Nous vivons dans une société où le seul résultat compte. L’on nous juge en fonction de notre appartenance politique, de notre avoir. Peu importe que nous ayons vendu notre âme, retourné notre veste, trafiqué la vie de nos frères et de nos enfants, souiller notre corps dans l’homosexualité et la pédophilie, trahi des proches pour l’intérêt personnel, nagé dans l’hypocrisie, déformer la vérité, abuser du pouvoir, vivre à la sueur du front des autres, fouler du pied la justice. Tout ce qui importe c’est de s’inscrire comme un mouton dans le courant du parti berger. L’idéal a déserté le Sénégal, les idéologies se sont exilées, et ne parlons même pas du débat contradictoire, avant d’être assassiné, il a préféré se suicider. Il ne pouvait en faire autrement dans ce Sénégal où l’on se sent attaqué, où l’on se dit automatiquement, sans réflexion d’aucune sorte, pourquoi il s’attaque à mes privilèges, à mon siège ? Le privilège, le siège, c’est tout ce que l’on voit, c’est tout ce qui préoccupe. L’incapacité à soutenir le débat contradictoire dans un discours cohérent et satisfaisant est inquiétante. Toute réaction est traduite politiquement et s’en trouve ainsi réduit à une simple rébellion, un avis de mécontent, d’homme frustré, en atteste les propos du président de l’assemblé National à la sortie de « …un opposant au pouvoir… ». Et on se glorifie de ces termes : Sénégal pays de dialogue ; Sénégal pays de Téranga. Vertus, tradition, valeurs culturelles où simple slogan…
C’est certes vrai quelque part. Grâce à deux vertus essentielles de sa culture : Masla et Soutoura, le Sénégal a jusque là évité les perturbations et les dérives politiques. Mais aujourd’hui, ces valeurs ne sont-elles pas dépouillées de leur sens originel ? Quand on confond Masla et faiblesse, Soutoura et hypocrisie, n’est-ce pas là un abus, une déformation de la Culture sénégalaise ? Masla et Soutoura sont certes moteurs de paix et d’équilibre, mais quand on en abuse ne deviennent-elles pas source de dérives et de perturbations politiques : Lou ëup tourou.
Un peuple n’a que les dirigeants qu’il mérite. C’est, dans une certaine mesure, acceptable. Mais comment est il dirigé ? N’est-ce pas en fonction de ses vertus et valeurs culturelles les plus fondamentales ? N’est-ce pas celles-là qui permettent aux dirigeants de prévoir les réactions pouvant dériver de leur gestion des biens publiques et de leur attitude envers la population ? Masla et Soutoura sont tellement galvaudés que le Sénégal a évolué vers quelque chose comme un Disc dur. On nous maîtrise par une programmation, on nous imprime des idéologies, on est même allé jusqu’à nous faire inoculer une certaine notion de la politique. Nous constituons une population de marionnettes. On nous traîne à tous bouts de champs sans contrainte d’aucune sorte. Qu’advient-il alors quand l’un d’entre nous décide de rompre avec cette habitude ? « Wade… au pouvoir… » n’est-il pas considéré comme une attaque contre le système, un virus qui déjoue la programmation, tout simplement parce qu’il rompt avec la chaîne quotidienne ? Qu’est-ce qui peut tant déranger dans « …L’alternance piégée ? » au point de déclencher toutes ces hostilités ? En réalité, ne reproche-t-on pas à l’auteur d’être sortie des sentiers battus de terribles abus de Masla et Soutoura ? N’est-il pas bien que des citoyens prennent la liberté de se mettre au périmètre de ces valeurs ? N’est-ce pas en ceux là que les dirigeants doivent entrevoir l’inappétence ascendante ou décroissante du peuple sénégalais ? Comment oser faire fie des propos, fussent-ils faux, d’un citoyen sur la gestion des affaires publiques ? Nos dirigeants veillent-ils encore à rester à la hauteur de nos attentes ? Pensent-ils à satisfaire nos besoins et aspirations ? Sont-ils préoccupés par l’avenir de la Nation ? Qu’on nous interpelle sur l’œuvre de Latyf est significatif. Mais cette signification parle de la confiance que le Président de la République porte encore au peuple sénégalais. Alors que là, ce n’est pas la confiance de Son Excellence en son peuple qui est en jeux, mais celle du peuple en Son Excellence. Ne serait-il pas plus significatif que les Sahabas défendent leur messager avant que le peuple n’entreprenne quoi que ce soit ? Le journaliste écrivain a osé affronter l’Etat, que le Gouvernement s’emploie à ressusciter le débat contradictoire, et de nous prouver qu’ils sont, non seulement à la hauteur, à même de participer à un débat contradictoire, mais aussi et surtout, démocratie intégrée, qu’ils n’ont rien à se reprocher dans la gestion de la chose publique. C’est la seule issue valable pouvant lever les barrières sur le chemin de la démocratie que Wade lui même a balisé. Dans le cas contraire, le piège se justifie. La démocratie devient une illusion, quelque chose comme un château de carte qui s’effondre après que nous ayons déployé toutes les forces de la Nation pour le construire. Quoi de plus désolant et de plus décevant ? N’est-ce pas là, la terminaison dépréciative de la longue idéologie qui naquit chez nous il y a trois ans.
Au lendemain de l’alternance, nous nous sommes tous empressés d’enterrer l’opposition ; 2e piège… Si tout le monde pense les mêmes choses de la même manière, si nous regardons tous avec les mêmes yeux, ne nous condamne-t-on pas délibérément dans une anarchie ? Ensuite des frustrations ; 3e piège… Une opposition peut-elle exister par la seule obsession du pouvoir ? Peut elle être animée par la seule haine de l’institution suprême ? Et le 1e piège nous tombe dessus la tête : peut-on gouverner un peuple sur la base de compromis ? Quand des opposants obnubilés par l’alternance se regroupent pour conduire l’un d’entre eux au pouvoir, il s’en suit une conséquence irrationnelle et dangereuse : l’élu devient le leader des leaders politiques avec la mention spéciale : meilleur des opposants, espoir de la Nation, nous ne nous opposerons pas à Vous. Qu’on ne s’étonne donc pas, le Front pour l’Alternance (FAL) était un piège contre ceux-là même qui l’ont pensés. Qu’ils soient frustrés et pris dans leur propre piège mérite attention. En réalité, ceux-là ne sont-ils pas aujourd’hui opposant que parce qu’ils estiment que leur part du gâteau, s’ils en ont eu une, aurait du être plus grande qu’elle ne l’a été ? Nous vivons donc dans une sorte de désarroi politique où toutes les occasions sont bonnes pour affaiblir le Président Wade. Ne voilà-t-il pas esquissées, ici, les raisons pour lesquelles ils s’agrippent à l’œuvre de Latyf pour condamner le gouvernement Wade.
Mais qu’on ne s’y trompe pas aussi. Un tel climat ne justifie pas les multiples déclarations des gouvernants. Ne voyons pas en ce bouquin un bilan de l’alternance même si l’auteur l’affirme au bas de la page 25. L’évaluation ne pourra de toute manière être exhaustive qu’à la fin du mandat. Abdou Latyf parle légitimement, comme tout bon citoyen, d’épisodes précis de l’histoire Wade au pouvoir. Son intention n’est-elle donc pas d’attirer l’attention plutôt que les rancunes ? N’affirme-t-il pas entre ses lignes que le grand piège, la trahison de la confiance du peuple, est encore évitable ? L’espoir était certes plus grand que les réalités du pays, la volonté et l’ambition de Wade étaient peut-être plus grandes que les moyens de la Nation. Mais attention, la confiance a été et reste à la mesure de l’homme que nous avons sans équivoque porté au pouvoir le 19 mars 2000. Qu’il s’attelle à certaines priorités, c’est sa politique, mais qu’il n’oublie surtout pas que la confiance reste et demeure pour les quatre années à venir. L’arme est certes dégainée mais la balle est encore dans le canon. On peut encore revoir la cible. D’où la nécessité de n’avoir pas de réactions épidermiques mais de prendre en compte la température du peuple. La démocratie n’est-ce pas aussi cela ? Mais quand un citoyen est menacé de mort parce qu’il a osé parler quand parler lui semblait nécessaire, la crédibilité de l’idéologie démocrate ne s’en trouve-t-elle pas remise en cause ?
Cependant, s’il est important que des citoyens puissent tenir un discours aussi libre que celui de Latyf, n’est-il pas tout aussi important pour un peuple d’éviter que les images symboliques de son histoire ternissent ? Au delà de sa politique, au delà de son statut de fondateur du parti démocratique sénégalais, au delà de sa fonction de président de la République, Abdoulaye Wade ne représente-t-il pas une des quelques images symboliques de notre pays, une bibliothèque qui n’a pas encore pris feu ? Est-ce alors acceptable qu’on le présente comme un arriviste au pouvoir ? Doit-on faire de lui un simple opposant au pouvoir ? Ne représente-t-il pas autre chose en dépit de toutes les contestations ? N’est-il pas celui qui a tout abandonné pour la Nation ? Celui qui s’est investi et a investi pour la paix dans son pays ? Celui qui, vingt cinq ans durant, s’est battu pour mener notre existence vers un lendemain meilleur ? N’est-il pas celui qui nous a tous permis d’espérer par son intelligence, son charisme et sa témérité ? N’incarne-t-il pas l’homo-sénégalensis que chacun de nous voudrait être ? N’a-t-il pas montré que le rêve sénégalais existe et que nous pouvions dépassés l’impasse que nous croyions tous infranchissable ? Ne nous a-t-il pas rendu la fierté d’être sénégalais au moment où, las de 20 ans de régression, nous pensions tourner le dos au pays ? Un Sénégal qui gagne, …travailler….travailler…encore travailler… n’est-ce pas une lutte contre le laxisme qui avait atteint nos moelles épinières ? Qui veut plus pour donner un exemple à la postérité ? Se battre pour son pays contre vents et marrés, allant même jusqu’à traverser le mur de la dignité humaine. Franchement, n’avons nous pas au delà de l’institution qu’il représente quelqu’un qui, de part l’image que nous gardons et garderons de lui, est en soi un moteur développement ? Si nous considérons que le développement est ce quelque chose qui passe d’abord et avant tout par un sentiment d’appartenance et de fierté envers son pays, un peuple peut-il se développer sans héros ? Pourrait-il l’être sans symbole à travers lesquels la relève prendra exemple, soit pour continuer leurs œuvres, soit pour les améliorer, soit pour éviter les erreurs du passé ? Doit-on alors ternir l’image d’une image ? Ne constipons pas notre mémoire ! Evitons l’oublie… Ce serait fatal. Ne doit-on pas trouver un moyen de revendiquer et de critiquer ceux qui nous dirigent de façon à protéger, pas à embellir, contingentement, ce qu’ils sont et ce qu’ils deviendront pour des générations de sénégalais ?
Le discours est donc clair à ce niveau. C’est de nos droits les plus fondamentaux de critiquer ceux qui nous dirigent car c’est nous qui subissons leur politique. C’est du droit de l’opposition d’aller à contre courant et de trouver des stratégies nécessaires pour équilibrer le jeu politique. Mais aussi c’est de leur devoir de protéger l’institution que représente un Président de la République, de garantir la défense des symboles du peuple, car un jour, ce pourrait être leur tour. Et « malheur à celui qui chante pendant que Rome brûle ». Au demeurant, il n’est pas du devoir de l’Etat de condamner tous citoyens désireux de crier sa colère. Et si vous nous gouvernez aujourd’hui, c’est parce que nous avons profondément cru en votre idéologie démocratique et en votre éventuelle capacité à nous sortir du gouffre. En atteste la majorité à l’assemblée nationale et la constitution que nous vous avons accordés tout en nous l’accordant.
Enfin, si un brûlot de cette teneur a pu être pensé, écrit, édité et publié sans que vous n’en soyez auparavant informé, posez-vous la question de savoir si vous disposez de services de renseignement compétents ? Si quiconque peut fabriquer une bombe dans son coin et atteindre notre président, sommes nous vraiment en sécurité dans ce pays ? Et pire, si un citoyen quelque soit son statut, qu’il soit journaliste ou autres, parvient à poser l’ouïe, sur des secrets d’Etat n’y a-t-il pas danger ? Et de là une alternative. Dans le premier terme nous nous trouvons devant un gouvernement poreux, ayant en son sein des mouchards. Dans le deuxième terme, d’aucuns ont fournis des informations, fausses ou vraies c’est selon, pour détruire le symbole que représente Abdoulaye Wade au delà de sa fonction de Président de la République. Dans les deux cas nous sommes en face d’un impératif qui impose à Son Excellence de revoir son entourage. Sëb la ko bëttë ngui ci birr. L’alternance est certes piégée. Mais à y réfléchir encore, ce piège ne nous semble pas être Wade, il n’est pas non plus tendu au peuple, ni au gouvernement tout entier, mais au Président Wade. Par qui ? C’est à voir ! Pourquoi ? Chercher entre les lignes précédentes !
Article publié dans Walf, Taxi le journal et L’info 7 du Mardi 19 AOUT 2003