est par conséquent fortement conditionnée par des importations de capital, qui proviennent essentiellement de l’aide au développement.

 

Dans de nombreux PMA, des entreprises d’Etat ont connu des pertes structurelles et causé de ce fait les déficits budgétaires, qui ont été comblés à leur tour par les épargnes internes. Qui en ont privé les investisseurs privés.

 

  • Nombreux sont les PMA qui font confiance à l’aide au développement, car les investissements directs, les investissements de portefeuille et les crédits bancaires constituent des exceptions. Des emprunts non remboursables, qui affluent de différentes manières vers les élites néopatrimoniales sous la forme de revenus de rentes, sont souvent placés de façon peu rentable et créent des institutions parallèles.

 

  • L’ouverture économique et la stabilisation macroéconomique ont libéré les potentialités et permis une plus grande croissance, mais cette ouverture n’est pas encore parvenue à un stade  suffisamment avancé. Sans stabilité macroéconomique, l’accumulation du capital restera faible ; sans une plus forte intégration dans le marché mondial, les PMA ne seront pas exposés à la concurrence et les transferts de technologie et de capitaux feront défaut, à tout le moins seront très faibles.

 

La politique économique nationale peut, grâce à des mesures ciblées, compenser les difficultés structurelles comme la faible dotation en matières premières, le coût élevé des transports, la forte croissance démographique, le taux de maladie très élevé et la faible espérance de vie sous les tropiques. L’Afrique peut se sortir de la stagnation (SNF) et du piège de la pauvreté si, par ce changement d’orientation, elle augmente ses taux d’investissement, surtout les investissements privés, et si elle améliore la formation de sa population, ses infrastructures et son système social.

 

  • Une donnée essentielle du sous-développement reste la très grande inégalité des revenus et des richesses qui, d’après toutes les estimations, va augmenter durant les prochaines années en raison des migrations campagne-ville. Cela accroît le risque de troubles politiques et donc de risques économiques. Les inégalités peuvent être réduites à condition de garantir les droits propriété, de rendre sûres les institutions, de permettre l’accès au crédit et de donner une plus grande marge de manoeuvre à la politique.

 

Le constat est sans appel : l’Afrique est tombée dans le piège de la pauvreté. Dans les sociétés africaines contemporaines prédomine une structure sociale qui, organisée sur la base du clientélisme, se révèle être un frein à l’augmentation de l’épargne, aux investissements et à la hausse de la productivté.

 

Davantage d’aide au développement ne peut rendre possible aucune impulsion décisive de la croissance, de quelque nature qu’elle soit. Ce sont des changements préalables, tant politiques qu’économiques, qui sont nécessaires pour résoudre les distorsions et les blocages actuels, afin de rendre possibles, sur cette base, de véritables transformations socio-économiques. De tels processus sont inexistants dans la quasi-totalité des PMA, pour lesquels tout optimisme concernant la croissance semble donc devoir être écarté.

 

Cependant, des économistes africains comme Abdoulaye Wade, Président de la République du Sénégal, les Congolais Aimé Mianzenza, Directeur du Centre d’Etudes Stratégique du Bassin du Congo (CESB), Gildas Biondi, professeur d’Economie et chercheur au Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS – France), Désiré Mandilou chercheur au CESB, Emanuel Kunzumwami économiste et professeur des universités en France ; les Sénégalais Macodou Ndiaye, professeur de Géostratégie à l’Ecole de Guerre de Paris et Souleymane Astou Diagne, professeur d’Economie à l’université Picardi Jules Verne, soutiennent que l’Afrique doit d’une certaine manière s’affranchir de l’aide au développement. Avec près d’un milliard d’habitants et autant de consommateurs, 860 milliards dépensés en produit de consommation en 2010, 60% des terres arables du monde, et avec une estimation de 1000 milliards 400 millions de dépense en produits de consommation à l’horizon 2020 (Lions on the move : The Progress and potential of African Economies, McKinsey Institute et al, 2010), l’Afrique doit à l’état actuel, selon ces mêmes économistes, jouer un rôle non négligeable dans la géopolitique mondiale. Face au nouvel enjeu économique mondial, à la volonté de présence de la Chine en Afrique, aux désirs géopolitiques de l’Europe, aux chiffres rassurants avancés par l’étude de McKinsey Institute, et à la position géostratégique de l’Afrique, point alors n’est question de désespérer. L’Afrique a eu de la grandeur dans son passé comme elle en a dans son présent, l’avenir nous en réserve probablement encore. Il ne suffit que de travailler à l’émergence d’un nouveau système de gouvernance.

PIERRE HAMET BA

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Cronos et Pape Diop

Les Sénégalais, peuple le plus bavard de la terre aux dires d’un diplomate Français, aiment gloser sur leur Président du Sénat. Sur lui, on a tout dit ou presque rien. On le dit tantôt né à Mbour. Tantôt à Mboss ou  à Kaolack en 1954, d’un père marabout décédé très tôt alors que le jeune Moustapha, de son vrai nom dit-on, avait à peine 4 ans. Elevé par une tante à Thiès, il est confronté très tôt aux dures réalités de la vie. Pauvre jeune homme, sans grand bagage intellectuel, il parvient tout de même à obtenir son diplôme de comptable à l’Institut Universitaire de Technologie (IUT) en 1976. Faux, rétorqueront certains contempteurs qui parlent d’une biographie arrangée. Son cursus scolaire se serait arrêté au brevet élémentaire. Il aurait exercé de petits métiers, fait du commerce de détail, aurait travaillé à l’ONCAD, géré une station service. Un ensemble de suppositions qui ne permettent pas d’établir avec certitude le parcours du bonhomme. Toutefois, les sources concordent en ce qu’il ait tout de même créé la SOUMEX (Soumbédioune Export), société spécialisée dans l’exportation de produits halieutiques vers l’Europe. En somme, Pape Diop est un goorgoorlou parvenu. Dans la petite histoire politique du Sénégal, le fait est assez singulier pour ne pas mériter attention. Comment, un homme du peuple, que rien apparemment ne destinait à la politique, s’est-il retrouvé dans le cercle si restreint des décideurs de notre pays ?

 

En 1993, Pape Diop obtient son premier mandat de député à l’Assemblée Nationale. Quand survient l’Alternance en 2000, il devient maire de Dakar. Peu après, il se voit propulsé au perchoir de l’Assemblée Nationale. Mais à l’époque, la problématique de la succession ne se posait pas encore. Il était naturellement admis que le Président Abdoulaye Wade allait être remplacé par Idrissa Seck. Mais ce dernier se rendit vite compte que son mentor n’avait pas l’intention de céder le fauteuil présidentiel après un mandat de 7 ans.

 

Commence alors un épisode de stratagèmes politiques qui atteint son paroxysme à la sortie de «Wade, un opposant au pouvoir ou l’alternance piégée ?». Pape Diop, alors président de l’Assemblée Nationale, s’exprimant sur la diatribe de Coulibaly, déclare n’avoir pas lu le livre du journaliste mais que ce dernier avait pour but tout ensemble de mettre en mal le Président de la République et son Premier Ministre d’alors : Idrissa Seck. Ce dernier, ne tardera d’ailleurs pas à être accusé d’avoir commandité l’ouvrage signé par Abdou Latif Coulibaly.

 

Revenant de vacances, le Président de la République déclare qu’«Il y a une main derrière Latif» et que bien des gens qui lui sont dévoués allaient prendre sa défense. Bientôt, la riposte s’organise. Ndiogou Wack Seck est appelé à la rescousse. Il crée «Le Messager», quotidien d’informations générales, puis le quotidien «Il est midi». N’ayant de cesse de critiquer le désormais ex premier ministre, Ndiogou Wack publie le scandale des chantiers de Thiès. Le Parti Démocratique Sénégalais (PDS) implose. Idrissa Seck est remercié de la primature, écarté de la direction du parti, puis emprisonné. Abdoulaye Wade est désormais seul. Plus d’homme de main. Plus de successeur connu. Plus de dauphin, si tant est qu’il en eût eu. Et la question de la succession fait alors surface.

 

Comme s’il souffrait de quelque chose, le Président Wade se met à nommer et à remercier à tout va. Les anciens ennemis deviennent de nouveaux amis. Et les amis, de nouveaux ennemis. Vraisemblablement, Wade a perdu toute capacité à faire confiance à ses proches collaborateurs. Et le voilà qui ne va pas tarder à s’agripper à ce qu’il pourrait mieux maitriser : son fils.

 

Dans la perspective des élections de 2007, Wade exécute ses plans. Après Moustapha Niasse, Mame Madior Boye, personnage apparemment neutre, se charge de la primature en attendant que le Pape du Sopi éteigne le feu qui lui brûle la barbe : les alliés de l’alternance sont maintenant devenus des opposants. Mais survint le drame du Diola. Et Wade, fortement influencé par Idrissa Seck qui convoitait la primature, en profite pour faire payer les pots cassés à Madame Boye. C’est maintenant la dernière ligne droite vers 2007 et il faut neutraliser Idrissa Seck qui menace de décimer le PDS aux prochaines élections. Macky Sall est parachuté à la primature et la contre attaque s’organise à Thiès avec Abdou Fall comme fer de lance. Mais jusque là, une question demeure sans réponse : quel successeur ?

 

L’âge avancé du Président de la République ne facilite pas les choses. Tantôt les opposants en font un argument contre sa réélection. Tantôt, ce sont ses propres militants qui agitent la question, prétextant que la bibliothèque Wade n’a pas fini de nous livrer ses secrets. De manière inavouée cependant, l’entourage de l’avocat Président n’est pas loin de penser comme l’opposition. La question reste donc taboue. Mais dans l’entourage du président, on se prépare, on se mesure à soi-même, on se mire et on se dit que ce n’est pas impossible, on rêve, le pouvoir semble être accessible à tous. Chacun veut succéder au père épuisé et affaibli par le départ de son directeur de campagne de l’année de gloire. Le jeu consiste maintenant à se hisser à une place assez stratégique pour être parmi les favoris, un certain jour J. Quelque chose comme un syndrome du possible commence à ravager le PDS. En effet, ils pensent tous que le pouvoir est désormais dans la rue et qu’il suffit seulement de prendre la peine de se baisser pour le ramasser. Seulement, Wade est bien vivant.

 

Profondément atteint par les attitudes de ses proches, plus enclins à profiter de ses largesses qu’à prendre des coups à sa place, le Président Wade s’en indigne et tombe dans un état d’angoisse post-traumatique. Il ne fait plus aucun doute, Wade a perdu confiance en ses compagnons. Comme dans la plupart des cas d’angoisse post-traumatique, il tombe dans ce qu’on appelle le «phénomène de régression» et développe alors une profonde nostalgie d’un univers de type maternel. C’est-à-dire clos et protecteur. Et, cette quête ne peut trouver d’autres objets adéquats que le groupe familial. A défaut donc de pouvoir se blottir physiquement contre le corps maternel, il se blottit psychologiquement dans la grande matrice sociale qu’est le lignage. D’où la solution qu’il pense avoir trouvé en la personne de Karim Meïssa Wade, son fils. Mais comment approcher de la scène politique une personne qui s’en est toujours tenue trop éloignée ? Telle est la problématique qui semble désormais hanter le sommeil du Président de Me Abdoulaye Wade.

 

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Le Sénégal occupe la présidence de l’OCI et doit abriter la rencontre des chefs d’Etats de la même organisation. Une agence est créée pour organiser la conférence et Karim Meïssa Wade en devient le Président. Comme pour le mettre à l’abri d’éventuels scandales financiers, on lui colle un secrétaire exécutif qui, de fait, cumule sa nouvelle fonction avec celle de Secrétaire Général de la Présidence. L’OCI devient vite un prétexte pour tout. Un véritable fourre-tout qui allie les allures d’un centre d’œuvres de charité et d’un ministère du développement social : distribution de denrées alimentaires, organisation d’aide aux mosquées, associations et organisations de masse bénéficiant des largesses de son Président. Rapidement, le clientélisme se développe autour de Karim Meïssa Wade. Des organisations de soutien naissent partout sur le territoire national. Le président de l’ANOCI est désormais sur la sellette. Des personnalités politiques commencent à se constituer en troubadour du nouveau sultan du sahel. Et certains d’entre eux comme Adama Bâ, maintenant ex maire de Gueule-tapée-Fass-Colobane et Amadou Tidiane Wone, piètre ministre de la Culture emporté par la vague déferlante qui chavira le Diola, ne tardent pas à invoquer ce qui pourrait être symptomatique du syndrome du possible : «Pourquoi pas Karim ?».

 

Un véritable pêle-mêle de stratégies de popularisation d’un illustre inconnu politique fait alors jour. Comme s’il voulait prouver quelque chose aux Sénégalais, Karim Meïssa Wade duplique les actions sur l’ensemble du territoire national. Mais la presse sénégalaise décèle en ses actes, une véritable démarche politique qui nourrit alors les supputations les plus folles sur son éventuelle préparation à la succession du Président Wade. Le débat successoral revient ainsi à la Une. Comme si leurs propres parents avaient mené leur existence dans le virtuel, les acolytes du Président de l’ANOCI créent, en catimini d’abord puis en grande pompe, la Génération du Concret. Une organisation dont le but reste encore aujourd’hui inavoué, quand bien même les observateurs y voient un parti politique en dormance. Et visiblement, Karim M. Wade n’est pas sans s’en plaire. Il ne confirme ni n’infirme les ambitions qu’on lui prête.

 

Dans cet imbroglio politique, Pape Diop est le parfait pion. Petit de taille, le visage rond et poupin, peu disert et mauvais orateur, personnage effacé et presque falot, il déclare n’avoir d’autres ambitions que de servir le Président Wade. Il a bien le profil d’un successeur constitutionnel sans d’autres objectifs sinon d’organiser les élections s’il arrivait malheur au Président de la République (que Dieu l’en garde).

 

Mais l’angoisse post-traumatique ne s’est pas encore dissipée. Abdoulaye Wade, à l’instar du Dieu Cronos, se met à dévorer ses propres enfants. Dès que la presse, les associations de soutien où même les griots vantent les mérites d’un des leaders de son parti, il prend peur. Le syndrome Idrissa Seck réapparaît à ses yeux, son traumatisme refait surface, l’angoisse l’envahi et il dévore.

 

Dans la trilogie syndrome-traumatisme-angoisse, Wade fortifie ses défenses. Il manigance maintenant pour écarter Macky Sall qui venait de contribuer fortement à la victoire du PDS et de ses alliés lors des élections présidentielle et législatives de 2007. Mais entre un ingénieur visiblement teigneux et un poissonnier apparemment docile, Abdoulaye Wade n’a d’autre choix que de conserver Pape Diop comme deuxième personnalité de l’Etat. Il va donc amorcer la disgrâce de Macky Sall pour enclencher la chute de Pape Diop. Il envoie le premier à l’assemblée nationale, à la place du deuxième qui va chômer le temps qu’un Sénat taillé sur mesure soit placée sous son autorité. Quand on sait que l’Assemblée Nationale, sous Senghor, sous Diouf et maintenant sous Wade, est une chambre d’enregistrement et la caisse de résonnance du parti au pouvoir, on se rend vite compte que c’est là, un désaveu de l’ancien Premier Ministre Macky Sall.

 

Jusque là,  Pape Diop reste la deuxième personnalité de l’Etat dans l’ordre protocolaire et dauphin constitutionnel. Dans un régime hyper présidentialisé où abondent maints nigauds, opportunistes et aventuriers, il occupe une place à part, cultivant son jardin secret, ne faisant jamais de déclarations fracassantes, et faisant peu de vagues malgré toutes les couleuvres qu’il a dû avaler. Tout semblait alors lui réussir. Mais c’est sans compter avec les rumeurs qui commencent à lui prêter des intentions de vouloir, soit conserver le pouvoir, soit de tout mettre en œuvre pour le triomphe d’Idrissa Seck, s’il arrivait à assurer l’intérim pour quelque raison que ce soit. On lui prête pour ainsi dire de fortes accointances avec Idrissa Seck. Dans les coulisses du PDS, on commence à se rendre compte que le poissonnier n’est pas si rond qu’il le laisse paraître. Bien au contraire, tout semble confirmer qu’il cultive la discrétion dans un pays ou la logorrhée verbale, le fantasque, le merveilleux et l’emphase sont une seconde nature chez les hommes politiques. Bien qu’on le décrive comme un personnage courtois mais assez terne, peu porté sur les discussions intellectuelles et les analyses politiques raffinées, on retrouve son nom dans tous les conciliabules et conclaves jalonnant la vie de la République. Y a-t-il donc du docteur Jekkyl en ce personnage terne qui apparaît le jour comme un bon notable politique presque rad de soc, et se transforme la nuit en un Monsieur Hyde ? Une telle interrogation n’est-elle pas à l’origine des appétits de Cronos à son égard ?

 

Ce que l’on peut dire, c’est que les événements du 22 mars 2009 constituent une bonne salade pour aiguiser l’appétit de Cronos. Le fait est en effet inédit. Pour la première fois dans l’histoire du Sénégal, le pouvoir perd la mairie de la capitale. Une véritable gifle pour le régime qui se targuait d’avoir ouvert de grands chantiers pour l’embellissement de Dakar. D’autant que celui qui incarnait ce nouveau sursaut de la ville n’est autre que Karim Meïssa Wade, colistier du maire sortant. Quelle est donc la responsabilité de Pape Diop dans cette terminaison dépréciative du régime ? Est-il à l’origine de ce coup de massue électoral ? Lui qui, dit-on, avait juré à Wade de conserver la mairie de Dakar. A-t-il commis une bourde lorsqu’il déclare vouloir céder la mairie une fois conquise à Karim Wade ? Ce qui a bien pu déclencher l’ire des électeurs sénégalais très portés à s’opposer contre ce qu’il considère comme une dérive monarchique du pouvoir. En définitive, Pape Diop a-t-il tout bonnement fait le lit de la défaite de Karim Wade ?

 

En tout cas, Pape Diop ne semble pas avoir sauté au plafond à l’évocation des ambitions de Karim Wade pour la mairie de Dakar. D’abord, le prestige que confère le poste de maire de la capitale est l’atout stratégique idéal pour tout politicien qui rêve d’un destin national. Ensuite, Karim l’a totalement écarté de la réalisation des chantiers de Dakar. Nulle part Pape Diop n’est apparu dans la réalisation des travaux de l’ANOCI. Bien que la mairie ait été sollicitée financièrement pour le volet éclairage public, on ne parle point de lui. Pire, aucune réalisation n’est pas comptabilisé dans son bilan. On aurait pu comprendre qu’on s’attache les services de ses compétences dans la réalisation des travaux de sa ville. Mais ce ne fut pas le cas. Pape Diop a été snobé. Et, en plus d’avoir été enlevé de la présidence de l’Assemblée Nationale qui, d’un point de vue institutionnel, confère plus de garantie, il a été difficilement logé dans un sénat à l’avenir hypothétique. Naturellement, une telle attitude à son égard a bien pu générer un pincement au cœur, quelque chose comme une jalousie, une rancœur. Karim à la mairie signifie la perte du contrôle de sa base politique qu’il a tant peiné à mettre en place. La fin d’un juteux budget qui crée un clientélisme important. Et surtout, la fin certaine de sa carrière politique. La mauvaise stratégie que Pape Diop a adoptée durant les locales est-elle alors à mettre sous le coup d’une désinvolture béate ?

 

Visiblement, Pape Diop ne s’est pas donné corps et âme pour gagner la ville de Dakar. Il y aurait même à se demander s’il n’a pas plutôt œuvré pour la défaite du PDS. Affirmant à tort et à travers qu’il ne fait pas de campagne parce qu’il ne rencontre aucune opposition sur le terrain, Pape Diop a été certainement le seul à ne pas se rendre compte du travail de sape qui a été réalisé par l’opposition. D’ailleurs, lors de son meeting le plus significatif avec Béthio Thioune, il a soutenu que l’opposition était inexistante à Dakar, d’où son choix de ne pas battre campagne. Mais, pourquoi Pape Diop s’est-il allié à Béthio Thioune qui, en ces temps, était en conflit latent avec le Président de la République dont il prétextait avoir été le principal instigateur de sa réélection ? Que penser de la déclaration de Béthio indiquant qu’il allait faire réélire Pape Diop à la mairie de Dakar ? Etait-ce une déclaration de circonstance, sans contenu caché pour que les apparences soient sauves ? Ou était-ce plutôt un message à ses fidèles pour ne pas que Karim soit porté au poste de maire de Dakar ?

 

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Un corps abandonné à lui-même tombe en suivant une direction qui est la verticale. Cette notion de physique qui explique les lois de la pesanteur s’applique bien à la démarche de Wade. Ce dernier a, avec ses meilleurs soins, fabriqué tous les leadeurs de son parti. Il le dit lui-même : «Dieu a créé les hommes, j’ai créé Idrissa Seck». Abandonné donc à eux-mêmes, ils n’ont aucune légitimité. Ils suivent la verticale et finissent par s’écraser. Aucune lecture ne donne de manière cohérente une quelconque démarche politique de leur part. Toutes leurs actions se confinent dans une éternelle lutte contre la verticale. Ils manœuvrent, manigancent, s’agenouillent et se prosternent pour ne pas être abandonnés à eux-mêmes. Ceci en a été de Modou Diagne Fada, Macky Sall, Ousmane Ngom, Aliou Sow…, la liste est longue sans être exhaustive. D’où Pape Diop tire-t-il alors sa place de dauphin constitutionnel ? Est-ce par la longévité de son compagnonnage avec Me Abdoulaye Wade ? Ou y-a-t-il d’autres raisons sous-jacentes ?

 

De toute manière, on ne peut pas soutenir que Pape Diop ait bénéficié de sa position par la durée de son engagement dans le parti. Les entrées dans l’entourage de Wade ainsi que les sorties si fracassantes défrayaient tellement la chronique qu’il est difficile d’admettre, même si certains le prétendent, que Pape Diop ait adhéré au PDS dès sa création. En 1974, le bataillon des premiers fidèles était si réduit qu’il n’aurait pas pu passer inaperçu. En tout cas, quelqu’un se serait tout de même souvenu de lui. Mais le fait est qu’il n’apparaît nulle-part. Ni dans les grandes manifestations politiques, ni dans les actes mémorables posés par le PDS d’alors dont de grands noms tels que Baïla Wone, feu Badara Diop, Amadou Booker Washington Sadji, feu Puritian Fall, Moussa Diallo, Alassane Cissokho, Serigne Diop, Ousmane Ngom, Marcel Bassène, Laye Diop Diatta, Papa Demba Diallo, Assane Cissé, Dame Kébé, feu Fara Ndiaye, feu Boubacar Sall, résistent encore à l’oubli.

 

Le PDS de jadis fut un refuge pour nombre d’hommes et de femmes qui défiaient la puissance et l’autoritarisme de l’UPS, parti-Etat de fait. Ils y avaient trouvé exutoire et sang neuf. Certains n’y sont pas restés, d’autres ont gardé la boutique. Mais de ce ballet incessant on ne se souvient pas du tout de Pape Diop. A moins que Wade ait usé du même stratagème que François Mitterrand qui aimait cloisonner ses cercles d’amis de sorte que bien des gens qui n’étaient pas destinés à se rencontrer découvrent, au soir du 10 mai 1981, qu’ils servaient le même maître depuis des années. Pape Diop était-il alors un financier occulte qui renflouait les caisses du parti au moment ou celui-ci et son leader charismatique traversaient des années de vaches maigres ?

 

Quoi qu’il en soit et de tout ce qui précède, il apparaît nettement que Pape Diop, ex Maire de Dakar, ex Président de l’Assemblée Nationale et actuellement Président du Sénat, n’a été que le fruit de multiples concours de circonstances. Il a joué la partition que lui avait conférée le chef d’orchestre qui, présentement, semble composer une nouvelle symphonie. On parle de plus en plus de la disparition du Sénat. Pis, le 4 Avril 2009, le Président annonce son projet de nommer un Vice Président. Le décret est signé le 24 août 2009. Certains observateurs y voient des indices de la fin politique d’un homme qui continue pourtant de jurer fidélité et dévouement au Président Wade. Pape Diop est alors en passe de prendre la verticale. Et de lui, il risque de ne rester que le souvenir d’un fils ayant lui-même aiguisé les appétits de Cronos. Car assurément, Wade tend de plus en plus à s’éloigner de son intérimaire. Il ne le cite ni ne fait référence à lui depuis la débâcle du 22 mars 2009.  Seulement, le poste de Vice-président est dépourvu de pouvoir constitutionnel. Pape Diop demeure pour ainsi dire l’intérimaire que Wade s’est choisi. Ce qui pose avec une certaine acuité, pas seulement le devenir de l’actuel Président du Sénat si cette institution venait à être supprimée, mais aussi et surtout la question de sa légitimité. Car, comment oser penser qu’une personne n’ayant pas pu conserver sa place de maire de la capitale, donc sans base politique conséquente, puisse organiser des élections que son parti ne voudrait pas perdre sous quelque prétexte que ce soit. En perdant donc la mairie de Dakar, Pape Diop s’est jeté à Cronos. Seul, abandonné à lui-même, il prend la verticale et amorce une chute libre.

 

PIERRE HAMET BA

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Moi, le Sénégalais

«La minorité a ceci de supérieur à la majorité

qu’elle comprend un nombre inférieur d’imbéciles».

Léo Campion.

 

Quand mille doigts pointaient le ciel pour exprimer l’envie de trouver du travail au pays natal alors que, neuf années plus tard, des millions en pointent l’océan pour exprimer l’envie de survivre; quand les laissés pour compte se retrouvent au sommet de l’Etat; quand l’incompétence prime sur la compétence; quand la médiocrité prend le dessus sur l’excellence; quand le politique se lie d’amitié aux charlatans et que ces derniers entrent en politique; quand le religieux devient une étincelle alors qu’il devrait plutôt être l’extincteur; quand les pompiers deviennent des pyromanes et les pyromanes, des gardes forestiers, alors il ne reste plus qu’à se demander de combien de temps dispose-t-on avant que l’étincelle ne mette le feu à la poudre ?

 

Bien d’événements ont presque fini de torpiller les ambitions de la jeunesse sénégalaise. Du maîtrisard boulanger au maîtrisard chômeur, de la Téranga à la rébellion en Casamance, de l’image de l’agent garant de la sécurité nationale à celle du policier traqueur social, du dirigeant honnête au chef corrompu, de l’enseignant amoureux de son métier aux vacataires chasseurs de primes, et des charlatans, sous le couvert du manteau de la religion, s’y ajoutent. Fidèles adeptes du mal, ces marchands d’illusions religieuses projettent leur propre peur sur nous. Ils n’expriment autre chose dans leurs sermons sinon leur envie de tuer Dieu. Ils tentent de nous faire croire à l’enfer et au paradis alors qu’au fond d’eux-mêmes ils auraient bien aimé que Dieu soit mort. Ces guides charlatans ne s’occupent que de leur salut terrestre et accessoirement, de celui de leurs disciples.

 

Les confréries religieuses, au même titre que les partis politiques, sont des lobbies de pouvoir. Plus elles sont influentes, plus elles tiennent le pouvoir à la gorge. Que les rangs se massifient alors ! La propagande a pris place. Dieu est mort, l’homme est vivant. On ne se préoccupe plus de l’au-delà, seulement d’ici bas. On déifie des hommes, on leurs voue un culte, on les vénère. En contre partie de cette bassesse, ils nous garantissent le bonheur ici bas et un certain paradis à l’au-delà. Suivez Dieu si vous voulez, mais ne croyez point en lui, croyez plutôt aux jouissances de ce bas monde. Voilà qui constitue la quintessence même de leur discours.

 

Les charlatans et les politiciens se sont transformés en quelque chose comme des dieux sur terre. Plus d’idéal politique, plus de valeurs, plus de moralité, pas même une religion. Seul triomphe l’être déifié. Dans ces religions organisées, le débat contradictoire n’est point admis. Seuls comptent les intérêts de soi-même, du parti, de la confrérie. Le discours est devenu clair : prêchez pour votre paroisse et incendiez la paroisse d’à côté. Marchez à quatre pattes, mettez-vous à genoux devant le marabout, prosternez-vous et mettez les institutions en coupe réglée. Et puis, dressez-vous, bras au ciel devant le peuple, et proclamez votre dignité. Saluez votre prochain et appelez le «mon frère» tant que vous partagez les mêmes intérêts. Mais, surtout, haïssez-le s’il ne partage pas vos convictions confrériques.  La religion est maintenant au cœur de la politique. Que peut-il s’en suivre si ce n’est une réaction violente et très dangereuse ? Plus de critiques, plus de débats, plus de contestation. Bien sûr, on ne conteste pas les dieux sur terre. Et c’est presque devenu une mode que de saccager les maisons de presse. Toi, moi, lui, eux, nous, tout le monde est en danger. Qu’on s’en morde les doigts, qu’on meurt de faim ou qu’on descende dans la rue. Ça leur est égal.

 

Les partis politiques et les confréries religieuses sont des forces de division et d’exclusion. En regroupant certaines personnes, ils en excluent d’autres. En raison de ce danger, nous devons rester attentifs. Les principes fondamentaux sont foulés au pied. Et on laisse les charlatans et leurs esclaves de talibés s’emparer des leviers de commande. On accroît leur influence. On laisse des analphabètes qui ignorent tout de la chose politique fausser le jeu des institutions. On donne à une bande d’ignares et d’incultes le pouvoir d’influencer le choix des citoyens.

 

Tant de faits qui expriment l’inappétence, la souffrance et le désespoir que Moi, le Sénégalais couve au plus profond de mon être. Tant que nous n’aurons pas balayé ce conglomérat de charlatans, cette racaille de politiciens constipés et leurs effroyables pacotilles d’intellectuels, nous irons de plus en plus régressant. Centaines d’événements sont passés sous mes yeux en spectacle. Centaines de griefs au cœur sans que j’en sois totalement et définitivement guéris. De la foi au fanatisme, des ajustements structurels à la dévaluation du franc CFA, de la stabilité scolaire aux multiples grèves des enseignants, des étudiants bons espoirs de l’avenir aux vermines du futur, de la bonne éducation à la délinquance, des visas inaccessibles aux boat-peoples, de Senghor à Diouf, de Wade à….? Wade, le discours évolue comme tel : pays pauvre très endetté ; population pauvre très endettée. PPTE = PPTE.

 

Pierre HAMET BA

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Conakry : Enjeux d’un pouvoir en jeu

Le Général Président est mort, l’armée a pris le pouvoir en République de Guinée. Pour nous autres qui ne sommes pas habitués à la présence militaire dans la gestion des affaires publiques, l’information intrigue. La communauté internationale condamne. En fins défenseurs de la démocratie, les puissances occidentales s’érigent contre la junte militaire au pouvoir. La Guinée est à nouveau sous les projecteurs. C’est le début d’une nouvelle histoire à laquelle je me propose d’assister.

 

Le Novotel où je séjourne pour la circonstance s’est vite transformé en centre d’affaires. Ici on rencontre tout le monde : ministres, hommes d’affaires venus d’ailleurs, Guinéens influents, personnes privilégiées. L’Etat est désormais dans la rue. Les contrats et négociations se font sur le parterre du Novotel. Il n’y a qu’à se mettre au bord de la piscine pour entendre des hommes d’Etat clamer leur puissance. « Je vais le détruire… de la même manière que j’ai cassé l’autre… laisser le avec moi, vous verrez… ». Même s’il n’est pas ici important de préciser l’identité de l’autorité qui tenait ce discours, on peut dores et déjà se rendre compte qu’une nouvelle catégorie de personnes entend prendre sa revanche sur une autre.

 

Comme si une terre inconnue venait d’être découverte, le monde se rue vers la Guinée. C’est de bonne guerre. Sous peu, on va battre les cartes. Une nouvelle redistribution sera faite et il faut surtout être au bon endroit au bon moment pour prendre sa part du gâteau. Mais qu’en est-il de ceux qui étaient déjà là ? Ceux là, de l’avis des nouvelles autorités, ont forcément trempé dans la corruption, la concussion et bien certainement ont fortement contribué à la mise à genoux du pays. Une guerre est alors ouverte. Et leur faute ce n’est rien d’autre sinon d’avoir investi un pays au moment où sa propre population le pensait pourri. Le nouvel establishment les qualifie donc de pourriture. Bientôt des prétendus barons de la drogue sont arrêtés et mis en prison. D’anciens ministres qu’on accuse d’avoir détourné des deniers publics, des hommes d’affaires qui s’étaient liés d’amitié avec les anciens dirigeants, des chefs d’entreprises qui, dit-on, n’ont jamais payé de taxes à l’Etat ou qui sont supposés être coupables de fraude fiscale, sont persécutés. Des promoteurs immobiliers perdent leurs acquis, des populations sont expropriées. L’armée plante le décor. Tout en Guinée va changer. Mais, de quelle manière ?

 

Scandale géologique et château d’eau d’Afrique, la Guinée est bien vivante. En attestent les annonces d’événements culturels sur nombre de banderoles qui bordent les rues de Conakry. Comme si de rien n’était, chacun vaque à ses occupations quotidiennes. Et pourtant, il y a bien quelque chose qui se passe. Le général est mort. Tout se passe alors comme si tout avec lui devait mourir. «Nettoyage, balayage, assainissement, remise sur les rails» entend-on dire. Autant d’expression à la mode en Guinée, comme si une mission divine venait d’être assignée au Capitaine. Mais l’information capitale ici, ce qu’il faut vraiment saisir en ces termes, c’est que la Guinée était devant l’impasse. Au lendemain donc de la disparition du Général, l’armée dit-on s’est emparée du pouvoir. Mais, on voit pointer là précisément toute l’incohérence du discours. Car en vérité, comment peut-on s’emparer d’une chose que l’on a déjà en main ?

 

Pendant près de 25 ans, le pouvoir était entre les mains de l’armée. Même si des élections étaient presque régulièrement organisées, le Général, en plaçant la présidence, les affaires présidentielles et sa propre demeure au sein même du camp militaire Alpha Yaya Diallo, mettait ainsi l’armée au coeur de la vie publique. En fait, le général avait quitté l’uniforme mais l’armée ne l’avait jamais quitté. C’est l’exception guinéenne. Dans de nombreux pays autour de la terre, voir l’armée dans les rues, c’est supposer une grande catastrophe. La place de l’armée est aux contours de la vie publique. Elle défend la nation. Et pour ce faire elle se cantonne hors de sa vue, dans les périphéries, dans des casernes, des camps et des bases militaires. L’armée n’est pas formée au maintien de l’ordre mais au rétablissement de l’ordre. La voir signifie donc l’existence d’un grand désordre auquel il faut remédier. De ce fait, chacune de ses apparitions emporte avec elle un caractère hybride où se mélangent un faible sentiment de peur, d’intrigues et une grande assurance. Mais en Guinée, l’armée est la Nation. Les armes circulent au marché, dans les commerces, bars, restaurants, hôtels… partout. Bref, les militaires font parti du décor. Et on a presque fini de ne plus les distinguer. Ne pas les voir alors serait presque synonyme de catastrophe. Vous avez raison Capitaine : la Guinée est bien particulière. Mais c’est d’une particularité inexpliquée qu’il s’agit. Car les étrangers s’y sentent menacés, mal à l’aise par la présence continuelle des armes et des hommes de front. N’est-ce pas là qui explique la raison pour laquelle ce pays fait peur ?

 

A bien des égards, la Guinée présente des allures d’instabilité. Elle donne à percevoir un spectacle bien connu des pays en conflit ou qui en sortent, alors qu’il n’en est rien quand on comprend la place et le rôle de l’armée dans l’historicité contemporaine guinéenne. Seulement, cette réalité connue de personne est presque devenue insaisissable. A moins donc qu’on ne porte un intérêt tout particulier à ce pays, on n’arrivera jamais à en comprendre le fonctionnement endogène, singulier et glissant. Les institutions internationales auront beau décrié les militaires au pouvoir, exigé l’organisation d’élections transparentes, mais à l’état actuel, l’armée ne peut être tenue à l’écart de la vie publique de la Guinée. La raison est bien simple, les pages de son histoire sont tellement lourdes qu’il faut s’y prendre avec patience pour arriver à en tourner une. Il convient donc de tenir un langage de vérité au Capitaine. Ne pas lui faire faire des plans sur la comète qui finiront par décimer ce pays et le rendre plus instable qu’il en donne l’air. La vérité c’est ce qui sert. Et ici, ce qui sert la communauté internationale, c’est d’arriver à installer un jeu politique tellement subtil que le capitaine y perdrait son latin. Les enjeux sont grands et visiblement le Dadis et son équipe ne sont pas préparés à en saisir les fondements et les objectifs. Tout se passe alors comme s’il s’agissait d’un parc d’attractions dans lequel on laisse les enfants aux commandes, le temps de les divertir, pour mieux s’approprier les privilèges de leur maman. Comment alors s’attendre à l’arrivée massive d’investisseurs qui, dès leur sortie de l’aéroport de Conakry Gbessia, ne ressentiront que le désir pressant de retourner chez eux. Vraisemblablement, Dadis Camara ne s’est pas encore rendu compte que sa politique ne prospérera pas dans ces conditions.

 

Dans d’autres pays où une telle situation ne prévaut pas, de longues années n’ont pas suffi à attirer des investisseurs dignes de confiance. Si nous prenons le cas du Sénégal dont Dadis Camara semble avoir pris pour exemple la démarche de son Président, il y a fallu la mise en place d’une véritable stratégie. En plus de sa participation active dans les ensembles politico-économiques sous-régionaux qui lui confère une monnaie stable, le Sénégal a, entre autres, établi une politique de promotion de l’investissement, construit un nouveau terminal à conteneurs, amélioré sa mobilité urbaine, mis en place un réseau bancaire fiable, performant et fonctionnel, investi dans la construction de nouvelles centrales électriques, soigner l’image de sa diplomatie et de sa démocratie, séduit les institutions internationales et fait les yeux doux aux investisseurs. Et même avec tout cela, les investissements directs étrangers se comptent sur le bout des doigts. Sinon comment expliquer les Industries Chimiques de Sénégal (ICS) n’aient pas pu trouver de repreneur en temps voulu. Comment alors oser dire au Capitaine qu’avec le simple fait d’occuper la place publique tous les soirs et de tenir un discours presque effrayant, les investisseurs vont se bousculer à la porte de la Guinée. Il n’y a Conakry, que les cireurs de bottes pour tenir un tel discours. On le force ainsi à croire que tout est possible. Qu’en un temps record, il réalisera tellement de choses que les Guinéens seront prêts à aller aux urnes pour le consacrer. Mais, ici aussi, comment organiser des élections avec tous les chantiers en cours : lutte contre les narcotrafiquants, audit et protection du patrimoine de l’Etat, mise en place de structures électorales performantes et d’un fichier d’électeurs fiable, dégèle des activités politiques et syndicales, «déminage» du secteur minier etc.… Autant de choses qui laissent croire qu’un séisme pourrait se déclarer dans ce pays. Car on n’a pas encore fini de surfer sur le nuage de la prise du pouvoir qui incite plus à l’euphorie qu’à la lucidité. Pour peu qu’on s’arrête et qu’on y scrute la quintessence, on se rend vite compte que l’importance du nombre de choses à faire n’autorise à aucun esprit saint d’espérer des élections dans les deux ans à venir. Les personnes qui se présentent aujourd’hui dans ce pays, n’y viennent que pour se placer dans un champ en pleine reconstruction. Les attentes du Capitaine pourraient-elles trouver satisfaction avec des orpailleurs, des exclus du partage de l’occident à la recherche de l’eldorado ou des gens qui cherchent à augmenter leur influence.

 

L’équilibre de la terreur a disparu. Et depuis, le monde n’est plus gouverné de la même manière. Le Capitaine Moussa Dadis Camara doit alors se rendre bien compte que la Guinée n’est pas isolée. Et quand bien même il s’agisse d’un pays d’exception, eu égard à son historicité et à sa constitution sociopolitique qui place l’armée au coeur des affaires publiques, elle n’échappe pas à la mondialisation. La question reste alors que faire ?

 

Entre la panne du système éducatif, la désagrégation de la santé publique, l’assainissement des secteurs économiques, le recouvrement des deniers publics, la lutte contre la drogue, la restructuration institutionnelle, la mise en place d’un fichier électoral, l’organisation d’élections libres et transparentes, la relance de l’économie nationale, la lutte contre la corruption, le retrait de l’armée des affaires publiques, et la peur d’un lendemain sanglant…. Par où commencer ?

 

Sans essayer de répondre à la question, nous pouvons tout simplement conseiller au Capitaine de ne pas essayer de réinventer l’eau tiède. Ce serait une perte de temps et d’énergie qui le conduira certainement à sa perte définitive. L’eau tiède existe déjà, autant en user et tâcher d’en faire bon usage.

Pierre Hamet BA

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Etats Unis d’Afrique : Allo Ciel, Ici Terre…

Depuis la chute du mur de Berlin et la ruine des espoirs d’un socialisme planétaire, le champ panafricain est devenu un terreau fertile pour les intellectuels africains en mal d’idéologie. L’unité de l’Afrique est un thème récurrent, un mot d’ordre pour presque deux générations d’intellectuels Africains, un sésame magique qui, croit-on, ouvre grandes les portes de l’avenir. Les Etats Unis d’Afrique sont pour ainsi dire la nouvelle tarte à la crème des néo-panafricanistes. C’est un thème séduisant : plus de barrières entre les pays africains. Un seul drapeau, un seul hymne, un seul Etat. Le voeu de Nkrumah est exaucé. Les conflits interethniques, les immenses problèmes sociaux de l’Afrique se résoudraient pour maints pays dont certains n’ont même plus d’Etats.

 

Dans l’imaginaire ou l’inconscient collectif des penseurs et militants Panafricains, la balkanisation a été voulue par les colonisateurs, avec la complicité de certains hobereaux Africains plus soucieux d’asseoir leurs pouvoirs dans leurs territoires respectifs que de se fondre dans une Afrique supranationale aux contours politiques imprécis. La disparition de l’AOF, de l’AEF et de la Fédération du Nyassaland au Nord et au sud du Zambèze, a été ressentie comme une faute originelle, une blessure qui a pesé comme une ombre dans le décollage des Etats africains nouvellement indépendants.

 

L’Afrique est régulièrement traversée par des conflits récurrents, souvent d’une intensité meurtrière et aux origines diverses : tribales, ethniques, sociales et politiques. Cette instabilité sape tout effort de développement et se traduit souvent par des famines et des déplacements massifs de populations. Certains pays ont été et sont encore la proie de dictateurs sanguinaires qui ont mis en coupe réglée les ressources de leur Etat. La lutte violente pour le pouvoir est devenue, au-delà d’un enjeu suprême, une fin en soi. Et quand on le conquiert, généralement par un coup d’Etat ou par le biais d’élections truquées, on s’y accroche, on essaie de s’y maintenir le plus longtemps possible avec famille, clan et tribu. Les dirigeants Africains, avec une énergie surprenante et destructrice, reproduisent jusqu’à la caricature les clichés racistes dont les colonisateurs affublaient l’Afrique. Des séries de clichés meurtriers qui ont traversé le siècle : nègre barbare, jouisseur, roitelet, nègre tyrannique, irrationnel etc.

 

Tout se passe alors comme si, des tragédies du passé africain, nos dirigeants n’ont tiré aucune leçon prospective. Ce, en dehors bien sûr, d’une explication policière de l’histoire. Aucune leçon ne semble avoir été tirée des échecs successifs, des plans morts nés de Lagos et du NEPAD. Ce dernier pourtant, apparaissait comme le plan massif qui sortirait le continent du cauchemar du sous-développement. Et on nous parle des Etats-Unis d’Afrique. Qu’importe ! Il semble que les néo panafricanistes aient trouvé un nouveau terrain de bataille. Entre souverainistes et gradualistes, l’Union Africaine patauge. Le cas de l’actuel Président de la nouvelle autorité Africaine est symptomatique du piétinement de cette union africaine. Jean Ping est issu du Gabongo. Là bas, au pays des habitants qui manquent de tout, les richesses sont pompées par l’ex puissance coloniale, de connivence avec une famille présidentielle qui s’est accaparée 20 à 30 % des richesses. Le Gabon, ayant longtemps proclamé urbi et orbi son attachement à sa souveraineté nationale, est pourtant la caricature même de l’Etat néocoloniale. Que se passe-t-il alors dans cette Afrique aux immenses potentialités, assaillie de tous côtés par des défis de grande ampleur : le poids de la dette, une démographie galopante malgré un taux de mortalité élevé, une faible croissance économique dans l’ensemble, l’absence d’un tissu industriel et agricole vraiment productif ?

 

L’optimiste Cheikh Tidiane Gadio, ministre des affaires étrangères du Sénégal, reprenant les thèses de son mentor, le Président Abdoulaye Wade, propose de dépasser le cycle répétitif de l’analyse de l’intégration, de celle de ses faiblesses et de ses points forts. Il fustige les souverainetés d’Etats, soutenant que leurs budgets sont parfois inférieurs à celui d’une université américaine. Il croit trouver la solution de l’Union dans les modèles Hamiltonien, Jeffersonien ou Madisonien qui ont présidé à la construction des Etats Unis d’Amérique. Nulle part n’est décrite la construction économique, sociale et politique de ces Etats-Unis d’Afrique. A ses yeux, l’unité politique permettrait une intégration économique plus poussée alors que tout le monde sait aujourd’hui que les pôles d’intégration régionale comme la CEDEAO, la CEMAC, ou le SADC n’ont pas relevé d’un iota le niveau de vie de l’homme africain.

 

Le thème des Etats Unis d’Afrique ne doit pas seulement être forgé dans un cabinet, dans des sessions de ministres, des colloques ou des réunions annuelles de chefs d’Etats. Il doit être vécu par les peuples et ne consiste pas en une création à priori. Il est plutôt une théorie de la pratique dans toutes ses dimensions. Une doctrine comme celle de la Renaissance repose sur des motivations immédiates qui font que l’homme, autant par ses sentiments, par l’orientation de son esprit que par son comportement, contribue à chaque instant à l’effort de construction des Etats Unis d’Afrique. L’Union européenne dont il semble, qu’elle est le modèle sur lequel s’est plaquée l’Union africaine, est le fruit d’un long processus qui remonte à la nuit des temps. Elle plonge ses racines dans le chaudron du moyen âge chrétien, dans les interminables guerres européennes, en passant par la communauté économique du charbon et de l’acier jusqu’au traité de Rome ; sans compter les immenses progrès matériels, industriels, économiques, politiques et sociaux accomplis au cours des révolutions prodigieuses. La construction du pays continent qu’est la Chine ne fut pas une promenade de santé. L’ex maoïste Gadio connaît le processus qui a conduit la Chine du système des concessions à la Révolution de 1949.

 

Les Etats Unis d’Afrique doivent ouvrir un vaste chantier politique, social, économique et scientifique pour l’émergence d’une Afrique neuve. Une Afrique qui se traduit par le désenclavement des économies nationales, par la création de véritables marchés régionaux, par la décentralisation des Etats. Ce qui, à moyen et long terme, provoqueraient une véritable révolution des transports qui fut le prélude à l’ère industrielle dans l’Europe des XVIIIème et XIXème siècles.

 

En Afrique, on a cru que pour conjurer les démons séparatistes et les irrédentismes, il fallait construire des Etats forts et autoritaires. C’est vrai qu’un vaste ensemble économique et politique africain, où les régions seraient dotées de larges pouvoirs économiques et d’une véritable politique de décentralisation, aurait pour conséquence de diluer les particularismes, les antagonismes ethniques et religieux. Mais cela suppose les préalables précités, c’est à dire l’émergence d’une nouvelle frontière, non pas territoriale mais faite d’esprit d’imagination et pourquoi pas de génie.

 

Pierre Hamet BA

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LA DEMOCRATIE AU SENEGAL

Il y a bien évidemment quelque chose qui se passe. Tout dépend de ce que nous entendons par Démocratie. Au Sénégal, Il y a une théorie qui paraît quasi officielle selon laquelle la démocratie est un système dans lequel les gens sont des spectateurs, et non des acteurs. A intervalles réguliers, nous avons le droit de mettre un bulletin dans l’urne, de choisir quelqu’un dans la classe des chefs pour nous diriger. Puis nous sommes censés rentrer chez nous, et vaquer à nos affaires. Consommer, regarder la télévision, faire la cuisine, mais surtout ne pas déranger : c’est la démocratie.

 

Du maîtrisard boulanger au maîtrisard chômeur, de l’image de l’agent garant de la sécurité nationale à celle du policier traqueur social, du dirigeant honnête au chef corrompu, de l’enseignant amoureux de son métier aux vacataires chasseurs de primes, et des charlatans, sous le couvert du manteau de la religion, entrent dans la danse.

 

Les laissés pour compte se sont maintenant retrouvés au sommet de l’Etat; l’incompétence prime désormais sur la compétence; la médiocrité a pris le dessus sur l’excellence; plutôt que de rester l’extincteur, le religieux est devenu une étincelle; les pompiers  sont devenus des pyromanes et les pyromanes, des gardes forestiers ; Et on laisse les charlatans et leurs esclaves de talibés s’emparer des leviers de commande de l’Etat. On donne à une bande d’ignares et d’incultes le pouvoir d’influencer le choix des citoyens.

 

Pas l’ombre d’un doute, il s’agit bien du Sénégal d’aujourd’hui. Depuis peu et cependant longtemps, nous vivons dans une société où seul le résultat compte. L’on nous juge en fonction de notre appartenance politique, de l’avoir, jamais en fonction de nos compétences. Peu importe que nous ayons vendu notre âme, retourné notre veste, trafiqué la vie de nos frères et de nos enfants, souiller notre corps, trahi des proches pour l’intérêt personnel, nagé dans l’hypocrisie, déformer la vérité, abuser du pouvoir, vivre à la sueur du front des autres, fouler du pied la justice. Tout ce qui importe c’est de s’inscrire comme un mouton dans le courant du parti berger.

 

L’idéal a déserté le Sénégal, les idéologies se sont exilées et l’incapacité à soutenir un débat contradictoire dans un discours cohérent et satisfaisant est inquiétant. Toute voix qui s’élève, fusse-t-elle objective, est politiquement appréhendée et s’en trouve ainsi réduite à une triviale réaction épidermique.

 

Le pouvoir nous a converti en consommateurs atomisés, isolés les uns des autres. Il fait en sorte que nous soyons passifs, obéissants, ignorants et programmés. Il s’évertue à nous éduquer de manière à qu’on ne le tienne pas à la gorge. Nous voilà détournés vers des buts inoffensifs. Et, quand nous avons assez de chance pour trouver du travail, nous devenons un instrument docile de production. Nos sentiments humains normaux ont été écrasés. La démocratie telle que les politiciens l’entendent est devenue très claire : le pays doit être dirigé par des citoyens responsables, les autres n’ont qu’à se tenir tranquilles. Pour cela, tout ce que nous pensons doit être contrôlé, et nous devenons ainsi enrégimentés comme des soldats.

Que les rangs se massifient alors ! La propagande a pris place. Dieu est mort, l’homme est vivant. On ne se préoccupe plus de l’au-delà, seulement d’ici bas. On déifie des hommes, on leurs voue un culte, on les vénère. En contre partie de cette bassesse, ils nous garantissent le bonheur ici bas et un certain paradis à l’au-delà. « Suivez Dieu si vous voulez, mais ne croyez point en lui, croyez plutôt aux jouissances de ce bas monde ». Voilà qui constitue la quintessence même de leur discours. De même, c’est ce que les partis politiques de notre pays véhiculent : une sorte de religion dans laquelle le leader est hissé au rang de divinité à laquelle il faut vouer un culte. Qu’on s’en morde les doigts, qu’on meurt de faim ou qu’on descende dans la rue. Ça leur est égal.

 

Tant de faits qui expriment l’inappétence, la souffrance et le désespoir que Moi, le Sénégalais couve au plus profond de mon être. Centaines d’événements sont passés sous nos yeux en spectacle. Centaines de griefs au cœur sans que nous n’en soyons totalement et définitivement guéris. De la foi au fanatisme, des ajustements structurels à la dévaluation du franc CFA, de la stabilité scolaire aux multiples grèves des enseignants, des étudiants bons espoirs de l’avenir aux vermines du futur, de la bonne éducation à la délinquance, des visas inaccessibles aux boat-peoples, de Senghor à Diouf, de Wade à….? ; le fait est constant : les partis politiques et les regroupements charlatanesques sont des forces de division et d’exclusion.

 

Le temps est pour ainsi dire arrivé de balayer ce conglomérat de charlatans, cette racaille de politiciens constipés et leurs effroyables pacotilles d’intellectuels pour que vive la Nation Sénégalaise.

 

Pierre Hamet BA

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Le Pouvoir et ses Nouveaux Chiens de Garde

Qu’est-ce que donc le Marketing Politique ? Question soumise à notre réflexion par le directeur de publication du présent magazine. Mais saurions-nous y apporter une réponse satisfaisante en faisant fie de la scène politique qui se déroule en boucle sous nos yeux ?

 

Les Chiens aboient, la pirogue s’enlise.

 

Curieux paradoxe. Mais encore, quel curieux paradoxe que celui qui rythme notre quotidien. Jamais la vie publique de notre pays n’a autant été médiatisée que sous le régime de l’alternance. Pourtant, jamais la population n’a eu davantage l’impression d’être si peu entendue. Jamais un Président de la République n’a eu autant l’impression d’avoir beaucoup communiqué. Et pourtant, jamais un Président de la République n’a autant eu l’impression d’être incompris. Jamais la presse n’a eu autant de liberté. Et pourtant, jamais la population n’a eu autant l’impression d’être menée en bateau. Jamais la communication n’a eu autant de considération dans les institutions de notre pays. Et pourtant, jamais on n’a eu autant l’impression que les institutions se sont muselées. Jamais le paysage médiatique de notre pays n’a autant été ouvert. Et pourtant jamais le peuple n’a autant été désinformé. Visiblement, il y a donc quelque chose qui se passe.

 

Au Sénégal nous sommes restés sur des considérations qui sont celles du temps des indépendances. Quarante huit années après les indépendances, nos institutions ont peu ou prou évolué dans leur forme d’organisation. Le poste de conseiller en communication n’est pas encore prévu dans l’organigramme de nos institutions gouvernementales. Ce n’est pas rien et cela se comprend. Car à l’époque des indépendances notre pays ne disposait que d’une radio : celle de l’Etat. D’une télé : celle de l’Etat. Et d’une presse écrite : celle de l’Etat. Les médiums de communication étaient donc maîtrisés. Pas lieu alors de s’attacher les services de conseillers en communication. Ç’aurait même été superflu, d’autant qu’il n’y avait vraiment pas de quoi s’en faire. Trois millions d’habitants, une poignée d’intellectuels. Une petite louche d’instruits. Une cuillérée d’élites. Donc une opinion peu instruite et presque inconsciente des enjeux du pouvoir politique.

 

Les institutions gouvernementales contemporaines restées sur ce schéma ne sont donc plus en phase avec les enjeux du nouvel ordre sociopolitique de notre pays. Au mieux ce sont des cellules de communication qui sont créées avec à leur sein des journalistes, c’est-à-dire des professionnels du traitement de l’information. Pas de la communication. Donc le travail qui est excellemment accompli au sein de ces cellules est celui des Attachés de Presse ou des Chargés des Relations Publiques.

 

Rédiger des communiqués, convoquer des journalistes, faire du lobbying de presse, réaliser des dossiers de presse (press-book), réaliser des supports de communication et écrire des revues de presse, voilà en quoi consiste leur travail. Un ensemble d’outils qui ont pour but tout ensemble d’informer. Or, l’information n’est fort malheureusement pas de la communication. La communication nécessite d’établir un courant, une relation et de créer un échange. En ce sens, l’émetteur comme le récepteur doivent être actifs. L’information consiste à mettre au courant. Elle fonctionne à sens unique. Le récepteur est donc passif. On instaure la communication. On diffuse l’information. On comprend dès lors pourquoi le Président de la République n’a de cesse de se plaindre de sa communication. C’est qu’en réalité il n’en a pas.

 

Le gouvernement n’a pas de problèmes de communication. Le gouvernement n’a jamais communiqué.

 

Toute la cohorte de conseillers en communication de la Présidence de la République et du gouvernement tout entier ne sera certainement pas d’accord. Mais qu’on prenne soin d’étayer nos propos.

 

Ce que j’entends par là, ce en quoi consiste vraiment mon propos, c’est qu’un gouvernement est un ensemble d’institutions mises en place pour apporter des réponses cohérentes et satisfaisantes aux besoins et aspirations des populations. Quoi de plus normal alors que ces institutions communiquent avec le peuple ? Arriver par là même à créer une sorte de consentement mutuel sur la gestion de la chose publique, donnerait au peuple le sentiment d’être au centre des préoccupations de nos gouvernants. Mais si aucune communication n’est instaurée, si le gouvernement ne fait que livrer des informations sans se soucier de la réception que nous pouvons en avoir, si les « conseillers en communication » ne font qu’informer, alors on drape d’un voile opaque les institutions. Ce faisant, le peuple pensera tout naturellement qu’aucune disposition n’est prise pour mener à bien son devenir. Le sentiment d’exclusion et de non appartenance à la chose publique s’installe vite au fond même de son âme. Les populations ont l’impression de ne pas être considérées, d’être snobées par les gens du pouvoir en place, d’être laissées en rade. Elles ont le sentiment que les gouvernants ne sont là que pour eux-mêmes, qu’ils ne se soucient que de leur propre plan de carrière, qu’ils s’enrichissent des deniers publics au détriment de l’intérêt commun de la Nation. De telles appréhensions, inavouées mais vécues et cristallisées quelque part dans le tréfonds de nos êtres, ont constitué une bonne part des causes endogènes des conflits en Afrique. D’où l’importance de la communication au sein d’un Etat.

 

La communication politique, quand elle est bien gérée, constitue un moyen d’équilibre des forces et disparités sociopolitiques. Elle constitue même une soupape de sécurité. Cependant, l’absence de communication politique accentue de manière considérable les frustrations des populations. Elle donne une mauvaise impression des dirigeants et rend flou l’horizon d’un lendemain meilleur. La réaction qui s’ensuit du côté des populations est celle du silence. Le terme wolof qui rend plus compte de ce silence est « beurgueul ». Dans une telle situation, les gouvernants sont souvent tentés de penser qu’il s’agit là d’une démission, d’une indifférence totale à la chose politique, ce qui, d’une certaine manière, les arrange. Car ce « désintérêt » ou silence populaire ouvre grandement les boulevards de la dérive. Puisque le peuple est tellement dégoûté qu’il se garde même de pester, il devient aisé de gouverner. Cependant cette indifférence qui leur semble si évidente est loin d’être une sorte de résignation. Bien au contraire, elle peut facilement déboucher sur une révolte populaire. En atteste la révolte des marchands ambulants à laquelle nous avons récemment assisté. Ce silence est donc une forme de communication. Il véhicule l’inappétence des populations et tire la sonnette d’alarme. Quand un peuple arrive au stade du « silence communicant » c’est que la communication politique, si bien entendu elle existe, a tout simplement échoué.

 

Même s’il est donc vrai que le Président de la République accorde beaucoup d’importance à la communication, force est de reconnaître que la véritable communication politique n’a pas encore pris place sous son magistère. Dès lors il convient de se rendre compte qu’au lieu d’être des acteurs de la vie publique, nous en sommes les intrus spectateurs tenus loin derrière les barrières. D’où les multiples frustrations qui se manifestent par ci et par là. Le Président de la République doit donc bien se rendre compte que tous ses gouvernements confondus n’ont jamais communiqué. Or, sans une réelle communication gouvernementale, ce sera bientôt la débandade. C’est d’un phénomène préoccupant qu’il s’agit et qui, jour après jour, creuse le fossé qui sépare les gouvernants des gouvernés tout en attisant les braises qui commencent à prendre feu dans nos cœurs.

 

Bien des gens penseront cependant, que le gouvernement a toujours communiqué et de fort belle manière. Mais voyons la manière dont s’organise la communication au sein même du gouvernement.

 

La Psychose du Pouvoir

 

Il y a quelque chose d’autre qui se passe. Quelque chose comme une sorte de peur bleue d’une certaine presse assoiffée de scandales et très encline à chercher la petite bête. Devenue une psychose au sein du pouvoir, la presse exerce ainsi une véritable influence sur le comportement des gouvernants. A telle enseigne que le ministre qui vient d’être nommé, au lieu de se soucier de l’institution placée sous sa responsabilité, s’attachera, d’abord et avant tout, les services d’un journaliste. Ce dernier, par l’esprit de camaraderie et de corporation avec ses confrères aura pour mission d’éviter au nouveau venu une mauvaise presse. « Le conseiller en communication » s’évertuera ainsi à étouffer dans l’œuf, en usant de la complicité de ses confrères, toute affaire qui pourrait nuire à l’avenir politique de son patron. Il est le chien de garde. Sa place se trouve en dehors des cercles de décision. Dans la cour avant de l’institution. Il n’entre donc en jeu que lorsque son maître se sent menacé. Cela explique les multiples notes discordantes que nous servent les membres du gouvernement chaque fois qu’ils doivent s’exprimer sur une actualité nationale. C’est que « leurs conseillers en communication » n’en sont souvent pas. Car comment peut-on communiquer et bien communiquer pour une institution, quand on n’est pas associé au processus de décisions desquelles nous devons assurer une bonne communication ? « Les conseillers en communication » ne servent dès lors à rien d’autre si ce n’est aboyer quand on s’approche du maître et mordre quand le maître est attaqué.

 

Il faut donc bien se rendre compte que « les conseillers en communication » ne communiquent pas du tout pour les institutions. Comme tout chien de garde, ils protègent naturellement leurs maîtres. Et puisque leurs maîtres sont des personnalités politiques, avec des plans de carrières et des intérêts politiques différents, les stratégies utilisées ne prendront pas en charge la visibilité de l’institution mise en place pour la population. Nous assistons ainsi à un pêle-mêle de stratégies de communications qui se chevauchent sans s’harmoniser. Seuls les ministres restent visibles. Ce faisant, non seulement le ministre donne une mauvaise impression par son omniprésence dans les médias,  mais l’institution meurt sous le poids du silence qui l’ensevelit. De la sorte et grâce au matraquage médiatique, on en arrive à un désordre sans précédent. En lieu et place d’une véritable communication politique, l’on nous offre le spectacle si désolant de ministres qui se mènent la guéguerre dans leur propre camp. Alors qu’ils devraient plutôt s’unir et harmoniser leur communication pour la bonne visibilité des actions entreprises par le gouvernement tout entier. L’affaire Awa Ndiaye – Aminata Lô en constitue un exemple.

 

A tous points de vue donc, il convient de se rendre à l’évidence que la communication dans l’espace politique n’est pas la communication politique. Encore qu’il y a vraiment à se demander si la communication existe véritablement dans l’espace politique de notre pays.

 

Quoi qu’il en soit, nous pouvons quand même constater la querelle et la forte confusion de genre qui a fini de mettre le désordre dans l’espace politique. L’information n’est pas la communication. Le marketing n’est pas la communication politique. Et la communication politique n’est pas le marketing politique.

 

Mais là aussi, qu’on prenne bien soin d’étayer nos propos.

 

Parlant de moi et de mon rôle au sein d’une institution, un employé de l’administration a une fois soutenu qu’il ne pouvait pas gérer deux patrons en même temps. Cet agent pensait ainsi jeter le discrédit sur mon client. L’administrateur habitué à travailler avec des journalistes qui étaient tenus hors des cercles de décisions institutionnelles perdait donc ses moyens en face de nouvelles approches, de nouvelles techniques, de nouveaux outils. C’est dire combien l’agent de l’administration se trompait sur mon rôle en me prenant pour un second patron. C’est qu’à la différence d’un attaché de presse, d’un journaliste, d’un expert en communication ou d’un professionnel du marketing, un marketiste politique n’a pas de patron. Il a un client. Et comme un avocat, il mène la plaidoirie, il est consulté par le client mais ne consulte pas le client.

 

A l’opposé donc des « conseillers en communication » de notre pays et de leurs traditionnelles missions décrites plus haut, le marketiste politique est au début et à la fin de l’institution que gère son client. Il a une fonction transversale. Il doit non seulement être capable de mettre en place des stratégies de communication, mais il doit tout aussi avoir assez de bagage pour être à même de concevoir des programmes parallèles et intégrés aux objectifs de la lettre de mission d’un dirigeant. Il doit être en mesure de porter les idées de son client, de les traduire en discours politiques et de les transmettre à la cible dans un langage claire et accessible. S’il arrive que son client n’ait pas d’idées, il doit être en mesure de lui en trouver, de lui construire un discours, une image, un style. Un marketiste politique, spin-doctor ou éminence grise, doit maîtriser les sciences politiques et toutes les sciences du langage et de la communication. Surtout dans cette contemporanéité où la communication est la lumière de la même manière que le XVIIIe siècle fut par excellence celui des lumières.

 

Le XXIe siècle est pour ainsi dire le siècle de la communication par excellence. Par tous les moyens donc, il faut communiquer. Et même quelquefois, communiquer à outrance. Le monde est devenu un champ de canaux ouverts. Il faut donc trouver le bon fuseau pour se frayer sa voie. La rude concurrence, saine ou déloyale, que se livrent les entreprises et les grandes multinationales, passe désormais par la communication. Même la guerre ne se gagne plus sur les champs de bataille. Dans une large mesure la communication est devenue une arme très redoutable. Elle transforme l’opinion contemporaine en une sorte d’arbitre. Gagner une guerre sur le champ de bataille perd ainsi toute sa valeur quand l’opinion n’est pas acquise par la communication qui enveloppe et justifie le fait même d’entrer en guerre. Si cette communication peine, vous pourrez massacrer tout un pays, occuper le territoire ennemi, démettre le Président d’une République et le pendre, mais vous aurez perdu votre guerre. La véritable guerre reste aujourd’hui celle qui consiste à convaincre l’opinion. Car il lui revient désormais le droit de cautionner ou de sanctionner les actions entreprises par les Etats. C’est la démocratie.

 

Et c’est d’autant plus vrai que nos médias se proclament contre-pouvoir. La presse écrite et audiovisuelle est dominée par des groupes industriels et financiers, par des hommes politiques, par une pensée de marché, par des réseaux de connivence. Un petit groupe de journalistes omniprésents impose au jour le jour sa définition de l’information-marchandise. Ils servent les intérêts des nouveaux maîtres, ils sont les nouveaux chiens de garde.

Mais tout compte fait qu’est ce que donc le Marketing Politique ?

 

De tout ce qui précède, nous pouvons attester que le Marketing Politique n’existe pas au Sénégal. Et à ceux qui prétendent en faire, ou prétendrait que le gouvernement communique, nous rétorquerons gracieusement que :

 

Vendre un discours politique ou gagner une campagne électorale ne se mesure pas à la capacité d’être leader sur un marché de services et de produits agroalimentaires. Il faut éviter de prendre le marketing politique pour de la simple communication ou tout simplement pour un tout petit royaume de sentiments au sein de l’empire Marketing.

 

J’aime autant vous dire que ce qui vend un bonbon ne vend pas un homme politique.

 

Pierre Hamet BA

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Et si c’était Gadio ?

« Il prise plus le détail sur le vif

que l’explication générale,

un aperçu qu’une théorie,

les gens que les mythes. »

Régis Debray

 

Le cas Gadio reste une énigme. Il est le seul, depuis 9 ans, à continuellement occuper le poste de Ministre des Affaires Etrangères du Sénégal. Tous les hommes qui semblaient avoir de l’influence sur le Président Wade sont, soit en disgrâce, en semi disgrâce ou tout simplement perdus en cours de chemin. Qu’est-ce qui explique donc cette longévité ?

 

Au lendemain de la victoire du 19 Mars 2000, les Sénégalais, rivés à leurs postes de télévision, écoutent le président nouvellement élu, Me Abdoulaye Wade, égrener un chapelet de noms d’hommes et de femmes, presque tous inconnus du grand public, et qui allaient constituer le premier gouvernement de l’alternance, avec à la tête, un vieux routier de la politique sénégalaise : Moustapha Niasse. Parmi tous ces nouveaux ministres dont une bonne partie vient de la diaspora, un certain Cheikh Tidiane Gadio. Le Président n’est pas avare d’éloges à son endroit. Mais, bon nombre d’observateurs sont sceptiques quand au choix du nouveau chef de la diplomatie sénégalaise, journaliste de formation, que rien apparemment ne prédisposait à occuper ce poste qui fut le fleuron de la politique sénégalaise. On l’aurait vu à la rigueur occuper le ministère de la communication, poste tout aussi stratégique pour les débuts d’un gouvernement estampillé, au delà du volontarisme affiché, du sceau de l’inexpérience. Les bourdes ne manqueront pas du reste.

 

Les Sénégalais se souviennent encore des grands noms de leur diplomatie d’antan : Doudou Thiam, Médoune Fall, Seydina Oumar Sy, Karim Guèye, André Guillabert, Gabriel d’Arboussier, Ibra Déguène Kâ, etc… A la tribune des assemblées générales annuelles des Nations unies, aux sommets annuels de l’OUA, s’affrontaient les camps des révolutionnaires anti-impérialistes et des modérés considérés comme les suppôts de l’Occident capitaliste. Le conflit idéologique entre l’Est et l’Ouest faisait rage au sein de la famille africaine qui s’était divisée d’abord avant 1963, date de création de l’OUA, en deux groupes rivaux : le groupe de Casablanca et celui de Monrovia.

 

Quel Africain n’a pas en mémoire le ballet incessant des chefs d’Etat africains francophones venus quémander en France des subsides pour boucler des fins de mois difficiles, la traditionnelle photo avec le Grand Mentor sur le perron de l’Elysée, flanqué du Maitre Jacques de la politique de coopération d’alors, le controversé Foccart, l’exécution de l’hymne et le drapeau national flottant comme un emblème d’éternelle capitulation ? Quel Africain ne se rappelle pas les récriminations, les longues diatribes anti-impérialistes des chefs du camp « révolutionnaire » qui ont tenu leurs peuples en haleine dans l’attente « d’un grand soir » qui n’est jamais venu ?

 

Le Sénégal, bien qu’appartenant au camp de Monrovia, faisait entendre une petite musique, une note bien singulière qui, loin de réaliser une symphonie, évitait bien des grincements entre les durs et les modérés. Petit pays sans grandes ressources, le Sénégal sut faire de sa diplomatie la poule aux oeufs d’or. «Diplomatie de mendiants», ricaneront certains ; ou diplomatie au service de la lyre d’un poète nommé Léopold Sédar Senghor qui parcourait le monde, recevant partout des titres de Docteur honoris causa. Le Président se servait-il de son aura intellectuelle pour faire connaître le pays, ou était-ce l’inverse ? Les deux à la fois, diront les observateurs.

 

Abdoulaye Wade ne sera pas en reste. Issu lui aussi de l’université, il va à son tour collectionner les titres « Docteur honoris causa » au risque de s’attirer les quolibets des persifleurs qui songent au vieux nègre et la médaille de l’inoubliable Ferdinand Oyono.

Il va donc sans dire que le Sénégal a toujours sut placer des hommes dans les grandes instances internationales dont Amadou Moctar Mbow à l’Unesco et Jacques Diouf à la FAO.

 

Une génération d’ambassadeurs et de diplomates sénégalais s’est relayée aux Nations Unies pour faire entendre une autre voix qui faisait autorité sur bien des sujets importants : la détérioration des termes de l’échange, la lutte contre l’Apartheid, l’aide aux mouvements de libération, les droits inaliénables du peuple palestinien, la prolifération des armes nucléaires dont la commission aux Nations Unies était dirigée par l’ambassadeur Alioune Sène. On se souvient encore, en Novembre 1971, de la mission des sages dirigée par Léopold Sédar Senghor flanqué de Gowon, Mobutu, Ahidjo, dépêchée par l’OUA auprès de Golda Meir en Israël pour trouver une solution au conflit entre l’Egypte et l’Etat hébreu.

 

Quelles sont donc les raisons qui ont poussé le Président Wade à confier ce poste hautement stratégique à ce jeune homme, inconnu des grandes chancelleries, qui ne fut jamais militant du PDS, pas plus qu’il n’ait appartenu au bataillon des sabras qui ont accompagné Wade dans la solitude de l’opposition depuis 1974, des années de braise à la conquête du pouvoir ?

 

Wade, éternel étudiant, apparut comme un voltigeur dans la politique sénégalaise alors que certains de ses condisciples étaient déjà blanchis sous les harnais ministériels. On ne prit pas au sérieux l’« histrion ». « Encore une ruse de Senghor que ce parti de contribution », pensaient les intellectuels de gauche plus enclins à palabrer sur l’imminence du Grand Soir et des Internationales à venir que sur les contradictions de leur propre société. « Opposant de paille taillé à la mesure de sa majesté », ricanaient les autres. L’« histrion » se révéla pourtant un fin politique, un redoutable tribun qui sut galvaniser les foules et manier les symboliques populaires.

 

Durant toutes ces années, Gadio n’apparaît nulle part dans la galaxie Wade qui pourtant aimait fréquenter les insoumis, les semeurs d’idées, les intellectuels en rupture de ban. Qui est alors ce ministre qui ne s’exprime guère sur les sujets de la politique locale ? Quels sont les liens qu’il a tissés avec l’ombrageux et imprévisible président ?

 

Dans « Un Destion pour l’Afrique » Wade raconte sa rencontre avec le panafricanisme. Le congrès panafricain de Manchester, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, fut son chemin de Damas dans la quête du graal panafricain. C’est le congrès du relais où les militants de la diaspora comme Du Bois et Padmore passèrent le témoin aux futurs leaders africains que furent Kenyatta, Nkrumah, etc. Dans le deuxième numéro du Démocrate, journal du PDS paru en 1975, Wade affiche son credo panafricaniste à la Une avec photos à l’appui, en compagnie d’illustres devanciers comme le Président Tanzanien Julius Nyerere. Etudiant à Paris dans les années 80, le jeune Gadio fonde avec quelques amis dont Hamidou Dia, Samba Bouri Mboup, Djibril Gningue, Bouba Diop, la revue Jonction à l’orientation panafricaniste voire cheikh-Antaïste dont il devient le rédacteur en chef.

 

Cette rencontre sur le terrain du panafricanisme a-t-elle suffi pour justifier l’osmose qui semble se dessiner entre Wade et Gadio ?

 

Pendant longtemps l’opposant Wade n’a guère fréquenté le personnel politique français qui, encore sous le charme de Léopold Sédar Senghor et plus tard de son successeur Abdou Diouf, l’a longtemps ignoré. Les rares hommes politiques français que l’actuel président sénégalais fréquentait étaient des condisciples qu’il a connus sur les bancs de la faculté, à l’exception notable de Alain Madelin venu sur le tard et qui lui a été présenté par l’intellectuel malien Modibo Diagouraga. Aimant la France comme tout intellectuel sénégalais de sa génération, Wade ne comprenait pas pourquoi les autorités françaises l’avaient longtemps ignoré, lui, le chef d’une opposition légaliste dans un pays aux traditions démocratiques bien ancrées dans les moeurs.

 

Après le 19 mars 2000, Jacques Chirac résumera la situation à sa manière : « Que faut-il faire avec Wade pour rattraper le temps perdu ? »

 

Cheikh Tidiane Gadio, après avoir fréquenté la Sorbonne et le Centre de Formation des journalistes (CFJ), est allé poursuivre ses études aux Etats Unis où, plus tard, il animera un comité de soutien pour l’élection de Wade. A tort ou a raison, Gadio est estampillé proaméricain, du moins dans le jeu de la realpolitik.

 

Par cette nomination, Wade a t’il voulu remercier son jeune soutien ou tout simplement, a t-il voulu soustraire la diplomatie sénégalaise des moeurs de la FrançAfrique en la confiant a quelqu’un très au fait de la politique anglo-saxonne ? Ou plus prosaïquement, a-t-il, comme Napoléon, vu son Talleyrand en la personne de ce jeune homme lisse et peu englué dans les broutilles de la politique politicienne et des moeurs politiques locales ?

 

Ce que l’on peut dire, c’est que dès sa prise de fonction, Cheikh Tidiane Gadio a mené un intense activisme diplomatique. Le Sénégal rompt ses relations diplomatiques avec Taïwan et renoue avec la Chine continentale.

 

Cette décision, porte-t-elle la marque du ministre des affaires étrangères, ancien visiteur de la chapelle maoïste ? Ou ont-ils tous les deux eu conscience du poids de ce pays continent au milliard et demi d’habitants et peu regardant, en matière de coopération, sur les droits de l’homme, sujet qui empoisonne désormais les relations entre les pays africains et les anciennes puissances impériales, devenues subitement plus exigeantes avec leurs anciennes colonies ?

 

Les résultats ne se font pas attendre. Les chantiers chers au Président poussent comme des champignons avec le concours des Chinois. Avec plus ou moins de bonheur, Gadio s’implique dans les interminables conflits africains, dans des palabres et des négociations qui semblent ne jamais s’achever : Madagascar, Côte d’Ivoire, Burundi, Mauritanie, Bissau, Conakry. La boulimie de la diplomatie sénégalaise ne semble plus connaître de limite planétaire. Le Président Wade déclare être invité à s’impliquer dans l’interminable conflit du Moyen Orient, entre Israéliens et Palestiniens puis entre le Pakistan et l’Inde.

 

Aux lendemains des attentats du 11 Septembre, le Président et son ministre des affaires étrangères réunissent à Dakar un aréopage de chefs d’Etats africains pour condamner le terrorisme et apporter leur soutien à l’Amérique de Bush dont Wade se flatte d’être un interlocuteur privilégié.

 

Au début de son magistère, les relations du Président Wade avec certains de ses pairs africains sont houleuses et quelques fois au bord du conflit : Mauritanie, Togo, Côte d’Ivoire, Gambie, Gabon.

 

Le sapeur Gadio est il passé par là pour éteindre les incendies allumés par son bouillant Président ?

 

Pourtant, à la surprise générale, le Président Wade reçoit le prix Houphouet Boigny de la paix.

Est-ce le fruit d’un intense lobbying mené par l’infatigable ministre des affaires étrangères ? Y-a-t-il une diplomatie souterraine plus discrète, loin des déclarations porte flammes ? Ou, les deux hommes se sont-ils tout simplement répartis les rôles : l’un disant tout haut ce que l’autre pense tout bas en secouant le cocotier africain et en asticotant de temps à autre les dinosaures africains dont certains comptabilisaient une quarantaine d’années au pouvoir ?

 

Quoi qu’il en soit, le tandem Wade-Gadio arrêtera vite les frais de cette politique hasardeuse faite d’improvisations et qui, soit, porte l’humeur du Président ; soit, relève tout simplement de l’amateurisme.

 

Cependant, le Président qui s’est souvent retrouvé seul, à des années lumière du pouvoir au point que certains d’entre ses compagnons et alliés se demandaient si le but à atteindre n’était pas devenu un mirage, serait-il aujourd’hui en mesure de nouer un nouveau pacte ? Ayant cependant lu Clausewitz, ne savait-il tout aussi pas que le combat serait rude et qu’il se gagnerait casemate par casemate, tranchée par tranchée ? Des soldats tombent, d’autres prennent la ligne. Alors qu’il était au creux de la vague, des garçons qui lui doivent tout : leur formation, leur carrière politique etc. ne l’ont-ils pas abandonnés, fascinés par les lambris des palais et les sirènes du pouvoir ; ou tout simplement en opposition avec lui sur les moyens parfois peu orthodoxes pour la conquête du pouvoir ? En a-t-il tiré quelque chose comme une paranoïa envers tous ceux qui s’approchent du soleil ? Quand on pense qu’il a pu tirer des leçons des fréquentes désertions dans ses rangs, des trahisons et des ruptures avec ses « fils spirituels » et ses compagnons des temps héroïques, sommes-nous en droit de penser qu’il se serait subitement pris d’amitié et de confiance pour ce nouveau venu?

Pierre Hamet BA

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LE MAL DU PAYS : LES INTELLECTUELS CONSTIPES

Il me semble l’avoir déjà dit quelque part mais ce ne serait pas un tord de le répéter ici. « Nous vivons dans une société où seul le résultat compte. L’on nous juge en fonction de notre appartenance politique ou de notre avoir. Peu importe que nous ayons vendu notre âme, retourné notre veste, hypothéqué la vie de nos frères et de nos enfants, souillé notre corps dans la pédophilie, trahi des proches pour l’intérêt personnel, nagé dans l’hypocrisie, trafiqué la vérité, abusé du pouvoir, vécu à la sueur du front des autres, foulé du pied la justice1. » Tout ce qui importe c’est de parvenir à porter un titre quel qu’il soit. Toute analyse, même superficielle de notre société, arriverait à une conclusion analogue. Ce n’est pas rien. C’est que nous souffrons encore des traumatismes de notre passé colonial.

 

Pendant la colonisation, les colons français pour mieux asseoir leur domination avaient établi douze commandements que « chaque administrateur colonial, chaque agent colonial, quel que soit son statut, [était] tenu de faire une application rigoureuse2. » Il leur a été, entres autres, demandé d’«avoir soin de décorer [nos] élites qui sont favorables et [nos] fonctionnaires qui sont dévoués à [leur] cause3.» Ceux qui étaient ainsi décorés ne l’étaient pas pour une quelconque bravoure ou mérite, mais seulement parce qu’ils collaboraient avec l’envahisseur. Le titre n’avait donc pour fonction que de susciter la jalousie d’une part, afin que soient acquis à la cause coloniale le plus d’indigènes possibles, et d’autres parts, il ne s’agissait que de diviser pour mieux régner car le sait-on bien Bür ayoul Dak yaa aaye. Le titre donnait ainsi naissance à un semblant de valeur sociale, parce que permettant d’obtenir un traitement colonial privilégié dont les bénéficiaires pouvaient se vanter en se croyant plus valeureux que leurs semblables, d’où la naissance du mot wolof Titerou (se vanter de son titre, de sa distinction), dérivé du mot français Titre.

 

Quarante cinq années après la décolonisation, cette attitude est plus que jamais présente dans notre système d’habitus social. On ne parvient vraiment dans la société sénégalaise que quand nous occupons, par quelque moyen que ce soit, ce que communément nous appelons poste de responsabilité. C’est là seulement que commence notre existence sociale. On se croit alors non seulement plus valeureux que nos compatriotes mais aussi et surtout, investi d’une puissance divine, d’une mission sacrée. On croit même que notre propre mère est plus probe que toutes les autres mères sénégalaises, notre soit disant réussite personnelle n’étant que la récolte des graines que notre mère aurait semée dans le jardin paternel : Ligéyou ndèye, agnou-p dom. Par conséquent, quand on nous soustrait le titre, c’est du coup, toute cette symbolique sociale qui dégringole. Les réactions qui s’en suivent sont celles identiques aux grognes et manifestations des partisans du ministre de l’intérieur récemment congédié.

 

Cette attitude bien sénégalaise, est partout présente dans notre société. En vérité, tout ce qui nous intéresse, et cela depuis notre plus jeune âge c’est de parvenir, non pas en terme d’humanité, mais en terme de distinction : c’est le drame du diplôme. A la question « que voulez-vous devenir quand vous serez grand ? », nous avions souvent rétorqué à nos instituteurs des postes qui nous permettraient de gagner beaucoup d’argent, où l’on serait distingué par le titre. Rare sont les fois où on entend un enfant sénégalais s’intéresser à tel ou tel autre métier dont la finalité ne serait pas la richesse. Cela traduit la manière dont nous considérons l’éducation scolaire, non pas en terme d’entreprise de socialisation et d’insertion, et même quelque fois d’aliénation, mais comme un moyen de parvenir à l’obtention d’un diplôme. Or, le diplôme ne fait que sanctionner la fin d’une formation dans un système donné. Il ne justifie pas les compétences du diplômé. Il ne fait pas non plus du tenant un intellectuel avéré en tant qu’il serait consacré par le système de la société dont il est issue. C’est cela aussi le drame de nos sociétés africaines. La science que nous considérons universelle, n’est en fait, dans plusieurs domaines (pas tous), que des réponses culturelles à des besoins naturellement définis par l’environnement social immédiat. Le diplôme ne certifie autre chose sinon que le diplômé ait acquis la somme des connaissances connues, reconnues par un système, et définie comme science au sein du même système. Dans une autre société cependant, ou au sein d’un autre système au même moment, tout à fait autre chose pourrait valoir de science et serait, dans les limites de ce système, valable de la même manière. En tant que telle, la science n’est autre qu’un discours construit, argumenté, démontré, illustré et adopté par une convention. En ce sens, elle n’est donc pas naturellement universelle.

 

Mais le drame c’est que nos supposés intellectuels sénégalais, avec leurs croyances en des sciences universelles, infaillibles et valables en tout temps et tout lieu, ont souvent du mal à déterminer les raisons pour lesquelles leurs connaissances sanctionnées par les diplômes du système occidental, même des universités occidentales les plus prestigieuses, ne fonctionnent que quelques rares fois en Afrique. C’est que l’environnement dans lequel nous vivons nous impose de construire un discours adapté à ses réalités, démontré et prouvé. En quelque sorte, l’Afrique doit créer, dans plusieurs domaines, sa propre science. Ce n’est pas refuser, ni réfuter la science des autres peuples autour de la terre, bien au contraire, c’est plutôt une entreprise de questionnement de l’apport des autres dans une totale prise en compte de nos réalités sociales immédiates. Tant que nous ne parviendrons pas à faire la part des différences essentielles entre l’universel et le culturel, les problèmes africains n’auront jamais de solutions. Et, nos prétendus intellectuels pourront continuer à n’être que de catastrophiques subordonnés du système qui tente de s’universaliser. Le premier intellectuel parmi nous sera dans cette veine, non pas celui qui, à chaque fin de phrase nous citera des auteurs qui n’ont ni vécu dans notre environnement, ni pris en compte nos réalités sociales, ni pensé pour nous, mais celui qui fera montre d’une grande capacité de réflexion et d’adaptation de son discours à notre environnement social immédiat.

 

Que mes aînés se tiennent correctement alors, ce Sénégal n’est pas le leur. Le Sénégal, ce Sénégal contemporain, ce Sénégal qui bouge, c’est notre Sénégal à nous les jeunes. Nous ne sommes plus dans cette dynamique d’assimilation, d’autant plus que nous ne sommes pas nés sous occupation française. Le temps des citations et des références est révolu. Ce n’est plus le temps des copies collées. Nous ne cherchons pas à nous faire consacrer par quelque système que ce soit, sinon par notre propre système, un système sénégalais qui permette à la société sénégalaise de s’accomplir dans la voie qu’elle aura elle-même choisie. Ce ne sont pas les intellectuels qui théorisent les voies et moyens que la société doit emprunter pour évoluer harmonieusement dans son environnement. La société dans sa lutte pour la survie, trouve naturellement le moyen de dépasser les différentes situations qu’elle traverse. Ce n’est que longtemps après, que ces systèmes de dépassement seront théorisés. Vous pourrez vous référer, comme il en est de vos habitudes, à ce que vous voudrez, mais il n’en demeurera pas moins vrai que le système de développement japonais par exemple, n’eut pas été théorisé bien après l’essor du soleil levant. La croyance en des intellectuels sauveurs est rétrograde. Nous connaissons que trop vos motivations inavouées. Intellectuel de ceci, intellectuel de cela, cercle de je ne sais quoi d’autre qui prétend organiser une conférence de je ne sais quoi, pour amener le Sénégal je ne sais où ! Je suis jeune certes, il faut le notifier, mais en tant que tel mon rôle est de poser les questions, pas les fausses, mais les vraies questions de notre société. Car, vous le savez certainement mieux que moi, Deuguë ci laméñou khalé laye guéné. Je manque peut-être d’expérience, mais en vérité, de quelle expérience me parlez-vous à chaque fois que vous faites face à vos limites ? Si c’est ne pas être soumis aux contraintes sociales au point de transformer mon stylo en tube digestif, j’en suis vraiment fier. Voyez-vous chers aînés, il faut qu’on apprenne à nous dire la vérité en face. Vous en avez tellement ingurgités que vos idées sont devenues indigestes. Vous êtes constipés de partout. Voilà ce que vous êtes, des cerveaux inaptes à la production intellectuelle tant la bataille du quotidien ne vous laisse pas le temps de cogiter. Alors bine bine.

 

Comment avez-vous osé vous prétendre victime de discrimination lors de la conférence des intellectuels africains et de la diaspora et, à votre tour pratiquer cette même discrimination envers ceux qui ne partagent pas vos points de vue ? Je vous croyais conséquent mais en vérité vous ne l’êtes point. Vous n’êtes en fait pas très différents de ceux sur qui vous tirez à longueur d’année. Enfin, il faut que vous sachiez que tant que vous ne serez pas capable de soutenir le débat contradictoire dans notre pays, vous ne serez, encore et pour toujours, que d’éternels apprentis de je ne sais quoi, mais en tout cas tout sauf un intellectuel. Car, être un intellectuel ce n’est pas avoir une grande gueule et râler à tout bout de champs, ce n’est pas non plus se lier d’amitié avec la presse afin d’y apparaître souvent telle une page de publicité. Être intellectuel ce n’est pas non plus se lier d’amitié avec ceux dont les bienveillances ont pour but de manipuler le peuple et de l’enrégimenter. Tenez vous correctement mes aînés. Etre un intellectuel c’est beaucoup plus que cela.

 

Etre un intellectuel c’est un état d’esprit, ce n’est pas quelque chose qu’on porte en bandoulière. On ne naît pas intellectuel, on n’est jamais diplômé intellectuel, on ne se revendique pas intellectuel, on se le voit considéré. L’intellectuel, ce me semble, est celui qui analyse, qui étudie et qui intervient dans tous les domaines de la vie sociale pour ainsi apporter des correctifs là où il y a erreur, et proposer des solutions là où il y a problème. L’intellectuel conséquent est celui qui se soucie, d’abord et avant tout, de son autonomie de penser. Car, à s’attacher ne serait-ce que de sympathie avec le politique, son objectivité pourrait naturellement s’en trouver soumise à des contraintes sociales, d’où pourrait naître une certaine subjectivité, une sorte de motivation partisane inavouée lui imposant soit de défendre l’ami politique, soit de tout faire pour destituer le parti ennemi. L’intellectuel, d’une manière générale et pas exhaustive, est permanemment hanté par ce souci constant d’accomplir son regard critique pour que le peuple s’accomplisse. Sa préoccupation ne puit donc être autre que le Nous qui garantit l’équilibre et le bien être social du peuple tout entier. Toute autre personne se réclamant intellectuelle et ne se s’occupant que du moi personnel et individuel, du lui le gouvernant et du nous le parti, n’est en réalité qu’un opportuniste. Ce qui l’intéresse ce n’est pas d’arriver à changer quoi que soit, de faire évoluer le pays, mais de s’en mettre plein les poches en garantissant les intérêts de ceux dont les actions mettent le pays à genoux. Ce genre d’individus est dangereux. Dans notre pays, il y en a que trop. Ce sont tous ceux qui se regroupent dans des organisations de circonstance pour profiter des bienveillances d’un quelconque Président de la République ou d’un quelconque leader politique. Mouvement de soutien entend-on dire par ci, mouvement de défense par là, organisation et cercle de je ne sais encore quoi d’autres.

 

L’intellectuel conséquent est celui là même qui nourrit un idéal non pas personnel, mais commun en ce sens que l’idéal intellectuel constitue, pour l’intellectuel, le modèle dans lequel la société toute entière serait mieux accomplie. Toutefois, pour que l’idéal intellectuel s’accomplisse, il faudrait d’abord que son auteur s’engage résolument à le construire, à l’argumenter, à le prouver, de sorte que le peuple valide lui-même l’idéal intellectuel. Ce n’est qu’à partir de ce moment que prend naissance une sorte de conscience collective qui fait corps autour de l’idéal intellectuel pour arriver, par tous les moyens légitimes et nécessaires, à l’insérer dans le système d’habitus social, le but étant de résoudre tel ou tel autre problème qui s’opposerait à l’évolution harmonieuse de la société. Mais quand on crie sur tous les toits qu’on est intellectuel, quand on revendique le droit d’être un intellectuel, quand on pense que parce que nous sommes professeur de ceci ou de cela nous sommes automatiquement intellectuel, et ce faisant nous pensons régler les problèmes qui s’opposent à l’évolution de notre cité, nous nous foutons le doigt dans l’œil jusqu’à la nuque. De fait, tous ceux qui revendiquent de la société qu’elle leur reconnaisse le fait d’être intellectuel, tous ceux qui, parce qu’ils ont publié tels ou tels autres articles, pensent qu’il n’est d’autres intellectuels qu’eux, passent complètement à côté de la plaque. Ce genre de personne, ce genre de soit dit étant intellectuel, nous n’en voulons pas et ils ne nous servent à rien sinon que leur malhonnêteté et leur motivations inavouées nous mettent les œillères de la dérive.

 

Je suis pour ma part convaincu que ce ne sont pas ces intellectuels constipés qui nous aiderons à analyser notre environnement et à en tirer profit. Nous n’avons particulièrement rien contre le fait que des gens prennent l’initiative de réfléchir sur tel ou tel autre sujet. Notre seul soucis est l’objectivité de ceux qui prétendent être des intellectuels et donc ceux qui s’attribuent le devoir de penser afin que la nation tout entière s’accomplisse dans un idéal commun, pour une ascension commune. Ce n’est pas leur nier le droit d’être des intellectuels, c’est plutôt une invitation à la confrontation d’idées et d’arguments, à un débat public afin que dans le futur, les questions relatives à la nature et à la fonction de l’intellectuel dans notre société soient définitivement évacuées.

 

La rencontre des prétendus intellectuels sénégalais regroupés au sein d’un supposé cercle de je ne sais quoi, dans un récent congrès de, disent-ils, 300 intellectuels sénégalais, tenu à Dakar les 28 et 29 décembre 2004, m’interpelle dans ce sens. Ce dont je parle, c’est de cette malhonnête prétention à parler au nom de tous les intellectuels sénégalais, alors qu’en réalité il ne s’agit que d’une entreprise individuelle, au mieux, ce ne serait pas plus qu’un GIE.

 

« Le temps de penser, le moment d’agir4 », mais j’estime seulement que le temps présent est celui qui impose préalablement à toute action, que  ces prétendus intellectuels, constipés à mon sens, sachent que l’intellectuel conséquent ne devrait pas servir le temps d’un mandat présidentiel (vous savez de quoi je parle), ni viser à tout prix la destitution d’un régime présidentiel (comme c’est le cas actuellement), mais en toutes circonstances, quelque soit le régime en place, tant que sa réflexion est cohérente et satisfaisante pour l’évolution sociale, il doit s’acquitter de son devoir critique et objectif, en ce sens que ce qui doit l’intéresser en vérité c’est le Nous communautaire, collectif et national. Toute autre personne qui ne sert pas les intérêts de la Nation, se supposant intellectuel et ne s’occupant point du Nous collectif, communautaire et national n’est autre qu’un mouton5.

 

PIERRE HAMET BA

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DE LA QUESTION DU DEVELOPPEMENT AU DEVELOPPEMENT EN QUESTION.

Il y a évidemment quelque chose qui se passe. Une théorie quasi générale prétend que le vent des indépendances devait ravager les ordres coloniaux établis et permettre ainsi à l’Afrique perdue de se retrouver. Toutefois, il apparaît aujourd’hui que ce vent, au lieu de nous mettre sur de nouvelles marques, nous a plutôt égarés.

 

L’occident s’exclame alors : pourquoi l’Afrique tarde-t-elle à se développer ? Pourquoi s’embourbe-t-elle autant ? Et Kabou Axel, en 1993, lance la question : « Et si l’Afrique refusait le développement ? »

 

Autant de questionnements qui proclament hypocritement l’échec de l’assistanat, de l’aide au développement et des politiques africaines actuelles. Où se trouve alors le mal ? Est-ce en nous, ou est-ce plutôt au sein de ces questionnements que nous devons le trouver ?

 

Les préoccupations occidentales sur notre sort sont significatives. Elles ne disent pas que les occidentaux nous sont solidaires, elles parlent plutôt de l’attitude paternaliste occidentale. Elles n’entendent pas nous assister mais elles dénoncent toutes les mesures prises à l’encontre de l’Afrique. Elles crient fort silencieusement que l’occident plutôt que de nous servir, nous a asservis. Enfin, elles fustigent l’aide au développement car les occidentaux qui se disent développés sont loin de se désintéresser de leur propre développement.

 

Ainsi les occidentaux qui prétendent nous aider nous sucent dans l’attrait de leur propre développement pour enfin nous confiner dans une paresse, dans un refus de progrès, dans une infériorité mentale qui nous exige de reproduire leurs schémas, de calquer, copier, imiter, jusqu’aux moindres détails, leurs coutumes, comme si celles-ci étaient des normes universelles. On comprend alors aisément les préoccupations de Kabou Axel et celles plus récentes de Stephen Smith.

 

C’est qu’aux yeux de l’occident, nous ne représentons pas plus que des bébés, incapables donc de nous prendre en charge. Et, ils doivent nous mettre des couches.

 

D’abord ils entendaient nous mettre la couche du bien être moral et matériel dans une vocation missionnaire ayant pour but de nous faire simultanément partager leur vérité évangélique et leur croyance au progrès. L’homme blanc se croyait alors investi d’une mission sacrée : la civilisation, car pour lui les peuples forts devaient apprendre aux races inférieures, faibles, voire dégénérées, comment s’organiser, régir la société, utiliser les ressources…

Néanmoins, cette prétendue couche civilisatrice ne caractérisait que le contact déstabilisant entre différentes croyances, idées, sensations, affects, actions concrètes… En vérité la colonisation n’était que le résultat d’un choc culturel mal digéré dû à une rencontre avec des systèmes d’habitus différents des leurs. Ce choc culturel, alimenté d’une vision ethnocentrique, à amené l’occident à ne pas nous reconnaître la qualité d’humain, le droit de faire partie de l’humanité.

 

Cette première mission civilisatrice n’était donc basée que sur une incompréhension de nos valeurs culturelles. Elle n’avait pas pour but d’améliorer nos conditions de vie car la civilisation emporte avec elle des significations additives. Elle véhicule une évolution vers une vision linéaire du monde (celle de l’occident) malgré nos différences culturelles. En définitive  il ne s’agissait là que d’une mission d’occidentalisation.

 

Ce ne sont donc pas les formes politiques coloniales qui sont les plus dangereuses. Mais de nos jours, quand on parle de la colonisation et de ses conséquences sur l’Afrique actuelle, on disserte ordinairement sur sa forme politique. On néglige trop souvent sa forme d’organisation économique qui transporte avec elle une culture : un modèle de rapport à la nature, aux choses et aux autres. On occulte ainsi le désir occidental de savoir tout sur tout et de maîtriser le monde qui nous entoure. Les conquêtes de l’empire romain, les croisades, la planète triangulée par les flux d’épices, d’esclaves et d’or…et les invasions américaines plus récentes traduisent tous une même volonté : la prétention occidentale à l’hégémonie.

 

L’occident s’imagine encore grande manufacture de l’univers ; et le reste du monde, pourvoyeur de matières premières. Naturellement, son mode de fonctionnement n’a pas manqué de susciter d’innombrables critiques, mais jusqu’ici ces critiques n’ont jamais porté sur l’évolution économique et technique que favorise l’industrie.

 

Le mouvement marxiste n’a jamais remis en cause l’accumulation des forces productives et les technologies nécessaires au développement. Les  libéraux capitalistes et les socialistes entretiennent tous deux l’idée selon laquelle le progrès social ne peut résulter que de l’accroissement de la richesse d’une société.

 

Donc la même idée du progrès est partagée par les pays communistes, les pays socialistes et les pays capitalistes. Ils sont pour ainsi dire tous impliqués dans une conception fondamentale de la réalité : celui qui vient du projet des lumières.

 

Je n’ai pas l’ambition de retracer ici précisément l’histoire économique et politique du colonialisme, mais plutôt de nous donner un aperçu de l’idéologie qu’il a transportée pour nous amener à réfléchir sur la situation actuelle des relations Nord – Sud.

 

Autrement dit, face à la situation africaine actuelle qui ne fait que s’aggraver, il devient important d’essayer de comprendre et d’expliquer comment les sociétés aujourd’hui industrialisées se sont développées, pourquoi certaines d’entre elles sont en crises et en sortent difficilement, pourquoi d’autres ne se sont industrialisés que plus tard et si lentement, ou pourquoi d’autres encore n’y parviennent pas du tout.

 

En d’autres termes, afin de proposer de nouveaux éléments destinés à améliorer nos politiques nationales, il convient de remettre en question l’idée de développement, d’y intégrer la notion d’identité culturelle pour la rendre relative ou tout simplement d’y remédier à travers des systèmes basés sur notre culture ainsi que l’exige l’assertion Senghorienne : « la culture est au début et à la fin du développement ».

 

Toutefois, quel est le sens de ce développement dont on parle autant ? Est-ce l’expression d’une politique de progrès ? Est-ce un concept au moyen duquel accuser davantage le  retard de l’Afrique ? S’agit-il d’une politique de rattrapage, ou est-ce tout simplement une politique d’occidentalisation ?

 

A la suite des indépendances, la société occidentale persistant à penser qu’elle incarnait l’avenir de toutes les autres sociétés, entendait nous changer de couche. Non pas que ayons chié dans celle de la civilisation, mais plutôt parce qu’il leur fallait être plus vicieux pour se légitimer. La mission civilisatrice ne fut pas abandonnée ou jeter à la poubelle, elle fut tout simplement transformée en mission d’aide d’aspect économique et technique pour traiter l’extrême pauvreté qu’a causée la prétention occidentale. La répression et la présence effective du colon devaient alors être bannies puisque les délices de son niveau de vie et le mirage de sa puissance suffisaient pour lui véhiculer une image prestigieuse. Le mode disciplinaire évolua de fait vers un mode de consentement vicieux et trompeur au sein duquel la colonisation n’était plus nécessaire à la domination occidentale ; la contrainte et la domination toujours présentes devenaient impalpables, l’occident impérialiste se faisait coopérant, l’imposante occidentalisation devenait de l’ordre du choix, la propagande à l’égalité des chances devenait effective. Il ne leur restait dans ces conditions qu’à nous achever, en ouvrant la course au développement. L’occident prétend alors que même si les sous-développés sont un peu en retard sur les développés, ils peuvent espérer, puisque les chances sont prétendues égales, combler l’écart à l’image du sous-chef  qui peut toujours rêver de devenir chef à son tour…à condition de jouer le même jeu et de ne pas avoir une vision trop différente de la chefferie.

Illusion je proclame ! Et illusion devraient proclamer tous les Etats africains qui n’aperçoivent plus la lueur du développement. En réalité, les pays développés ne sont pas statiques. Bien au contraire, ils sont d’une grande mobilité car ils leur faut garder cet écart qui légitime leur statut de modèle. L’occident qui prône l’égalité des chances au développement en nous ouvrant la possibilité de participer à la course, avec son assistanat et son aide, ne se laissera jamais rattraper sous peine d’être dévalorisé et de perdre sa place de modèle. Son contenu n’est donc pas fixe. Il lui faut créer perpétuellement de nouvelles normes qui alimentent la distance. C’est pourquoi, la définition du développement qui nous semble évidente à chacun de nous, n’est pas toujours commune à tous, car nous avons des idéaux différents. Le sens que l’on a donné au développement a, tout au long de l’histoire, évolué en fonction de facteurs historiques et culturels. Mais il y a une constante qui se définit par : condition idéale de l’existence sociale dans un contexte social et historique donné. Il est, par conséquent, indispensable de ne pas réduire le développement à un aspect économique, car adhérer à un modèle économique c’est être entraîné dans une façon de voir les choses et dans une philosophie de vie loin des réalités que nous vivons. Le développement est ainsi indissociable de ses autres aspects à savoir le culturel, le social, le politique… On peut même dire que la culture n’est pas qu’une dimension du développement, mais au contraire que c’est le développement qui est une dimension de la seule culture occidentale. Aspirer à ce modèle c’est comme dit Serge Latouche communier dans la foi en la science et révérer la technique, mais aussi revendiquer pour son propre compte l’occidentalisation, pour être plus occidentalisé afin de s’occidentaliser encore plus. Le développement, produit culturel de l’axe du bien (entendez les relations Nord – Sud) n’est donc pas l’expression d’une politique de progrès. C’est plus qu’une politique de rattrapage, une politique d’occidentalisation. C’est même bien plus qu’un concept au moyen duquel accuser davantage le retard de l’Afrique. Le développement est la forme dominante du projet civilisateur qui a mûri en occident. Il s’agit donc d’un mensonge qui nous exige de faire comme si. On continue à espérer plutôt que d’avouer l’échec alors qu’il ne s’agit que d’une couche trouée qui nous met à nu quand l’occident se couvre de bien être. A chacun donc de faire comme si. De cette sorte, grâce à la banalisation de cette indifférence au réel, le développement pourra continuer de faire illusion, non plus comme la justification, à priori, des pratiques de mondialisation ; mais comme leur conséquence possible mais incertaine, au terme de l’histoire.

S’attacher à une croyance de l’ordre du virtuel qui se présente sous la forme d’un au delà paradisiaque résigné au « comme si » qui légitime le processus de globalisation dont les conséquences sont dramatiques, telle est la nouvelle couche que nous amène l’occident. A défaut de certitudes, il nous suffit de faire comme si… Comme si les malheurs d’aujourd’hui portaient en germe le bonheur de demain… Comme si le développement était généralisable, comme si la dette africaine pouvait être remboursée, comme si le rattrapage des pays riches par les pays pauvres était possible, comme si la croissance illimitée pouvait être durable. Comme si le virtuel pouvait triompher du réel. Comme si nous étions tous des occidentaux.

Votre Excellence, comme enfant, nous l’avions appris et chanté : « (…) Nous disons non… [car] nos ancêtres (…) ont tracé droit le chemin et forgé notre destin ». Il est temps de sortir de cet axe du mal, de passer du constat d’échec au refus, des rêves rassurants aux questions sérieuses, de l’illusion à la réalité même si aujourd’hui tout incite à les confondre.

 

Pierre Hamet Bâ