Il y a évidemment quelque chose qui se passe. Tout dépend de ce que nous entendons par démocratie. Au Sénégal, Il y a une théorie qui paraît quasi officielle selon laquelle la démocratie est un système dans lequel les gens sont des spectateurs, et non des acteurs. A intervalles réguliers, nous avons le droit de mettre un bulletin dans l’urne, de choisir quelqu’un dans la classe des chefs pour nous diriger. Puis nous sommes censés rentrer chez nous, et vaquer à nos affaires, consommer, regarder la télévision, faire la cuisine, mais surtout ne pas déranger. C’est la démocratie. Tout paraît donc normal, mais n’y a-t-il pas quelque chose qui nous guette et qui risque de tous nous ébranler ? Le peuple sénégalais a été détourné vers des buts inoffensifs, grâce à la gigantesque propagande animée par les hommes politiques qui consacrent un capital et une énergie énormes à nous convertir en consommateur atomisés, isolés les uns des autres sans la moindre idée de ce que pourrait être une dérive politique. Quand nous avons assez de chance pour trouver du travail, nous devenons un instrument docile de production. Nos sentiments humains normaux ont été écrasés, ils ne sont pas compatibles avec cette idéologie au service des privilèges et du pouvoir. En réalité, le rôle des intellectuels du pouvoir et cela depuis des décennies consiste à faire en sorte que nous soyons passifs, obéissants, ignorants et programmés. Le pouvoir s’évertue à nous éduquer de manière qu’on ne le tienne pas à la gorge. La démocratie telle que nous l’appliquons dans cette crise politique est devenue très claire : le pays doit être dirigé par des citoyens responsables, les autres n’ont qu’à se tenir tranquilles. Pour cela, tout ce que nous pensons doit être contrôlé, et nous devenons ainsi enrégimentés comme des soldats. Tout cela est la conséquence de l’alternance. Nous sommes devenus plus libre, il est donc devenu plus difficile d’utiliser la force contre nous. Par conséquent l’Etat doit s’évertuer à déployer plus d’énergie, que ce qui a jusque là été fait dans le cas Latyf, pour contrôler les opinions et les comportements. Sinon… Et on en passe.
Il est des habitudes de nos gouvernants de s’arrêter à l’évidence et à ce qui paraît logique. Or il convient d’aller chercher le latent, lou less waxoul, de faire un détour, de ne pas considérer les événements comme des choses isolées mais plutôt des situations ayant une relation forte et entretenue. Le climat politique et social qui prévaut actuellement est un rebond qui conduit à voir autrement et à tout reconsidérer. C’est un séisme politique qui mène à aller au delà de l’apparent, contourner l’évidence, s’étonner de cette vérité, déstabiliser l’ordre établi, ébranler les habitudes, passer au crible les influences extérieures, déceler les parts de responsabilités, et dans ce désarroi, reconstruire toute la stabilité sociale et politique de notre société.
Le peuple est divisé en deux camps. Soit on est avec Wade, soit on est contre lui. Il est difficile aux intellectuels, depuis la parution de « …l’alternance piégée ? » d’éviter les positions partisanes, d’avoir un discours objectifs et de faire des analyses de fonds. Les axes de réflexion traduisent toujours l’existence de deux camps qui se livrent à une bataille acharnée. La grande question reste celle à savoir vers quoi allons nous. Si l’on voie toujours à travers la réflexion d’un tiers la défense ou l’enfoncement de notre Président de la République, posons-nous la question de savoir s’il est encore possible de rester à l’écart de tout ce vacarme politique qui nous exige de mouiller dans le camps des bergers ou dans celui des moutons. Nous ne sommes pour notre part ni berger, ni mouton. Il paraît que le Président de la République m’aurait donné 10 millions pour prendre sa défense. Voyez-vous ? Après l’article « Attention Votre Excellence ! ! ! » paru dans les colonnes de Walf, Taxi, et Info, le mardi 19 août 2003, on nous a reproché d’être un Wadiste. Mais je tiens à préciser que tout ce qui porte le nom d’une personne est, à mes yeux, automatiquement suspect. Une doctrine qui s’appelle Wadisme ou Seckisme, ou Coulibalisme a toutes les chances d’être une religion. Parce qu’elle déifie la personne en question. Donc dès le départ, on sent que quelque chose ne cloche pas. Nous n’avons besoin ni de Wade ni de Latyf pour analyser notre société. Wade est un être humain, pas un Dieu. Il a des idées, des bonnes et des mauvaises. C’est aussi valable pour Abdou Latyf Coulibaly. Quand vous sacralisez un individu, vous êtes dans le domaine de la religion organisée. Et de fait, c’est ce que le Wadisme véhicule : une sorte de religion dans laquelle Wade est hissé au rang de divinité à laquelle il faut vouer un culte. Voilà ce que vos mots signifient. En réalité, je ne sais pas qui vous êtes mais si vous pensez être du côté de Latyf, là, vous ne lui rendez pas service. Parce que vous légitimez les actions entreprises contre lui rien qu’en utilisant le terme Wadisme ou Wadiste. Il n’en reste pas moins que dans cette affaire, Wade aussi bien que Latyf ont dit des choses intéressantes sur la société, et bien d’autres choses de porté plus générale et plus durable. Comme les idées de n’importe qui d’autre, il faut les accepter quand elles sont valides, les modifier ou les prolonger quand c’est nécessaire, les mettre de côté lorsqu’elle se révèlent inexactes ou inapplicables ou même lorsqu’elle peuvent inciter à la dérive. La démarche utilisée n’a-t-elle donc pas à l’écart de tout partie pris ? Et là où vous voyez la défense de Wade, n’est-ce pas des questionnements que tout citoyen pourrait légitimement faire ? Il nous semble même n’avoir pas utiliser le terme « Je », et on se permet de m’insulter au téléphone. Je ne sais pas pour quel motif vous le faites au delà du fait que vous me considérez comme un Wadiste mais je suis prêt à me faire tuer pour que vous-même ayez le droit de vous exprimer. Sinon en quoi les intellectuels conséquents et libres peuvent-ils être utile à ce pays ? L’histoire de notre pays nous a assez enseigné que les intellectuels qui prennent l’initiative d’avoir un discours objectif et cru risquent de le payer très cher. Sans parler de Latyf, si par exemple un intellectuel crée un syndicat, et qu’il y arrive, ce sera peut être bon pour le peuple mais certainement pas pour lui. Il sera l’objet de menace, de harcèlement, voire pire. Est-ce que les intellectuels sénégalais sont encore prêts à payer ce prix ? Prenons un intellectuel privilégié. Supposons qu’il rejoigne l’objectivité. Dans notre société, il ne sera pas tué, mais il sera puni. Il sera dénoncé, haï, calomnié. S’il ne le supporte pas, il renoncera. S’il est sensible à l’opinion, il sera complètement paralysé. Si l’on veut agir, il faut se moquer de l’opinion, c’est la seule façon d’être libre et de faire ce que l’on pense être juste. Mais quand on est insulté, parce que nous n’avons pas pris partie ou que, nous ayant mal lu, on nous campe du côté de Wade, cela ne veut-il pas dire que les hostilités sont déclenchées ? Cela ne veut-il pas dire que la poudre attend l’étincelle ? On m’accuse de corrompu, et subséquemment on accuse Wade de corrupteur. Ne sommes nous pas atteint ? Tout ce vacarme politique ne traduit-il pas la faiblesse de notre République ? En quoi tient le pays si ce n’est qu’à un bout de fil ? N’est-il pas temps, que nous abandonnions les débats partisans ? Le temps n’est-il pas venu de passer au crible toutes nos habitudes ? Ne devons nous pas nous écarter des passions et des privilèges ? N’est-il pas maintenant évident que notre peuple n’attache plus d’importance au Nous ? Le discours n’a-t-il pas évolué vers quelque chose comme aujourd’hui et maintenant, demain on s’en fou. Comment s’étonner alors que nous en soyons à ce stade ? Ne condamnons-nous pas nos enfants, à vivre dans une précarité pire que celle que nous vivons ? Ne devons nous pas penser à la République et à la nation plutôt qu’à nous même et toujours nous même.
Ce qui se passe c’est que nous ignorons la force de notre société. On en arrive à penser que tout ce qui nous trouble vient de l’intérieur. Alors qu’en réalité quand on est en face d’un peuple comme le peuple sénégalais, profondément ancré dans des valeurs traditionnelles, les mécanismes de manipulation évoluent autrement avant de nous pousser aux extrêmes. Nous rendons-nous compte que nous sommes parmi les rares pays africains à ne pas connaître la guerre. Nous rendons-nous compte que nous sommes l’un des rares pays à avoir quelque fois résister aux idéologies occidentales ? Nous rendons-nous compte que nous avons crier décolonisation alors que la décolonisation devait se faire du côté des colons comme du côté des colonisés ? Nous avons, jusque là aspiré à la décolonisation mais nos colons se sont-ils décolonisés ? N’ont-ils pas encore des intérêts en jeux chez nous ? N’est-ce pas Wade lui même qui nous avez annoncé d’avoir refusé un coup d’Etat clef en main ? Ce fût une belle leçon pour ceux qui tentaient de déstabiliser notre société. Maintenant que la leçon est bien apprise, ne sont-ils pas entrain de procéder autrement ? Il faudrait peut-être aller au delà de ceux que nous considérons comme responsable du désarroi politique qui courent en ces temps. Pensez-vous qu’un livre de la teneur de celui de Latyf puisse être publié sans que les services de renseignements étrangers n’en soient informés, eux qui sont au courant de tout ? S’ils l’ont été pourquoi l’information n’a-t-elle pas été relayée pour que des dispositions soient prises en faveur de la stabilité politique de la Nation ? Ne sommes nous donc pas devenus des ennemis inavoués ? Comment se fait-il que le gouvernement tout entier soit pris au dépourvu ? La nature du danger est-elle vraiment indiquée ? Ce serait dommage qu’un jour qu’on dise que tout était parti d’un livre…. Il nous paraît important et urgent de repenser les stratégies et de mettre en œuvre toute l’ingéniosité de la nation pour parer à toutes les éventualités. Posons-nous toujours la question de savoir si un autre sénégalais refuserait l’offre qui avait été faite à Maître Wade ? Et d’un autre côté, qu’est-ce qui peut arriver quand du jour au lendemain des postes clefs de l’armée deviennent vacants ? Est-il évident dans les temps qui courent que des militaires limogés puissent se replier le cœur joyeux ? Avons nous oublié la devise de l’armée : on nous tue mais on ne nous déshonore pas ? De jour en jour, toutes les causes ayant conduit les pays africains à la guerre s’installent dans notre République. Et nous pensons encore être dans un pays de Dialogue. L’alternance a installé le règne des passions, et nous ne sommes plus capable d’équilibrer ces forces cardiaques. La vérité c’est que nous ne sommes pas aujourd’hui à l’abri des perturbations politiques. Le Sénégal des temps n’est plus le Sénégal d’aujourd’hui. Le peuple n’a plus d’opinion, il se la forge à travers les rumeurs si ce n’est à travers celle des autres. c’est dire que nous sommes d’excellents tricheurs qui trichent mal. Et, si par malheur il nous arrivait de vouloir tricher nos voisins, que Dieu nous en garde, qu’adviendra-t-il ? Le prix à payer pour regagner la confiance des sénégalais est lourd. Et pourtant c’est le prix qu’il faut pour réinstaller la stabilité dans les temps qui courent. La solution n’est pas dans toutes les décisions qui se publient dans la presse ni dans toutes les déclarations du cercle d’intellectuels qui pensent pour Wade. La meilleure stratégie consiste à aller plus loin qu’il est pensable. Le Sénégal a été un état complice de l’état colon pendant près de trois siècle. Et il nous a suffit de trois ans pour remettre en question l’échiquier de la coopération. Pouvons nous déstabiliser trois siècles de complicité politique en trois ans de règne ? N’est-ce pas là qu’il faut commencer la réflexion ? Nous avons troublé l’ordre établie, sommes-nous alors loin du prix à payer ? Si nous gardons en vue, l’hypothèse selon laquelle, l’état colon a encore des intérêts dans l’Etat colonisé, est-il concevable que nous échappions à leur contrôle, surtout au moment où la Côte d’Ivoire est incertaine. Rien que pour cela ne sommes nous pas devenus une cible à atteindre pour que l’ordre établi depuis la colonisation soit respecté ? Notre premier ministre ne s’était-il pas indigné de la position des colons lors du naufrage du Diolas ? Pensez-vous que ce soit gratuit que ceux qui ont toujours été là, puissent un jour nous dire, devant une urgence pareille, débrouillez-vous ? Nous vivons donc dans un climat politique insupportable où tout peut arriver du jour au lendemain. Les intérêts en jeu sont tellement nombreux et insaisissables, que l’évidence n’est plus fiable. Soyons donc sur nos gardes et revenons à de meilleurs sentiments. Une chose est certaine c’est que si ces hypothèses sont juste, on en a pas après Wade seulement, mais après toute la Nation. Qui ? C’est la grande question. Mais si le Président de la République se souviens de quelles forces latentes lui avaient proposé la clef du pouvoir forcé en main, nous pourrions peut-être avoir des pistes. Et de savoir pourquoi par des jeux politiques, Son Excellence en arrive à emprisonner un de ses alliés politiques qu’il avait lui même présenté à la communauté internationale ? Pourquoi les projets du Chef de l’Etat sont souvent démolis par des forces idéologiques inavouées. En touchant Latyf Gueye, n’est-ce pas l’Afrique Aide l’Afrique qu’on touche et par voie de conséquence lui-même puisqu’il en était le défenseur ? Et encore et encore… Mais enfin, si un livre a pu surprendre, autre chose de plus secret ne peut-elle pas surprendre ?
Article publié dans Taxi le journal, le vendredi 22 aout 2003